Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2706/2023

ATA/201/2024 du 13.02.2024 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2706/2023-FPUBL ATA/201/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 février 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Robert ASSAËL, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1982, a été engagé par l’État de Genève le 1er septembre 1999. Il a travaillé à la prison B______ (ci-après : B______ ou la prison) depuis le 1er septembre 2002 et y a occupé la fonction de « teneur de comptes 2 » depuis le 1er novembre 2008.

Selon son cahier des charges, sa fonction consiste à « traiter, gérer, enregistrer vérifier l’ensemble des dépenses et recettes des détenus en s’assurant de la gestion adéquate de leur compte individuel. Tenir à jour la caisse sous sa responsabilité. En collaboration avec le sous-chef détention et le sous-chef responsable des ateliers, assurer la gestion et le contrôle des rémunérations versées aux détenus en exécution de peine qui sollicitent un poste de travail dans un des ateliers de la prison ».

b. Il a fait l’objet d’un blâme le 30 septembre 2013 en raison de retards et d’absences entre avril et juillet 2013.

c. Le compte rendu de l’entretien d’évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) du 23 mars 2016 est positif. Des efforts devaient être faits quant à la gestion du temps de travail. Il était « très vivement invité à poursuivre sur sa lancée ».

d. L’EEDP du 24 juillet 2019 est bon. Il est toutefois relevé que « sur le plan de la gestion de son temps de travail, il ne répond pas toujours aux exigences et se permet des largesses qui ne sont pas toujours en adéquation avec les réglementations en vigueur. À ce niveau il doit changer son comportement et prendre ses responsabilités. En ce sens il devra notamment se montrer exemplaire vis-à-vis de ses apprentis. »

e. Le bilan général de l’EEDP du 21 octobre 2021 est positif. Il est toutefois relevé qu’il était attendu du fonctionnaire qu’il respecte strictement les horaires, les temps de mission et procédures de demande des absences, qui devaient être planifiées suffisamment à l’avance. Il devait soigner sa communication avec ses partenaires de travail et les visiteurs externes. Le ton utilisé était parfois inapproprié. « Nous sommes certains que M. A______ corrigera ces "bémols" qui feront de lui un collaborateur exemplaire et complet ».

f. Le 20 avril 2022, A______ cumulait 109 jours d’absence pour raisons de santé sur une période d’observation de trois ans, du 16 mai 2019 au 15 mai 2022.

g. A______ a été en arrêt de travail à 100% jusqu’au 27 novembre 2022 suite à un accident survenu le 3 avril 2022. Une reprise à 50% était prévue le 28 novembre 2022.

B. a. Le 4 novembre 2022, A______ a été interpellé par la police à son domicile alors qu’il venait d’acheter 10.5 g de cocaïne à C______. La perquisition à domicile s’est révélée négative. Entendu par la police le même jour, il a expliqué que la cocaïne était destinée à sa propre consommation ainsi qu’à celle d’amis proches, lors de soirées qui se déroulaient dans un cercle strictement privé. Il ne vendait pas de drogue et n’en n’avait jamais fait passer à des détenus. Il ne consommait plus de marijuana et d’ecstasy depuis de nombreuses années.

Il avait été, à une reprise, contacté par son dealer dans le but de savoir si une personne était incarcérée à B______. Il avait répondu par la négative. Il n’avait jamais mis en avant auprès de C______ qu’il travaillait au sein de la prison. Il avait toutefois, à quelques reprises, informé des amis proches de l’éventuelle détention de personnes précises.

b. Le 25 novembre 2022 le directeur ad interim de la prison lui a signifié une interdiction d’accès à B______.

c. Le 28 novembre 2022, il a été libéré de son obligation de travailler avec effet immédiat, sous réserve de la validation par le Conseil d’État, laquelle est intervenue le 14 décembre 2022.

d. Entendu par le Ministère public (ci-après : MP) le 29 novembre 2022 en qualité de personne appelée à donner des renseignements, il a indiqué que les quantités de cocaïne qu’il avait admises avoir achetées lors de son audition par la police avaient été surévaluées et ne correspondaient pas à la réalité. Son achat moyen était de 15 g par mois. Sa propre consommation se situait entre 1 à 2 g par semaine, uniquement dans un contexte festif, le week‑end.

e. Un entretien de service s’est tenu le 17 janvier 2023, sous forme écrite. Il était reproché à A______ le non-respect de l’horaire de travail, l’achat, la détention et la consommation de cocaïne et des violations du secret de fonction. Le département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu depuis le département des institutions et du numérique (ci-après : le département) envisageait de prononcer la résiliation des rapports de service pour motif fondé au sens de l’art. 22 let. b de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05).

f. Dans ses observations, le fonctionnaire a indiqué regretter ses agissements. Il était attaché à son emploi. Les faits n’étaient pas de nature à fonder une résiliation des rapports de travail. Il concluait à sa réintégration.

g. Les examens d’urine effectués le 29 mars 2023, visant à déceler la présence de drogue dans son organisme, se sont révélés négatifs.

h. Par décision du 20 juin 2023, la conseillère d’État en charge du département a résilié les rapports de service de A______ pour le terme du 30 septembre 2023.

L’intéressé était inapte à remplir les exigences de son poste, notamment au vu des éléments portés à l’attention de sa hiérarchie par le MP, soit qu’une procédure pénale était ouverte à son encontre pour infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), pour achat, détention et consommation de cocaïne, et pour violation du secret de fonction. Il avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés lors de son audition par la police le 4 novembre 2022 ainsi que lors de son audition par le MP le 29 novembre 2022. Dans ses observations du 23 février 2023, il avait confirmé, en quasi-totalité, les faits constatés dans le cadre de la procédure pénale ouverte à son encontre. Il avait ainsi admis à tout le moins avoir acheté et consommer de la cocaïne de façon régulière pendant les deux dernières années et en avoir mis à disposition dans son entourage. Il avait également reconnu avoir violé son secret de fonction en transmettant, à quelques reprises, à son dealer et à des amis proches, des informations concernant des personnes détenues à B______. Il avait enfin admis avoir eu des retards et des absences.

À sa décharge il argumentait avoir toujours donné satisfaction et, notamment, que dans ses EEDP des 24 juillet 2019 et 21 octobre 2021, son employeur avait loué ses capacités techniques et mis en exergue ses qualités humaines. Ces éléments n’étaient toutefois pas déterminants au regard des graves manquements aux devoirs de service qui lui étaient reprochés. Il avait fait l’objet d’un blâme le 30 septembre 2013, puis d’observations sur les largesses qu’il s’octroyait dans la gestion de son temps de travail dans l’EEDP du 24 juillet 2019. Un rappel lui avait alors été fait qu’il devait changer son comportement. Enfin, l’EEDP du 21 octobre 2021 exigeait le respect des horaires. Il n’avait ainsi pas donné entière satisfaction à sa hiérarchie. Il alléguait avoir rencontré des difficultés de garde avec sa fille, lesquelles auraient entraîné ses retards et absences. Il lui appartenait toutefois de s’organiser de façon à respecter ses devoirs de service afin de ne pas affecter l’équilibre de celui-ci, comme sa hiérarchie le lui avait répété à diverses reprises. Le fait qu’il ait, selon ses dires, arrêté la consommation de drogues et n’aurait violé le secret de fonction que quelques fois, n’était pas déterminant compte tenu de la gravité des manquements, dans un domaine particulièrement sensible, et de la rupture du lien de confiance que son comportement avait induit.

Sa hiérarchie l’avait informé qu’elle n’envisageait pas d’ouvrir la procédure de reclassement au vu de la gravité de ces manquements. Il n’avait pas formulé d’observations à la suite de cette communication.

C. a. Par acte du 28 août 2023, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée. Il a conclu à son annulation et à ce qu’il soit réintégré en qualité de teneur de comptes 2 à B______.

Le département avait violé les art. 21 al. 3 et 22 let. b LPAC. Sa consommation de cocaïne n’avait jamais affecté son travail. Ce problème était définitivement réglé, dès lors qu’il ne consommait plus depuis plus d’un an et demi, soit depuis son arrestation en novembre 2022. Il était totalement apte à remplir les exigences de son poste. Il n’avait jamais vendu de stupéfiants, ni n’en avait fait circuler au sein de la prison étant rappelé que, par sa fonction, il n’était jamais en contact direct avec les détenus. La prétendue violation du devoir (sic) de fonction n’avait fait l’objet d’aucune décision pénale et n’était pas fondée à justifier une résiliation des rapports de service. Il n’avait fait que répondre par la négative à une interrogation de C______ et n’avait répondu, à des amis proches, que quelques fois, en plus de 20 ans de service, à la question de savoir si une personne précise était incarcérée. Il n’avait par ailleurs jamais transmis à quiconque des renseignements plus détaillés. Ses retards et absences avaient été qualifiés de simples « bémols » par sa hiérarchie dans l’EEDP du 21 octobre 2021. Ils ne sauraient non plus fonder la résiliation. Il avait fait face à des problèmes d’ordre privé en lien avec sa séparation et l’attribution de la garde de sa fille en 2013, alors qu’elle était âgée de 12 ans, et en 2019. Il avait toujours été transparent, sur ces questions, avec sa hiérarchie et s’était efforcé de limiter au maximum l’impact de ses difficultés sur sa vie professionnelle. Suite au blâme de 2013, la situation ne s’était plus reproduite durant plusieurs années et son travail avait toujours été effectué dans les délais.

La décision querellée était disproportionnée, les manquements reprochés n’étant pas à même de rompre définitivement le lien de confiance. Ses compétences professionnelles et ses valeurs humaines avaient été louées par sa hiérarchie, le département reconnaissant lui-même que « votre hiérarchie n’a pas initié la présente procédure de résiliation des rapports de service au motif d’une insuffisance de vos prestations ». Il n’avait plus fait l’objet de sanction disciplinaire depuis près de dix ans. Il avait pris conscience de son erreur, était totalement abstinent depuis novembre 2022, démontrant ainsi qu’il était digne de sa fonction. Un blâme respecterait le principe de proportionnalité.

b. Le département a conclu au rejet du recours. Le recourant avait adopté un comportement n’inspirant pas la confiance, en contradiction avec sa double obligation de dignité, auquel il était tenu aussi bien dans le cadre de sa fonction que dans sa vie privée et qui lui valait d’être impliqué dans une procédure pénale ouverte à son encontre. Il avait par ailleurs pris le risque de se mettre en situation d’être victime de chantage. Son dealer aurait pu le menacer de le dénoncer aux autorités pénales, notamment s’il ne lui fournissait pas des informations confidentielles, couvertes par le secret de fonction. Ce risque était d’autant plus grand que, comme relevé par sa hiérarchie dans son EEDP du 23 mars 2016, le recourant contribuait quotidiennement à la gestion d’une activité d’une importance cruciale pour le bon fonctionnement de la prison, notamment en traitant les dépenses et rémunérations des détenus et en opérant des transferts de fonds à l’étranger par l’entremise de la WESTERN UNION. Le recourant avait ainsi fait peser potentiellement un risque majeur sur le bon fonctionnement de la prison, notamment en termes de dégâts d’images ou de révélations à des tiers de données sensibles. Pour pouvoir renseigner ses proches, l’intéressé avait forcément dû consulter des fichiers internes confidentiels de la prison, notamment la liste des détenus dont il avait connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Cette attitude était contraire à son devoir de fidélité, susceptible d’ébranler la confiance de la hiérarchie ainsi que celle du public envers la prison. Le fait d’avoir donné des informations à quelques reprises seulement, selon le recourant, était sans pertinence puisqu’une seule violation du secret de fonction pouvait justifier la fin des rapports de service. S’agissant des retards et des absences, il lui appartenait de s’organiser. La hiérarchie avait tenté d’apporter son soutien depuis plusieurs années. Il avait d’ailleurs déjà été sanctionné par un blâme.

c. Dans sa réplique, le recourant a rappelé n’avoir jamais été trafiquant de cocaïne mais seulement consommateur, sans impact sur la qualité de son travail. Il contestait avoir pris le risque de se mettre en situation de victime de chantage. Son employeur faisait abstraction des problèmes d’ordre privé qu’il rencontrait et qui avaient mené auxdits manquements. Il avait prouvé son abstinence depuis son interpellation et était prêt à s’engager à faire des contrôles réguliers pour en attester dans la durée.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant conteste le bien-fondé de la décision de licenciement prononcée par le département le 20 juin 2023 et se plaint d’une violation du principe de la proportionnalité.

2.1 En tant que membre du personnel administratif de l’administration cantonale, le recourant est soumis à la LPAC et à ses règlements d’application (art. 1 al. 1 let. a LPAC).

2.2 Les devoirs des membres du personnel de la fonction publique du canton de Genève sont énoncés dans le titre III du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01). Les membres du personnel sont tenus au respect de l'intérêt de l'État et doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 20 RPAC). Ils se doivent, par leur attitude : a) d'entretenir des relations dignes et correctes avec leurs supérieurs, leurs collègues et leurs subordonnés, ainsi que de permettre et de faciliter la collaboration entre ces personnes, b) d'établir des contacts empreints de compréhension et de tact avec le public et c) de justifier et de renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l'objet (art. 21 RPAC). Ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1 RPAC).  

2.3 À teneur de l’art. 9A LPAC, les membres du personnel de la fonction publique sont soumis au secret de fonction pour toutes les informations dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions dans la mesure où la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08) ne leur permet pas de les communiquer à autrui (al. 1). L’obligation de garder le secret subsiste après la cessation des rapports de service (al. 2). La violation du secret de fonction est sanctionnée par l’art. 320 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), sans préjudice du prononcé de sanctions disciplinaires (al. 3). L’art. 33 de la loi d’application du CP et d’autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 (LaCP - E 4 10) est réservé (al. 4). L’art. 26 RPAC et la fiche 01.07.04 du mémento des instructions du personnel de l’État le détaillent.

2.4 À teneur de l'art. 21 al. 3 LPAC, l'autorité peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé. Elle motive sa décision. Elle est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnelle et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressé.

Il y a motif fondé au sens de l'art. 22 LPAC, lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de : a) l'insuffisance des prestations ; b) l'inaptitude à remplir les exigences du poste ; c) la disparition durable d'un motif d'engagement.

2.5 Le motif fondé, au sens de l'art. 22 LPAC, n'implique pas l'obligation pour l'employeur de démontrer que la poursuite des rapports de service est rendue difficile, mais qu'elle n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration (ATA/856/2020 du 8 septembre 2020 consid. 6b). L'intérêt public au bon fonctionnement de l'administration cantonale, déterminant en la matière, sert de base à la notion de motif fondé, lequel est un élément objectif indépendant de la faute du membre du personnel. La résiliation pour motif fondé, qui est une mesure administrative, ne vise pas à punir, mais à adapter la composition de la fonction publique dans un service déterminé aux exigences relatives à son bon fonctionnement (ATA/493/2021 du 11 mai 2021 consid. 7a).

Selon la jurisprudence, les motifs fondés de renvoi des fonctionnaires ou d'employés de l'État peuvent procéder de toutes circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, excluent la poursuite des rapports de service, même en l'absence de faute. De toute nature, ils peuvent relever d'événements ou de circonstances que l'intéressé ne pouvait éviter, ou au contraire d'activités, de comportements ou de situations qui lui sont imputables (arrêt du Tribunal fédéral 8C_585/2014 du 29 mai 2015 consid. 5.2).

Le Tribunal fédéral retient qu’un fonctionnaire a l'obligation, pendant et en dehors de son travail, d'adopter un comportement qui inspire le respect et qui soit digne de confiance, et il doit s'abstenir de tout ce qui peut porter atteinte aux intérêts de l'État. En particulier, il doit s'abstenir de tout comportement de nature à entamer la confiance du public en l'intégrité de la fonction publique et des fonctionnaires ou à le rendre moins digne de confiance aux yeux de son employeur. Il est sans importance que le comportement répréhensible ait été connu ou non du public et ait attiré l'attention (arrêts du Tribunal fédéral 8C_448/2019 du 20 novembre 2019 consid. 4.1 ; 8C_252/2018 du 29 janvier 2019 consid. 5.2). 

2.6 Le Tribunal fédéral a confirmé une résiliation ordinaire, avec préavis de trois mois, d’un gardien de prison (surveillant-chef adjoint de piquet) qui n’avait pas signalé une bagarre à la relève. Dans le contexte professionnel d’un établissement pénitentiaire, les manquements revêtaient une gravité particulière. Les conditions de renvoi étaient réunies sans qu’un avertissement préalable soit nécessaire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_82/2013 du 3 décembre 2013).

Récemment, la chambre administrative a rejeté le recours d’un agent de sécurité publique 2 (ASP 2) déposé contre la décision de résiliation de ses rapports de service prononcée au motif que, dans le cadre d’une enquête menée par la brigade de stupéfiants sur un trafic de stupéfiants, il était apparu que le dealer mis en cause fournissait l’épouse du recourant, également ASP 2. Le recourant avait ensuite admis être lui aussi un consommateur de cocaïne (ATA/967/2022 du 27 septembre 2022 ). Le fait que la consommation de stupéfiants se serait déroulée exclusivement dans un cadre privé, que potentiellement elle n’ait pas eu d’incidence sur la qualité du travail, que l’intéressé ait pris conscience de l’inadéquation de son comportement dès son arrestation et qu’il soit désormais abstinent n’était pas déterminant.

2.7 D'après le Tribunal fédéral, l'employeur jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour juger si les manquements d'un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l'administration. En tant que les rapports de service relèvent du droit public, il doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.). Celui-ci exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_15/2019 du 3 août 2020 consid. 7.2 et les arrêts cités).

2.8 En l’espèce, le département formule trois griefs à l’encontre du recourant.

2.8.1 Le premier porte sur des retards et des absences. Ce problème est récurrent depuis 2013 et avait justifié le prononcé d’un blâme. Si la problématique s’était atténuée dans les années qui avaient suivi la sanction disciplinaire, la hiérarchie de l’intéressé a insisté, lors des deux dernières évaluations, le 24 juillet 2019 et le 21 octobre 2021, sur cette question y compris ses incidences sur le bon fonctionnement du service. Lors du dernier bilan, il était ainsi très fermement rappelé la nécessité de respecter les horaires, les temps de mission et les procédures de demande des absences. Si certes, compte tenu d’un bilan général plutôt positif, le responsable avait évoqué le terme de « bémol », les exigences de l’employeur étaient clairement formulées. Le recourant ne conteste pas ce reproche mais allègue des difficultés familiales. Si celles-ci ont pu exercer une influence en 2013, alors que sa fille était âgée de 12 ans, cette problématique n’est plus d’actualité. Elle n’est d’ailleurs étayée par aucune pièce du dossier pour ce qui pourrait concerner des faits récents.

2.8.2 Le recourant a admis le deuxième grief, soit avoir acheté, détenu et consommé de la cocaïne depuis environ cinq ans, avoir acheté en moyenne 15 g par mois, selon ses déclarations devant le MP, depuis environ deux ans pour sa propre consommation et celle de ses proches et a reconnu avoir acheté à son fournisseur au minimum 480 g de cocaïne pour un montant total de CHF 28'000.-.

L’intéressé travaillait à la prison et s’occupe des comptes des détenus. Si effectivement il ne ressort pas de son cahier des charges de contacts directs avec ces derniers, il lui appartenait toutefois de gérer les comptes de plusieurs centaines de détenus, de créer quotidiennement une dizaine de comptes pour les détenus arrivants, de préparer entre cinq et quinze sorties quotidiennes (libérations, transferts, extraditions notamment) de traiter des opérations au guichet notamment pour les commandes effectuées par les visites (familles, aumôneries, etc.), ou les avocats au magasin interne de la prison, d’assurer les contacts nécessaires avec les services internes et externes de l’administration pour tous les sujets comptables concernant les détenus et d’être en permanence en support téléphonique pour les gardiens qui gèrent les unités et répondent aux questions financières des détenus. Son rôle à l’égard de ceux-ci était en conséquence important puisqu’il était au courant et gérait la situation financière de chacun d’entre eux, voire était en contact avec leurs proches. Pour le surplus, la jurisprudence a déjà retenu que la prise de conscience d’un fonctionnaire de l’inadéquation de son comportement, au seul moment de son arrestation, et la modification de celui-ci depuis lors n’était pas déterminant à l’instar du fait que la consommation se serait déroulée exclusivement dans un cadre privé, qu’elle n’aurait jamais eu d’incidences sur la qualité de son travail voire qu’elle était occasionnelle.

2.8.3 Le recourant a de même avoué avoir renseigné son fournisseur et des amis proches lorsque ces derniers lui demandaient si une de leurs connaissances était incarcérée. Une conversation WhatsApp témoigne de l’un de ces échanges. Le fait qu’il n’ait pas été condamné est sans pertinence. D’une part, il n’est pas allégué que la procédure pénale soit terminée. D’autre part, une violation des devoirs de service ne présuppose pas la réalisation d’une infraction pénale (ATA/591/2023 du 6 juin 2023 consid. 6.10).

La violation du secret de fonction au détriment de détenus, à plus d’une reprise, est particulièrement grave. Dans un cas quelque peu similaire quant au secret de fonction, la chambre administrative avait confirmé la révocation d’un fonctionnaire, employé administratif à l’instar du présent recourant, au sein de la police, ayant fait usage des outils informatiques mis à sa disposition pour son employeur pour satisfaire sa curiosité personnelle et transmettre des données confidentielles à des tiers (ATA/56/2019 du 22 janvier 2019 confirmé par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 8C_161/2019 du 26 juin 2020).  

2.8.4 Ces deux derniers comportements constituent des violations des devoirs du recourant de nature à rompre le lien de confiance avec l’employeur, en particulier des violations du secret de fonction. S’y ajoute la problématique des retards et absences. Par son attitude, l’intéressé n’a pas renforcé la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l'objet (art. 21 RPAC) et n’a pas rempli tous les devoirs de sa fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1 RPAC). Les motifs fondés de licenciement sont établis.

3.             Le recourant invoque une violation du principe de la proportionnalité.

Or, un licenciement est apte à assurer le bon fonctionnement de la fonction publique et nécessaire pour ce faire, notamment au vu du poste concerné. Au vu de la jurisprudence précitée, de la répétition des actes, pendant plusieurs années, du précédent blâme, de la gravité et du cumul des fautes de l’intéressé, du fait qu’il s’agit d’un licenciement ordinaire et du caractère aisément reconnaissable de l’inadéquation du comportement adopté, le sous-principe de la proportionnalité est aussi respecté.

Dès lors, au vu du large pouvoir d'appréciation du département pour juger si les manquements d'un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l'administration, c’est de manière conforme au droit et sans abuser de son pouvoir d’appréciation qu’il a résilié les rapports de service du recourant pour inaptitude à remplir les exigences du poste.

4.             Le recourant ne conteste à juste titre pas l’absence de procédure de reclassement, au vu de la gravité des faits en lien avec l’achat, la détention et la consommation de cocaïne et surtout de violation, à plus d’une reprise, du secret de fonction, admise par l’intéressé.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera octroyée (art. 87 al. 2 LPA).

Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110)

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 août 2023 par A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 20 juin 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert ASSAËL, avocat du recourant, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges, Louis PEILA, juge suppléant.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :