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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3997/2023

ATA/324/2024 du 05.03.2024 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3997/2023-FPUBL ATA/324/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 mars 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Romain JORDAN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI intimé
représenté par Me Serge FASEL, avocat



EN FAIT

A. a. A______, né le ______1968, a été engagé le 1er décembre 2005 en qualité de gestionnaire de dossiers dans une section de taxation auprès de B______ (ci-après : B______), au sein de l’office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) et du Département de l’économie et de l’emploi (ci-après : le département).

Il a été nommé fonctionnaire le 1er décembre 2007.

b. Du mois d’octobre 2016 au mois de février 2018, A______ a été affecté à des tâches spécifiques liées à la loi sur le travail au noir (ci-après : LTN), pour pallier l’absence d’un collègue.

Il a été en arrêt maladie du mois de février 2018 au mois de décembre 2019. À son retour, dans la mesure où ses tâches avaient été réparties entre plusieurs employés, il a été réaffecté au service de taxation et a repris la même activité qu’avant octobre 2016.

c. Les entretiens d’évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) des années 2005 à 2016 ne font état d’aucun signalement spécifique. Celui du
25 janvier 2018 précise sous « bilan général » que le fait qu’A______ soit le seul à effectuer les tâches liées à la LTN était un point faible en cas d’absence ou de départ. Une évolution de ce poste avait ainsi été évoquée.

d. Dans le cadre d’une demande d’évaluation du Service de santé, l’OCE a indiqué que le travail d’A______ (durant la période 2016-2018) était qualitativement irréprochable, mais qu’il ne correspondait pas quantitativement à un plein-temps. Le poste avait été réaménagé suite à des conflits entre A______ et ses collègues.

B. a. Par courrier du 21 janvier 2022, A______ a été convoqué à un entretien de service le 7 février 2022.

Lors de celui-ci, un compte rendu des faits qui lui étaient reprochés lui a été remis et un nouveau rendez-vous a été fixé au 10 février 2022 afin qu’il puisse en prendre connaissance et être entendu.

À teneur du rapport d’entretien de service des 7 et 10 février 2022, il était reproché à A______ d’avoir, à 26 occasions, entre le 2 décembre 2020 et le 26 octobre 2021, manqué à ses devoirs en qualité de membre du personnel de l’État, notamment en raison d’une insuffisance de prestations et d’une inaptitude à remplir les exigences du poste.

Il avait notamment, à plusieurs reprises, pris du retard dans le traitement des dossiers dont il avait la charge, générant une attente importante pour les bénéficiaires d’indemnités, archivé de façon irrégulière les documents et été en retard lorsqu’il devait assumer les permanences téléphoniques. Il n’avait pas respecté les procédures mises en place par sa hiérarchie.

Des objectifs lui ont été fixés, soit le respect des procédures, une amélioration du comportement avec la hiérarchie, un traitement plus rapide des dossiers et une meilleure analyse du dossier confié. Un coaching serait mis en place.

b. Le 10 février 2022, A______ a contesté les éléments qui lui étaient reprochés.

Il n’avait commis aucune erreur et n’avait jamais laissé de dossiers non numérisés dans un tiroir de son bureau. La responsabilité du gestionnaire s’arrêtait lorsqu’il plaçait les dossiers dans la pelle « à géder » (soit à numériser).

Depuis son déménagement en novembre 2020, il habitait plus loin de son lieu de travail, de sorte qu’il pouvait lui arriver d’être en retard les jours de permanence, ce dont il avait informé sa hiérarchie.

Il avait retourné un dossier non traité le 20 octobre 2021, car il partait en vacances le lendemain. Il avait estimé qu’il valait mieux le retourner que le laisser en souffrance.

Il avait très mal vécu son retour après son arrêt maladie et le fait que son poste, tel qu’il l’avait laissé, n’existait plus.

c. Dans ses déterminations du 4 mars 2022, A______ a relevé que de très nombreux faits qui lui étaient reprochés étaient dénués de toute consistance.

Les questions en lien avec l’archivage des dossiers étaient sans objet, puisque la B______ était passée à un système de gestion électronique des documents. Il n’avait pas mis dans son tiroir les dossiers qui y avaient été retrouvés. Il appliquait strictement les directives fédérales, nonobstant les avis divergents de ses collègues. Les autres reproches concernaient des pratiques communes à tous les collaborateurs de la B______ qui attendaient leur retour de vacances pour traiter les dossiers incomplets.

Il sollicitait l’audition de plusieurs d’entre eux.

d. Le 29 mars 2022, la B______ a contesté ces explications et confirmé le contenu des documents remis à A______ lors de l’entretien du 7 février 2022.

Celui-ci continuait à ne pas respecter les procédures établies et quatre nouveaux manquements avaient été relevés entre le 20 septembre 2021 et le 15 mars 2022.

e. Il a été convoqué le 4 avril 2022 auprès de sa responsable pour initier le coaching.

Selon le bilan de coaching, A______ avait nettement amélioré le le traitement des dossiers, bien que la communication ait pu être plus efficiente avec les assurés. Des erreurs de calcul avaient été relevées. Des dossiers antérieurs au coaching étaient restés sans suivi, mais durant celui-ci, les délais avaient été respectés. Une attention particulière devait être portée sur la communication en général. Les consignes avaient été suivies et les corrections effectuées lorsque c’était nécessaire.

C. a. Par courrier du 22 juin 2023, A______ a été convoqué à un nouvel entretien le 14 juillet 2023, entretien qui s’est finalement tenu le 21 juillet 2023.

Lors de celui-ci, un compte rendu des manquements qui lui étaient reprochés lui a été remis et un nouveau rendez-vous a été fixé au 28 juillet 2023, afin qu’il puisse en prendre connaissance et être entendu.

b. À teneur du rapport d’entretien de service des 21 et 28 juillet 2023, il était reproché à A______ d’avoir à nouveau, à 23 occasions, manqué à ses devoirs en qualité de membre du personnel de l’État, notamment en raison d’une insuffisance de prestations et d’une inaptitude à remplir les exigences du poste entre le 30 août 2022 et le 25 mai 2023. La résiliation des rapports de service pour motif fondé état envisagée.

Les manquements relevés étaient analogues à ceux ayant conduit aux entretiens des 7 et 10 février 2022.

Le 28 juillet 2023, A______ a contesté ces manquements.

Il s’était vu imposer un coaching dont il n’avait pas besoin et qu’il avait subi comme une pression supplémentaire. Sa supérieure hiérarchique avait vérifié tous les dossiers qu’il traitait, alors qu’il avait observé que ses responsables commettaient des erreurs. Il trouvait injuste l’attribution d’un dossier d’une collègue pourtant présente. Il n’aimait pas reprendre les dossiers de ses collègues, souvent plus complexes avec le temps qui passait.

Le 29 septembre 2023, A______ a ajouté que les reproches qui lui étaient adressés étaient fondés sur des informations inexactes, des omissions trompeuses ou des constats incohérents. Il contestait avoir commis des erreurs. Certaines étaient le fruit des manquements de la B______, telles les instabilités des procédures qui étaient introduites et modifiées régulièrement ou la surcharge de travail.

À la suite de difficultés avec sa hiérarchie, il avait demandé à changer de service, ce qui lui avait été refusé au motifs que la B______ ne ferait plus partie de l’État. Il avait subi des atteintes à la personnalité dans le contexte de cette procédure.

c. Par décision du 17 novembre 2023, après avoir pris connaissance des observations de l’intéressé, la conseillère d’État en charge du département a ouvert une procédure de reclassement.

Les procédures appliquées par la B______ étaient accessibles aux employés en tout temps. En cas de question, la hiérarchie directe était également disponible. La surcharge chronique de travail alléguée n’était pas fondée, puisque A______ bénéficiait du même traitement que ses collègues, à savoir l’attribution de trois dossiers par jour et qu’il était possible de demander un allégement au besoin.

Sa supérieure avait toujours agi de manière transparente et selon les instructions de sa hiérarchie. Le suivi du coaching ainsi que des dossiers contenant les erreurs avaient été régulièrement contrôlé par « sa propre hiérarchie » et la direction. Il ne pouvait dès lors en découler une atteinte à la personnalité.

D. a. Par acte expédié le 28 novembre 2023, A______ a interjeté recours contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu préalablement à son audition et à l’octroi de l’effet suspensif, principalement à l’annulation de cette décision, au constat de l’inexistence d’un motif fondé de résiliation des rapports de service et à ce qu’il soit renoncé à une procédure de reclassement, subsidiairement au renvoi de la cause à la B______ pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Il se trouvait en incapacité de travail et le bilan définitif de la procédure de reclassement étant fixé à deux mois, il serait empêché d’y participer.

La décision violait son droit d’être entendu, puisque ne revenant que très laconiquement sur les griefs invoqués. Les manquements qui lui étaient reprochés étaient inexacts ou le fruit de l’employeur. La décision s’inscrivait dans le cadre de mesures de rétorsion de la hiérarchie.

b. Le département a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

La décision d’ouverture d’une procédure de reclassement était incidente et le recourant n’exposait pas en quoi il subirait un préjudice irréparable. En outre, l’insuffisance des prestations et son inaptitude à remplir les exigences de son poste avaient été établies dans le respect des règles applicables.

Le recourant avait eu l’occasion de s’exprimer à diverses reprises.

Au lieu de tenir compte des manquements reprochés, le recourant tentait de faire porter la responsabilité de ses erreurs à son employeur. Celui-ci n’appréciait pas de recevoir des instructions, qu’il refusait d’exécuter, les considérant comme une atteinte à sa personnalité. Cette attitude était en désaccord avec le règlement du personnel. Le lien de confiance était rompu.

Le principe de la proportionnalité avait été respecté vu la mise en place d’un coaching et les divers entretiens de service.

c. Par décision du 9 janvier 2024, la chambre administrative a rejeté la requête de restitution d’effet suspensif.

d. Dans sa réplique du 6 février 2024, le recourant a formulé de nouvelles réquisitions de preuves, notamment la production de pièces et l’audition de onze témoins.

Le recours était recevable, le préjudice subi étant irréparable. En effet, son état de santé l’empêchait de participer à la procédure de reclassement.

e. Les parties ont été informées le 7 février 2024 que la cause était gardée à juger.

f. Leurs arguments et la teneur des pièces de la procédure seront pour le surplus repris ci-dessous dans la mesure utile au traitement du litige.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             L’objet du litige porte sur la décision incidente d’ouverture d’une procédure de reclassement.

2.1 Selon l'art. 57 let. c in initio LPA, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si cela conduirait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.

2.2 L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Le préjudice irréparable visé par l’art. 93 al. 1 let. a et b LTF suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 138 III 46 consid. 1.2). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant. Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice. Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable. Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 147 III 159 consid. 4.1 ; 142 III 798 consid. 2.2).

2.3 La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

2.4 Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

2.5 La seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA suppose cumulativement que l’instance saisie puisse mettre fin une fois pour toutes à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans la décision préjudicielle ou incidente et que la décision finale immédiate qui pourrait ainsi être rendue permette d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 133 III 629 consid. 2.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_413/2018 du 26 septembre 2018 consid. 3).

2.6 Dans sa jurisprudence rendue avant 2017, la chambre de céans a en général nié l'existence d'un préjudice irréparable en cas d'ouverture d'une procédure de reclassement, une telle décision étant au contraire destinée, dans l’hypothèse où le reclassement aboutirait, à éviter ou à atténuer les effets de la décision de licencier envisagée (pour une casuistique : ATA/821/2023 du 9 août 2023 consid. 2.6).

Le Tribunal fédéral a néanmoins admis l'existence d'un préjudice irréparable dans un cas genevois, dans lequel le recourant n'avait eu d'autre choix que d'accepter une rétrogradation comme alternative à son licenciement, nouvelle affectation qui ne découlait toutefois pas d'un agrément passé entre lui et son employeur, mais des particularités propres à sa situation personnelle qui rendaient en pratique illusoire toute perspective réelle de réinsertion professionnelle en cas de licenciement. L'irrecevabilité prononcée revenait de facto à priver le recourant de la possibilité de contester devant l'autorité de recours les motifs qui avaient conduit à son changement d'affectation (au sens de l'art. 12 al. 3 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 [LPAC - B 5 05]). Le recourant ne pouvait en définitive les contester que s'il provoquait la résiliation de ses rapports de service, en s'opposant d'emblée à tout reclassement, ou en cas d'échec d'un reclassement. Or, déjà au moment du prononcé de la décision incidente, il apparaissait évident que le recourant n'avait guère d'autre choix que d'accepter toute mesure qui lui serait proposée comme alternative à son licenciement, en dépit de l'important déclassement professionnel, personnel et salarial que cela impliquerait. Du moment qu'il ne pouvait pas faire contrôler par le juge la réalité d'un motif fondé de résiliation des rapports de service au sens des art. 22 LPAC et 46A du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), sans renoncer du même coup à un reclassement, le recourant subissait un préjudice irréparable, qu'il soit d'ordre juridique ou à tout le moins de fait. L'acceptation de la proposition de reclassement n'était finalement pas susceptible de supprimer l'intérêt actuel juridique ou pratique au traitement du recours, le recourant persistant en effet à contester les motifs de l'ouverture de la procédure de reclassement et à demander sa réintégration dans sa fonction précédente (ATF 143 I 344 consid. 7 et 9).

Depuis lors, dans un cas, la chambre de céans a admis la recevabilité d'un recours interjeté contre une décision d'ouverture d'une procédure de reclassement (ATA/37/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2b). La décision litigieuse retenait que l’inaptitude totale de travail du recourant justifiait l’ouverture de la procédure de reclassement ; or, si la question du bien-fondé de l’inaptitude retenue, qui n’avait pas été établie dans le respect des règles applicables à une telle situation, ne pouvait pas être examinée à cette occasion, le recourant s’exposait à un préjudice difficilement réparable, dès lors que l’ensemble de la procédure suivie alors différerait considérablement de celle qui serait conduite si son aptitude, même partielle, était reconnue. Partant, il y avait lieu, dans ces circonstances particulières, d’entrer en matière sur son recours.

Dans les autres cas, la chambre administrative a déclaré les recours irrecevables parce que la décision au fond avait été rendue dans l'intervalle (ATA/1356/2021 du 14 décembre 2021 consid. 2 et les arrêts cités), ou faute de préjudice irréparable (ATA/1019/2023 du 19 septembre 2023 ;  ATA/821/2023 du 09 août 2023 ;  ATA/1169/2022 du 22 novembre 2022 ; ATA/1260/2020 du 15 décembre 2020 consid. 2c).

3.             3.1 En tant que membre du personnel administratif de l’administration cantonale, le recourant est soumis à la LPAC et à ses règlements d’application (art. 1 al. 1 let. a LPAC).

3.2 En vertu de l'art. 21 al. 3 LPAC, l'autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé. Il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de l'insuffisance des prestations (art. 22 let. a LPAC), l'inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 22 let. b LPAC), la disparition durable d'un motif d'engagement (art. 22 let. c LPAC).

3.3 Il y a motif fondé au sens de l'art. 22 LPAC, lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de : l'insuffisance des prestations (let. a) ; l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. b) ; la disparition durable d'un motif d'engagement (let. c). Le motif fondé, au sens de l'art. 22 LPAC, n'implique pas l'obligation pour l'employeur de démontrer que la poursuite des rapports de service est rendue difficile, mais qu'elle n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration (ATA/856/2020 du 8 septembre 2020 consid. 6b). L'intérêt public au bon fonctionnement de l'administration cantonale, déterminant en la matière, sert de base à la notion de motif fondé, lequel est un élément objectif indépendant de la faute du membre du personnel (ATA/493/2021 du 11 mai 2021 consid. 7a ; Mémorial du Grand Conseil 2005-2006/XI A 10420). Le premier cas de figure visé par la loi est aisé à saisir. Le second concerne par exemple un collaborateur incapable de s'adapter à un changement dans la manière d'exécuter sa tâche. Il en va ainsi de collaborateurs incapables de se former à de nouveaux outils informatiques. Le troisième cas concerne par exemple des collaborateurs frappés d'invalidité et, dès lors, durablement incapables de travailler (Rapport de la commission ad hoc sur le personnel de l'État chargée d'étudier le projet de loi modifiant la LPAC du 29 septembre 2015, PL 7'526-F, p. 3).

3.4 Au vu de la diversité des agissements susceptibles de constituer une violation des devoirs de service, le Tribunal fédéral admet le recours par le législateur cantonal genevois à des clauses générales susceptibles de saisir tous les agissements et les attitudes qui peuvent constituer des violations de ces devoirs (arrêt du Tribunal fédéral 8C_161/2019 du 26 juin 2020 consid. 4.2.2 et les références citées).

Selon le Tribunal fédéral, la violation fautive des devoirs de service n'exclut pas le prononcé d'un licenciement administratif (soit, pour le canton de Genève, le licenciement pour motif fondé comme dans le cas d’espèce au sens des art. 21 al. 3 et 22 LPAC). Si le principe même d'une collaboration ultérieure est remis en cause par une faute disciplinaire de manière à rendre inacceptable une continuation du rapport de service, un simple licenciement, dont les conséquences sont moins graves pour la personne concernée, peut être décidé à la place de la révocation disciplinaire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_203/2010 du 1er mars 2011 consid. 3.5).

3.5 Selon la jurisprudence, les motifs fondés de renvoi des fonctionnaires ou d'employés de l'État peuvent procéder de toutes circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, excluent la poursuite des rapports de service, même en l'absence de faute. De toute nature, ils peuvent relever d'événements ou de circonstances que l'intéressé ne pouvait éviter, ou au contraire d'activités, de comportements ou de situations qui lui sont imputables (arrêt du Tribunal fédéral 8C_585/2014 du 29 mai 2015 consid. 5.2).

Des manquements dans le comportement de l'employé ne peuvent constituer un motif de licenciement que lorsqu'ils sont reconnaissables également pour des tiers. Il faut que le comportement de l'employé perturbe le bon fonctionnement de l'entreprise ou qu'il soit propre à ébranler le rapport de confiance avec le supérieur (arrêt du Tribunal administratif fédéral A-897/2012 du 13 août 2012 consid. 6.3.2 ; ATA/493/2021 du 11 mai 2021 consid. 7b et les références citées ; Valérie DÉFAGO GAUDIN, Conflits et fonction publique : instruments, in Jean‑Philippe DUNAND/Pascal MAHON [éd.], Conflits au travail, 2015, pp. 161-162).

3.6 Les membres du personnel sont tenus au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 20 RPAC). L'art. 21 RPAC prévoit que les membres du personnel se doivent, par leur attitude, d’entretenir des relations dignes et correctes avec leurs supérieurs, leurs collègues et leurs subordonnés, de permettre et faciliter la collaboration entre ces personnes (let. a), ainsi que d'établir des contacts empreints de compréhension et de tact avec le public (let. b). Les membres du personnel se doivent, par leur attitude, de justifier et de renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l'objet (let. c). Quant à l'exécution du travail, ils se doivent notamment de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1 RPAC). Le fonctionnaire doit s'acquitter de sa tâche, dans la mesure qui correspond à ses fonctions, en respectant notamment la légalité et l'intérêt public. Le fonctionnaire doit par ailleurs veiller à la conformité au droit de ses actes ; il lui appartient d'informer ses supérieurs des problèmes qui pourraient se poser et des éventuelles améliorations à apporter au service (Pierre MOOR/François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, Droit administratif, vol. III, 2éd., 2018, n° 7.3.3.1).

3.7 L'employeur jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour juger si les manquements d'un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l'administration. Les rapports de service étant soumis au droit public (ATA/1343/2015 du 15 décembre 2015 consid. 8 ; ATA/82/2014 du 12 février 2014 consid. 11 et les références citées), la résiliation est en outre assujettie au respect des principes constitutionnels, en particulier ceux de la légalité (art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) et de la proportionnalité (art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst. ; ATA/993/2021 du 28 septembre 2021 consid. 4e ; ATA/562/2020 du 9 juin 2020 consid. 6e et les références citées).

3.8 Préalablement à la décision de résiliation, l'autorité compétente est tenue de proposer au fonctionnaire qu'elle entend licencier des mesures de développement et de réinsertion professionnelle et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond à ses capacités (art. 21 al. 3 LPAC).

La procédure de reclassement est réglée à l’art. 46A RPAC, qui prévoit que lorsque les éléments constitutifs d’un motif fondé de résiliation sont dûment établis lors d’entretiens de service, un reclassement selon l’art. 21 al. 3 LPAC est proposé pour autant qu’un poste soit disponible au sein de l’administration et que l’intéressé au bénéfice d’une nomination dispose des capacités nécessaires pour l’occuper (al. 1). Des mesures de développement et de réinsertion professionnels propres à favoriser le reclassement sont proposées (al. 2). L’intéressé est tenu de collaborer. Il peut faire des suggestions (al. 3). En cas de refus, d’échec ou d’absence du reclassement, une décision motivée de résiliation des rapports de service pour motif fondé intervient (al. 6).

4.             En l’espèce, se fondant sur l’ATF 143 I 344, le recourant fait valoir que le recours serait ouvert déjà au stade de la décision d’ouverture de la procédure de reclassement. À l’inverse, l’intimé considère que le sort de la procédure de reclassement n’est pas connu, de sorte qu’il ne peut être retenu que le recourant serait contraint de refuser une proposition de reclassement pour obtenir une décision finale susceptible de recours, en violation de la garantie de l’accès au juge.

S'agissant de la question de la recevabilité du recours, l'on ne se trouve en l'espèce ni dans le cas jugé par le Tribunal fédéral (acceptation d'un poste dans le cadre de la procédure de reclassement entraînant un déclassement professionnel, personnel et salarial), dans lequel un préjudice irréparable était donné, ni dans celui où le licenciement serait déjà prononcé, ce qui rendrait le recours sans objet.

La procédure de reclassement a été ouverte par décision du 17 novembre 2023. Il était initialement prévu que le département recherche, durant deux mois, un poste disponible dans l’administration. Deux points de situation devaient être effectués en janvier, puis en février 2024, ce qui n’a pas pu être le cas vu l’arrêt maladie du recourant, prolongé jusqu’à fin février 2024.

Le recourant n’apporte aucune information concernant les suites données à la procédure de reclassement, ni n’explique dans quelle mesure elle lui causerait un préjudice irréparable. En effet, contrairement au cas qu’avait jugé le Tribunal fédéral, où la personne qui faisait l’objet du reclassement était enseignant depuis plus de 30 ans, sans réelle possibilité d’effectuer un autre métier, le recourant occupe un poste de gestionnaire. Or, les tâches incombant à un gestionnaire sont peu spécialisées et adaptables dans d’autres secteurs de l’administration. Ainsi, il est totalement plausible que, dans le cadre de la procédure de reclassement, un emploi équivalent, selon la même échelle salariale, puisse être proposé au recourant.

Dans tous les cas, ce dernier n’indique pas pour l’instant avoir reçu une offre concrète de reclassement dans un poste nettement moins rémunéré que son poste actuel ni qu’elle serait à son désavantage. Dans l’hypothèse où le reclassement n’aboutirait pas, la réalisation du motif fondé invoqué par l’intimé pourrait être examinée dans le cadre d’un éventuel recours contre la décision de licenciement.

Le fait que le recourant se trouve en arrêt maladie ne permet pas de retenir une autre solution, puisqu’aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit de poursuivre une procédure de reclassement pendant un cas d’incapacité de travail (ATA/1117/2022 du 7 novembre 2022). Le recourant n’a d’ailleurs pas soutenu que le département aurait refusé de lui fixer des nouveaux rendez-vous, après la fin de son incapacité de travail, afin de faire le point sur la mesure de reclassement. Le délai de deux mois a en effet été fixé par le département et rien ne l’empêche de le prolonger, la loi ne prévoyant pas de durée maximale pour la procédure de reclassement (art. 21 al. 3 LPAC et art. 46A RPAC).

Le recourant a partant échoué à démontrer l’existence d’un préjudice irréparable.

Quant à la seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA, l'admission du recours ne serait pas susceptible de mettre fin à la procédure administrative en cours ouverte par l'annonce du département qu'il envisageait de résilier les rapports de service le liant au recourant.

Le recours sera en conséquence déclaré irrecevable.

5.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée au département qui dispose de son propre service juridique (art. 87al. 2 LPA).

6.             Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare irrecevable le recours interjeté le 28 novembre 2023 par A______ contre la décision du département du territoire du 17 novembre 2023 ;

met un émolument de CHF 800.- à la charge de A______;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit
public ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat du recourant, ainsi qu'à
Me Serge FASEL, avocat du département de l'économie et de l'emploi.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Valérie LAUBER, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :