Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1139/2024 du 30.09.2024 ( PRISON ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1914/2024-PRISON ATA/1139/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 30 septembre 2024 1ère section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée
A. a. A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 3 février 2024 en détention avant jugement.
b. Jusqu'au prononcé de la décision litigieuse, il n'avait fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire.
B. a. Selon un rapport d'incident dressé le 25 mai 2024 par un agent de détention, celui‑ci avait vu, à 9h31 lors de la promenade, un autre détenu frapper A______ et avait alors déclenché l'alarme. Alors qu'ils échangeaient des coups, les deux hommes avaient ensuite été séparés par d'autres détenus mais, avant l'arrivée d'autres agents de détention, le second détenu s'était à nouveau approché de A______ et lui avait asséné d'autres coups. D'autres agents de détention étaient ensuite arrivés et avaient emmené les deux protagonistes. Lors de cette opération, un agent de détention avait vu A______ prendre dans sa poche et jeter à terre deux sachets, d'un poids total de 8.94 g, contenant une substance brunâtre, et les avait recueillis.
Entendu le même jour à 14h20, A______ a, selon le rapport d'incident, reconnu les faits qui lui étaient reprochés, expliquant que la substance brune était du chocolat mélangé à du savon.
À 14h25, le gardien chef adjoint a infligé à A______ une sanction de trois jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu, trouble à l'ordre de l'établissement et possession d'objets prohibés. Ce dernier a refusé de signer l'acte de notification.
La sanction a été immédiatement exécutée.
b. Le 1er juin 2024, A______ a fait l'objet d'une seconde sanction de deux jours de cellule forte pour récidive de possession d'un objet prohibé. Le recours qu'il a interjeté auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette nouvelle sanction a été rejeté par arrêt du 19 août 2024 (ATA/946/2024).
C. a. Le 3 juin 2024, A______ a recouru à la chambre administrative contre la sanction prononcée le 25 mai 2024, déclarant s'y opposer et sollicitant « un droit d'être entendu ». Il avait été agressé par un autre détenu et n'avait fait que se défendre. L'origine de la bagarre n'avait pas été évaluée de manière objective. Il ne comprenait pas pourquoi il avait ensuite été changé d'étage et non son agresseur.
b. Le 12 juillet 2024, la prison a conclu au rejet du recours.
Il ressortait des images de vidéosurveillance qu'un autre détenu avait, en premier, frappé le recourant après quoi des coups avaient été échangés. Les deux protagonistes de la bagarre avaient été séparés par d'autres détenus, mais le second homme s'était à nouveau dirigé vers le recourant pour le frapper. Après que des agents de détention étaient arrivés sur place, le recourant avait sorti de sa poche et jeté au sol deux sachets contenant une substance brunâtre.
Lors de son audition, le recourant avait reconnu ces faits, précisant que la substance brunâtre était du chocolat mélangé à du savon.
Le droit d'être entendu avait été respecté, et la sanction prononcée répondait à un intérêt public et respectait le principe de la proportionnalité.
c. Le recourant n'a pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti à cet effet.
d. La cause a été gardée à juger le 9 août 2024.
e. Le contenu des images de vidéosurveillance sera décrit, en tant que de besoin, dans la partie en droit.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente
(art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).
2. Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2).
Le recours est donc recevable.
3. Le recourant sollicite « un droit d'être entendu ».
3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 132 II 485 consid. 3.2). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement ni celui de faire entendre des témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).
3.2 En l'occurrence, le recourant a eu l'occasion de s'exprimer oralement sur les faits qui lui étaient reprochés lors de son audition par le gardien chef adjoint le jour des faits à 14h20, avant que la sanction litigieuse ne lui soit infligée. Il explique dans son recours avoir demandé à cette occasion que les images de vidéosurveillance soient consultées, ce qui, selon les observations de la prison, non contestées par le recourant, a bien été fait avant le prononcé de la sanction.
Le recourant a par ailleurs eu l'occasion de s'exprimer par écrit, de faire valoir ses arguments et de solliciter l'administration de preuves dans le cadre de la présente procédure de recours. Son droit d'être entendu a donc été respecté, étant rappelé qu'il n'implique pas le droit à une audience.
Les éléments de preuve figurant au dossier en mains de la chambre de céans, qui comprennent notamment les images de vidéosurveillance et le rapport d'intervention, sont par ailleurs suffisants pour permettre à la chambre administrative de statuer sur le recours sans procéder à des mesures probatoires supplémentaires.
Il ne sera donc pas donné suite à la requête du recourant.
4. Le recourant conteste les faits qui lui sont reprochés.
4.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).
Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).
4.2 Les détenus doivent observer les dispositions du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention ainsi que les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire
(art. 42 RRIP). En toute circonstance, ils doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus de détenir d'autres objets que ceux qui leur sont remis et d'introduire ou de faire introduire dans l'établissement d'autres objets que ceux autorisés par le directeur (art. 45 let. e et f RRIP) ; d’une façon générale, il leur est interdit de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).
4.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).
À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer a) la suppression de visite pour 15 jours au plus, b) la suppression des promenades collectives, c) la suppression des activités sportives, d) la suppression d’achat pour 15 jours au plus, e) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour 15 jours au plus f) la privation de travail ou encore g) le placement en cellule forte pour dix jours au plus. Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP).
4.4 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).
En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 précité consid. 4f et les références citées).
De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/284/2020 précité consid. 4f et les références citées).
Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une sanction de cinq jours de cellule forte pour attitude incorrecte envers le personnel, possession d'un objet prohibé et refus d'obtempérer (ATA/1115/2022 du 4 novembre 2022). Elle a également confirmé des sanctions de deux jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu et trouble à l'ordre de l'établissement (ATA/765/2023 du 13 juillet 2023 ; ATA/669/2023 du 21 juin 2023).
4.5 Le recourant conteste en l'espèce l'établissement des faits ainsi que, implicitement et par voie de conséquence, le principe et la quotité de la sanction.
Il ressort des images de vidéosurveillance que, le 25 mai 2024 vers 9h30, le prévenu, alors en promenade, se tenait sous un auvent à proximité d'un bâtiment de l'établissement. Il a été approché par un autre détenu vêtu de noir. Les deux hommes se sont serrés la main et ont discuté normalement pendant une minute environ. Le détenu vêtu de noir a alors asséné un coup de poing au visage du recourant. Une bagarre s'en est suivie, lors de laquelle le recourant a lui aussi donné ou tenté de donner des coups à son agresseur, avant de tomber sur le dos. Les deux protagonistes ont ensuite été séparés par d'autres détenus mais, après une trentaine de secondes, l'agresseur est parvenu à se libérer, s'est approché du recourant et l'a à nouveau frappé avant d'être une nouvelle fois éloigné par d'autres détenus. Un groupe d'agents de détention est ensuite arrivé sur les lieux et a emmené – séparément – les deux protagonistes de la bagarre. À l'arrivée des agents de détention, le recourant a pris des objets dans sa poche et les a intentionnellement laissé tomber au sol. Après qu'il eut été emmené, ces objets ont été ramassés par un agent de détention, qui avait observé la scène.
Selon le rapport d'incident, auquel une pleine valeur probante doit être conférée selon la jurisprudence précitée, les deux objets jetés à terre par le recourant à la fin de la bagarre, juste avant qu'il soit emmené par les agents de détention, étaient deux sachets d'un poids total de 8,94 g contenant une substance brunâtre. Il ressort du même rapport que le recourant a reconnu ces faits, tout en précisant que la substance contenue dans les sachets était un mélange de chocolat et de savon, sans expliquer l’usage auquel un tel mélange pourrait être destiné.
Il résulte de ce qui précède que, même s'il n'est pas à l'origine de la bagarre l'ayant opposé à un autre détenu, le recourant ne s'est pas borné à tenter de se protéger mais a lui-même essayé de frapper son agresseur. Il a ainsi commis des violences physiques sur un autre détenu et, plus généralement, troublé l'ordre de l'établissement. Ces infractions aux art. 44 et 45 let. h RRIP, contestées par le recourant, sont dès lors établies.
Il en va de même de celle consistant à avoir en sa possession des objets prohibés (art. 45 let. e et f RRIP), que le recourant n'évoque pas dans son recours, la nature exacte du contenu des sachets qu'il avait sur lui n'étant pas déterminante à cet égard.
Le type et la quotité de la sanction ne font pas l'objet de critiques expresses de la part du recourant. Au vu de l'intérêt public important à maintenir l'ordre au sein de l'établissement de détention, ainsi qu'à conserver un contrôle sur les objets en possession des détenus, la sanction prononcée comme sa quotité doivent être considérées comme proportionnées à la faute du recourant. Il a en particulier été tenu compte du fait que le recourant n'a pas été à l'origine de la bagarre et que les coups qu'il a donnés ou tenté de donner l'ont été principalement pour se défendre, sans quoi une sanction plus importante se serait justifiée. L'intimée n'a donc pas abusé du large pouvoir d'appréciation dont elle dispose en la matière.
Mal fondé, le recours sera rejeté.
5. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 3 juin 2024 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon 25 mai 2024 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
C. MEYER
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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