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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1906/2023

ATA/1140/2023 du 17.10.2023 ( FPUBL ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;DROIT COMMUNAL;EMPLOYÉ PUBLIC;FONCTIONNAIRE;MESURE DISCIPLINAIRE;MESURE DISCIPLINAIRE APPLICABLE AUX AGENTS PUBLICS;AVERTISSEMENT(SANCTION);PRESCRIPTION;DÉLAI ABSOLU;DÉLAI RELATIF;RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC
Normes : LPAC.27.al7; LPAC.29; LPol.36.al3; aLPol.37.al6; aLPol.36.al2; SPVG.3.al1; SPVG.3.al2; SPVG.41.al4; SPVG.87; SPVG.93.al1; SPVG.93.al2; règlement VG.107
Résumé : Ville de Genève – sanction disciplinaire ; pas de délais de prescription relatif ni absolu dans le statut du personnel ni dans son règlement d'application (REGAP) ; il n'est toutefois pas admissible que l'autorité attende 21 mois depuis la connaissance des faits par l'autorité compétente pour prononcer la sanction et la décision de sanction (ici un avertissement). Admission du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1906/2023-FPUBL ATA/1140/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 octobre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Robert ASSAEL, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE intimée



EN FAIT

A. a. A______, né le ______1976, a été engagé par la Ville de Genève (ci-après : la ville) au poste d'agent de sécurité municipal au service des agents de ville et du domaine public à compter du 1er mai 2003, pour un traitement annuel de base de CHF 53'248.-. Il a été nommé fonctionnaire en mai 2006.

b. Par décision du 17 mai 2023, le conseil administratif de la ville (ci-après : CA) a rattaché le poste occupé par l’intéressé à la fonction-type modifiée de caporal de la police municipale, classée en « L » de l’échelle de traitement, avec un salaire annuel de CHF 108'684.- (annuité 11).

c. A______ préside depuis 2013 le B______ (ci-après : B______), comptant plus de 300 membres depuis sa fusion avec l’ C______ (C______) en janvier 2022. À ce titre, il estime ne pas travailler pour les communes et n’être que le porte-parole d’un comité représentant les membres, qui décide d’actions ou valide des propositions. En cette qualité, il dit recevoir beaucoup de critiques, doléances et plaintes, étayées, au sujet notamment des conditions de travail, de leurs chefs, n’osant pas s’adresser directement à ces derniers par peur de représailles.

d. Il s’est vu infliger un avertissement le 27 novembre 2007 pour avoir procédé à un contrôle d’identité en lien avec une présomption de consommation de drogue au volant, alors que les circonstances et l’absence de compétence municipale de l’époque auraient dû le conduire à appeler une patrouille de gendarmerie.

B. a. Le 14 janvier 2021, quatorze agents, membres de l’association des chefs de poste et remplaçants de la ville (ci-après : ACPR) ont adressé une note à D______, cheffe de service et commandante de la police municipale, afin de dénoncer des propos de A______ qu’ils estimaient non corroborés, inappropriés à l’encontre de sa hiérarchie, blessants et rabaissants, voire donnant une mauvaise image des responsables à l’ensemble du corps et propres à le diviser. Trois épisodes problématiques justifiaient selon eux des mesures disciplinaires.

-       le 30 octobre 2017, lors d’une allocution à l’occasion d’une assemblée générale extraordinaire du B______, comptant 45 membres, il avait affirmé que des chefs de poste de la ville dormaient au bureau et consultaient Facebook durant leurs heures de travail. Interpellé sur ces propos par l’ACPR, il avait admis avoir fait preuve de maladresse et qu’ils avaient dépassé sa pensée ;

-       le 23 mars 2020, il avait adressé un communiqué daté de la veille à l’ensemble des membres du B______ ainsi que via la page Facebook publique du B______ selon lequel « Nous ne pouvons accepter d’assurer des missions temporaires à risques, alors que certains de nos cadres font du télétravail ou sont libérés de l’obligation de travailler pendant que les agents de terrain ont l’obligation d’être présents ».

