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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2801/2024

ATA/1276/2024 du 30.10.2024 ( PROC ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2801/2024-PROC ATA/1276/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 octobre 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ demanderesse
représentée par Me Jacqueline MOTTARD, avocate

contre

DÉPARTEMENT DE L’ÉCONOMIE ET DE L’EMPLOI défendeur








EN FAIT

A. a. La société A______ SA (ci-après : A______ ou la société) est inscrite au registre du commerce de la République et canton de Genève, où elle a son siège depuis 1991. Elle a pour but statutaire l’exploitation d’établissements publics et de loisirs, l’importation, l’exportation, la représentation, la distribution et le commerce de biens mobiliers de consommation, en particulier de produits alimentaires, l’organisation, la production et la promotion de spectacles, ainsi que des services dans le domaine de la gestion d’entreprises, l’acquisition, la vente et l’exploitation de brevets et licences, la recherche, la création et l’exploitation de nouvelles technologies, la prise de participations dans toutes entreprises visant un but analogue ainsi que le placement privé, la société pouvant exercer son activité tant à l’étranger qu’en Suisse. 

b. Le 10 février 2021, la société a déposé auprès du département du développement économique, devenu depuis lors le département de l’économie et de l’emploi (ci‑après : le département), une demande d’aide financière pour cas de rigueur, en raison des pertes engendrées par l’épidémie de Covid-19. 

Le 18 mars 2021, le département a informé la société que sa demande satisfaisait aux conditions requises pour bénéficier de la mesure d’aide financière extraordinaire destinée aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de Covid-19 et lui a octroyé un montant de CHF 750'000.-.

c. Le 10 mai 2021, la société a déposé auprès du département une nouvelle demande en vue d’obtenir une aide complémentaire pour cas de rigueur. 

d. Par décision du 14 juillet 2021, le département lui a octroyé une aide financière extraordinaire complémentaire d’un montant de CHF 272'825.60. 

e. Par décision du 19 janvier 2022, le département a rejeté la réclamation formée par la société contre sa décision du 14 juillet 2021. Les activités inhérentes à son entreprise relevaient du secteur lié au « commerce de gros », pour lequel le taux forfaitaire applicable était de 8%.

f. Par arrêt du 16 mai 2022, la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) a rejeté le recours interjeté par la société à l’encontre de la décision sur réclamation. Il ne s’agissait pas de « commerce de détail » (ATA/505/2022).

g. Le recours interjeté par la société devant le Tribunal fédéral a été déclaré irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_488/2022 du 7 mars 2023).  

B. a. Le 5 juillet 2024, la société a soumis au département de nouveaux éléments. La personne chargée de remplir le formulaire en ligne de demande d’aide Covid avait validé le premier choix qui apparaissait sur ce menu sous la rubrique « secteurs d’activité » et qui mentionnait « commerce de gros ». Ce manque de précision et cette erreur d’attribution avaient été reprochés à la société au cours d’une procédure subséquente mais n’avaient finalement jamais été tranchés définitivement, la procédure ayant pris fin pour d’autres motifs d’ordre purement procédural, de sorte que le Tribunal fédéral n’avait pas eu l’occasion de se prononcer au fond.

Elle avait entrepris un travail d’envergure afin d’être en mesure de démontrer que son activité complexe ne pouvait se résumer purement et simplement à un commerce de gros mais représentait une activité mixte, mise en évidence par le rapport d’analyse effectué par B______ SA, société d’expert – réviseur agréé.

Si le formulaire avait été rempli avec la mention « commerce de détail » ou même « autres », la procédure de contrôle aurait très probablement vérifié la justesse de cette information par un examen minutieux de la comptabilité pour vérifier si une telle qualification était exacte s’agissant des taux forfaitaires applicables. Cette analyse devait être faite quand bien même elle s’avérait être en faveur de la société. Le principe de la bonne foi s’appliquait. La non prise en considération de cette réalité, désormais appuyée et documentée par le rapport, serait non seulement contraire au droit mais également entaché d’arbitraire.

Était joint le « rapport sur les constatations effectives au conseil d’administration » de B______ SA.

b. Le 20 août 2024, la société a formé, auprès du département, une demande de révision de la décision rendue par ce dernier le 19 janvier 2022.

Elle avait pris le soin, dans un premier temps, d’interpeller le département pour une reconsidération de sa situation. En l’absence de réponse, elle formait une demande de révision.

Les motifs à l’appui de sa requête avaient été largement exposés dans le courrier du 5 juillet 2024.

Elle a conclu à ce que le taux forfaitaire des coûts fixes applicables à la société soit de 25% conformément à la catégorie « autres » et à ce que lui soient octroyés les montants résultants de ce nouveau calcul, en complément des montants déjà versés au titre de cas de rigueur. Subsidiairement le taux forfaitaire était de 15% conformément à la catégorie « commerce de détail ».

c. Par courrier du 30 août 2024, le département a transmis à la chambre administrative la demande de révision déposée précitée.

Cette dernière avait été confirmée par un arrêt du 16 mai 2022, le recours formé à son encontre ayant pour sa part été déclaré irrecevable par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 7 mars 2023.

L’arrêt de la chambre administrative ayant acquis l’autorité de la chose jugée entre les mêmes parties et sur les mêmes faits, le département n’était pas compétent pour examiner la demande de révision.

À toutes fins utiles, il relevait que le point contesté et les arguments invoqués par la société en lien avec la qualification de son type d’activités, à savoir le commerce de gros, ainsi que la part forfaitaire y relative des coûts fixes de 8% prévue par le dispositif cas de rigueur pour ce type d’activité, avaient fait l’objet d’un examen approfondi tant par le département que par la chambre de céans, au vu notamment des déclarations et des éléments chiffrés fournis par la société elle-même. La production d’un rapport d’audit commandé par la société après la fin de la procédure ordinaire, sur les mêmes faits connus, ne constituait ainsi pas un motif de révision au sens de l’art. 80 let. b LPA.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             La compétence de la chambre administrative est acquise, dès lors que la procédure vise la révision de l’un de ses arrêts et que le recours au Tribunal fédéral contre cet arrêt a été déclaré irrecevable. Sous cet angle, la demande de révision est recevable (art. 81 al. 1 in fine de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             2.1 Une demande de révision suppose que l’affaire soit réglée par une décision définitive (art. 80 LPA).

En vertu de l’art. 81 LPA, la demande de révision doit être adressée par écrit à la juridiction qui a rendu la décision dans les trois mois dès la découverte du motif de révision (al. 1) et au plus tard dans les dix ans à compter de la notification de la décision. Le cas de révision de l’art. 80 let. a LPA est réservé. Dans ce cas, la révision peut avoir lieu d’office, notamment sur communication du Ministère public (al. 2). Les art. 64 et 65 LPA sont applicables par analogie. La demande doit, en particulier, indiquer le motif de révision et contenir les conclusions du requérant pour le cas où la révision serait admise et une nouvelle décision prise (al. 3).

2.2 En l’espèce, le rapport de B______ SA date du 20 juin 2024. La demande de révision du 20 août 2024 a été déposée dans le délai de trois mois, contre une décision définitive.

3.             3.1 Selon l’art. 80 let. b LPA, il y a lieu à révision lorsque des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants existent, que le demandeur ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente.

L’art. 80 let. b LPA vise uniquement les faits et moyens de preuve qui existaient au moment de la première procédure, mais n’avaient alors pas été soumis au juge (faits nouveaux « anciens » ; ATA/627/2020 du 30 juin 2020 consid. 1b et 1c ; ATA/362/2018 du 17 avril 2018 consid. 1c ; ATA/294/2015 du 24 mars 2015 consid. 3c). Sont « nouveaux », au sens de cette disposition, les faits qui, survenus à un moment où ils pouvaient encore être allégués dans la procédure principale, n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence (ATF 134 III 669 consid. 2.2 ; 134 IV 48 consid. 1.2 ; ATA/362/2018 précité consid. 1c). Ces faits nouveaux doivent en outre être importants, c’est-à-dire de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 134 III 669 consid. 2.2 ; 134 IV 48 consid. 1.2 ; 118 II 199 consid. 5).

3.2 Une révision est également possible lorsqu’un crime ou un délit, établi par une procédure pénale ou d’une autre manière, a influencé la décision (art. 80 let. a LPA), que, par inadvertance, la décision ne tient pas compte de faits invoqués et établis par pièce (let. c), que la juridiction n’a pas statué sur certaines conclusions des parties de manière à commettre un déni de justice formel (let. d), ou encore que la juridiction qui a statué n’était pas composée comme la loi l’ordonne ou que les dispositions sur la récusation ont été violées (let. e).

Une demande de révision dans le cas de figure de l’art. 80 let. c LPA ne peut être admise que si l’inadvertance commise a entraîné une conséquence sur le dispositif du jugement. L’inadvertance au sens de cette disposition se distingue de la fausse appréciation, soit des preuves administrées devant le tribunal, soit de la portée juridique des faits établis. Elle doit se rapporter au contenu même du fait, à sa perception par le tribunal, mais non pas à son appréciation juridique. Elle consiste soit à méconnaître, soit à déformer un fait ou une pièce. La révision n’entre donc pas en considération lorsque le juge a sciemment refusé de tenir compte d’un fait, parce qu’il ne le tenait pas pour décisif, car un tel refus relève du droit (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 974 ad art. 80 LPA ; ATA/1092/2022 du 1er novembre 2022 consid. 3a).

Les motifs de révision prévus par l’art. 80 LPA sont exhaustifs.

3.3 La révision ne permet pas de supprimer une erreur de droit, de bénéficier d’une nouvelle interprétation, d’une nouvelle pratique, d’obtenir une nouvelle appréciation de faits connus lors de la décision dont la révision est demandée ou de faire valoir des faits ou des moyens de preuve qui auraient pu ou dû être invoqués dans la procédure ordinaire (ATA/478/2021 du 4 mai 2021 consid. 2b ; ATA/362/2018 précité consid. 1d et les références citées).

3.4 Lorsqu’aucune condition de l’art. 80 LPA n’est remplie, la demande est déclarée irrecevable (ATA/232/2022 du 1er mars 2022 ; ATA/1748/2019 du 3 décembre 2019 ; ATA/1149/2019 du 19 juillet 2019 consid. 2).

3.5 La voie de la révision par la juridiction administrative doit être distinguée de celle de la reconsidération par l’autorité administrative, qui constitue la voie à suivre en cas de « modification notable des circonstances » (art. 48 al. 1
let. b LPA). Il faut entendre par là des faits nouveaux « nouveaux », c’est-à-dire survenus après la prise de la décision litigieuse, qui modifient de manière importante l’état de fait ou les bases juridiques sur lesquels l’autorité a fondé sa décision, justifiant par là sa remise en cause (ATA/362/2018 précité consid. 1e ; ATA/294/2015 précité consid. 3e ; ATA/105/2014 du 18 février 2014 consid. 9).

3.6 En l’espèce, la demanderesse n’allègue aucun élément nouveau, qu’il s’agisse d’un fait ou d’un moyen de preuve, au sens de l’art. 80 let. b LPA. Elle se contente de rappeler la version des faits qu’elle avait présentée lors de la procédure précédente. Or, ses allégations ont déjà été examinées de manière détaillée dans l’arrêt dont la révision est demandée. Le consid. 4 de la partie en droit de l’arrêt de la chambre de céans du 16 mai 2022, qui résume le litige, mentionne expressément qu’il a pour objet le bien-fondé de la décision de l’autorité intimée du 19 janvier 2022 appliquant à la recourante, en raison de son activité relevant du « commerce de gros », un taux forfaitaire de 8% pour l’aide financière extraordinaires complémentaires dans le contexte de la crise du Covid-19. Suivent dix pages de développements. Ainsi, notamment, en page 18, le consid. 10 détaille les raisons pour lesquelles l’autorité intimée pouvait, sans excès ni abus de son pouvoir d’appréciation, considérer que l’activité de la recourante était bien celle relevant du commerce de gros, conformément à ses déclarations initiales, étant donné la part prépondérante de son chiffre d’affaires en résultant et de la typologie de ses clients, en application de l’art. 8b al. 5 de l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 du 25 novembre 2020 (ordonnance Covid-19 cas de rigueur - RS 951.262) qui prévoyait l’application d’une part uniforme de coûts fixes pour les entreprises ayant des activités dans plusieurs domaines en fonction de celui dans lequel la plus grande part du chiffre d’affaires annuel avait été générée. La chambre de céans relevait que la recourante ne prétendait pas que ses domaines d’activités seraient clairement délimités au moyen d’une comptabilité pour permettre de bénéficier de la part de coûts fixes correspondant aux secteurs concernés et qu’elle n’avait pas non plus fait de demande en ce sens.

Dans ces conditions, c’est à bon droit que le département relève que le point contesté et les arguments invoqués par la société en lien avec la qualification de son type d’activités par le département, à savoir le commerce de gros, ainsi que la part forfaitaire et relative des coûts fixes de 8% prévus par dispositif cas de rigueur pour ce type d’activités, avaient fait l’objet d’un examen approfondi tant par le département que par la chambre de céans au vu notamment des déclarations et des éléments chiffrés fournis par la société elle-même.

La production d’un rapport d’audit commandé par la société après la fin de la procédure ordinaire sur les mêmes faits connus ne constitue ainsi pas un motif de révision au sens de l’art. 80 let. b LPA.

Au vu de ce qui précède, les conditions d’un motif de révision au sens de l’art. 80 LPA n’étant pas réalisées, la demande de révision est irrecevable.

4.             Vu l’issue de la procédure, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la demanderesse (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable la demande en révision formée le 20 août 2024 par A______ SA contre l’arrêt ATA/505/2022 de la chambre administrative de la Cour de justice du 16 mai 2022 ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacqueline MOTTARD, avocate de la demanderesse, ainsi qu’au département de l’économie et de l’emploi.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière:

 

 

 

C. MARINHEIRO

 

 

la présidente siégeant :

 

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :