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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3715/2022

ATA/791/2023 du 18.07.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 21.08.2023, rendu le 26.01.2024, REJETE, 2C_439/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3715/2022-EXPLOI ATA/791/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 juillet 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Manuel BOLIVAR, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTION ET DU NUMÉRIQUE intimé



EN FAIT

A. a. Le 4 juin 2013, A______, ressortissante espagnole, a déposé à la brigade de lutte contre la traite d’êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI) un formulaire d’annonce pour l’exploitation d'une agence d'escorte nommée « B______ » à l'adresse C______ Genève. Elle était désignée comme étant la personne responsable de cette agence.

Elle était également au bénéfice d'une convention quadripartite de gestion concernant un salon érotique au D______ Genève, depuis le 9 décembre 2014. Elle détenait 25% du salon avec trois autres personnes dont E______. Les tâches de chacun étaient listées. Cet établissement n'est plus exploité.

Le 10 août 2015, elle a déposé à la BTPI un formulaire d'annonce pour l'exploitation d'un salon nommé « F______ » ou « G______ » à l'adresse ______ Genève. Elle était désignée comme étant la personne responsable du salon. Elle en a fait de même, également le 10 août 2015, en vue de l'exploitation d'un salon « H______ » au _______ Genève.

b. Par décision du 5 mars 2021, le département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu depuis lors le département des institutions et du numérique (ci-après : le département), a infligé à A______ un avertissement et une amende de CHF 500.-.

Un contrôle du salon de massages « H______ » le 30 septembre 2021 avait mis en évidence qu'une personne s'adonnait à la prostitution en étant démunie d'une autorisation de travail valable.

Le 24 juin 2021, elle a fait l'objet d'un autre avertissement pour avoir manqué à son obligation de mise en œuvre d'un plan de protection visant à lutter contre la prorogation du Covid-19.

c. Le 21 septembre 2021, la BTPI a établi un rapport de contravention à la suite d'un contrôle effectué le 20 septembre précédent dans le salon « H______ ».

Une personne sur place exerçait la prostitution sans disposer d'une autorisation de travail valable.

A______ a été déclarée en contravention.

d. Le 28 novembre 2021, la BTPI a établi un rapport de renseignements à la suite de contrôles de divers salons de massages dont « H______ » et « F______ ».

Les divers éléments issus des investigations démontraient l'implication de E______ dans la gestion effective des salons de massages. Deux auditions démontraient que les salons de massages « H______ » et « F______ » servaient de façade officielle à la gestion de dizaines de travailleuses du sexe, déployant leur activité dans les appartements privés.

Entendue le 13 novembre 2021, A______ a expliqué, en substance, gérer les salons de massages avec l'aide de E______. Pour ce qui était des revenus des salons de massages, elle faisait 50/50 avec E______. Aucun contrat de travail n'avait été établi entre elle et lui. Toutes les transactions financières se faisaient de la main à la main. Les vérifications entreprises auprès de l'office des poursuites et faillites genevois avaient en outre permis d'établir que A______ faisait l'objet de seize actes de défaut de biens pour un montant total de CHF 46'454.32.

Le même jour, E______ a indiqué être le propriétaire de trois salons de massages, mais nié en être le responsable. A______ et une autre personne étaient ses associées et géraient leurs établissements respectifs. Il reconnaissait qu'aucun contrat de travail n'avait été établi entre eux.

Le détail des auditions sera repris dans la partie en droit en tant que de besoin.

e. Le 22 décembre 2021, la BTPI a établi un rapport de renseignements complémentaire dont il ressort qu'une des travailleuses du sexe présente dans le salon de massages « F______ » ne figurait pas dans le livre de police.

f. Le 8 février 2022, la BTPI a dressé un nouveau rapport de renseignements concernant A______ dont il apparaissait qu'elle faisait l'objet de seize actes de défaut de biens pour un montant total de CHF 46'454.32.

g. Les 20 et 21 juillet 2022, la BTPI a établi deux nouveaux rapports de renseignements selon lesquels les salons de massages « H______ » et « F______ » n'avaient pas reçu les préavis positifs du département du territoire (ci-après : DT) en vue de l'exploitation d'un salon de prostitution.

B. a. Le 21 février 2022, le département a informé A______, qu'au vu des rapports de renseignements établis par la BTPI, il envisageait de prononcer la fermeture définitive de ses salons compte tenu de son insolvabilité et dans la mesure où elle persistait à enfreindre la loi alors qu'elle avait déjà fait l'objet de trois avertissements depuis 2016.

b. Le 21 mars 2022, A______ a contesté les éléments ressortant du rapport de contravention établi le 21 septembre 2021. La travailleuse du sexe contrôlée était en possession d'une autorisation de travail valable. Elle avait fait opposition à l'ordonnance pénale qui avait fait suite à ce rapport.

Les prescriptions de la loi par rapport à la tenue du livre de police avaient été respectées.

Elle a produit un extrait de poursuites vierge d'actes de défaut de biens. Elle remplissait dès lors toutes les conditions personnelles prévues par la loi.

Elle revenait sur les trois avertissements mentionnés dans le courrier précité et concluait à ce qu'aucune sanction administrative lui soit infligée. Une fermeture définitive de ses salons paraissait infondée, disproportionnée et contraire au droit.

c. Le 25 avril 2022, le département a décidé de suspendre la procédure administrative jusqu'à droit connu sur l'opposition faite par A______ à la contravention qu'elle avait reçue par rapport à son manquement supposé d'annoncer une employée étrangère.

d. Le 2 juin 2022, le département a prononcé la reprise immédiate de la procédure administrative après avoir pris connaissance des rapports de renseignements établis par la BTPI.

Le département reprochait ainsi à A______ de servir de prête-nom à E______ pour l'exploitation des salons de massages « F______ » et « H______ » de même que le « B______ », à savoir de les exploiter sous son contrôle, en son nom et pour son compte, respectivement d'avoir manqué à son obligation de les gérer de manière personnelle et effective.

Les déclarations concordantes et les observations faites par la BTPI démontraient qu'elle n'était pas la véritable « exploitante » de ces salons et de l'agence, respectivement qu'elle n'en avait pas la capacité, compte tenu notamment de l'ignorance alléguée de ses obligations en matière fiscale et d'assurances sociales, qui rejoignaient les nombreuses autres lacunes constatées concernant ses obligations en matière de législation sur la prostitution.

E______ ne remplissant pas lui-même les conditions d'exploitation d'un salon de massages/agence d'escorte, celui-ci avait fait appel à A______ pour exploiter ces salons, dès lors qu'elle les remplissait à l'époque (avant d'accumuler des actes de défauts de biens) et il utilisait ces salons pour exploiter divers locaux destinés au logement, à la manière d'un salon de massages. Or, c'était lui qui en assurait la gestion personnelle et effective, alors qu'il n'en avait pas l'autorisation et qu'il ne remplissait pas les conditions légales pour être exploitant de salons de massages.

Le département comptait rendre une décision globale à l'encontre de A______ tenant compte de l'ensemble des rapports de police en cours de traitement. Il entendait prononcer la fermeture définitive des salons et de l'agence d'escorte pendant une durée de dix ans ainsi qu'une amende administrative.

Un délai au 4 juillet 2022 lui était imparti pour faire valoir son droit d'être entendue.

e. Dans le délai prolongé au 12 juillet 2022, A______ a contesté toute situation de prête-nom. E______ mettait les locaux à disposition et ses contacts dans le secteur de la prostitution. De son côté, elle exerçait l'activité de responsable de salons et de l'agence, de manière personnelle et effective.

