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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1144/2024

ATA/599/2024 du 14.05.2024 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1144/2024-FORMA ATA/599/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 mai 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé



EN FAIT

A. a. A______ et B______ sont les parents de C______ et D______, scolarisés respectivement en 4P et 6P à l’école primaire E______.

b. Le programme scolaire prévoit que les enfants des degrés 4P et 6P suivent des cours d’éducation sexuelle, dispensés par le service santé de l’office de l’enfance et de la jeunesse (ci-après : SSEJ).

c. Par courrier du 13 octobre 2023, le couple AB______ a informé la direction générale de l’enseignement obligatoire (ci-après : DGEO) qu’il refusait que ses enfants suivent les cours précités.

d. À la suite de la demande expresse des parents que la DGEO rende une décision formelle susceptible de recours, celle-ci a transmis la demande au directeur de l’école, compétent pour accorder des dispenses.

e. Par décisions du 12 février 2024, le directeur a refusé d’accorder les dispenses requises.

f. Dans le cadre du recours formé auprès de la DGEO contre ces décisions, les parents ont requis des mesures provisionnelles visant la dispense, à titre provisionnel, de leurs enfants à l’obligation de suivre le cours d’éducation sexuelle.

g. Par décision du 27 mars 2024, la DGEO a refusé les mesures provisionnelles requises.

Les parents exposaient que leurs enfants subissaient une atteinte illicite à leur personnalité du fait que les cours d’éducation sexuelle n’étaient pas adaptés à leur âge. Ces considérations ne semblaient, à première vue, pas corroborées par le programme des leçons établies par le SSEJ, mais découlaient davantage « d’une certaine extrapolation quant au réel contenu du cours ». Ces considérations devaient faire l’objet de l’examen au fond. Elles ne paraissaient prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas à ce point manifestes qu’elles justifieraient l’octroi de la mesure sollicitée.

La dispense des cours à titre provisoire revenait à anticiper ce que les parents réclamaient au fond, ce qui était en principe prohibé. La suspension des cours était, en outre, disproportionnée, car il n’y avait pas de raison de priver l’ensemble des élèves de 4P et 6P du cours d’éducation à la santé affective et sexuelle. Aucun intérêt privé ou public prépondérant ne justifiait l’octroi des mesures provisionnelles. Au contraire, l’intérêt de santé publique à ce que lesdits cours soient dispensés primait les craintes formulées par les parents.

Des informations allaient être requises du SSEJ concernant les cours d’éducation à la santé affective et sexuelle, conformément au courrier qui était joint à la décision.

B. a. Par acte expédié le 5 et reçu le 8 avril 2024, A______ et B______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre cette décision.

Ils ont conclu à l’octroi de l’effet suspensif et de mesures provisionnelles jusqu’à droit jugé au fond.

La décision était incomplète. Elle ne traitait pas les droits fondamentaux invoqués, y compris l’autorité parentale. Les cours en question ne permettaient pas d’atteindre les buts de prévention des abus sexuels, des grossesses précoces et des maladies sexuellement transmissibles, mais contribuaient à la sexualisation des enfants et portaient atteinte à leur santé psychique, affective et émotionnelle. Ils produisaient les informations disponibles sur le site du SSEJ, le contenu du site de l’État de Genève dédié au cours d’éducation sexuelle et affective, le dépliant du SSEJ « sexualité, santé, bien-être : à l’école, c’est tout un programme ! », le cadre de référence pour l’éducation sexuelle en Suisse romande et les standards pour l’éducation sexuelle en Europe établis par le Bureau régional pour l’Europe de l’OMS.