-       le 27 mai 2020, un document du B______ signé par A______ avait été envoyé par courrier à tous les membres du B______, outre sur la page Facebook de ce syndicat qui comprenait alors 1'472 membres, indiquant que les agents auraient apprécié être accompagnés sur le terrain par les « RCP » et/ou chefs de poste lors de la pandémie. Au début de la crise sanitaire, le comité du B______ avait envoyé un courriel pour fédérer l’ensemble du personnel « uniformé », officiers y compris, mais à son grand regret, il n’avait pu que constater leur absence sur le terrain. Cette démarche avait contribué à ternir l’image du B______ mais également de la ville.

b. À la suite de la réception de cette note, quatre représentants de l’ACPR ont été entendus par visioconférence les 28 janvier et 1er février 2021 par la direction du département de la sécurité et des sports (ci-après : DSSP) et D______.

c. Le 12 octobre 2021, E______, directrice du DSSP, a informé A______ qu’elle envisageait de prononcer un avertissement à son encontre et l’a convoqué le 3 novembre 2021.

Par courrier du 15 novembre 2021, elle a pris note de l’impossibilité de A______ d’assister à cet entretien formel et indiqué qu’elle le reconvoquerait au début du mois de décembre 2021.

Par son conseil nouvellement constitué, A______ a demandé, le 6 janvier 2022, à obtenir l’intégralité de son dossier.

Le 7 mars 2022, la direction du DSSP l’a convoqué pour un entretien le 23 mars 2022.

Par courrier du 18 mars 2022, A______ a informé F______, alors directeur adjoint du DSSP, de sa renonciation à être entendu oralement et a sollicité un délai au 29 avril 2022 pour se prononcer par écrit.

d. Dans des observations écrites du 22 juin 2022, l’intéressé a contesté les griefs émis à son encontre. Il n’avait pas violé ses devoirs généraux et les faits reprochés étaient prescrits.

e. Par décision du 14 octobre 2022, F______ a prononcé un avertissement à l’encontre de A______ en lien avec les trois griefs précités. Ses manquements, non prescrits, étaient graves, mais la sanction la plus clémente lui était infligée pour tenir compte de l’absence de sanction par le passé.

f. A______ a formé un recours hiérarchique le 23 novembre 2022 contre cette sanction. Il n’a pas demandé à être entendu par une délégation du CA.

g. Par décision du 3 mai 2023, le CA a confirmé l’avertissement en retenant toutefois uniquement les griefs en lien avec ses propos du 30 octobre 2017 et le communiqué du 22 mars 2020, publié le lendemain.

C. a. A______ a formé recours contre cette décision par acte expédié le 5 juin 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à ce que soit constatée la prescription de l’action disciplinaire, qu’il n’avait violé aucune disposition légale ou règlementaire et au classement de la procédure disciplinaire.

Il n’avait jamais ménagé sa peine pour servir au mieux la ville, dans le respect de la loi, qu’il maîtrisait, n’étant guidé que par l’intérêt de son employeur. Il était motivé, proactif, dynamique, calme, stable, réfléchi, gérait très bien son groupe et était apprécié par ses collègues, de même que par ses supérieurs.

L’art. 36 al. 3 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05) ainsi que l’art. 27 al. 7 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) pouvaient être appliqués par analogie en l’absence de base légale sur la prescription de la sanction disciplinaire dans le statut du personnel de la Ville de Genève (LC 21 151 ; ci-après : statut) ni dans son règlement d’application (LC 21 152.0), ni dans la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), par renvoi de l’art. 3 al. 2 statut.

Suite à la transmission de la note du 14 janvier 2021 par D______ à la directrice du DSSP, deux séances s’étaient tenues par G______ les 28 janvier et 1er février 2021 réunissant en outre la responsable RH du DSSP, une juriste et, pour l’ACPR, deux sergents-majors et deux sergents. Ainsi, à cette date, la hiérarchie la plus élevée de la police municipale avait appris les faits susceptibles de fonder sa responsabilité disciplinaire. L’action disciplinaire était donc prescrite depuis le 15 janvier 2022. Elle l’était aussi si le point de départ était le moment où la direction du DSSP avait eu connaissance des faits.

Si par impossible les principes généraux du droit pénal devaient être appliqués, les faits reprochés seraient prescrits, au regard du délai de trois ans applicable en matière de contraventions (art. 109 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP - RS 311.0]).

Il n’avait violé aucune disposition statutaire, en particulier les art. 82 et 83 let. a et c statut, pas plus que contrevenu à un devoir d’exemplarité.

b. La ville a conclu au rejet du recours.

En lien avec la prétendue prescription de la sanction disciplinaire, la LPol en vigueur depuis le 1er mai 2016 ne trouvait pas application. Elle-même ne saurait de plus être liée par des dispositions prévues par le canton pour ses propres collaborateurs. Compte tenu de la jurisprudence de la chambre administrative, il fallait, comme c’était le cas sous l’ancien régime de prescription appliqué aux policiers jusqu’au 30 avril 2016, mais également aux « infractions » commises par des membres de professions libérales, appliquer par analogie le délai absolu de sept ans prévu à l’art. 97 CP. Les faits reprochés datant in casu d’octobre 2017 et mars 2020, la prescription n’était acquise ni au moment du prononcé de l’avertissement le 14 octobre 2022, ni lorsque le CA avait statué sur le recours de A______.

Les directions du B______ et du DSSP n’avaient eu connaissance des faits que le 14 janvier 2021 et A______ s’était trouvé en arrêt maladie à 100% du 29 janvier 2021 au 20 avril 2022. Il avait sollicité de pouvoir se déterminer par écrit et requis de nombreux reports de délai pour ce faire. Si le dies a quo devait être le 14 janvier 2021, la prescription ne serait pas acquise, quel que soit le délai applicable.

A______ ne contestait pas les deux états de fait à la base de la sanction, mais uniquement leur qualification.

c. Dans sa réplique, A______ a relevé que, dans sa jurisprudence récente, la chambre administrative avait rappelé que les sanctions disciplinaires étaient régies par les principes généraux du droit pénal, sans que les jurisprudences évoquées par la ville, anciennes, abordent la question de la prescription. Il était caporal chef de groupe au sein de la PM, avec des missions de police, de sorte qu’il était permis de considérer que la police cantonale constituait un « cas analogue » permettant l’application de l’art. 36 al. 3 LPol. Comme fonctionnaire, une application analogue de la LPAC pouvait aussi être faite. Ainsi, ces domaines semblables devaient connaître des délais identiques.

Il ne voyait pas en quoi son arrêt maladie et ses demandes de report de délai pour formuler ses observations pourraient avoir une influence sur la durée du délai de prescription.

d. Les parties ont été informées, le 12 septembre 2023, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur l’avertissement prononcé à l’encontre du recourant en lien avec des états de fait du 30 octobre 2017 et du 23 mars 2020.

Le recourant invoque la prescription de l’action disciplinaire. Il se prévaut d’une application par analogie des art. 36 al. 3 LPol et 27 al. 7 LPAC.

2.1 Selon l’art. 27 al. 7 LPAC, la responsabilité disciplinaire des membres du personnel se prescrit par un an après la découverte de la violation des devoirs de service et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue, le cas échéant, pendant la durée de l'enquête administrative (art. 27 al. 7 LPAC).

L’art. 29 LPAC prévoit que lorsque les faits reprochés à un membre du personnel relèvent également d’une autre autorité disciplinaire administrative, celle-ci est saisie préalablement (al. 1). Lorsque les faits reprochés à un membre du personnel peuvent faire l’objet d’une sanction civile ou pénale, l’autorité disciplinaire administrative applique, dans les meilleurs délais, les dispositions des art. 16, 21 et 27 LPAC, sans préjudice de la décision de l’autorité judiciaire civile ou pénale saisie (al. 2).

2.2 Aux termes de l'art. 36 al. 3 LPol en vigueur depuis le 1er mai 2016, la responsabilité disciplinaire se prescrit par un an après la connaissance de la violation des devoirs de service et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue pendant la durée de l’enquête administrative, ou de l’éventuelle procédure pénale portant sur les mêmes faits.

L’art. 29 LPAC n’est pas applicable (art. 36 al. 4 cum 18 al. 1 LPol).

2.3 S’agissant du dies a quo du délai d’un an, une abondante et constante jurisprudence de la chambre de céans rappelle qu’il court à compter de la connaissance des faits par l’autorité décisionnaire (ATA/175/2023 du 28 février 2023 consid. 5a ; ATA/508/2022 du 17 mai 2022 ; ATA/36/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2c et les références citées).

2.3.1 La chambre de céans a jugé de manière constante, dans des affaires où un fonctionnaire de police avait été sanctionné d'un blâme ou de services hors tours, que l'art. 37 al. 6 aLPol faisait référence à la connaissance des faits par la cheffe de la police – la commandante – compétente, sous l'ancien droit, pour prononcer chacune de ces sanctions (art. 36 al. 2 aLPol ; ATA/244/2020 du 3 mars 2020 consid. 8c et les arrêts cités).

2.3.2 Le Tribunal fédéral a rappelé qu'il n'est pas insoutenable de considérer que le délai d'une année de l'art. 37 al. 6 aLPol commence à courir à partir seulement du moment où l'autorité compétente pour infliger la peine disciplinaire apprend elle‑même l'existence d'une violation des devoirs de service. À la nécessité pour l'administration d'agir sans retard, on peut opposer, de manière défendable, que la prescription d'un an ne peut pas dépendre du seul comportement du supérieur hiérarchique, qui peut commettre une erreur d'appréciation sur la gravité des faits ou qui, pour d'autres motifs, tarderait à informer l'autorité compétente (arrêt du Tribunal fédéral 8C_621/2015 du 13 juin 2016 consid. 2.4, qui confirme l’ATA/652/2015 du 23 juin 2015). Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a en revanche précisé qu’il était insoutenable de considérer que le délai de prescription de l’action disciplinaire ne commencerait à courir que lorsque l’autorité compétente pour le prononcé de la sanction, qui avait connaissance de la violation des devoirs de service et des motifs d’une condamnation pénale, se ferait envoyer le dossier complet de l’intéressé. En effet, ces démarches dépendaient d’elle seule et cela lui permettrait de repousser à sa guise le dies a quo de la prescription de l’action disciplinaire (arrêt du Tribunal fédéral 8D_7/2021 du 5 septembre 2022 consid. 3.4).

2.4 Les rapports de service des membres du personnel de la ville sont régis par le statut, les dispositions d'exécution, ainsi que, le cas échéant, les clauses du contrat de travail (art. 3 al. 1 statut). En cas de lacune, les dispositions pertinentes du CO, sont applicables à titre de droit public supplétif (art. 3 al. 2 statut).

2.5 La section 3 du statut, consacrée à la « violation des devoirs de service », du chapitre VI, sur les « devoirs du personnel », comprend deux articles. Selon l'art. 93 al. 1 du statut, intitulé « sanctions disciplinaires », les membres du personnel qui violent leurs devoirs de service intentionnellement ou par négligence peuvent se voir infliger un avertissement ou un blâme ou la suppression de l'augmentation annuelle de traitement pour l'année à venir. À teneur de l'art. 94 du statut, sur les « autres mesures », en tout état de cause, si la violation des devoirs de service le justifie, le changement d'affectation d'office au sens de l'art. 41 al. 4 statut ou le licenciement sont réservés.

2.6 Selon l’art. 93 al. 2 du statut, le CA détermine par règlement l’autorité compétente pour prononcer ces sanctions.

L’art. 107 du règlement d’application du statut (LC 21 152.0) prévoit que le chef de service, le directeur du DSSP et le secrétaire général sont compétents pour prononcer un avertissement.

L’art. 97 du statut prévoit que lorsque l’instruction d’une cause le justifie, le CA peut confier une enquête administrative à une ou plusieurs personnes choisies au sein ou à l’extérieur de l’administration municipale (al. 1). La personne intéressée est informée par écrit de l’ouverture de l’enquête administrative et de son droit de se faire assister et représenter conformément à l’art. 9 LPA (al. 2). Au terme de l’enquête, le CA communique le rapport à la personne intéressée et lui impartit un délai pour se prononcer.

2.7  La mesure [disciplinaire] n’a pas en premier lieu pour but d’infliger une peine ou un préjudice économique résultant de l’interdiction d’exercer une activité lucrative mais le maintien de l’ordre à l’intérieur du groupe de personnes auxquelles le droit disciplinaire s’applique (JT 1984 p., 88 et les références citées, mentionné par Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire dans la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse romande, in Revue jurassienne de jurisprudence 1998, n. 55 p. 5 n° 13).

2.8 Le Tribunal fédéral a encore récemment rappelé qu’il s'agit d'éliminer sans retard des situations contraires à l'ordre ou à l'exercice correct de l'activité de l'administration, sous peine de nuire à l'intégrité de celle-ci (arrêt 8C_621/2015 du 13 juin 2016 consid. 2.4 et les références citées).

2.9 La chambre administrative a rappelé dans un arrêt ATA/719/2023 du 4 juillet 2023 qu’elle avait déjà été amenée à traiter, dans l’ATA/984/2018 du 25 septembre 2018, la question de la prescription des sanctions disciplinaires prononcées par la ville. Elle a ainsi constaté que ni le statut, ni le règlement d’application du statut du personnel de la Ville de Genève (REGAP - LC 21 152.0) ne contenaient de règles relatives à la prescription et que le CO, applicable à titre de droit public supplétif, ne prévoyait pas de règle quant à la prescription des sanctions. Dans cet arrêt, qui concernait un avertissement, elle a retenu un délai de prescription « minimal » d’au moins trois ans, vu l'art. 103 CP, délai qui n'était en l'espèce pas atteint. Elle a rappelé qu’en matière de contraventions, l’action pénale et la peine se prescrivaient par trois ans (art. 103 CP) et de manière plus générale, que l’action pénale se prescrivait par sept ans si la peine maximale encourue n’était pas une peine privative de liberté (art. 97 al. 1 let. d CP ; ATA/984/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5).

2.10 Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la LPAC, qu’ « au cours de la discussion, il a été rappelé que l'absence de toute disposition relative à la prescription des sanctions disciplinaires ne signifie pas que ces dernières ne se prescrivent pas. La jurisprudence a en effet eu l'occasion de faire une application analogique de la loi pénale genevoise, laquelle renvoie (tant dans son ancienne teneur que dans sa teneur actuelle) au droit fédéral. A l'heure actuelle, cela signifie que les infractions disciplinaires se prescrivent par 3 ans. Au cours des débats, il est apparu que pour une majorité de la commission, une durée de 3 ans est insuffisante. De surcroît, il est souhaitable de maintenir un double régime de prescription relative et de prescription absolue, de manière à contraindre l'employeur à prendre des mesures dans un délai relativement bref après la découverte de la violation des devoirs de service, pour éviter de laisser le fonctionnaire concerné dans l'incertitude. En définitive, la commission a voté un sous-amendement proposé par un commissaire (L), lequel introduit une prescription relative d'une année et une prescription absolue de 5 ans. De surcroît, la prescription est suspendue pendant la durée de l'enquête administrative. En d'autres termes, si l'employeur suspend l'enquête administrative en attendant le résultat, par exemple, d'une enquête pénale, la prescription cesse de courir, ce qui garantit dans tous les cas la possibilité pour l'État de sévir, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui (MGC 2006-2007/VI A – 4524 ; mentionné dans l’ATA/215/2017 du 21.02.2017 consid. 15d confirmé par le Tribunal fédéral 8C_281/2018 du 26 janvier 2018 consid. 5.4.2).

2.11 Dans un arrêt ATA/1235/2018 du 20 novembre 2018 consid. 8 c., la chambre administrative a retenu, dans des situations où la LPAC s’appliquait, que dès le moment où le CA, en l’occurrence d’un établissement public médical, avait eu connaissance de manquements de la part de la recourante en tant que responsable du service comptabilité, l'intimée aurait dû ouvrir une enquête administrative, qu'elle aurait pu suspendre en cas de nécessité (en application de l'art. 14 LPA selon le renvoi de l'art. 28 al. 1 LPAC, qui devait toutefois rester exceptionnelle ; ATA/215/2017 précité consid. 16c). En renonçant à statuer sur le plan disciplinaire pendant plus d’une année, l’intimée avait laissé la recourante dans l’incertitude sur sa situation, ce qui allait clairement à l'encontre des principes de droit disciplinaire (consid. 8.1).

La chambre de céans a par la suite fréquemment rappelé ce dernier principe (notamment encore récemment ATA/30/2023 du 17 janvier 2023 consid. 4.f in fine et ATA/508/2022 du 17 mai 2022 consid. 9.c in fine).

3. En l’espèce, la question du délai de prescription maximum de la responsabilité disciplinaire souffrira de demeurer indécise, le statut demeurant muet sur la question qui s’est pourtant posée à plusieurs reprises.

Est en effet déjà problématique en l’espèce la question du délai entre la prise de connaissance des faits par l’autorité compétente pour prononcer la sanction et son prononcé. Si le statut et le REGAP ne règlent pas non plus cette question, sans qu’il soit même besoin d’une application analogique de la LPol et de la LPAC, comme déjà retenu par la chambre de céans, il n’est pas admissible que l’autorité puisse attendre 21 mois entre la connaissance des faits et le prononcé de la sanction, sauf enquête administrative, prévue par le statut à son art. 97.

Ici, c’est la cheffe de service et commandante de la police municipale qui a reçu la note du 14 janvier 2021 des membres de l’ACPR dénonçant le comportement du recourant. Elle a sur ce, avec la direction du DSSP, eu un entretien par G______ avec quatre représentants de l’ACPR, les 28 janvier et 1er février 2021. Le 12 octobre 2021, la directrice du DSSP a informé le recourant qu’elle envisageait de prononcer un avertissement à son encontre et l’a convoqué le 3 novembre 2021. Ce dernier a dans un premier temps sollicité le report de son audition pour raison de santé puis, par courrier du 18 mars 2022, a informé le directeur adjoint du DSSP de sa renonciation à être entendu oralement. Après plusieurs demandes de prolongation de délai, il a fait part d’observations écrites le 22 juin 2022.

Certes, le statut de la ville n’impose aucun délai, pas même pour la reddition des rapports d’enquête et ne témoigne ainsi pas, contrairement aux travaux préparatoires précités, de la volonté de célérité de l’autorité concernée. Toutefois, la finalité même du droit disciplinaire impose de retenir que le fonctionnaire concerné ne soit pas laissé dans l’incertitude sur sa situation, le Tribunal fédéral rappelant qu’il s'agit d'éliminer sans retard des situations contraires à l'ordre ou à l'exercice correct de l'activité de l'administration, sous peine de nuire à l'intégrité de celle-ci.

En l’espèce, aucun élément objectif ne justifie le délai de 21 mois. Si l’on devait appliquer le délai d’un an, lequel apparaît usuel en fonction publique, l’action disciplinaire était prescrite à tout le moins depuis le 2 février 2022, soit un an après que la direction de la DSSP, apte à prononcer un avertissement, a eu, si ce n’est connaissance, confirmation des faits reprochés au recourant. Le délai n’a pas pu être suspendu, puisqu’il n’y a pas eu d’enquête administrative. L’avertissement prononcé le 14 octobre 2022 est donc intervenu tardivement.

Ce délai aurait pu être respecté par l’autorité intimée dans la mesure où, au début du mois de février 2021 déjà, la direction du DSSP avait connaissance des faits reprochés. Or, elle a attendu plus de huit mois avant de convoquer le recourant pour être entendu le 3 novembre 2021. Que celui-ci ait été absent pour cause de maladie du 29 janvier 2021 au 20 avril 2022 n’y change rien, puisque l’occasion aurait d’emblée pu lui être donnée de s’exprimer par écrit une fois que la direction envisageait de prononcer un avertissement à son encontre et ne pouvait que constater que l’arrêt maladie s’inscrivait dans la durée. Le 15 novembre 2021, elle a pris note de l’impossibilité du recourant d’assister à cet entretien formel et indiqué qu’elle le reconvoquerait au début du mois de décembre 2021. Elle n’en a rien fait. Elle aurait à ce moment-là encore pu respecter le délai d’un an venant à échéance deux mois plus tard. C’est au contraire le recourant qui, par son conseil nouvellement constitué, a relancé la direction du DSSP le 6 janvier 2022 en lui demandant de lui transmettre l’intégralité de son dossier. La direction du DSSP a ensuite attendu deux mois de plus, soit le 7 mars 2022, pour convoquer le recourant à un entretien le 23 mars suivant.

Dans ces conditions, le fait que le recourant a informé la direction du DSSP le 18 mars 2022 de sa renonciation à être entendu oralement et a sollicité un délai au 29 avril 2022 pour se prononcer par écrit, pour ne le faire finalement que le 22 juin 2022, est sans pertinence.

Partant, en renonçant à statuer sur le plan disciplinaire pendant plus d’une année, l’intimée a laissé le recourant dans l’incertitude sur sa situation, ce qui va clairement à l'encontre des principes de droit disciplinaire et ne saurait être admis.

La sanction sera donc annulée, en l’occurrence la décision rendue le 3 mai 2023 par le CA confirmant celle de la direction du DSSP du 14 octobre 2022.

Le recours sera admis.

4.             Nonobstant l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument vu la qualité de l’intimée (art. 87 al. 1 2ème phr. LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, à la charge de l’intimée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 juin 2023 par A______contre la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 3 mai 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 3 mai 2023 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______, à la charge de la Ville de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal-Fédéral 29, 1005 Lausanne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert ASSAËL, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Nathalie RAPP, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :