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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2835/2022

ATA/959/2023 du 05.09.2023 sur JTAPI/249/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2835/2022-PE ATA/959/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 septembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Fernando Henrique FERNANDES DE OLIVEIRA, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 mars 2023 (JTAPI/249/2023)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______1980, de nationalité tunisienne, a vécu à Genève du 17 décembre 1994 au 20 septembre 2002, au bénéfice d’une autorisation de séjour.

b. Le 20 juin 2022, il a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative indépendante. Il souhaitait créer la société « B______ » dont le but était de créer et/ou développer des relations commerciales entre la Suisse et le Maghreb, plus spécialement avec la Tunisie. La société proposerait les services suivants : des voyages dans le cadre de traitements médicaux pour les particuliers ; l’importation vers la Tunisie de produits phares suisses ; l’exportation depuis la Tunisie vers la Suisse de produits artisanaux ; des services administratifs généraux entre la Suisse et la Tunisie ; l’activité logistique générale entre ces deux pays et le Maghreb en général.

Il prévoyait de requérir l’inscription de sa société au registre du commerce genevois dès l’obtention de l’autorisation par l’OCPM.

Il avait été longuement au bénéfice d’une autorisation de séjour à Genève, de sorte qu’il s’agissait d’un retour en Suisse. L’activité souhaitée se trouvait en accord avec la facilitation des échanges internationaux. Son séjour antérieur en Suisse pouvait renforcer la prévision de succès de l’activité indépendante qu’il souhaitait créer. Il disposait non seulement des qualifications nécessaires pour entreprendre l’activité spécialisée projetée, mais également d’une grande expérience dans le secteur souhaité.

c. Par décision du 3 août 2022, après examen du dossier par la commission tripartite, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a refusé de donner une suite favorable à cette demande.

L’admission en vue de l’exercice d’une activité lucrative indépendante ne présentait pas un intérêt économique suffisant. Un ressortissant d’État tiers pouvait être admis à l’exercice d’une activité indépendante s’il était prouvé que le marché suisse du travail tirerait durablement profit de l’implantation. Tel pouvait être le cas lorsque l’entreprise contribuait à la diversification de l’économie régionale dans la branche concernée, obtenait ou créait des places de travail pour la main-d’œuvre locale, procédait à des investissements substantiels et générait de nouveaux mandats pour l’économie helvétique. Or, ces conditions n’étaient pas réalisées et A______ ne démontrait pas qu’il disposait d’une source de revenus suffisante et autonome.

B. a. Par acte du 5 septembre 2022, A______ a interjeté recours contre cette décision devant le Tribunal administratif de première instance
(ci-après : TAPI).

L’OCIRT avait établi les faits de manière incomplète et n’avait pas tenu compte de ceux qu’il avait présentés ni de ses arguments. La décision était sommaire. Elle n’exposait pas les raisons pour lesquelles la condition de l’intérêt économique pour la Suisse n’était pas réalisée. L’activité qu’il souhaitait entreprendre nécessitait des connaissances et expériences spécifiques dont il disposait notamment pour avoir travaillé dans le secteur souhaité. Son activité permettrait non seulement d’avoir un employé, mais également de distribuer divers mandats aux indépendants locaux. De plus, l’apport de patients étrangers aux cliniques privées suisses contribuerait à l’économie locale, tout comme les échanges proposés dans le cadre de l’activité d’exportation-importation.

b. L’OCIRT a conclu au rejet du recours.

Le commerce que A______ souhaitait développer s’apparentait à un « patchwork » d’activités diverses et variées. Aucun élément au dossier ne permettait d’affirmer qu’il existait un besoin particulier dans ces domaines déjà suffisamment représentés à Genève. La prévision de création d’un seul emploi tout comme le budget prévisionnel ne permettaient pas de reconnaître un intérêt économique particulier pour le pays. Aucun investissement substantiel n’était prévu. A______ ne démontrait pas l’apport de patients étrangers ni de mandats pour l’économie locale. Il n’avait pas démontré disposer d’une source de revenus suffisante et autonome.

c. Le TAPI a, par jugement du 7 mars 2023, rejeté le recours.