Le critère de l’urgence était rempli, l’année scolaire étant bien avancée. La menace d’un dommage était imminente. D______ avait déjà, comme d’autre élèves de sa classe, été choqué en 2022 par les propos tenus par une intervenante du SSEJ lorsqu’il était en 4P (question LGBT et identité). Le dommage s’était ainsi déjà produit pour D______ ; la menace qu’il se reproduise et qu’il soit difficile à réparer était sérieuse. Cette menace était importante dès lors qu’elle se rapportait à la santé psychique et émotionnelle des enfants et de leur droit à la personnalité. L’approche du département de l’instruction publique (ci-après : DIP) visant à enseigner les mêmes éléments quel que soit le degré de développement des enfants conduisait à choquer certains d’entre eux. Certaines choses étaient suggérées par les adultes alors que les enfants n’y étaient pas encore préparés et n’avaient pas encore le développement psychique nécessaire. L’éducation sexuelle précoce pouvait créer une « effraction dans le psychisme » ainsi qu’un blocage de la sphère intellectuelle chez l’enfant. Les pédopsychiatres étaient clairs : l’on ne pouvait répondre à des questions que les enfants ne s’étaient pas encore posées. Le cours contribuait à la sexualisation des enfants.

L’intérêt privé à ne pas exposer les enfants à ces atteintes relevait aussi de l’intérêt public. Aussi, en cas d’admission des mesures sollicitées, mais de rejet du recours au fond, les enfants des recourants suivraient les cours dans un degré suivant. Ils ne manqueraient ainsi qu’un des cinq ou six cours d’éducation sexuelle.

Il était « insidieux » de leur reprocher une extrapolation, dès lors qu’ils avaient fondé leur avis sur la documentation disponible relative aux cours. De plus, ils n’avaient eu accès qu’à ces documents, le DIP n’ayant pas donné suite à leur demande d’obtenir l’ensemble des documents relatifs à ces cours. Dans sa décision, la DGEO sollicitait la production par le SSEJ de ces documents. La DGEO ignorait ainsi le contenu exact des cours, de sorte qu’elle ne pouvait se prononcer sur celui‑ci. Le DIP avait tardé à statuer sur leur demande ; ils n’avaient ainsi pas à pâtir de leur retard.

Enfin, ils avaient perdu toute confiance dans le DIP. Celui-ci avait fait preuve d’un manque de transparence, n’avait pas communiqué les informations requises, tardait à communiquer avec eux. Ils doutaient, au vu de cette attitude, de la pertinence de leur recours, la DGEO les considérant comme obligatoires. Le refus des mesures provisionnelles conduira au fait que les enfants des recourants suivent les cours litigieux, ce qui priverait le recours de son objet et d’empêcher l’atteinte à la santé qu’ils dénonçaient.

b. Dans un courrier spontané du 15 avril 2024, les recourants ont informé la chambre administrative que le DIP avait refusé de leur communiquer les dates des enseignements litigieux. Ils se demandaient s’il était de la compétence de la chambre de céans d’inviter le DIP à communiquer cette information afin qu’elle puisse statuer en connaissance de cause.

c. La DGEO a conclu à l’irrecevabilité du recours, les intéressés n’ayant pas conclu à l’annulation de la décision entreprise ni précisé les mesures qui devaient être prononcées.

Les objectifs en éducation sexuelle ressortaient du plan d’études romand (ci-après : PER). Cette éducation, basée sur les droits, contribuait à des objectifs de santé et de bien-être, d’éducation citoyenne et sociale ainsi qu’aux postulats d’intégration et d’égalité. Elle participait au développement de l’autonomie, de la tolérance et du bien-être des élèves ainsi qu’à la prévention des abus sexuels, notamment auprès des plus jeunes.

L’intimée détaillait ensuite le contenu des cours destinés aux élèves de 4P et de 4P. Ceux-ci était différenciés en fonction des âges des enfants et ne semblaient, prima facie, pas aborder des thèmes inadaptés ni contenir une propagande de quelque sorte. La théorie du genre ne faisait pas partie des thèmes abordés.

Le risque d’un dommage psychique et émotionnel n’était pas rendu vraisemblable. Les recourants se bornaient à alléguer que, lors du cours de 2022, l’intervenante aurait parlé du mariage homosexuel et demandé aux élèves avec qui ils souhaitaient se marier. Si ces propos devaient avoir été tenus, il fallait les replacer dans le contexte de l’entrée en vigueur en 2022 de la loi autorisant le mariage entre personnes du même sexe. Aucun document, notamment médical, n’attestait d’une atteinte à la santé psychique ou émotionnelle de l’enfant des recourants. Il ressortait d’un intérêt public incontestable de promouvoir, par le biais des cours litigieux, la protection de la santé, la prévention d’agressions sexuelles, mais aussi l’intégration de ressortissants d’autres pays, cultures ou religions.

Si, certes, l’éducation sexuelle revenait en premier lieu aux parents, la transmission de connaissances relatives à la sexualité relevait aussi de la mission de formation dévolue aux cantons.

d. Dans leur réplique, les recourants ont contesté que leur recours ne répondrait pas aux exigences de forme.

Les dispositions citées par la DGEO ne justifiaient pas l’atteinte aux droits de la personnalité, à l’intégrité psychique, à la liberté de conscience et de croyance de leurs enfants ainsi qu’à l’autorité parentale. L’obligation de suivre des cours d’éducation sexuelle ne reposait sur aucune base légale ; le PER ne répondait pas à ce critère, dès lors qu’il constituait une simple pratique administrative. Les autres cantons romands admettaient des dispenses. Dans son message relatif à l’initiative populaire « Protection contre la sexualisation à l’école maternelle et à l’école primaire », le Conseil fédéral relevait que les parents étaient informés de cours et pouvaient choisir de dispenser leurs enfants de les suivre.

Ils ne contestaient pas que la prévention d’abus sexuels, de grossesses précoces et des maladies sexuellement transmissibles relevaient d’un intérêt public reconnu. Toutefois, selon le DIP, ces cours avaient aussi pour but de promouvoir une éducation sexuelle holistique, à savoir globale. Ils contestaient cet aspect, qui ne reposait sur aucun fondement suffisant. Prévenir les abus sexuels était une chose, parler sexualité et de plaisir en était une autre.

Le programme des cours produit par le DIP ne traitait pas du mariage entre personnes du même sexe. L’intervenante de 2022 n’avait donc pas respecté son programme. Par ailleurs, alors qu’à sa question de savoir qui ils souhaitaient plus tard épouser les garçons avaient répondu qu’ils souhaitaient épouser une fille et les filles qu’elles souhaitaient épouser un garçon, l’intervenante leur avait demandé s’ils en étaient sûrs, car ils avaient le droit d’épouser quelqu’un du même sexe. Une telle situation était de nature à causer à des enfants de 7 ou 8 ans un dommage psychologique ou émotionnel. Enfin, l’intervenante avait travaillé dans des associations pro-LGBT, de sorte que se posait la question de savoir si par son enseignement, elle n’avait pas fait de la propagande, interdite par l’art. 11 al. 2 LIP.

Ils demandaient au DIP d’auditionner l’intervenante afin de clarifier la situation. Par ailleurs, les enfants de 6P n’avaient pas de sexualité à proprement parler, ils peinaient à comprendre pourquoi le DIP enseignait, notamment, l’orientation sexuelle. En octobre 2023, la Conseillère d’État chargée du DIP avait lors d’une entrevue avec le « Collectif Parents » indiqué que la « théorie du genre » avait été retirée du programme, sans donner d’explications.

Enfin, les recourants déploraient l’absence de collaboration et de transparence du DIP, pourtant essentielles dans les échanges concernant l’éducation des enfants.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             L’autorité intimée conclut à l’irrecevabilité du recours, faute pour les recourants d’avoir pris des conclusions formelles.

2.1 L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). À défaut, la juridiction saisie impartit un bref délai au recourant pour satisfaire à ces exigences, sous peine d’irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA). Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu’elles ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas, en soi, un motif d’irrecevabilité, pourvu que l’autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/261/2024 du 27 février 2024 consid. 2 ; ATA/657/2022 du 23 juin 2022 consid. 2b ; ATA/1068/2023 du 27 septembre 2023 consid. 2.2).

2.2 En l'espèce, il ressort des écritures des recourants qu'ils contestent le rejet de leur requête de mesures provisionnelles. L’on comprend aisément qu’ils demandent l'annulation de la décision querellée et l’octroi des mesures provisionnelles tendant à la dispense, à titre provisoire, de leurs enfants de suivre les cours d’éducation sexuelle jusqu’à droit jugé sur le fond de leur demande de dispense.

Le recours satisfait ainsi aux exigences de motivation prévues par l’art. 65 LPA.

3.             La décision refusant des mesures provisionnelles étant une décision incidente, le recours contre celle-ci n’est recevable que si elle est susceptible de causer un dommage irréparable ou si l’admission du recours est susceptible de conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et couteuse (art. 57 let. c LPA).

3.1 En l’espèce, les recourants se prévalent uniquement de la première hypothèse évoquée à l’art. 57 let. c LPA, faisant valoir que la santé psychologique et émotionnelle de leurs enfants est menacée d’un dommage difficilement réparable s’ils devaient suivre les cours d’éducation à la santé sexuelle et affective.

Au vu des informations fournies par la DGEO, notamment celles figurant sur le site Internet du DIP, le but de ces cours est de « promouvoir la santé et le bien-être des élèves, grâce à une vision positive de la sexualité dans toute sa diversité ». Les cours se basent, à première vue, sur des standards de référence établis par l’organisation mondiale de la santé et le « cadre de référence pour l’éducation sexuelle en Suisse romande », établi par l’« association romande et tessinoise des éducatrices/teurs, formatrices/teurs en santé sexuelle et reproductive » (ci-après : ARTANES). Les directives et principes dégagés par ces publications visent la santé sexuelle, à savoir « un bien-être physique, émotionnel, mental et social relié à la sexualité » (p. 6 du cadre de référence précité).

Au vu de ce qui précède, il paraît douteux que les enfants des recourants seraient susceptibles, s’ils devaient suivre un cours d’éducation à la santé sexuelle et affective, de subir une atteinte irréparable à leur santé psychologique et émotionnelle.

Dans la mesure cependant où la dispense (générale) de cours requise par les recourants est précisément fondée sur la crainte d’un tel préjudice – question qui sera traitée au fond –, il convient de ne pas se montrer trop strict dans l’examen de ce critère et d’entrer en matière sur le recours.

4.             Se pose donc la question de savoir si le refus d’accorder les mesures provisionnelles était fondé.

4.1 Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (art. 66 al. 1 LPA). Lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, l’autorité peut, à la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (art. 66 al. 3 LPA).

4.2 Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

4.3 L'effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d'une prestation ou d'une autorisation. La fonction de l'effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l'objet du contentieux n'existait pas, l'effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant un régime juridique dont il n'a jamais bénéficié (ATF 127 II 132 ; 126 V 407 ; 116 Ib 344). Dans cette dernière hypothèse – réalisée en l’espèce –, seul l'octroi de mesures provisionnelles est envisageable (ATA/287/2023 du 21 mars 2023 consid. 3.5 ; ATA/191/2023 précité consid. 4.5 ; ATA/1369/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3a).

4.4 L'autorité peut d'office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

Selon la jurisprudence, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/287/2023 précité consid. 4.1 ; ATA/1369/2018 précité consid. 3b ; ATA/566/2012 du 21 août 2012 consid. 4).

L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3). Elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu'aboutir à rendre d'emblée illusoire la portée du procès au fond (ibidem). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungs-prozess, RDS 1997 II 253-420, p. 265).

4.5 Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

4.6 Selon l’art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement. L’art. 11 al. 1 Cst. prévoit que les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité et à l’encouragement de leur développement.

Dans son message (14.092, p. 3ss) relatif à l’initiative « protection contre la sexualisation à l’école maternelle et à l’école primaire », qui vise à empêcher un enseignement obligatoire de l’éducation sexuelle qui serait dispensé à partir de l’école maternelle, le Conseil fédéral souligne que l’éducation sexuelle incombe en premier lieu aux parents, l’école ne venant qu’en complément en proposant des cours destinés à transmettre aux enfants des informations sur la sexualité. Cette transmission des connaissances relève de la mission de formation dévolue aux cantons et fait partie de l’« enseignement de base suffisant » auquel ils doivent pourvoir en vertu de la Constitution. Considérée sous l’angle de l’égalité des chances, elle est aussi nécessaire que le travail de prévention des abus sexuels qui est effectué dès l’école maternelle. Faisant état des pratiques cantonales relatives à l’enseignement en question, il relève qu’en Suisse romande, les parents sont informés systématiquement et à intervalles réguliers ; ils peuvent choisir de dispenser leurs enfants de suivre les cours donnés par les spécialistes extrascolaires, mais pas le cours de biologie (p. 8).

Selon le Conseil fédéral, l’adoption de l’initiative nuirait à la protection, au bon développement et à l’égalité des chances des enfants et des jeunes et porterait « un rude coup » à la structure fédéraliste du système suisse de formation (p. 18).

4.7 En l’espèce, la DGEO a retenu, dans la décision statuant sur mesures provisionnelles, que l’atteinte illicite à la personnalité des enfants des recourants du fait que les cours d’éducation sexuelle n’étaient pas adaptés à leur âge ne paraissait, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas à ce point manifeste qu’elle justifierait l’octroi de la mesure sollicitée. La dispense des cours à titre provisoire revenait à anticiper ce que les parents réclamaient au fond, ce qui était en principe prohibé. En outre, l’intérêt de santé publique poursuivi par les cours d’éducation à la santé affective et sexuelle primait les craintes formulées par les parents relatives au contenu des cours.

Ce faisant, la DGEO a procédé à une évaluation des chances de succès du recours, d’une part, et à la pesée des intérêts privés et publics en présence, d’autre part.

Au vu des éléments au dossier, il est conforme au droit d’avoir considéré, sous l’angle de la vraisemblance, qu’il ne pouvait être retenu que l’enseignement d’éducation sexuelle et affective était susceptible de porter atteinte à la santé émotionnelle ou à la personnalité des enfants des recourants. Certes, les craintes que ceux-ci expriment d’une sexualisation des enfants ou d’un enseignement ne tenant pas dûment compte de l’âge de ceux-ci constituent un élément important à prendre en considération. La DGEO n’en a toutefois pas fait abstraction. En considérant que le risque d’une atteinte à la personnalité des enfants du fait d’un enseignement inadapté n’était, à première vue et sans préjudice de l’examen au fond, pas manifeste au point de justifier le prononcé des mesures requises, l’autorité intimée s’est en réalité limitée à considérer que le bien-fondé de ces craintes des parents ne paraissait, en l’état et au stade des mesures provisionnelles, pas suffisamment vraisemblable.

Cette appréciation apparaît fondée. En effet, au vu du but de santé publique et de bien-être des élèves poursuivi par ces cours ainsi que des lignes directrices émises par des organismes composés de professionnels de la santé et de l’enfance tels le SSEJ ou ARTANES, destinées aux intervenants en matière d’éducation de la santé sexuelle et affective, il n’apparaît pas que l’autorité intimée ait commis un abus de son pouvoir d’appréciation en considérant que les chances de succès du recours, fondé sur l’inadéquation desdits cours, n’étaient pas manifestes.

La DGEO a également, à juste titre, procédé à la pesée des intérêts en présence. Il n’est ni arbitraire ni ne relève d’un abus de son pouvoir d’appréciation d’avoir considéré que l’intérêt de santé publique poursuivi par les cours d’éducation à la santé affective et sexuelle primait les craintes formulées par les parents relatives au contenu des cours. En effet, l’intérêt public à ce que l’ensemble des élèves bénéficient d’une éducation sexuelle visant au développement de l’autonomie, de la tolérance et du bien-être ainsi qu’à la prévention des abus sexuels, notamment auprès des plus jeunes, est important. Il n’est pas abusif de le faire primer, dans le cadre d’un examen limité à la vraisemblance, sur l’intérêt privé des recourants qui craignent que le contenu de ces cours porte atteinte à la personnalité de leurs enfants, atteinte dont l’autorité intimée a retenu sans abusé de son pouvoir d’appréciation – comme cela vient d’être exposé – qu’elle n’était pas rendue vraisemblable.

Au vu de ce qui précède, il sera constaté que la décision querellée ne viole pas la loi et ne consacre pas un abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée.

Partant, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge des recourants et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours formé le 5 avril 2024 par A______ et B______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 27 mars 2024 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge solidaire A______ et B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ et B______ ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :