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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3500/2022

ATA/925/2023 du 29.08.2023 ( LAVI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3500/2022-LAVI ATA/925/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 août 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Robert ASSAËL, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI intimée

 



EN FAIT

A. a. Le 8 août 2018 vers 05h00, A______, née le ______ 1976, est sortie de la discothèque « B______» avec trois de ses amies, soit C______, D______et E______. Elles ont alors vu un homme agresser une femme (F______), la poussant dans les escaliers jouxtant la place G______et lui assénant des coups de pied et de poing.

b. A______ et ses amies ont cherché à porter secours à F______, mais ont alors été prises à partie par un groupe de cinq jeunes gens, soit H______, I______, J______, K______et L______, qui les ont à leur tour agressées en leur donnant des coups de pied, de poing et de béquille. À la suite de l'intervention de passants, les agresseurs précités ont pris la fuite.

c. A______ a reçu des coups à la jambe et au thorax. Le jour de l'agression, elle s'est rendue aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci‑après : HUG) où elle a subi des examens, le Ministère public genevois ayant ordonné une expertise.

d. Selon le rapport établi par les HUG le 7 septembre 2018, « au cours de l'examen clinique, effectué le 8 août 2018, dès 10h15, soit environ cinq heures après les faits en question, nous avons mis en évidence un érythème au niveau du thorax et une ecchymose au niveau de la jambe droite, pouvant entrer chronologiquement en relation avec les événements. L'érythème est une lésion fugace, trop peu spécifique pour se déterminer sur son origine précise. Toutefois, l'ecchymose et l'érythème peuvent être interprétés comme la conséquence de traumatismes contondants (heurt/s du corps contre un/des objet/s contondant/s, coup/s reçu/s par un/des objet/s contondant/s, pression/s locale/s ferme/s). Ces lésions sont compatibles avec les déclarations de l'expertisée. Les lésions constatées n'ont pas mis en danger la vie de l'expertisée ».

B. a. Les agresseurs étant de nationalité française et se trouvant sur sol français, ils ont fait l'objet d'une procédure pénale en France. Celle-ci s'est achevée par le prononcé d'un jugement du Tribunal correctionnel de M______ du 19 mai 2020, entré en force.

b. Ce dernier retenait que A______ et E______ avaient été également victimes de violences, d'un coup au tibia pour l'une et d'un coup de pied dans les côtes pour l'autre, par un membre du groupe qu'elles ne parvenaient pas à identifier. Les analyses ADN réalisées sous les ongles de E______ révélaient la présence de l'ADN de I______.

Quatre des cinq prévenus ont été condamnés à des peines privatives de liberté allant de quatre à huit ans. À l'égard de A______ et E______, l'infraction retenue était celle de « violence commise en réunion sans incapacité ».

A______ a conclu au versement d'une somme de EUR 10'000.- à titre de dommages et intérêts en réparation du tort moral et de EUR 5'000.- à titre de dépens (frais irrépétibles au sens de l'art. 475-1 du code de procédure pénale français), et s'est vu allouer EUR 5'000.- au premier titre et EUR 1'500.- au second.

C. a. Le 17 août 2021, A______ a déposé auprès de l'instance d'indemnisation selon la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5 ; ci-après : instance LAVI) du canton de Genève une requête en indemnisation, concluant au versement de CHF 5'500.- (soit EUR 5'000.- au taux du jour de EUR 1.- = CHF 1.10) à titre de réparation du tort moral et CHF 1'650.- (soit EUR 1'500.- au taux du jour de EUR 1 = CHF 1.10) à titre de dépens.

Soumise à une expertise psychologique en mai 2019, il en était ressorti qu'elle souffrait d'un syndrome post-traumatique modéré. Selon l'expert, on retrouvait le souvenir de l'événement s'imposant de façon inopinée et une anxiété modérée avec quelques troubles du sommeil et un sentiment généralisé d'insécurité, avec des évitements phobiques du lieu de la scène, sursauts et autres réactions d'hypervigilance voire de méfiance relationnelle. Ce changement d'attitude était confirmé par des attestations écrites par deux de ses amies.

Aucun des condamnés ne l'avait indemnisée à ce jour.

b. Le 7 octobre 2021, A______ a été entendue par l'instance d'indemnisation LAVI.

Physiquement, elle n'avait pas eu de problème, c'était plutôt sur le plan psychologique. En 2020, elle s'était rendue au centre LAVI et avait bénéficié de deux séances de suivi, l'une avant et l'autre après le procès. Elle n'y pensait plus tous les jours mais elle n'arrivait toujours pas à sortir seule et était inquiète lorsqu'il y avait trop de gens ou trop de bruit autour d'elle. Elle travaillait tard, terminait à 3h00 du matin et rentrait en voiture à son domicile. Des collègues l'accompagnaient souvent jusqu'au parking. Elle ne pensait pas qu'en parler avec un psychologue puisse l'aider, et ne se sentait pas à l'aise d'en parler. Elle avait entrepris de s'initier à l'autodéfense mais sentait qu'elle n'avait « pas la carrure ». Elle se sentirait probablement paralysée en cas d'agression. Elle avait eu un arrêt de travail de deux semaines après l'agression mais était quand même allée travailler car cela l'aidait, plutôt que de tourner en rond. Sa vie avait changé depuis l'agression.

c. Par décision du 7 octobre 2021, l'instance LAVI a admis partiellement la requête d'indemnisation.

L'indemnisation des dépens (frais d'avocat et autres frais y relatifs) visés par la demande était du ressort des centres de consultation LAVI et non de l'instance LAVI.

S'agissant de la demande d'indemnité pour tort moral, A______ n'avait été que très légèrement blessée physiquement. Elle avait pu regagner son domicile le jour même avec un traitement antalgique et un arrêt de travail de deux semaines. À cet égard, elle avait cependant recommencé presque immédiatement à travailler car cela l'aidait, plutôt que de tourner en rond. Elle n'avait pas entamé de suivi psychothérapeutique, mais avait bénéficié de deux séances auprès du centre LAVI. Il ressortait de l'expertise psychologique effectuée en 2019 qu'elle avait souffert d'un syndrome post-traumatique modéré et d'une symptomatologie dépressive réactionnelle, lesquels étaient encore présents dix mois après les faits.

Au vu des éléments précités et compte tenu de la pratique de l'autorité cantonale en matière d'indemnisation, une somme de CHF 1'000.- était de nature à tenir compte de manière équitable et proportionnée du traumatisme subi par A______.

D. a. Par acte posté le 21 octobre 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à son annulation, au versement par l'État de Genève d'une indemnité de CHF 5'500.- au titre du tort moral et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

L'instance LAVI avait retenu à tort qu'une somme de CHF 1'000.- serait de nature à tenir compte de manière équitable et proportionnée du traumatisme subi. L'expertise de 2019 avait en effet notamment retenu que sa qualité de vie après l'événement paraissait avoir fondamentalement changé, notamment au niveau relationnel, avec un sentiment d'être incomprise et abandonnée des autres, ce qui était confirmé par les témoignages écrits de ses amies. L'état de stress post‑traumatique avait donc généré un changement important et durable de sa personnalité.

Le montant accordé à titre de réparation du tort moral n'était ainsi ni proportionnel à l'atteinte subie, ni équitable.

b. Le 14 novembre 2022, l'instance LAVI s'est référée à sa décision et a renoncé à formuler des observations.

c. Le 30 novembre 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 13 janvier 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 13 janvier 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions sans formuler d'observations complémentaires.

e. L'instance LAVI ne s'est quant à elle pas manifestée.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 19 de la loi d'application de la LAVI du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10).

2.             La conclusion en indemnisation des dépens (frais irrépétibles au sens de l'art. 475-1 du code de procédure pénale français) n'a pas été maintenue devant la chambre de céans. La décision attaquée est donc entrée en force à cet égard et ce point ne sera pas examiné plus avant dans le présent arrêt.

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b) ; les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

Il est incontesté que la recourante a la qualité de victime (art. 1 al. 1 LAVI) et que le délai de péremption de cinq ans de l'art. 25 al. 1 LAVI a été respecté.

4.             Il découle de ce qui précède que seule est litigieuse la quotité de la réparation morale allouée en application des art. 22 ss LAVI.

4.1 Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 de loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) s'appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6742).

Aux termes de l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale. Par ailleurs, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d'argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l'atteinte le justifie et que l'auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement (art. 49 al. 1 CO).

4.2 Le système d'indemnisation du tort moral instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique est subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation dont la victime dispose déjà (art. 4 LAVI ; ATF 131 II 121 consid. 2 ; 123 II 425 consid. 4b). Ainsi, celui qui sollicite une indemnité doit rendre vraisemblable que l'auteur de l'infraction ne verse aucune prestation ou ne verse que des prestations insuffisantes, à moins que, compte tenu des circonstances, on ne puisse pas attendre de lui qu'il effectue des démarches en vue d'obtenir des prestations de tiers (art. 4 al. 1 et 2 LAVI ; ATF 125 II 169 consid. 2b.cc).

4.3 La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 ; 129 II 312 consid. 2.3 ; 125 II 169 consid. 2b/aa). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3 ; ATA/1284/2021 du 23 novembre 2021 consid. 2b ; ATA/973/2015 du 22 septembre 2015 consid. 4c).

4.4 La chambre administrative se fonde sur la jurisprudence rendue en la matière, et, vu le renvoi opéré par l’art. 22 al. 1 LAVI, sur la jurisprudence rendue en matière d’indemnisation du tort moral sur la base de l’art. 49 CO (SJ 2003 II p. 7) ou, le cas échéant, l’art. 47 CO, étant précisé que, au sens de cette disposition, des souffrances psychiques équivalent à des lésions corporelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012 consid. 3.1.1). Le système d’indemnisation du tort moral prévu par la LAVI répond à l’idée d’une prestation d’assistance et non pas à celle d’une responsabilité de l’État ; la jurisprudence a ainsi rappelé que l’utilisation des critères du droit privé est en principe justifiée, mais que l’instance LAVI peut au besoin s’en écarter (ATF 129 II 312 consid 2.3 ; 128 II 49 consid. 4.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_244/2015 du 7 août 2015 consid. 4.1) ou même refuser le versement d’une réparation morale. Une réduction du montant de l’indemnité LAVI par rapport à celle octroyée selon le droit privé peut en particulier résulter du fait que la première ne peut pas tenir compte des circonstances propres à l’auteur de l’infraction (ATF 132 II 117 consid. 2.2.4 et 2.4.3).

L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte – ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle‑ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances – et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2 et les références citées). Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 116 II 299 consid. 5a). Il est nécessaire de préciser l'ensemble des circonstances et de s'attacher surtout aux souffrances ayant résulté de l'atteinte. Les souffrances psychologiques résultant de l'agression, tel le sentiment d'insécurité ou la perte de confiance en soi, ne doivent pas être négligées (ATA/222/2023 du 7 mars 2023 consid. 5b ; ATA/1291/2022 du 20 décembre 2022 consid. 7c).

En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 117 II 60 consid. 4a/aa et les références citées). L’indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d’argent. C’est pourquoi son évaluation chiffrée ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l’indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l’atteinte subie et il évitera que la somme accordée n’apparaisse dérisoire à la victime. S’il s’inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 ; 125 III 269 consid. 2a ; 118 II 410 consid. 2a).

En matière de réparation du tort moral, une comparaison avec d'autres causes ne doit ainsi intervenir qu'avec circonspection, puisque le tort moral ressenti dépend de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Cela étant, une comparaison peut se révéler, suivant les occurrences, un élément utile d'orientation (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 ; 130 III 699 consid. 5.1).

4.5 Le Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d'aide aux victimes d'infractions à l'intention des autorités cantonales en charge de l'octroi de la réparation morale à titre de LAVI, rédigé en octobre 2008 (ci-après : le guide) a été entièrement remanié et s'intitule désormais « Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale selon la LAVI » du 3 octobre 2019 (https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/aktuell/news/2019/2019-10-03.html).

Il s'adresse aux autorités d'indemnisation des victimes et aux professionnels chargés d'accorder une réparation morale au sens de la LAVI. Le guide concerne principalement la prétention à réparation morale et la fixation de son montant au sens de la LAVI. Il a pour objectif de permettre l'application uniforme de la LAVI en matière de réparation morale (p. 2).

Les fourchettes du guide aménagent une marge de manœuvre suffisante pour qu'il soit tenu compte des particularités de chaque cas d'espèce. La difficulté réside surtout dans le calcul du montant approprié à l'intérieur de ces fourchettes. La prise en considération de décisions antérieures semblables est dès lors essentielle pour garantir la sécurité et l'application uniforme du droit. Aussi, malgré la grande diversité des cas, certains facteurs ci-après sont récurrents : parmi les blessures légères, on range les contusions, les plaies par déchirure, les lésions dentaires, les morsures superficielles, les petites cicatrices et les troubles psychiques causés principalement par des atteintes inattendues. La fourchette se situe ici entre CHF 0.- et CHF 1'000.- ; en cas de blessures, dont la guérison se déroule le plus souvent sans complication telles que des fractures, les montants se situent entre CHF 1'000.- et CHF 3'000.-. S'il s'agit de blessures infligées par couteau ou par balle, la réparation peut s'élever jusqu'à CHF 5'000.- ; dans la tranche allant de CHF 5'000.- à CHF 10'000.-, on trouve surtout des lésions occasionnées à des organes (rate, foie, yeux) qui nécessitent un processus de guérison plus long et plus complexe et qui peuvent laisser des séquelles, telles une diminution de l'acuité visuelle, une paralysie intestinale ou une prédisposition accrue aux infections (Meret BAUMANN/Blanca ANABITARTE/Sandra MÜLLER GMÜNDER, La pratique en matière de réparation morale à titre d'aide aux victimes - Fixation des montants de la réparation morale selon la LAVI révisée, Jusletter du 8 juin 2015, p. 27 s).

Par ailleurs, selon le guide, les atteintes à l’intégrité physique de peu de gravité ne donnent pas droit à réparation morale, sauf en présence de circonstances aggravantes. Ces dernières sont présentes lorsque les lésions corporelles ont été infligées dans des circonstances traumatiques, ou bien ont laissé des séquelles psychiques durables. On peut par exemple aussi considérer comme circonstances aggravantes la mise en danger de la vie, des répercussions dramatiques sur la vie privée et professionnelle de la victime, un séjour prolongé à l’hôpital, plusieurs séjours, ou encore des douleurs persistantes ou aiguës. Une indemnité jusqu'à CHF 5'000.- correspond à des atteintes corporelles non négligeables, en voie de guérison, ainsi que des atteintes de peu de gravité avec circonstances aggravantes, comme par exemple des fractures ou des commotions cérébrales (p. 10). Lorsque l'atteinte grave à l'intégrité psychique va de pair avec une atteinte à l'intégrité physique ou sexuelle, elle est une conséquence ou une circonstance aggravante de cette dernière, auquel cas la prétention et le montant de la réparation seront déterminés par les fourchettes applicables à la première atteinte. On procède alors comme pour l'application du principe de l'aggravation des peines (p. 14).

Les critères de fixation du montant sont, selon le guide, les conséquences directes de l'acte (notamment l'intensité, l'ampleur et la durée des séquelles physiques telles que les douleurs par exemple, des séquelles psychiques, la durée du traitement, de la psychothérapie, l'altération considérable du mode de vie), le déroulement de l'acte et ses circonstances (notamment l'acte qualifié avec utilisation d'armes ou d'autres objets dangereux, l'ampleur et l'intensité de violence, la commission de l'acte dans un cadre protégé tel qu'un logement) et la situation de la victime (âge notamment ; p. 11).

Pour les victimes ayant subi une atteinte grave à l'intégrité psychique, la pratique pour la détermination de la gravité de cette atteinte consiste à partir de la gravité ou des circonstances concrètes de l'infraction et à en tirer des conclusions sur les répercussions notoires. Ainsi, pour une atteinte à l'intégrité psychique non négligeable même si temporaire avec circonstances aggravantes déterminées par l'acte, par exemple utilisation d'armes ou d'autres objets dangereux, commission en groupe, acte commis dans un cadre protégé, récidive : longue période et fréquence, le guide prévoit une réparation morale allant jusqu'à un montant de CHF 5'000.- (p. 15).

Les critères de fixation du montant sont, selon le guide, les conséquences directes de l'acte (notamment l'intensité, l'ampleur et la durée des séquelles psychiques, la durée de la psychothérapie, la mise en danger de la vie et la durée de persistance de ce danger, l'altération considérable du mode de vie, les conséquences sur la vie privée ou professionnelle), le déroulement de l'acte et les circonstances (notamment l'acte qualifié, l'ampleur et l'intensité de la violence, la durée et la fréquence de l'acte, l'acte commis dans un cadre protégé), ainsi que la situation de la victime (l'âge en particulier une victime mineure, la vulnérabilité particulière et la relation de confiance ou de dépendance entre la victime et l'auteur ; p. 16).

Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d'application. Toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles correspondent en principe à la volonté du législateur et constituent une référence permettant d'assurer une certaine égalité de traitement, tant que le Conseil fédéral n'impose pas de tarif en application de l'art. 45 al. 3 LAVI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3). Dans un souci d'application uniforme et équitable de la loi, il peut être tenu compte des recommandations qui y sont mentionnées (ATA/222/2023 précité consid. 5e).

4.6 Constitue un excès négatif du pouvoir d'appréciation le fait que l'autorité se considère comme liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou encore qu'elle renonce d'emblée en tout ou partie à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1), ou qu’elle applique des solutions trop schématiques, ne tenant pas compte des particularités du cas d’espèce (ATA/926/2021 du 7 septembre 2021 consid. 6b ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 514). L’autorité commet un abus de son pouvoir d'appréciation lorsque, tout en respectant les conditions et les limites légales, elle ne se fonde pas sur des motifs sérieux et objectifs, se laisse guider par des éléments non pertinents ou étrangers au but des règles ou viole des principes généraux tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; ATA/1349/2017 du 3 octobre 2017 consid. 10 ; ATA/1253/2015 du 24 novembre 2015 consid. 5d ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2015, p. 566).

4.7 En l'espèce, la recourante a rendu vraisemblable que ses agresseurs ne lui verseraient aucune prestation (art. 4 LAVI).

L'atteinte physique subie par la recourante a été de peu de gravité. Elle a été qualifiée par les autorités judiciaires françaises de violence commise en réunion sans incapacité. La recourante a pu rentrer à son domicile le jour même et a repris le travail presque immédiatement bien qu'elle ait disposé d'un certificat médical d'arrêt de travail de deux semaines. On ne décèle de plus pas dans son cas de circonstances aggravantes, telles que douleurs persistantes ou séjours hospitaliers longs ou multiples.

Quant à l'atteinte psychique, la recourante a renoncé à suivre un traitement psychothérapeutique et n'a pas eu besoin d'un traitement médicamenteux. Certes, les circonstances de l'infraction, à savoir une agression violente commise en bande, ne sont pas à négliger quant à leur impact psychologique sur la recourante. Cela étant, si la recourante a subi un stress post-traumatique modéré, sa vie n'a pas été mise en danger, et elle n'a pas estimé nécessaire d'entreprendre un suivi psychothérapeutique. Son mode de vie n'a pas non plus été considérablement altéré puisqu'elle a notamment pu continuer à travailler. Lors de son audition par l'instance intimée, elle a mentionné qu'elle n'arrivait toujours pas à sortir seule, qu'elle était inquiète lorsqu'il y avait trop de gens ou trop de bruit autour d'elle, et qu'elle devait fréquemment se faire accompagner par des collègues lorsqu'elle regagnait de nuit sa voiture au parking. Il s'agit là de séquelles que la chambre de céans n'entend pas minimiser, mais qui ne s'apparentent pas à un changement considérable de personnalité ou de mode de vie. Enfin, les critères relatifs à sa situation, à savoir l'âge ou la vulnérabilité ou la dépendance à l'égard de l'auteur sont sans particularité, puisqu'elle était âgée au moment des faits de 41 ans, sans vulnérabilité spéciale ni dépendance à l'égard des auteurs de l'agression, qu'elle ne connaissait pas.

Les conclusions auxquelles est parvenue l'autorité intimée ne sont donc pas critiquables, à savoir qu'une réparation morale au sens de l'art. 22 LAVI d'un montant de CHF 1'000.- était de nature à tenir compte de manière équitable et proportionnée du traumatisme subi.

Il s'ensuit que le recours, mal fondé, sera rejeté.

5.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 30 al. 1 LAVI et 87 al. 1 LPA). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 octobre 2022 par A______ contre la décision de l'instance d'indemnisation LAVI du 7 octobre 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert ASSAËL, avocat de la recourante, à l'instance d'indemnisation LAVI ainsi qu'à l'office fédéral de la justice.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :