Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1292/2024 du 05.11.2024 ( AIDSO ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1731/2024-AIDSO ATA/1292/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 5 novembre 2024 1ère section |
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Jacqueline MOTTARD, avocate
contre
HOSPICE GÉNÉRAL intimé
A. a. A______ a été au bénéfice de prestations allouées par l’Hospice général (ci-après : l’hospice) en vertu de la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI – J 4 04) du 1er décembre 2016 au 31 janvier 2021 et du 1er mai 2022 au 31 août 2022.
À ce titre, la somme totale de CHF 163'611.10 dont CHF 4'990.10 du 1er juillet 2022 au 31 août 2022 lui a été versée.
Du 1er février 2021 au 30 avril 2022, elle n’a pas touché de prestations d’aide financière du fait qu’elle avait retiré son capital de prévoyance professionnelle.
Elle a signé, les 30 novembre 2016, 31 mai 2018 et 31 mars 2022 le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général », par lequel elle a notamment pris acte que les prestations d’aide financière étaient subsidiaires à toute autre ressource provenant du travail, de la famille, de la fortune ou d’une prestation sociale et s’est notamment engagée à respecter la LIASI et son règlement d'exécution du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01), en particulier à communiquer immédiatement et spontanément à l’hospice tout renseignement et toute pièce nécessaire à l’établissement de sa situation personnelle, familiale et économique et tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant de ses prestations, ainsi qu’à faire valoir immédiatement les droits auxquels elle pouvait prétendre en matière d’assurances sociales, de prestations sociales et découlant du droit privé, et enfin à rembourser à l’hospice toute prestation indûment perçue.
b. Le 4 juillet 2022, A______ a informé son assistante sociale du décès de sa mère, survenu le 28 juin 2022.
c. Lors d’un entretien périodique du 25 juillet 2022 avec son assistante sociale, A______ a indiqué qu’elle allait hériter d’une somme importante de sa mère. L’assistante sociale lui a expliqué qu’en application de la LIASI, toutes les prestations qui lui seraient accordées à compter du décès de sa mère seraient remboursables en tant qu’avances successorales et que si l’héritage était considéré comme important, la totalité des prestations allouées pourrait lui être réclamée. Étant donné qu’elle n’avait pas encore reçu l’héritage, elle a été informée qu’elle pourrait continuer à percevoir l’aide financière et elle a été priée d’apporter l’acte de décès et les documents concernant la succession.
d. Le 26 juillet 2022, A______ a remis l’acte de décès de sa mère ainsi que la lettre qui lui avait été envoyée par le service des successions de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) le 13 juillet 2022, la priant de retourner la déclaration de succession au plus tard le 31 octobre 2022.
e. A______ a renoncé à l’aide financière de l’hospice dès le 1er septembre 2022.
f. Lors d’un entretien périodique du 16 septembre 2022 avec son assistante sociale, A______ a déclaré qu’elle avait reçu des documents relatifs à la succession, que son assistante sociale lui a demandé d’apporter, et que la procédure de succession était terminée.
g. Par appel du 23 septembre 2022, A______ a exposé qu’elle avait effectué toutes les démarches nécessaires pour la liquidation de la succession auprès du notaire.
h. Lors d’un entretien téléphonique du 24 novembre 2022, A______ a indiqué qu’un délai à janvier 2023 avait été sollicité auprès de l’AFC pour le renvoi de la déclaration de succession.
i. Par courrier d’avertissement du 16 janvier 2023, l’hospice a rappelé à A______ le contenu de l’entretien du 25 juillet 2022, l’a informée du fait qu’étant donné qu’elle avait déjà disposé de sa part dans la succession, le remboursement des prestations d’aide financière accordées depuis l’ouverture de celle-ci devait lui être demandé et qu’afin de pouvoir déterminer le montant à lui réclamer, un délai au 28 février 2023 lui était accordé pour fournir tous les documents relatifs à la succession. Faute de respecter le délai imparti, le remboursement de l’intégralité des prestations allouées par l’hospice lui serait signifié indépendamment du montant de la succession.
j. Par courriel du 8 mars 2023, A______ a fait parvenir à son assistante sociale copie de la lettre de l’AFC du 27 février 2023 prolongeant au 31 mai 2023 le délai pour déposer la déclaration de succession.
k. Lors d’un entretien téléphonique ayant eu lieu à la fin du mois de mars 2023, A______ a indiqué que le montant qu’elle avait touché au titre de la succession s’élevait à environ CHF 400'000.-.
l. Par courriel du 2 juin 2023, l’assistante sociale a demandé à A______ si le comptable avait fait le nécessaire auprès de l’AFC et l’a priée de lui transmettre tous les nouveaux documents en sa possession concernant la succession, notamment les relevés de son compte bancaire.
m. Par courrier d’avertissement du 22 juin 2023, l’hospice a rappelé à A______ les termes de l’avertissement du 16 janvier 2023 et lui a imparti un délai au 21 juillet 2023 pour fournir les documents nécessaires, faute de quoi l’intégralité des prestations qui lui avaient été accordées lui serait réclamée.
n. Par courriel du 27 juin 2023, A______ a indiqué qu’elle avait relancé régulièrement depuis le mois de février le comptable de sa mère, qui ne lui avait donné des nouvelles que récemment. Elle avait rendez‑vous avec ce dernier le 6 juillet 2023. Elle avait sollicité une nouvelle prolongation de délai auprès de l’AFC pour le retour de la déclaration de succession.
B. a. Par décision du 12 janvier 2024, l’hospice a demandé à A______ le remboursement de l'intégralité des prestations d'aide financière qui lui avaient été accordées, soit un montant total de CHF 163'611.10. Cette demande était fondée sur l'art. 38 al. 1 et 2 LIASI pour les prestations versées postérieurement à l'ouverture de la succession de sa mère et sur l'art. 40 al. 2 LIASI pour les prestations versées antérieurement.
b. A______ a formé opposition le 12 février 2024 à l’encontre de cette décision.
Elle a fait valoir que depuis que l’hospice lui avait demandé, en juillet 2022, divers documents concernant la succession de sa mère afin d’évaluer le montant de sa part de la succession, elle avait répondu par courriel et téléphone qu’elle ne disposait pas encore des documents comptables pertinents et que la déclaration de succession n’avait pas encore été déposée. Elle a joint à son envoi l’avis de taxation établi le 23 octobre 2023 par l’AFC, dont il ressortait que l’avoir net imposable – composé presque exclusivement de créances et de titres – s’élevait à CHF 557'646.- et que les héritiers étaient exempts de droits au sens de l’art. 6a de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 (LDS ‑ D 3 25). Ayant été depuis presque sans interruption en incapacité de travail, comme attesté par les certificats médicaux annexés, elle n’avait pas été en mesure de reprendre contact avec l’hospice plus tôt. Elle ne s’opposait pas au remboursement des prestations touchées depuis le décès de sa mère, lesquelles s’élevaient à CHF 4'990.10. S’agissant du solde, elle rappelait non seulement qu’elle avait immédiatement informé l’hospice du décès de sa mère, mais aussi que dès qu’elle en avait eu les moyens, elle avait renoncé à l’aide financière. Elle vivait actuellement des revenus de son travail de l’ordre de CHF 3'100.- nets par mois et de l’héritage de sa mère.
c. Par décision sur opposition du 11 avril 2024, l’hospice a confirmé la décision de remboursement du 12 janvier 2024.
Il ressortait de l’avis de taxation produit par A______ que l’avoir net imposable de la succession de sa mère s’élevait à CHF 557'646.-, somme qu’elle ne contestait pas avoir touchée. Le remboursement en application de l’art. 40 al. 2 LIASI de CHF 163'611.10 (dont CHF 4'990.10 non contestés) au moyen de l'actif successoral laissait un disponible de CHF 394'034.90, ce qui respectait la jurisprudence, même en prenant en compte le fait que A______ ne bénéficiait plus d’une aide financière depuis le 31 août 2022 et devait vivre au moyen de la somme héritée ainsi que de son salaire net de CHF 3'100.-. Bien qu’une remise au sens de l’art. 42 LIASI n’ait pas été sollicité, l’hospice a par ailleurs examiné si les conditions d’une telle demande étaient réunies, ce qui n'était pas le cas.
C. a. Par acte du 21 mai 2024, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l’encontre de la décision sur opposition précitée, concluant principalement à son annulation et à la remise totale de la somme de CHF 158’621.-, subsidiairement à une remise partielle.
Elle avait immédiatement informé l’hospice du décès de sa mère, soit le 4 juillet 2022, et les prestations versées jusqu’à cette date ne pouvaient l’avoir été dans le cadre d’une avance successorale au sens de l’art. 38 al. 1 LIASI dès lors que rien ne laissait présager du décès prochain de sa mère.
Elle avait entrepris immédiatement les démarches administratives liées au décès et avait remis le certificat de décès le 26 juillet 2022 à l’hospice. Bien qu’elle ait renoncé à la poursuite du versement des prestations dès l’annonce du décès, celles‑ci s’étaient néanmoins poursuivies un mois de plus, le virement de juillet étant déjà en cours et ne pouvant plus être bloqué.
Elle était d’accord de rembourser les montants correspondant aux prestations de juillet et août 2022, soit celles postérieures au décès de sa mère.
Pour les montants versés antérieurement, les conditions d’une remise au sens de l’art. 42 al. 1 LIASI étaient manifestement réalisées. Elle avait perçu des prestations en totale bonne foi et non pas à titre d’avance successorale. S’il était exact qu’elle avait reçu un héritage d’une certaine importance, c’était aujourd’hui son seul moyen de subsistance. Âgée de 63 ans, elle avait pu retrouver un emploi mais il n’avait duré que du 1er juin 2023 à fin avril 2024 et elle n’avait plus d’espoir de pouvoir se réinsérer et obtenir un revenu qui lui permettrait de ne pas toucher au capital hérité, qui ne représentait aujourd’hui plus que CHF 363'184.-. Le patrimoine qui lui restait allait rapidement disparaître, d’autant plus vite s’il devait se trouver amputé des sommes réclamées en remboursement par l’hospice, ce qui la conduirait immanquablement à s’adresser à nouveau à cette institution dans les deux prochaines années voire plus tôt.
b. Par courrier du 24 juin 2024, l’hospice a conclu au rejet du recours en rappelant le contenu de sa décision d’opposition.
Il a également relevé que ce qui était reproché à la recourante ne concernait pas l’annonce du décès de sa mère mais son manque de diligence à transmettre les informations sur la procédure en liquidation de la succession, en particulier sur le montant de l’héritage. Il avait fallu attendre le dépôt de l’opposition, soit le 12 février 2024, pour que l’hospice ait connaissance du montant de la part échue à la recourante dans la succession, montant indiqué dans l’avis de taxation du 23 octobre 2023.
Ces considérations étaient cependant sans importance puisque seule était litigieuse la question de savoir si l’avoir net imposable de CHF 557'646.-, que la recourante ne contestait pas avoir touché, représentait une « fortune importante » au sens de l’art. 40 al. 2 LIASI justifiant la demande de remboursement de la totalité des prestations allouées. Il importait peu, à cet égard, que, lorsqu’elle avait touché des prestations financières, la recourante n’ait pas été dans l’attente d’une succession : ce qui était pertinent était la provenance et la nature des montants reçus à la suite du décès. Le montant recueilli par la recourante dans la succession, soit la somme nette de CHF 557'646.-, était très largement supérieur au montant de CHF 30'000.- retenu pour une personne seule par les normes de la Conférence suisse des institutions d'action sociale (ci-après : normes CSIAS), même si elle devait vivre uniquement au moyen de la somme héritée.
Les conditions de la remise n’étaient pas réalisées. L’art. 38 LIASI n’offrait pas la possibilité de solliciter une remise. L’art. 40 al. 2 LIASI ne le permettait pas non plus de par sa nature. D’une part, la condition de la situation difficile dans laquelle la restitution placerait la recourante n’était pas remplie dès lors qu'une demande au sens de l'art. 40 al. 2 LIASI n’était formulée qu’en cas de fortune importante. D’autre part, la question de la bonne foi ne se posait pas puisqu’une demande de remboursement intervenait uniquement pour des motifs d’équité et de proportionnalité.
c. Le 25 juillet 2024, la recourante a usé de son droit à la réplique.
Elle a admis être entrée en possession de la succession de sa mère et avoir perçu à ce titre la somme de CHF 557'646.-, dont il n'était pas contesté qu'elle constituait une fortune importante au sens de l’art. 40 al. 2 LIASI.
Il convenait toutefois d’examiner les conditions de la remise au sens de l’art. 42 LIASI, qui étaient en l'espèce remplies. D’une part, sa bonne foi n’avait jamais été remise en cause. D’autre part, sur la somme de CHF 557'646.- héritée en juillet 2022, il ne restait à ce jour que CHF 342'070.‑, dont il convenait de retrancher CHF 4'990.10 qu’elle acceptait de restituer, ce qui réduisait le solde à CHF 337'079.90. La retraite qu’elle allait toucher de l’assurance-vieillesse et survivants n’allait pas lui permettre de faire face à ses charges. Par ailleurs, elle devait venir en aide à une de ses filles et n’avait pas d’emploi. Au vu de son âge et de sa santé physique et psychique fragile, elle n’avait que peu d’espoir de retrouver un travail et ne pouvait compter que sur ses économies pour vivre. À défaut de lui accorder la remise sollicitée, à tout le moins partiellement, la recourante allait être éligible pour demander une aide financière à l’hospice dans un proche avenir car il ne lui resterait que CHF 153'270.- pour assurer ses vieux jours.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le litige porte sur le bien-fondé de la demande de l’hospice à la recourante de restituer la totalité des prestations financières d’aide sociales reçues de ce dernier, soit le montant de CHF 163'611.10, ainsi que sur le refus d’en accorder la remise.
3. La recourante allègue sa bonne foi, l’aide qu’elle apporte à sa fille, l’absence de revenus, le peu d’espoir qu’elle a de retrouver un emploi et le faible montant qu’elle recevra à la retraite. Une restitution la rendrait éligible pour demander une aide financière à l’hospice dans un proche avenir.
3.1 Aux termes de l'art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté, et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine.
Le droit constitutionnel fédéral ne garantit toutefois que le principe du droit à des conditions minimales d'existence ; il appartient ainsi au législateur fédéral, cantonal et communal d'adopter des règles en matière de sécurité sociale qui ne descendent pas en dessous du seuil minimum découlant de l'art. 12 Cst. mais qui peuvent aller au-delà (arrêts du Tribunal fédéral 2P.318/2004 du 18 mars 2005 consid. 3 ; 2P.115/2001 du 11 septembre 2001 consid. 2a ; ATA/790/2019 du 16 avril 2019 et les références citées). L'art. 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) reprend ce principe : « toute personne a droit à la couverture de ses besoins vitaux afin de favoriser son intégration sociale et professionnelle ».
3.2 En droit genevois, la LIASI et le RIASI mettent en œuvre ce principe constitutionnel.
La LIASI a pour but de prévenir l'exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1). Ses prestations sont fournies sous forme d'accompagnement social et de prestations financières (art. 2 LIASI). Ces dernières sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI) et leurs bénéficiaires doivent faire valoir sans délai leurs droits auxquels l'aide financière est subsidiaire (art. 9 al. 2 LIASI ; ATA/790/2019 précité et les références citées).
Ont droit à des prestations d'aide financière les personnes qui ont leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève, ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien et répondent aux autres conditions de la loi (art. 11 al. 1 LIASI). Les conditions financières donnant droit aux prestations d'aide financière sont déterminées aux art. 21 à 28 LIASI.
En contrepartie des prestations auxquelles il a droit, le bénéficiaire s'engage, sous forme de contrat, à participer activement à l'amélioration de sa situation (art. 14 LIASI). Il est tenu de participer activement aux mesures le concernant (art. 20 LIASI), de fournir tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d'aide financière (art. 32 al. 1 LIASI) et de se soumettre à une enquête de l'hospice lorsque celui-ci le demande (art. 32 al. 2 LIASI).
4.
4.1 Aux termes de l’art. 38 LIASI, si les prestations d'aide financière prévues par la présente loi ont été accordées dans l'attente de la liquidation d'une succession, du versement d'un capital pour cause de décès par la prévoyance professionnelle ou par une assurance-vie, les prestations d'aide financière sont remboursables (al. 1). L'hospice demande au bénéficiaire le remboursement des prestations d'aide financière accordées depuis l'ouverture de la succession, dès qu'il peut disposer de sa part dans la succession ou du capital provenant de la prévoyance professionnelle ou d'une assurance-vie (al. 2). L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (al. 4).
4.2 Selon l'art. 40 al. 1 et 2 LIASI, si des prestations d'aide financière ont été accordées alors que le bénéficiaire s'est dessaisi de ses ressources ou de parts de fortunes, les prestations d'aide financière sont remboursables. Il en est de même lorsque le bénéficiaire est entré en possession d'une fortune importante, a reçu un don, réalisé un gain de loterie ou d'autres revenus extraordinaires ne provenant pas de son travail, ou encore lorsque l'équité l'exige pour d'autres raisons.
4.3 Les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d’aide financière se montent à CHF 4'000.- pour une personne seule majeure (art. 1 al. 2 RIASI).
4.4 La chambre administrative a eu l'occasion de procéder à une interprétation historique de l'art. 40 al. 2 LIASI à la lumière des travaux préparatoires de la LIASI. Elle a retenu que cette disposition ne pouvait viser le seul remboursement des prestations servies dès l'entrée en possession de la fortune, mais bien aussi des prestations servies auparavant. En l'absence de limite temporelle passée fixée par la loi, on devait retenir que le législateur avait visé l'ensemble des prestations déjà servies, sans limite de temps, mais dans les seules limites de l'équité et de la proportionnalité (ATA/508/2016 du 14 juin 2016 consid. 8 et la référence citée). Cette jurisprudence a été confirmée par le Tribunal fédéral.
S'agissant de la définition de la « fortune importante », il a été retenu qu'un héritage de CHF 606'000.-, dont à déduire la créance de l'hospice en CHF 26'373.- était une fortune importante au sens de la LIASI, de même qu'un héritage de CHF 495'730.‑, dont à déduire la créance de l'hospice en CHF 252'091.90. Il a aussi été précisé que les prestations versées en faveur du bénéficiaire à un tiers devaient être remboursées si les montants étaient prouvés, comme par exemple dans le cas des primes d'assurance-maladie (ATA/508/2016 précité consid. 8 et la référence citée).
4.5 Il ressort par ailleurs des normes CSIAS et en particulier de la norme E.2.1, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2021, qu’une situation économique peut être favorable lorsque la personne entre en possession de biens. Dans ces cas, les franchises suivantes sont accordées : CHF 30’000.- pour une personne seule, CHF 50’000.- pour un couple et CHF 15’000.- par enfant mineur. Ces montants laissés à la libre disposition devraient également être appliqués lorsque, après la fin de l'aide, il existe une obligation de rembourser des prestations obtenues antérieurement en raison de l'entrée ultérieure en possession d'une fortune avant l'expiration du délai de prescription défini par le droit cantonal (ATA/508/2016 précité consid. 9 et les références citées).
4.6 Les bénéficiaires des prestations d’assistance sont tenus de se conformer au principe de la bonne foi dans leurs relations avec l’administration, notamment en ce qui concerne l’obligation de renseigner prévue par la loi, sous peine d’abus de droit. Si le bénéficiaire n’agit pas de bonne foi, son attitude doit être sanctionnée et les décisions qu’il a obtenues en sa faveur peuvent être révoquées en principe en tout temps (ATA/336/2020 précité consid. 6b ; ATA/1083/2016 du 20 décembre 2016 consid. 12b ; ATA/35/2005 du 25 janvier 2005 consid. 4).
5. Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l'une et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 129 I 161 consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1013/2015 du 28 avril 2016 consid. 3.1 ; ATA/393/2018 du 24 avril 2018 consid. 6b). Ne peut prétendre à être traité conformément aux règles de la bonne foi que celui qui n'a pas lui-même violé ce principe de manière significative. Il n'est ainsi pas admissible de se prévaloir de son propre comportement déloyal et contradictoire (arrêt du Tribunal fédéral 2A.52/2003 du 23 janvier 2004 consid. 5.2, traduit in RDAF 2005 II 109 ss, spéc. 120 ; ATA/112/2018 du 6 février 2018 consid. 4 ; ATA/1004/2015 du 29 septembre 2015 consid. 6d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 580).
6. En l’espèce, la recourante a signé, les 30 novembre 2016, 31 mai 2018 et 31 mars 2022 le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général » résumant ses obligations et notamment son engagement à rembourser toute prestation exigible à teneur des dispositions légales en vigueur.
C’est en conformité des obligations découlant de ce même document qu’elle a annoncé à son assistante sociale, ce qui est attendu de tout bénéficiaire de l’aide sociale, le décès de sa mère et une succession importante dont elle allait bénéficier. Le 25 juillet 2022 déjà, soit moins d’un mois après le décès de sa mère, la recourante a vu son attention expressément attirée par l’assistante sociale sur le fait que l’aide financière qui lui était accordée pour l’avenir devrait être remboursée en raison de cet héritage et que, si ce dernier était considéré comme important, la totalité des prestations allouées pourrait lui être réclamée. Depuis juillet 2022, l’hospice a demandé à de nombreuses reprises à la recourante les documents relatifs à la succession de sa mère et ce n’est que le 12 février 2024, au stade de l’opposition, qu’elle a produit la déclaration de succession du 23 octobre 2023, dont l’avoir net s’élevait à CHF 557'646.-.
La recourante a hérité d’une fortune qui doit être qualifiée d’importante au sens de l’art. 40 al. 2 LIASI et de la jurisprudence, ce qui n’est pas contesté. Après remboursement des prestations versées par l’hospice, le montant lui revenant s’élèverait encore à CHF 394'034.90, ce qui est largement supérieur à la franchise de CHF 30'000.- prévue par les normes de la CSIAS correspondant au montant devant être laissé à disposition de la personne tenue à remboursement. Le fait que, selon ses indications, le montant encore disponible aujourd'hui serait inférieur n'est pas pertinent dans la mesure où l'on ignore la nature précise des dépenses encourues.
À l’instar des précédents cités ci-dessus, la décision de remboursement de la totalité des prestations versées demeure ainsi dans les limites de l’équité et de la proportionnalité. C’est donc sans violation de son pouvoir d’appréciation que l’hospice, compte tenu du fait que la recourante avait perçu des prestations à hauteur de CHF 163'611.10, a considéré qu’il pouvait lui en demander le remboursement.
L’argument de la recourante, selon lequel elle serait susceptible de devoir, à terme, recourir à nouveau à l'aide sociale si une partie de son héritage devait servir au remboursement des prestations perçues n’a pas de portée propre, sa situation personnelle ayant été prise en compte dans l’examen des conditions du remboursement, en relation en particulier avec le respect des principes d’équité et de proportionnalité.
La décision attaquée est ainsi conforme au droit sur les éléments qui précèdent et la demande de remboursement s’avère, dans son principe, fondée.
7.
7.1 À teneur de l'art. 42 LIASI, le bénéficiaire qui était de bonne foi n'est tenu au remboursement, total ou partiel, que dans la mesure où il ne serait pas mis, de ce fait, dans une situation difficile (al. 1) ; dans ce cas, il doit formuler par écrit une demande de remise dans un délai de trente jours dès la notification de la demande de remboursement ; cette demande de remise est adressée à l'hospice (al. 2). Les conditions de la bonne foi et de la condition financière difficile sont cumulatives (ATA/1377/2017 du 10 octobre 2017 consid 11).
7.2 En l'espèce, il ressort des courriers de la recourante qu'elle entend être dispensée du remboursement des CHF 163'611.10 litigieux, conclusion qui est irrecevable car exorbitante au présent litige, la chambre de céans ne pouvant statuer à ce stade sur une éventuelle remise au sens de l'art. 42 LIASI, une telle demande n’ayant pas été formellement déposée auprès de l’hospice.
Toutefois, au vu du fait que les parties se sont déjà exprimées à ce sujet, il convient de noter que la deuxième condition de la remise, à savoir celle de la situation difficile que pourrait engendrer le remboursement, n’est pas remplie puisqu’au moment où a été rendue la décision attaquée, la recourante, selon ses propres indications, bénéficiait encore, déduction faite des prestations à rembourser, d’un montant devant lui permettre de subvenir à ses besoins jusqu’à l’ouverture de ses droits à une rente AVS, laquelle pourra au besoin être complétée par des prestations complémentaires.
La réalisation de la première condition, à savoir celle de la bonne foi, n’a pas lieu d’être examinée, les conditions posées par l’art. 42 al. 1 LIASI étant cumulatives.
La demande de remboursement étant fondée dans son principe et son montant, et la demande de remise ayant été rejetée par l’hospice sans abus de son pouvoir d’appréciation, le recours sera rejeté.
8. Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 21 mai 2024 par A______ contre la décision sur opposition de l’Hospice général du 11 avril 2024 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Jacqueline MOTTARD, avocate de la recourante, ainsi qu'à l'Hospice général.
Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. MICHEL
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| le président siégeant :
P. CHENAUX |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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