C’était à juste titre que l'OCIRT avait retenu que les arguments développés par A______ étaient insuffisants pour permettre de considérer que son admission servirait les intérêts économiques de la Suisse, cette exigence devant être remplie, quel que soit le type d’activité envisagée.

Compte tenu de l'exiguïté des contingents du canton de Genève (91 permis B en 2022), la commission tripartite était contrainte de ne retenir que les demandes qui se démarquaient par un fort intérêt économique, ce qui n’était pas le cas en l'espèce. A______ n’avait en effet pas démontré à satisfaction de droit que son activité revêtirait une originalité particulière dans le paysage économique genevois et contribuerait à sa diversification. Il n’avait pas produit d’étude de marché qui mettrait en avant un besoin et/ou un intérêt d’un grand nombre de patients tunisiens, par hypothèse disposant de moyens économiques suffisants, de venir se faire soigner en Suisse. On ignorait également si les cliniques privées genevoises étaient intéressées à recevoir de tels patients et à quelles conditions. Les autres activités que A______ souhaitait proposer ne présentaient aucune singularité. Enfin, il ne démontrait pas qu’il existait, dans les domaines dans lesquels il souhaitait exercer son activité d’indépendant, une demande non négligeable et durable à laquelle il serait susceptible de répondre sur le long terme et qui ne serait pas déjà fournie en surabondance.

C. a. A______ a formé recours contre ce jugement par acte expédié le 24 avril 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu préalablement à ce qu’un délai de 30 jours lui soit octroyé pour compléter son recours, principalement à son audition, à l’annulation du jugement entrepris, de même qu’à celle de la décision de l’OCIRT du 3 août 2022, au renvoi du dossier à cette autorité en lui ordonnant de rendre une décision favorable à sa demande d’autorisation de séjour à l’année en vue de l’exercice d’une activité indépendante.

Il voulait apporter de nouveaux éléments relatifs à son projet d’activité. Sa demande d’autorisation se basait entre autres sur son intégration avérée en Suisse du fait de son long séjour durant son adolescence. Le TAPI et l’OCIRT avaient violé son droit d’être entendu et versé dans l’arbitraire en n’abordant pas ces deux éléments. Sa sœur, de nationalité suisse, vivait à Genève. L’OCIRT avait ajouté des arguments dans sa réponse du 28 novembre 2022 au TAPI, par rapport à la décision querellée, qui était sommaire. Toutefois, ni l’OCIRT, ni le TAPI n’avaient abordé le critère de son intégration, dont ses liens effectifs avec la Suisse, pourtant un facteur décisionnel, comme cela ressortait du ch. 4.3.1 de la directive du secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM). Ces autorités avaient ainsi établi les faits de manière incomplète.

Il avait vécu au Danemark entre 1983 et 1990, alors que son père était directeur financier chez C______ et représentait l’office du tourisme tunisien au Danemark. Il s’était installé à Genève en 1994 et avait rejoint l’D______ où il avait achevé son cursus avec succès. Son père, décédé en 2012, avait tenu une agence de voyages aux E______ avec un associé. Lui-même y avait travaillé pendant environ une année ainsi que dans la vente chez F______ pendant environ trois mois. Il avait ensuite travaillé dans diverses sociétés en Tunisie, qu’il avait regagnée en 2001 pour rejoindre sa mère. Il avait toutefois gardé ses liens avec la Suisse, notamment ses amis d’adolescence, et effectué un voyage touristique en 2008.

Il avait ouvert à Genève son entreprise avec l’aide d’une fiduciaire suisse et développé un premier business plan prévoyant un bénéfice brut de CHF 105'000.- en 2024. L’activité envisagée était spécialisée et nécessitait des connaissances et expériences spécifiques dont il disposait. Elle permettrait d’embaucher un employé et de distribuer divers mandats. L’apport de patients étrangers aux cliniques privées contribuerait sans doute à l’économie locale, tout comme les échanges proposés par l’activité d’exportation et importation. Même une autorisation annuelle permettrait de faire un bilan « très prochainement » sur l’avancée de l’activité souhaitée.

La décision de l’OCIRT ne tenait pas compte du fait qu’il détenait une fortune personnelle non négligeable lui permettant de vivre sans travailler ni avoir recours à une quelconque assistance pendant son séjour de prospection.

c. Le recourant n’a produit aucun complément à son recours dans le délai accordé au 12 mai 2023 pour ce faire.

d. L’OCIRT a conclu au rejet du recours.

e. Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

f. Les parties ont été informées le 3 août 2023 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant a sollicité son audition.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, le recourant a eu l’occasion de s’exprimer par écrit devant le TAPI et la chambre de céans, et de produire toute pièce utile. Il n’expose pas quels éléments supplémentaires son audition apporterait à l’instruction de la cause qu’ils n’auraient pas pu développer par écrit. Il n’a pas fait usage devant la chambre de céans des délais lui ayant été accordés pour compléter son recours, comme pourtant expressément requis, puis pour répliquer.

Il n’a par ailleurs pas de droit à être entendu oralement par la chambre de céans. Celle-ci dispose ainsi d'un dossier complet lui permettant de trancher le litige en toute connaissance de cause.

Il ne sera donc pas donné suite à la demande d'audition.

3.             Le recourant considère que son droit d’être entendu aurait été violé, faute pour la décision de l’OCIRT et le jugement du TAPI d’être suffisamment motivés.

3.1 Le droit d'être entendu garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 41 LPA comprend le droit d'obtenir une décision motivée (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid. 3.2.1). L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid. 3.2.1). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée ; la motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 et les références citées).

3.2 Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle‑ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2020 8C_257/2019 consid. 2.5 et les références citées), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5 ; ATA/872/2022 du 30 août 2022 consid. 4c ; ATA/447/2021 du 27 avril 2021 consid. 6c). La réparation d'un vice de procédure en instance de recours peut se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; ATA/1194/2019 du 30 juillet 2019 consid. 3c).

3.3 En l’espèce, la décision de l’OCIRT indique que les conditions de l’art. 19 let. a et c de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) ne sont pas remplies en l’espèce, faute pour l’activité lucrative indépendante prévue par le recourant de représenter un intérêt économique suffisant pour l’économie suisse et d’avoir démontré qu’il disposait d’une source de revenus suffisante et autonome. Il sera vu ci-dessous que cette motivation suffisait pour refuser l’autorisation requise, de sorte que l’autorité en l’espèce a traité les griefs pertinents avant de rendre sa décision et n’avait pas besoin en sus d’aborder l’intégration du recourant en Suisse.

Le TAPI a ensuite discuté les conditions de l’art. 19 let. a LEI. Après avoir constaté qu’elles n’étaient en l’espèce pas remplies, il n’avait pas besoin en sus d’examiner le critère de l’intégration du recourant.

Ainsi, son droit d’être entendu n’a pas été violé, étant pour le surplus relevé qu’il a pu devant la chambre de céans, qui dispose d’un plein pouvoir en fait et en droit, à nouveau faire valoir son intégration en Suisse.

4.             Le présent litige porte sur le refus de l'OCIRT de délivrer au recourant une autorisation de séjour à l’année avec activité lucrative indépendante (permis B), contingentée. Le recourant soutient que les conditions de l'art. 19 LEI seraient réalisées. L’autorité intimée et le TAPI auraient versé dans l'arbitraire en retenant le contraire.

4.1 La chambre administrative ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario ; ATA/12/2020 du 7 janvier 2020 consid. 3).

4.2 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEI, et de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées après le 1er janvier 2019, comme en l’espèce, le 20 juin 2022, sont régies par le nouveau droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1075/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1).

5.             5.1 La LEI et ses ordonnances, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI) (ATA/1289/2019 du 27 août 2019 consid. 4), ce qui est le cas des ressortissants tunisiens.

5.2 Selon l'art. 11 al. 1 LEI, tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative doit être titulaire d'une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour ; il doit la solliciter auprès de l'autorité compétente du lieu de travail envisagé.

5.3 Lorsqu’un étranger ne possède pas de droit à l’exercice d’une activité lucrative, une décision cantonale préalable concernant le marché du travail est nécessaire pour l’admettre en vue de l’exercice d’une activité lucrative (art. 40 al. 2 LEI). Dans le canton de Genève, la compétence pour rendre une telle décision est attribuée à l'OCIRT (art. 6 al. 4 du règlement d'application de la loi fédérale sur les étrangers, du 17 mars 2009 - RaLEtr - F 2 10.01). L’OCPM reçoit et traite les demandes d'autorisation d'admission pour d'autres motifs que ceux relevant de l’exercice d’une activité lucrative (art. 8 RaLEtr).

5.4 L'art. 19 LEI prévoit qu'un étranger peut être admis en vue d'exercer une activité lucrative indépendante aux conditions suivantes : son admission sert les intérêts économiques du pays (let. a) ; les conditions financières et les exigences relatives à l'exploitation de l'entreprise sont remplies (let. b) ; il dispose d'une source de revenus suffisante et autonome (let. c) ; les conditions fixées aux art. 20 et 23 à
25 LEI sont remplies (let. d).

Les autorités compétentes bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation. En raison de sa formulation potestative, les art. 18 et 19 LEI ne confèrent aucun droit à l'autorisation sollicitée (ATA/361/2020 du 16 avril 2020 ; ATA/1660/2019 du 12 novembre 2019, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 2C_30/2020 du
14 janvier 2020 consid. 3.1). De même, un employeur ne dispose d'aucun droit à engager un étranger en vue de l'exercice d'une activité lucrative en Suisse (arrêts du Tribunal fédéral 2D_57/2015 du 21 septembre 2015 consid. 3 ; 2D_4/2015 du
23 janvier 2015 consid. 3 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] C- 5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 3).

5.5 Selon le ch. 4.3.1 des Directives du secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM), domaine des étrangers, 2013, état au 1er novembre 2021
(ci-après  : Directives LEI) – qui ne lient pas le juge, mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré et pourvu qu'elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATA/1660/2019 précité consid. 4c) – l'autorité doit apprécier le cas en tenant compte en particulier de la situation sur le marché du travail, de l'évolution économique durable et de la capacité de l'étranger concerné de s'intégrer.

5.6 S'agissant de l'implantation d'une entreprise, il est admis que le marché suisse du travail tire durablement profit de l'implantation lorsque la nouvelle entreprise contribue à la diversification de l'économie régionale dans la branche concernée, obtient ou crée des places de travail pour la main-d'œuvre locale, procède à des investissements substantiels et génère de nouveaux mandats pour l'économie helvétique (Directives LEI ch. 4.7.2.1).

5.6.1 La notion d'« intérêts économiques du pays » est formulée de façon ouverte. Elle concerne au premier chef le domaine du marché du travail. Il s'agit, d'une part, des intérêts de l'économie et de ceux des entreprises. D'autre part, la politique d'admission doit favoriser une immigration qui n'entraîne pas de problèmes de politique sociale, qui améliore la structure du marché du travail et qui vise à plus long terme l'équilibre de ce dernier (Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3469 ss, p. 3485 s. et 3536). En particulier, les intérêts économiques de la Suisse seront servis lorsque, dans un certain domaine d'activité, il existe une demande durable à laquelle la main-d'œuvre étrangère en cause est susceptible de répondre sur le long terme (arrêt du TAF C- 8717/2010 du 8 juillet 2011 consid. 5.1 ; ATA/1147/2018 du 30 octobre 2018 consid. 7c ; ATA/1018/2017 du 27 juin 2017 consid. 4c ; Marc SPESCHA/ Antonia KERLAND/Peter BOLZLI, Handbuch zum Migrationsrecht, 2ème éd., 2015, p. 173 et ss ; art. 23 al. 3 LEtr). L'art. 3 al. 1 LEI concrétise le terme en ce sens que les chances d'une intégration durable sur le marché du travail suisse et dans l'environnement social sont déterminantes (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, 2017, p. 145 et les références citées). L'activité économique est dans l'intérêt économique du pays si l'étranger offre par là une prestation pour laquelle il existe une demande non négligeable et qui n'est pas déjà fournie en surabondance (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit., p. 146 et les références citées).

5.6.2 On considère que le marché suisse du travail tire durablement profit de l'implantation lorsque la nouvelle entreprise contribue à la diversification de l'économie régionale dans la branche concernée, obtient ou crée des places de travail pour la main-d'œuvre locale, procède à des investissements substantiels et génère de nouveaux mandats pour l'économie helvétique (arrêts du TAF C- 2485/2011 du 11 avril 2013 et C-7286/2008 du 9 mai 2011).

5.6.3 Il convient de tenir compte en particulier de la situation sur le marché du travail, de l’évolution économique durable et de la capacité de l’étranger concerné à s’intégrer. Il ne s’agit pas de maintenir une infrastructure avec une main-d’œuvre peu qualifiée disposée à travailler pour de bas salaires, ni de soutenir des intérêts particuliers. Par ailleurs, les étrangers nouvellement entrés dans le pays ne doivent pas faire concurrence aux travailleurs en Suisse en provoquant, par leur disposition à accepter de moins bonnes conditions de rémunération et de travail, un dumping salarial et social (arrêt du TAF F-4226/2017 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ; ATA/1280/2015 du 1er décembre 2015 consid. 12 ; Directives LEI, ch. 4.3.1).

5.7 L’autorisation doit également s’inscrire dans les limites du contingent fixé par le Conseil fédéral (art. 20 LEI), selon un nombre maximum fixé dans l’annexe 2 OASA. L’art. 20 al. 1 1ère phr. LEI prévoit plus particulièrement que le Conseil fédéral peut limiter le nombre d’autorisations de séjour initiales (art. 32 et 33 LEI) octroyées en vue de l’exercice d’une activité lucrative. Cette compétence se trouve mise en œuvre aux art. 19, 20 et 21 OASA. Plus particulièrement, l’art. 20 al. 1 OASA dispose que les cantons peuvent délivrer des autorisations pour des séjours en vue d’exercer une activité lucrative d’une durée supérieure à un an, dans les limites des nombres maximums fixés à l’annexe 2 ch. 1 let. a OASA (arrêt du TAF C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 7.1). Compte tenu du contingent restreint accordé aux cantons, les autorités du marché de l’emploi sont contraintes de se montrer restrictives dans l’appréciation des demandes dont elles sont saisies et ne peuvent retenir que celles qui traduisent un intérêt pour la collectivité.

5.8 Une décision est arbitraire au sens de l'art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable. Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 113 consid. 7. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_743/2020 du 30 juin 2021 consid. 2.2).

6.             En l’espèce, il doit être déterminé en premier lieu si l'admission du recourant en Suisse servirait les intérêts économiques du pays (art. 19 let. a LEI) avant d’examiner, si, cumulativement les conditions financières et les exigences relatives à l'exploitation de l'entreprise sont remplies (art. 19 let. b LEI).

Il ressort du dossier, comme l’OCIRT et le TAPI l’ont correctement exposé, que l’activité envisagée par le recourant ne revêt aucune originalité particulière dans le paysage économique genevois ni ne contribuerait à sa diversification. Il n’a, au stade du recours, toujours pas produit d’étude de marché qui mettrait en avant un besoin et/ou un intérêt d’un grand nombre de patients tunisiens, par hypothèse disposant de moyens économiques suffisants, de venir se faire soigner en Suisse. On ignore aussi si les cliniques privées genevoises seraient intéressées à recevoir de tels patients et à quelles conditions. Les autres activités que le recourant souhaite proposer sont, pour reprendre un terme de l’OCIRT, un « patchwork » vu leur diversité, puisqu’il s’agirait de l’importation vers la Tunisie de produits « phares » suisses, dont on ignore la nature, l’importation en Suisse de produits artisanaux tunisiens, sans que l’on sache de quel type, et enfin « des services administratifs généraux » et une « activité logistique générale » entre ces deux pays et le Maghreb en général. Toutes ces activités ne présentent aucune singularité et le recourant n’a toujours pas démontré qu’il existerait, dans ces domaines, une demande non négligeable et durable à laquelle il serait susceptible de répondre sur le long terme et qui ne serait pas déjà fournie en surabondance. En outre, la seule projection financière pour les mois de mai 2022 à décembre 2024, quand bien même elle aurait été établie par une fiduciaire suisse, n’est nullement documentée. Le recourant n’a ainsi pas démontré que son activité contribuerait à la diversification du paysage économique genevois.

La condition de la création de places de travail n’est pas non plus réalisée. En effet, si le recourant allègue qu'à l'avenir il compte engager un employé et distribuerait des mandats externes, aucun élément du dossier ne permet d'étayer son affirmation. On ignore même quel serait le profil de ce collaborateur, sa rémunération, et la nature des mandats. On ne saurait donc considérer que l’activité du recourant permettra la création d’un nombre d’emplois significatif qui aurait des retombées durables positives sur le marché suisse du travail.

La condition des investissements substantiels n’est pas davantage remplie, puisque le recourant n’a apporté aucun élément permettant de retenir qu’il en réaliserait. Au contraire, il a articulé dans son business plan des montants afférents à des « frais de matériel, marchandises et prestations », sans autre précision, de l’ordre de CHF 100'000.- par année complète, un loyer annuel de CHF 12'000.-, soit un montant faible pour des locaux commerciaux, et des charges de véhicules de CHF 5'000.-. En tout état le chiffre articulé s’agissant du plus important de ces trois postes n’est pas démontré et ne peut par conséquent pas être considéré comme réaliste.

Enfin, la condition des nouveaux mandats pour l'économie n’est, elle non plus, pas remplie puisque le recourant n’a apporté aucun élément permettant de retenir qu’il aurait un volume suffisant d’affaires ou de clientèle pour retenir la création effective de nouveaux mandats, poste qui ne figure d’ailleurs pas dans son business plan.

Dans ces circonstances, il n'a pas été démontré à satisfaction de droit que la création de cette société représenterait un intérêt économique suffisant pour le canton de Genève, tant au vu de la création de places de travail et d'investissements que de la diversification de l'économie genevoise. Les arguments invoqués par l’OCIRT et retenus par le TAPI, détaillés et convaincants, relativisent fortement les considérations et explications du recourant, lesquelles ne reposent sur aucune preuve.

Compte tenu de ces considérations, les éléments que fait valoir le recourant sont insuffisants pour considérer que l'octroi d'une autorisation de séjour avec activité lucrative indépendante servirait les intérêts économiques du pays au sens de la loi et de la jurisprudence et que les conditions financières et les exigences relatives à l'exploitation de la société seraient garanties.

Dès lors que les conditions prévues à l'art. 19 LEI ne sont pas réalisées, tant l'OCIRT que le TAPI ont correctement appliqué la loi. L'OCIRT n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation en refusant de donner une suite favorable à la demande du recourant et on ne voit pas sur quels éléments le TAPI aurait fait preuve d’arbitraire.

Dans la mesure où les conditions des art. 19 ss LEI devaient être remplies de manière cumulative, il n’y a pas lieu d'analyser plus en avant si les autres conditions à l'octroi d'une autorisation de séjour en vue d'exercer une activité lucrative indépendante sont remplies (arrêt du TAF du 16 août 2021 F_968/2019 et les références citées), ni l’intégration du recourant.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

7.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité ne sera allouée (art. 87
al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 avril 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. de Lausanne 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Fernando Henrique FERNANDES DE OLIVEIRA, avocat du recourant, à l’office cantonal de l'inspection et des relations du travail, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. RODRIGUEZ ELLWANGER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.