Elle sollicitait de pouvoir exercer son droit d'être entendue sur les rapports « en cours de traitement » avant qu'une « décision globale » ne soit rendue.

Elle a conclu préalablement à la suspension de la procédure administrative compte tenu de la procédure pénale P/1______/2021 pendante pour les mêmes faits. Les moyens de preuve sollicités, tels que la production de plusieurs documents et l'audition de diverses personnes, devaient être acceptés et elle devait pouvoir se déterminer sur les pièces en main de l'autorité.

f. Le 19 août 2022, le département a transmis à A______ les rapports de la BTPI concernant les prévis négatifs du département du territoire (ci-après : DT). Les demandes d'audition étaient écartées dans la mesure où les faits étaient suffisamment établis et la plupart des collaborateurs ne travaillait plus à la BTPI.

Le département envisageait de prononcer la fermeture définitive des salons de massages « F______ » et « H______ », ainsi que l'agence d'escorte, principalement, au motif que A______ servait de prête-nom à E______, n'exploitait pas ces établissements de manière personnelle et effective, subsidiairement, au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions personnelles prévues par la loi, compte tenu du préavis négatif du DT quant à l'affectation des locaux.

Un délai au 31 août 2022 lui était imparti pour se déterminer.

g. Le 9 septembre 2022, A______ a réitéré le fait qu'elle gérait de manière personnelle et effective les deux salons et l'agence. Les actes d'instruction requis devaient être accueillis favorablement.

h. Le 20 septembre 2022, le département a transmis à A______ les dossiers administratifs concernant l'ouverture des salons de massages « F______ » et « H______ », ainsi que l'agence d'escorte, ainsi que les procès-verbaux des auditions de I______, chauffeur intervenant pour les trois salons de massages, et d'une travailleuse du sexe.

La BTPI ne tenait pas un « registre » des rendez-vous pour chaque salon ou exploitant. Elle ne détenait pas non plus la liste des connexions pour l'établissement des annonces auprès du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM).

i. Le 30 septembre 2022, A______ s'est déterminée sur les procès-verbaux transmis et a demandé, une nouvelle fois, la mise en œuvre de mesures d'instruction.

j. Par décision du 10 octobre 2022, le département a ordonné la fermeture des salons « F______ » et « H______ », ainsi que la fermeture de l'agence d'escorte. Il a également interdit à A______ d'exploiter tout autre salon de massages ou agence d'escorte pendant dix ans et lui a infligé une amende administrative de CHF 2'000.-.

Les faits pertinents sous l'angle administratif étaient suffisamment établis et indépendants de toute qualification ou condamnation pénale, de sorte que la suspension de la procédure administrative ne se justifiait pas. Les manquements reprochés étaient suffisamment établis et les demandes d'actes d'instruction complémentaires n'étaient pas de nature à modifier l'appréciation juridique de la situation.

Le département renonçait à retenir les infractions en lien avec l'obligation d'annonce de tout employé étranger, dès lors que la procédure était encore en cours auprès du service des contraventions.

A______ avait toutefois enfreint :

-          l'art. 11 de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49), pour avoir omis d'informer la BTPI de son insolvabilité. Cette violation était non seulement avérée mais admise, étant précisé qu'elle avait allégué ignorer que la LProst imposait un devoir de solvabilité et de communication aux responsables de salons et d'agences ;

-          l'art. 12 let. a LProst, dès lors qu'une travailleuse du sexe n'était pas inscrite au registre lors du contrôle du 28 (recte : 13) novembre 2021. Ce fait était également admis, dans la mesure où elle avait allégué qu'elle avait dû s'inscrire après le contrôle de police ;

-          l'art. 12 let. g LProst pour avoir omis de gérer les établissements susmentionnés de manière personnelle et surtout effective, ce qu'elle contestait.

Il était établi que E______ ne pouvait pas exploiter un établissement soumis à la LProst compte tenu de son insolvabilité caractérisée. De plus, le dossier démontrait qu'elle n'exploitait pas à titre personnel – et surtout pas de manière effective – les trois établissements. Elle assumait, à titre principal, diverses tâches en lien avec l'exploitation des salons (la tenue du registre de police, même si certaines inscriptions étaient le fait de travailleuse du sexe elle-même, la plupart des demandes informatiques auprès du SEM). Si le nom de contact fourni au SEM pour effectuer les annonces était bien celui de A______, le numéro de téléphone indiqué était celui de E______. Ce dernier avait également l'accès à l'adresse courriel transmise aux autorités et il lui transférait des courriels, réceptionnés sur cette adresse. Elle avait expliqué que c'était parce qu'il « gèr[ait] tout ce qui [était] administratif » et parce qu'elle n'était « pas très forte en français ». Partant, en cas de problème, c'était bien lui que les autorités migratoires appelaient et contactaient.

Sur le plan des quittances, elle avait allégué, sans le démontrer, qu'elle les établissait elle-même. Cette question pouvait en toute hypothèse rester ouverte, dès lors qu'il était démontré que A______ n'assurait pas la direction de fait des établissements concernés, respectivement qu'elle n'en avait pas les capacités :

-          elle n'était ni détentrice ni codétentrice des baux relatifs aux salons. E______ en était le seul détenteur. Il détenait les baux originaux et se chargeait du paiement des loyers, ce qu'elle ne contestait pas ;

-          la comptabilité était gérée par E______, qui avait accès à son ordinateur, ce qui était établi et non contesté ;

-          le maintien de l'ordre public au sein des salons était assuré de manière prépondérante par E______. Ainsi qu'il l'avait affirmé, il se chargeait de la « sécurité » et c'était lui qui intervenait en cas de problèmes avec des clients.

En outre, et la BTPI l'avait également constaté, c'était lui que les travailleuses du sexe souhaitaient appeler en cas de problème constatés durant les contrôles :

-          E______ se chargeait de la majorité des recrutements ; les filles le contactaient. Il se chargeait ensuite de les recevoir, de leur expliquer les conditions de travail, de les amener aux cours d'ASPASIE et pour leur enregistrement à la BTPI. Pour ce faire, il recourait parfois aux services de chauffeurs, ce qu'elle ne contestait pas ;

-          le choix des travailleuses du sexe se faisait principalement par E______, comme en avaient attesté des travailleuses du sexe dont le physique ou la photo ne lui avaient pas convenu ;

-          les annonces étaient principalement gérées par E______, comme tous deux l'avaient reconnu ;

-          sa méconnaissance de la LProst et de ses obligations de responsable était notamment démontrée par les nombreux avertissements dont elle avait fait l'objet, l'ignorance qu'elle avait invoquée quant à l'obligation de solvabilité que la loi imposait aux responsables, son ignorance du devoir d'informer la BTPI de tout changement intervenant depuis l'ouverture du salon, étant précisé qu'elle avait omis de l'informer non seulement des actes de défauts de biens, mais également de son changement d'adresse. Ses déterminations étaient muettes sur ces points ;

-          A______ avait reconnu dépendre financièrement de « l'aide » de E______ lors de son audition par la BTPI et elle n'avait plus évoqué cet aspect dans ses observations ultérieures ;

-          elle avait besoin d'une assistance pour « gérer » la plupart des aspects administratifs de sa vie professionnelle et privée, comme cela résultait du mandat confié à son précédent conseil (assainissement de sa situation financière, changement d'adresse, scolarité de sa fille, permis de séjour de sa maman, cotisations sociales, impôts ) ;

-          elle n'avait pas de compétences en matière fiscale et n'avait jamais rempli de déclaration d'impôts ; c'était « E______ » qui s'en occupait ;

-          il était également établi – dès lors qu'elle avait revendiqué être en charge de tous les rendez-vous auprès de la BTPI pour les travailleuses du sexe annoncées dans ses salons – qu'elle avait annoncé qu'une travailleuse du sexe allait travailler au sein du « F______ », alors qu'il était prévu, depuis le début, qu'elle travaillerait en réalité dans l'un des appartements gérés par E______.

A______ avait contribué à induire la police en erreur, quant au lieu de travail de certaines travailleuses du sexe, en offrant ses salons comme « vitrine officielle » pour la police alors qu'elles travaillaient, en réalité, dans des appartements privés exploités comme des salons.

Même en admettant que l’intéressée remplissait certaines tâches de manière principale, il devait être retenu qu'elle ne gérait pas de manière effective le salon, dès lors que toutes les tâches principales liées à son exploitation, le recrutement des travailleuses du sexe et leurs conditions de travail étaient assumées par E______. Les tâches pour lesquelles A______ dépendait concrètement de lui étaient toutes celles liées à la bonne marche des établissements. Le rôle central de E______ était loin de se limiter au rôle de « réparateur de machine à laver » ou de « gestionnaire de publicité » annoncé lors de l'ouverture d'un autre salon à la BTPI. C'était lui qui assurait la direction de fait de toutes ces entités. Les tâches – accessoires – qu'elle accomplissait, respectivement déclarait accomplir, ne faisaient pas d'elle la dirigeante de fait de ces entités.

Comme elle l'affirmait, elle n'avait pas les « compétences » dans tous les domaines pertinents pour exploiter une entreprise en la forme commerciale, que ce soit en matière fiscale, d'assurances sociales ou de législation topique applicable, soit la LProst.

Dans la mesure où elle n'assumait pas la direction de fait de ces établissements et qu'elle n'avait pas la capacité à l'assumer de manière effective, l'art. 12 let. g LProst était violé.

De surcroît, en l'absence de préavis favorable du DT, les locaux du « F______ » et « H______ » ne remplissaient pas l'une des conditions essentielles à la poursuite de l'exploitation.

Les mesures prononcées tenaient compte des trois avertissements dont elle avait fait l'objet depuis 2016.

C. a. Par acte du 10 novembre 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant, préalablement, à l'audition de I______ et à l'audition des inspecteurs de la BTPI qui avaient été en charge des procédures administratives en lien avec l'ouverture des salons « F______ » et « H______ » et de l'agence « B______ ». Par entraide administrative, il convenait d'ordonner l'apport des données informatiques en lien avec les annonces adressées au SEM qu'elle avait faites pour les travailleuses des salons « F______ » et « H______ » et de l'agence « B______ ». Le département devait enfin indiquer sa pratique relative aux délais qu'il avait accordés aux autres exploitants en lien avec le changement d'affectation des locaux. Principalement, la décision attaquée devait être annulée. Plus subsidiairement, la procédure devait être suspendue jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/1______/2021.

Dans sa décision, le département reconnaissait qu'elle effectuait l'ensemble des tâches essentielles en lien avec la responsabilité des salons de massages « F______ » et « H______ » ainsi qu'avec l'agence « B______ ». Ces tâches consistaient en la prise en charge des activités administratives du salon (s'occuper des registres, des quittances, des rendez-vous avec la BTPI et des démarches en lien avec les annonces au SEM). Il s'agissait également d'assurer une présence physique dans les lieux de prostitution, de vérifier l'identité des prostituées et de récolter l'argent auprès de celles-ci. Il était dès lors contraire au droit de considérer que cette situation relevait du prête-nom. Il ne pouvait être considéré que le « recrutement » des travailleuses du sexe constituait une tâche essentielle en lien avec la responsabilité de la gestion d'un salon de prostitution. Il en était de même s'agissant des « conditions de travail » des prostituées, puisque celles-ci exerçaient leur activité de manière indépendante. Il n'y avait pas de recrutement ; les travailleuses du sexe étaient en contact avec des personnes actives dans le milieu de la prostitution et prenaient contact avec A______ ou E______ ou encore par « bouche-à-oreille ». Les conditions d'activité dans les salons étaient toujours identiques (40% sollicités des prostituées), les autres frais étant à la charge du salon. Les personnes entendues par la police avaient confirmé avoir été en contact avec elle et qu'elle leur avait expliqué les modalités d'exercice de la prostitution dans ses salons. Il n'y avait dès lors pas de pouvoir décisionnel, puisqu'il n'y avait aucun pouvoir hiérarchique entre le gérant du salon de prostitution et les personnes qui y travaillaient.

Les auditions à la police avaient été faites hors de sa présence et sans être représentée. Certaines prostituées n'avaient jamais été actives dans ses salons gérés. Il était dès lors douteux que le département puisse fonder le reproche d'absence de gestion effective et personnelle des salons sur cette base. Plusieurs travailleuses du sexe ayant fréquenté les salons avaient confirmé qu'elle était la responsable de ceux-ci et qu'elle prenait en charge l'ensemble des tâches administratives liées à leur exploitation. Le département n'avait donc pas correctement apprécié les faits pertinents. Les activités de E______ n'avaient pas pour effet d'établir une situation de prête-nom.

En toute bonne foi, elle avait présenté, lors de l'ouverture des salons et de l'agence d'escorte, les modalités de sa collaboration avec E______. Le principe de la confiance aurait exigé du département qu'il lui accorde un temps d'adaptation pour qu'elle cesse ou limite cette collaboration.

Il était insoutenable de retenir une situation de prête-nom au motif que E______ la soutenait dans ses tâches administratives et qu'il lui arrivait de l'aider financièrement. Il s'agissait en effet uniquement de déterminer si les tâches essentielles dans la gestion des salons étaient réalisées par la recourante. De plus, il était possible de gérer un salon de massages tout en ayant besoin d'aide pour tenir une comptabilité ou remplir une déclaration d'impôts.

Elle reconnaissait une faute s'agissant des poursuites et actes de défaut de biens. Néanmoins, sa situation financière était désormais assainie, ce que le département savait. Le prononcé d'un avertissement ou d'une amende était suffisant pour sanctionner son comportement. Une interdiction d'être responsable d'un salon érotique ou d'une agence d'escorte, pour une si longue durée, était excessive et disproportionnée.

Dans ses observations présentées au département, elle avait communiqué son engagement à respecter toute mesure que celui-ci aurait considéré comme nécessaire afin d'éviter une situation de prête-nom. De telles mesures auraient constitué un moyen moins incisif pour respecter la loi. La décision attaquée était donc disproportionnée et contraire au principe de la confiance.

L'interdiction d'exploiter pour une période de dix ans était disproportionnée dans la mesure où le département admettait qu’elle effectuait de nombreuses tâches et qu'elle avait agi de bonne foi, puisque sa collaboration avec E______ avait été annoncée dès l'ouverture des salons et que des travailleuses du sexe avaient confirmé une gestion personnelle. De plus, « en cas de fermeture des salons, les baux des futurs salons ne seraient plus au nom de E______ et le département ne [pouvait] estimer, sans violer la loi, qu’elle exploiterait un futur salon en maintenant une collaboration avec E______ ».

Elle avait annoncé le 9 septembre 2022 qu'elle allait déposer des requêtes en autorisation de construire pour obtenir un changement d'affectation, respectivement de destination des locaux. Elle avait également sollicité un délai de six mois pour déposer les demandes. Le département n'avait pas répondu et la décision était muette sur ce point. Elle aurait dû bénéficier du délai de deux ans prévu par la législation applicable.

La problématique des salons « éclatés » n'était pas reprise dans les infractions reprochées, si bien que la décision ne pouvait pas se fonder sur cette circonstance.

En l'absence de position d'employeur, elle n'avait aucune obligation d'action s'agissant des assurances sociales. Elle était parfaitement capable de gérer un salon de massages. Le fait qu'elle puisse bénéficier de l'aide d'un comptable pour tenir une comptabilité ou remplir ses obligations fiscales n'avait rien de particulier. La décision consacrait ainsi une violation du droit et une appréciation insoutenable des faits, en retenant pour avérées des circonstances qui n'étaient pas pertinentes pour retenir une situation de prête-nom.

Le fait que E______ soit titulaire des baux et paie les loyers n'était pas un élément permettant de retenir qu'elle ne gérait pas les salons de manière effective et personnelle et qu'elle n'assumait pas la direction de fait. La titularité des baux n'impliquait pas de pouvoir décisionnel.

Enfin, le reproche du défaut d'inscription d'une travailleuse du sexe dans le registre, constaté lors du contrôle du 28 novembre 2021, avait été contesté et la copie du registre avec l'inscription de cette personne le 13 novembre 2021, date de son arrivée, avait été transmise au département le 21 mars 2022.

b. Le 15 décembre 2022, le département a conclu au rejet du recours.

Un nouveau rapport de renseignements avait été établi par la BTPI à la suite d'un contrôle des salons de massages effectué les 14 et 17 novembre 2022. Une travailleuse du sexe présente le 14 novembre 2022 était dépourvue d'autorisation de travail valable. Interrogée par la police, elle avait indiqué être arrivée le jour même et n'avoir pas réussi à atteindre la recourante. La police avait essayé de joindre par téléphone la précitée par deux fois, en vain. Ce n'était que plus tard dans la soirée que la BTPI avait réussi à la joindre. À la suite de ce rapport, le département lui avait reproché, par courrier du 1er décembre 2022, d'avoir manqué à son obligation de vérifier que les personnes s'adonnant à la prostitution bénéficiaient des autorisations de travail idoines et de demeurer facilement atteignable. Une mesure et/ou une sanction administrative étaient envisagées. Un délai au 3 janvier 2023 lui était imparti pour se déterminer.

Il était admis que A______ assumait « de manière prépondérante » la tenue des registres et les quittances, soit les obligations prévues par l'art. 12 let. a LProst. Elle se chargeait vraisemblablement de manière prépondérante des autorisations de séjour, conformément à l'art. 12 let. b LProst. Cette obligation n'était toutefois pas correctement assurée, puisqu'elle avait fait l'objet de très nombreuses dénonciations pour avoir permis à des travailleuses du sexe d'ouvrer dans ses salons sans permis de travail valable. Si elle se chargeait vraisemblablement de la plupart des demandes au SEM, elle avait toutefois manqué, de manière récurrente, à son obligation de s'assurer que les travailleuses du sexe actives dans ses salons ne contreviennent pas à la législation sur la prostitution. Il semblait même qu'elle n'ait pas le contrôle des personnes qui venaient se prostituer, comme cela résultait du contrôle du 21 (recte : 14) novembre 2022.

S'agissant des obligations résultant de l'art. 12 let. c LProst, E______ était en charge de la sécurité, des caméras de surveillance, et intervenait en cas de « problème avec un client ».

Le dossier ne permettait pas de documenter la réalisation des exigences posées par les let. d à f de l'art. 12 LProst.

Il en ressortait néanmoins, s'agissant des autres tâches fondamentales dans l'exploitation d'un salon de massages ou une agence d'escorte, que le « recrutement » des travailleuses du sexe se faisait principalement par E______. Il avait en effet son mot à dire sur les photographies et demandait des corrections quand elles ne lui convenaient pas. Le lieu de travail était décidé, d'entente entre E______ et les travailleuses du sexe (il pouvait les placer indistinctement dans un salon ou un appartement, sans en référer à quiconque). A______ ne gérait pas les annonces (publicitaires), n'étant « pas très forte en français », E______ s'en chargeait. La recourante ne gérait pas l'administratif, ne remplissait pas sa déclaration d'impôts, avait eu besoin des services d'un avocat pour gérer toutes les questions administratives de sa vie privée (dettes, permis de séjour de sa mère, scolarité de sa fille, etc.). E______ gérait également la comptabilité et avait accès à celle de A______. Il était titulaire des baux et payait les loyers.

S'ajoutait à ces éléments, le fait que A______ avait admis une forme de « dépendance » financière et administrative envers E______ et les déclarations de la plupart des travailleuses du sexe qui considéraient le précité comme étant le « véritable patron », voire le supérieur de la recourante.

S'agissant de l'art. 12 let. g LProst, celle-ci indiquait encore travailler « à plein temps » au sein des salons, alors qu'il résultait de deux rapports de police que des travailleuses du sexe s'y trouvaient sans qu’elle le sache et qu'elle n'avait pas été facilement atteignable par la police.

Dans le domaine de la prostitution, la gestion personnelle et surtout effective ne saurait s'accommoder d'une simple présence de façade, dénuée de tout pouvoir décisionnel et de toute compétence de gestion. Admettre qu'il suffirait de remplir certaines tâches purement exécutives, telles que la gestion du livre de police, la délivrance de quittances ou encore les demandes auprès du SEM pour exploiter, effectivement, un salon contreviendrait clairement aux buts de la loi, tant en ce qui concernait la protection des personnes qui se prostituaient, que les contacts avec les autorités et le maintien de l'ordre public.

La recourante ne remplissait par conséquent pas les conditions d'une gestion personnelle et effective liées à l'exploitation des salons et de l'agence d'escorte, et n'avait pas les capacités pour les exploiter de manière conforme au droit.

Elle avait de plus manqué à ses devoirs en omettant d'informer la BTPI de son changement d'adresse et des poursuites dont elle faisait l'objet. Les lacunes constatées ne concernaient pas uniquement le domaine administratif, mais le domaine de la LProst lui-même, puisqu'elle ignorait la plupart des devoirs qui lui incombaient et avait accumulé de très nombreuses infractions à la loi, au fil des années.

Concernant le délai de deux ans pour solliciter les changements d'affectation, respectivement de destination des locaux, elle avait sollicité un délai de six mois pour déposer des demandes d'autorisations auprès du DT. Le département avait rejeté cette demande, rappelant que le motif principal pour lequel la fermeture était envisagée relevait de l'absence de gestion personnelle et effective, la question de l'affectation des locaux n'étant que secondaire.

En définitive, la fermeture définitive des salons et de l'agence d'escorte se justifiait aussi bien par l'absence de gestion personnelle et effective de A______ que par la mauvaise gestion de son salon, attestée par les nombreuses infractions commises à la LProst.

c. Le 25 janvier 2023, le département a transmis à la chambre administrative un constat établi le 23 janvier 2023 par ASPASIE à la suite d'une visite au salon de massages « F______ ».

« E______ » et un numéro de téléphone était indiqué comme étant le « Nom et coordonnées du / de la gérant.e du salon ». Lors de la visite dans un autre salon début janvier 2023, des médiatrices avaient rencontré deux femmes ayant travaillé dans le salon de massages « F______ ». Toutes deux s'étaient plaintes de nombreuses piqûres et leur avaient montré leur corps couvert de boutons et de plaques rouges qu'elles avaient attribués à des punaises de lit. Elles disaient avoir été piquées dans le salon de massages « F______ » et avoir averti le gérant, mais que celui-ci n'avait rien fait. Elles avaient quitté ce salon pour travailler dans un autre. Cette situation était préoccupante, tant pour la santé des travailleuses du sexe que des clients qui fréquentaient cet établissement.

d. Le 13 février 2023, le département a transmis un rapport de renseignements établi par la BTPI le 27 janvier 2023 à la suite d'un contrôle le jour précédent au salon de massages « F______ ».

Selon ce document, le 26 janvier 2023, la BTPI avait pris contact avec la recourante, responsable officielle du salon précité, en lui expliquant les faits. La police lui avait demandé de faire appel à une entreprise de désinfestation afin de faire un diagnostic officiel dudit salon et lui avait également demandé de le fermer le temps de ce constat. Elle avait accepté de faire le nécessaire le plus rapidement possible. Une vingtaine de minutes après l'entretien téléphonique, la BTPI avait reçu par courriel l'attestation de diagnostic de l'entreprise J______, indiquant qu'aucune punaise de lit, à tous stades de développement, n'avait été détectée dans l'ensemble du logement. La BTPI avait pris contact avec K______, le patron de l'entreprise de diagnostic, qui avait indiqué que E______ l'avait contacté alors qu'il terminait une inspection à 5 minutes du salon de massages « F______ » et qu'il s'était rendu sur place dans la foulée. L'inspection avait duré une dizaine de minutes. Il avait envoyé l'attestation tout de suite sur l'adresse email que E______ lui avait remis.

e. Le 27 février 2023, A______ a précisé que la procédure pénale P/1______/2021 la visant ne concernait pas des reproches liés au fait qu'elle n'aurait pas géré de manière personnelle et effective les salons de massages ou aurait agi en qualité de prête-nom.

Le 15 janvier 2023, la BTPI l'avait contactée par téléphone pour lui dire qu'elle avait deux heures pour transférer les travailleuses du sexe du salon de massages « F______ » au salon « H______ » compte tenu des plaintes d'ASPASIE en lien avec les punaises de lit. Un transfert dans un tel délai n'était toutefois pas possible, car il lui fallait 24h pour modifier l'annonce du lieu d'activité des intéressées. Elle allait néanmoins immédiatement faire intervenir une entreprise de contrôle des nuisibles. Plusieurs entreprises avaient été contactées. Toutefois, elles ne pouvaient pas se déplacer à si brève échéance. La recourante avait également contacté E______ pour lui demander s'il connaissait une entreprise pouvant intervenir immédiatement. Ce dernier lui avait conseillé de contacter la société J______. La recourante avait organisé le rendez-vous et avait été présente pour accueillir le collaborateur de l'entreprise. Celui-ci lui avait remis le rapport d'intervention. Elle avait alors contacté la BTPI pour lui en faire part et lui avait proposé de l'envoyer par email, ce qu'elle avait refusé car elle contacterait directement l'entreprise. La recourante avait payé l'intervention de l'entreprise.

Cet événement illustrait le fait qu'elle gérait effectivement et personnellement l'établissement. Elle ignorait comment ASPASIE tenait ses registres et pour quelle raison le prénom de E______ était attaché au salon dans sa base de données.

Il était excessif de lui reprocher d'avoir soldé rapidement ses actes de défaut de biens. Elle présentait depuis une situation financière solvable. Les intérêts publics et privés étaient ainsi suffisamment protégés. Les sanctions apparaissaient donc disproportionnées et inefficaces pour atteindre l'objectif recherché.

Le département admettait qu'elle assumait de manière effective la tenue des registres, des quittances, ainsi que la plupart des déclarations au SEM. C'était également elle qui accueillait les travailleuses du sexe dans les salons et vérifiait leur identité, leur âge et leur nationalité. Elle s'occupait aussi des tâches matérielles en lien avec les salons, à savoir être présente plusieurs heures par jour dans chacun, et mettre à disposition du matériel (linge, préservatifs, etc.). Entendues par la BTPI, la plupart des travailleuses du sexe avaient expliqué avoir pris contact avec elle, par exemple par bouche à oreille. Les policiers ne les avaient pas interrogées sur elle et son intervention dans le cadre de leur travail. De plus, la législation sur la prostitution n'obligeait pas les gérants de salon à tenir une comptabilité, si bien que le fait qu'elle n'en tienne pas ou qu'elle se fasse aider par un tiers n'était pas pertinent. Par ailleurs, la mise à disposition des locaux n'impliquait pas de pouvoir décisionnel dans la gestion de l'entreprise. Les dossiers d'ouverture des salons de massages produits par le département démontraient qu'il avait connaissance de cette mise à disposition des locaux.

Le délai de deux ans accordé aux exploitants de salons de massages pour se mettre en conformité partait depuis la décision de fermeture en raison de l'absence de conformité des locaux. En outre, le salon de massages « H______ » n'était pas destiné à l'habitation puisqu'il s'agissait d'une surface commerciale. Or, la pratique actuelle du département semblait être d'accepter que les salons de prostitution exploités dans les locaux commerciaux restent ouverts, puisque la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) était respectée et que le préavis négatif du DT était en lien uniquement avec les exigences relatives à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Les différents avertissements et/ou amendes dont se prévalait le département n'étaient pas suffisants pour prononcer la mesure contestée, puisque celle-ci était fondée sur l'absence de gestion personnelle et effective.

Elle persistait donc dans l'ensemble de ses conclusions et sollicitait l'audition de K______ et de l'inspectrice de la BTPI avec laquelle elle avait été en contact s'agissant de l'épisode des punaises de lit.

f. Le 23 mars 2023, la recourante a informé la chambre administrative que le bailleur des salons de massages « F______ » et « H______ » était disposé à lui transférer les baux commerciaux.

g. Le 6 avril 2023, le département a indiqué que l'éventuelle reprise des baux commerciaux par la recourante n'avait pas d'incidence sur la décision attaquée et ne permettait notamment pas de conclure à la gestion personnelle et effective des salons de massages.

h. Le 11 avril 2023, la recourante a transmis à la chambre administrative la convention de transfert de bail conclue le 5 avril précédent entre la bailleresse, E______ en lien avec les salons de massages « F______ » et « H______ », à compter du 15 avril suivant.

Bien que postérieur à la décision attaquée, cet élément était pertinent, puisqu'avant que le département tranche, elle avait déjà suggéré que l'autorité exige un tel transfert, en respect du principe de la proportionnalité.

E______ n'était désormais plus impliqué d'aucune manière dans ses salons, sous réserve de la responsabilité solidaire du locataire sortant quant au paiement des loyers durant deux ans maximum.

i. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier de la juge déléguée du 12 avril 2023.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante requiert la suspension de la présente procédure jusqu'à droit connu dans la procédure pénale P/1______/2021 ouverte à son encontre.

2.1 Selon l’art. 14 al. 1 LPA lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions.

Cette disposition est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/405/2022 du 12 avril 2022 consid. 3a et les références citées).

2.2 La suspension de la procédure ne peut pas être ordonnée chaque fois que la connaissance du jugement ou de la décision d’une autre autorité serait utile à l’autorité saisie, mais seulement lorsque cette connaissance est nécessaire parce que le sort de la procédure en dépend (ATA/630/2008 du 16 décembre 2008 consid. 5). Une procédure ne saurait dès lors être suspendue sans que l’autorité saisie ait examiné les moyens de droit qui justifieraient une solution du litige sans attendre la fin d’une autre procédure. Il serait en effet contraire à la plus élémentaire économie de procédure et à l’interdiction du déni de justice formel fondée sur l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
(Cst. - RS 101) d’attendre la décision d’une autre autorité, même si celle-ci est susceptible de fournir une solution au litige, si ledit litige peut être tranché sans délai sur la base d’autres motifs (ATA/650/2023 du 20 juin 2023 consid. 2.2 et les arrêts cités).

2.3 En l'espèce, dans le cadre de la procédure pénale P/1______/2021, il est reproché à la recourante d'avoir, entre la date de délivrance d'un acte de défaut de biens la visant et novembre 2021 à tout le moins, œuvré en qualité de co-responsable des salons de massages « F______ » et « H______ » en violation des dispositions cantonales règlement l'exercice de la prostitution, dès lors qu'elle ne satisfaisait plus aux garanties de solvabilité nécessaires.

Or, dans ses écritures, la recourante reconnaît un manquement s'agissant de son devoir de solvabilité. En outre, l'objet de la présente procédure est plus large en tant qu'il vise d'autres écarts de la recourante par rapport aux obligations d'un responsable de salon de massages et d'une agence d'escorte. Enfin, par rapport aux faits pertinents, comme il le sera analysé ci-dessous, les pièces du dossier permettent de trancher les questions juridiques posées par le présent litige, sous l'angle administratif.

Il n'est donc pas nécessaire d'attendre l'issue de la procédure pénale P/1______/2021.

3.             La recourante sollicite la mise en œuvre de plusieurs mesures d'instruction, parmi lesquelles les auditions de plusieurs personnes.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2). En outre, il n'implique pas le droit à une audition orale ni à l’audition de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

3.2 En l'occurrence, I______, chauffeur intervenant pour les salons de massages, a été entendu le 7 octobre 2020 par la BTPI. Le procès-verbal de cette audition a été transmis à la recourante le 20 septembre 2022, qui a pu en prendre connaissance et se prononcer à ce sujet à plusieurs reprises par écrit. S'il est vrai que son audition a été faite en dehors de la présence du conseil de la recourante, cela ne signifie toutefois pas que le contenu de celle-ci ne serait pas exploitable dans le cadre de la présente procédure. En outre et comme il le sera vu ci-dessous, la police l'a interrogé de manière pertinente sur la répartition des rôles entre la recourante et E______.

De la même façon, il n'est pas nécessaire de procéder à l'audition des inspecteurs de la BTPI en charge des procédures administratives en lien avec l'ouverture des salons de massages et de l'agence d'escorte. En effet, les reproches à l'encontre de la recourante sont sans lien avec le mode de fonctionnement mis en place à l'ouverture de ces établissements.

Il n’y a pas lieu de procéder à l’audition de K______, patron de l'entreprise de diagnostic, et de l'inspectrice de la BTPI par rapport à l'épisode des punaises de lit, dès lors que les éléments du dossier suffisent d'ores et déjà pour déterminer si la recourante a manqué à ses obligations dans le cadre de la tenue des salons de massages et de l'agence d'escorte, et qu'il est ultérieur à la décision querellée.

L'apport des données informatique (adresse IP) en lien avec les annonces au SEM pour les travailleuses du sexe ne serait d'aucune utilité dans la mesure où lesdites données ne renseigneraient pas sur l'utilisateur de l'ordinateur dont l'accès n'est pas limité et que la recourante a expliqué que E______ y avait accès.

Enfin, il n'est pas nécessaire d'instruire la question d'une éventuelle pratique du département par rapport aux délais accordés en lien avec le changement d'affectation des locaux. Les pièces du dossier permettent d'ores et déjà de statuer sur la question en adéquation avec la législation topique.

La chambre de céans disposant d'un dossier complet, il ne sera pas donné suite aux demandes d’actes d’instruction.

4.             L'objet du litige porte sur la conformité au droit de la décision ordonnant la fermeture des salons de massages « F______ » et « H______ », de même que de l'agence B______ », l'interdiction pour la recourante d'exploiter tout autre salon de massages ou agence d'escorte pendant dix ans et le prononcé d'une amende administrative de CHF 2'000.-.

5.             Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé (a) pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation et (b) pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

6.             La recourante se plaint de la constatation manifestement inexacte et incomplète des faits pertinents par rapport à ses activités dans le cadre de l'exploitation des salons de massages et de l'agence d'escorte.

6.1 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d'office (art. 19 LPA). Ce principe n'est pas absolu, sa portée étant restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.2 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3.2 ; ATA/1100/2020 du 3 novembre 2020 consid. 3a et les arrêts cités).

La constatation des faits, en procédure administrative, est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves, qui signifie que le juge forme librement sa conviction, en analysant la force probante des preuves administrées, dont ni le genre, ni le nombre n'est déterminant, mais uniquement leur force de persuasion (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; ATA/444/2023 du 26 avril 2023 consid. 5.2).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/1373/2017 du 10 octobre 2017 consid. 5c et les arrêts cités).

6.2 En l'espèce, bien que la recourante se plaigne d'une constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents, son grief relève en réalité plutôt de l'appréciation juridique de l'autorité intimée à propos de la nature et de l'intensité de son activité au sein des salons de massages, laquelle relève du fond du litige et sera examinée ci-dessous.

7.             7.1 La LProst a notamment pour objectif de garantir, dans le milieu de la prostitution, – à savoir l'activité d'une personne qui se livre à des actes sexuels ou d'ordre sexuel, avec un nombre déterminé ou indéterminé de clients, moyennant rémunération (art. 2 al. 1 LProst) –, que les conditions d'exercice de cette activité sont conformes à la législation, soit notamment qu'il n'est pas porté atteinte à la liberté d'action des personnes qui se prostituent, que celles-ci ne sont pas victimes de la traite d'êtres humains, de menaces, de violences, de pressions ou d'usure ou que l'on ne profite pas de leur détresse ou de leur dépendance pour les déterminer à se livrer à un acte sexuel ou d'ordre sexuel (art. 1 let. a LProst). Elle a également pour but d'assurer la mise en œuvre des mesures de prévention et promotion de la santé et de favoriser la réorientation professionnelle des personnes qui se prostituent, désireuses de changer d'activité (art. 1 let. b LProst).

Selon la jurisprudence, le but poursuivi par la LProst ne se confine pas à la prévention d'infractions pénales. Elle tend aussi à favoriser l'exercice conforme au droit de l'activité de prostitution dans son ensemble, ainsi qu'une gestion correcte et transparente des établissements publics actifs dans ce domaine à risque. Elle vise également le but d’intérêt public légitime de protection des personnes exerçant la prostitution contre l’exploitation et l’usure (ATA/1373/2017 du 10 octobre 2017 et les arrêts cités).

7.2 À teneur de l'art. 10 let. c LProst, la personne responsable d'un salon doit notamment offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée.

7.3 L'art. 11 LProst prévoit que la personne responsable d'un salon est tenue de communiquer immédiatement aux autorités compétentes tout changement des personnes exerçant la prostitution et toute modification des conditions personnelles intervenues depuis l'annonce initiale.

7.4 Selon l'art. 12 LProst, la personne responsable d'un salon a notamment pour obligations de tenir constamment à jour et en tout temps à disposition de la police, à l'intérieur du salon, un registre mentionnant l'identité, le domicile, le type d'autorisation de séjour et/ou de travail et sa validité, les dates d'arrivée et de départ des personnes exerçant la prostitution dans le salon ainsi que les prestations qui leur sont fournies et les montants demandés en contrepartie. Pour ces derniers, une quittance détaillée, datée et contresignée par les deux parties leur sera remise, dont une copie devra également être en tout temps à disposition de la police à l'intérieur du salon (let. a), de s'assurer qu'elles ne contreviennent pas à la législation, notamment celle relative au séjour et au travail des étrangers, et qu'aucune personne mineure n'exerce la prostitution dans le salon (let. b), d'y empêcher toute atteinte à l'ordre public, notamment à la tranquillité, à la santé, à la salubrité et à la sécurité publiques (let. c), d'exploiter de manière personnelle et effective son salon, de désigner en cas d'absence un remplaçant compétent et instruit de ses devoirs dont elle répond, et d'être facilement atteignable par les autorités compétentes; le prête-nom est strictement interdit (let. g).

7.5 Les art. 17 let. c, 18 et 19 LProst sont les pendants des art. 10 let. c, 11 et 12 let. a à c LProst pour la personne responsable d'une agence d'escorte.

7.6 La loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) donne une définition du prête-nom que l'on peut transposer au domaine de la prostitution de salon. Selon l'art. 3 let. s LRDBHD, le prête-nom vise un comportement, prohibé par la loi, d'une personne physique titulaire du diplôme prévu par la loi, qui est autorisée formellement en tant qu'exploitant d'une entreprise, mais qui n'exerce pas effectivement et à titre personnel les tâches essentielles liées à la bonne marche de l'entreprise, qui sont de fait assurées par un tiers.

Selon les travaux préparatoires relatifs à l'art. 12 let. g LProst (PL 12'031), dans sa teneur depuis le 29 juillet 2017, la modification apportée à la let. g vise à renforcer l'obligation, pour la personne responsable d'un salon, d'exploiter l'établissement de façon personnelle et effective. Il est rajouté à cette disposition l'obligation pour la personne responsable de désigner, en cas d'absence, un remplaçant compétent et instruit de ses devoirs dont elle répond, tout en ajoutant que le prête-nom est strictement interdit. Cette modification résulte indirectement et notamment de la recommandation 4 (constats 8 et 10) de la Cour des comptes, qui demande à la police de lutter contre les prête-noms sans proposer des modifications légales et/ou réglementaires.

Selon la jurisprudence de la chambre de céans, l'interdiction de servir de prête-nom vise à prévenir l’exploitation d’établissements par des personnes qui ne répondraient pas à des conditions de capacité et d’honorabilité bien déterminées, avec tout ce que cela comporte comme risque pour le public (ATA/444/2023 précité consid. 7.3 ; ATA/685/2014 du 26 août 2014 consid. 4d).

7.7 De jurisprudence constante, en présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l'intéressé a données en premier lieu, alors qu'il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_728/2013 du 16 janvier 2014 consid. 4.1.2 ; ATA/184/2023 du 28 février 2023 consid. 3.3).

7.8 En l'espèce, la recourante ne conteste pas qu'elle faisait l'objet de plusieurs actes de défaut de biens pour un montant total de CHF 46'454.32 au 3 novembre 2021 selon l'attestation établie par l'office des poursuites et faillites genevois. Elle a également indiqué, lors de son audition par-devant la BTPI le 13 novembre 2021, ignorer devoir prévenir l'autorité compétente de cela.

L'accomplissement des démarches d'assainissement dès 2020 – ce qui ressort uniquement des allégations de la recourante, mais pas des pièces produites – ne change rien au fait qu'elle se trouvait dans une situation financière délicate, incompatible avec les conditions personnelles imposées par les art. 10 let. c et 17 let. c LProst pour un exploitant de salon de massages et d'une agence d'escorte. Par ailleurs, il apparaît que ce n'est qu'à la suite de cette audition qu'elle a entrepris des démarches afin de rétablir sa situation financière puisque, le 21 mars 2022, les poursuites avaient été soldées et qu'elle ne faisait plus l'objet d'actes de défaut de biens à cette date-là.

Dans ces circonstances, l'intimé était en droit de retenir que la recourante a violé l'art. 11 LProst – et l'art. 18 LProst – en omettant d'informer l'autorité de son insolvabilité.

7.9 Selon le rapport de renseignements établi le 22 décembre 2021, lors d'un contrôle au salon de massages « F______ » le 13 novembre 2021, la BTPI a constaté que l'une des travailleuses du sexe présente dans les locaux ne figurait pas dans le registre ad hoc, alors qu'elle avait commencé son activité le 30 juillet 2021 selon les données du SEM. La police a joint à son rapport des photographies dudit registre où le nom de cette femme ne figure effectivement pas.

Dans ses explications du 21 mars 2022, la recourante a indiqué que la travailleuse du sexe en question avait inscrit son nom le jour-même du contrôle, mais vraisemblablement après le départ de la police, ce qui est démontré par des photographies du registre complété.

Force est aussi de constater, qu'au moment du contrôle par la police, la travailleuse du sexe ne figurait pas au registre alors qu'elle travaillait dans ce salon de massage depuis plusieurs mois. Celui-ci n'était donc pas à jour contrairement à ce qu'impose l'art. 12 let. a LProst.

Dans ces circonstances, le département a, à juste titre, retenu une violation de l'art. 12 let. a LProst à l'encontre de la recourante.

7.10 La décision attaquée retient que la recourante se chargeait, à titre principal, de diverses tâches en lien avec l'exploitation des salons, tels que la tenue du registre de police et de la plupart des demandes informatiques adressées au SEM ou encore des quittances.

Néanmoins, la recourante a expliqué à la BTPI, lors de son audition le 13 novembre 2021, que E______ – dont il n'est pas contesté qu'il ne remplit pas les critères exigés quant à l'exploitation officielle d'un salon de massages érotiques – accomplissait également les démarches auprès du SEM, notamment lorsqu'elle était en vacances. En outre, le numéro de contact auprès de cet office fédéral n’est pas celui de la recourante, mais celui de E______. À propos de cette audition, la recourante a indiqué que « [c'était] lui qui répond[ait] au téléphone et qui s'occup[ait] de tout ce qui [était] administratif ». En outre, il ressort du rapport de renseignements de la BTPI du 28 novembre 2021 – dont la valeur probante doit être accordée faute d'éléments permettant de s'en écarter – que lorsque la recourante transmettait à la police un courriel relatif à une demande, la réponse était ensuite redirigée à la recourante par l'adresse email de E______.

Compte tenu de ces éléments, c'est à juste titre que l'autorité intimée a retenu que la recourante remplisait imparfaitement ses obligations découlant de l'art. 12 let. b LProst.

Par ailleurs, comme vu ci-dessus, en présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l'intéressé a données en premier lieu, alors qu'il en ignorait les conséquences juridiques. Or, entendue par la BTPI toujours le 13 novembre 2021, la recourante a détaillé les activités de E______. Il apparaît ainsi qu'il se chargeait notamment de recruter les travailleuses du sexe, de les amener chez les clients lorsque c'était nécessaire, de les présenter au poste de police pour l'enregistrement, de les emmener aux cours d'ASPASIE, de gérer la comptabilité, de faire la publicité et d'écrire les annonces, de la sécurité et de régler les loyers, étant par ailleurs relevé qu'il a été le titulaire des baux jusqu'au 15 avril 2023 – ce qui en soit ne change rien à propos des nombreux indices figurant au dossier permettant de conclure à une absence de gestion personnelle et effective des salons de massages par l'intéressée.

Par ailleurs, les différentes travailleuses du sexe auditionnées par la BTPI ont également mis en avant le rôle de E______ dans le cadre de la gestion des salons de massages. Ainsi, elles ont spontanément indiqué travailler pour celui-ci, que leurs autorisations de séjour étaient demandées par ce dernier et qu'elles lui remettaient une partie de leurs revenus. Par exemple, L______ a expliqué avoir certes eu des contacts avec la recourante concernant les détails inhérents à sa venue à Genève, mais que E______ était son supérieur qui « [gérait] tout ». C'était lui qui examinait les photographies transmises et la recourante avait dit à cette travailleuse du sexe que E______ « était le responsable et que [c'était] lui qui gérait tout ». Le précité avait également vérifié, au salon dans lequel elle travaillait, si elle correspondait à la photographie envoyée. Les auditions des autres travailleuses du sexe ayant déployé leurs activités dans les deux salons de massages de la recourante vont dans le même sens, à quelques détails près.

I______, qui a indiqué à la police fonctionner en qualité de chauffeur pour E______, a aussi dit de ce dernier qu'il était le responsable des salons de massages « F______ » et « H______ » et qu'il lui disait où il devait amener les travailleuses du sexe. La recourante se rendait toutefois aux salons de massages quand la police l'appelait.

E______ a également confirmé à la BTPI avoir la charge de la publicité, de la sécurité, des problèmes de manutention, des contacts avec les régies, de la comptabilité et du recrutement. Il s'occupait également d'expliquer aux travailleuses du sexe les conditions légales de l'exercice de la prostitution à Genève, notamment auprès d'ASPASIE et de leur enregistrement auprès de la BTPI. Entendu par le Ministère public dans le cadre de la P/1______/2021, il a indiqué spontanément être « gérant de salon de massages » avec la recourante avant de prétendre qu'ils étaient associés. Il ressort ainsi de ces éléments que la recourante et E______ ont cultivé une situation floue, se voulant avantageuse pour chacun, et leur permettant de poursuivre leurs activités sans être inquiétés dans leur gestion jusqu'à l'établissement par la BTPI le 28 novembre 2021 de son rapport de renseignements.

Outre ces éléments provenant des auditions des personnes intéressées, les pièces du dossier attestent d'une gestion – au mieux passive – des établissements de la part de la recourante. En effet, comme vu ci-dessus, E______ était le titulaire des baux des locaux exploités. C'est ce dernier qui est par ailleurs nommé par ASPASIE comme étant le responsable du salon lors de l'épisode des punaises de lit.

Même s'il ressort du dossier que la recourante déployait une certaine activité dans le cadre de la gestion des activités liées à la prostitution, les éléments précités pris dans leur ensemble permettent à la chambre de céans de retenir qu'elle ne se chargeait pas des tâches principales et essentielles liées à l'exploitation des salons de massages et de l'agence d'escorte au sens de l'art. 12 let. g et 19 let. f LProst.

Le département était donc fondé à retenir une violation de ces dispositions par la recourante.

8.             8.1 À teneur de l'art. 8 LProst, la prostitution de salon est celle qui s'exerce dans des lieux de rencontre soustraits à la vue du public (al. 1). Ces lieux, quels qu'ils soient, sont qualifiés de salons par la LProst (al. 2). Toutefois, le local utilisé par une personne qui s'y prostitue seule, sans recourir à des tiers, n'est pas qualifié de salon (al. 3).

Selon l'art. 9 LProst, toute personne physique qui, en tant que locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (al. 1). La personne qui effectue l'annonce est considérée comme personne responsable au sens de la LProst (al. 4).

8.2 L'art. 10 let. d LProst est entré en vigueur le 29 juillet 2017. Il est issu d'une modification législative faisant notamment suite à certaines recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport n° 85 du 16 décembre 2014 (ci-après : le rapport n° 85), portant sur une évaluation de la politique publique en matière de prostitution, laquelle visait entre autres à améliorer les conditions d'exercice de la prostitution et à développer l'autonomie des travailleurs du sexe (projet de loi n° 12'031 du 30 novembre 2016 modifiant la LProst [ci-après : PL 12'031], p. 6 ; p. 4 et 5 du rapport n° 85).

Dans son rapport, la Cour des comptes a notamment relevé que la BTPI n'effectuait pas de contrôle de conformité sous l'angle de la LDTR ni ne communiquait d'informations au DT, n'y étant pas tenue par la LProst. Elle a ainsi recommandé au département de coordonner son action, lors de la procédure d'enregistrement, avec celle du DT afin qu'un contrôle de conformité à la LDTR soit effectué en prenant notamment en compte la procédure de dérogations prévue à l'art. 8 LDTR en cas de changement d'affectation (p. 64 et p. 68). L'art. 10 let. d LProst est donc une concrétisation de cette recommandation (ATA/1313/2018 du 4 décembre 2018 consid. 8).

Le préavis du DT devait notamment confirmer, pour les salons exploités dans des immeubles soumis à la LDTR, que les locaux pouvaient être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation avait été accordée. Le préavis du DT ne devait pas être sollicité directement par la personne responsable d'un salon mais par les services du département. Le salon ne pouvait pas être mis en exploitation tant que le DT n'avait pas délivré un préavis favorable et que la personne responsable n'avait pas été inscrite au registre tenu par la BTPI (p. 15).

Les travaux préparatoires relèvent encore que la modification légale relative à l'art. 10 let. d LProst s'imposait d'autant plus que le canton de Genève était confronté à une pénurie de logements – alors que de nombreux locaux commerciaux cherchaient preneur – et qu'elle permettait en outre de lutter efficacement contre les nuisances liées à l'exploitation de lieux de prostitution et dénoncées dans plusieurs pétitions (p. 7).

D'après l'art. 18 aRProst, les personnes responsables d'un salon ou d'une agence d'escorte qui s'étaient valablement annoncées conformément aux art. 9 et 12 aRProst et qui, suite à l'entrée en vigueur de la modification du 30 novembre 2016, ne peuvent bénéficier du préavis positif du DT prévu aux art. 9 al. 3 et 12 al. 3 aRProst, disposent d'un délai de deux ans pour libérer les locaux dès la notification de la décision par le département.

Cette modification réglementaire n'a fait l'objet d'aucun exposé des motifs publié, et ne s'est pas davantage vu expliciter par le Conseil d'État dans le communiqué diffusé lors de son adoption. Reprenant les mêmes motifs que ceux évoqués précédemment, le Conseil d'État a indiqué avoir adopté cette modification du RProst, qui portait aussi sur certaines recommandations formulées par la Cour des comptes qui pouvaient être adoptées immédiatement, sans attendre l'adoption par le Grand Conseil du PL 12'031 (communiqué du Conseil d'État du 30 novembre 2016, p. 10 - consultable sous https://www.ge.ch/document/communique-du-conseil-etat-du-30-novembre-2016/telecharger).

8.3 En l'espèce, il est établi que le DT a, les 30 juin et 1er juillet 2022, préavisé négativement l'exploitation des salons de massages « F______ » et « H______ ». Selon ces documents, la recourante devait déposer une requête en autorisation de construire en bonne et due forme afin de faire valider l'affectation.

Outre le fait qu'il ne ressort pas du dossier que la recourante aurait déposé une telle demande ou que le changement d'affectation lui aurait été accordé, celle-ci oublie que la décision attaquée ne repose pas uniquement sur l'absence de préavis positifs établis par le DT. Ce manquement vient uniquement s'ajouter à ceux d'ores et déjà retenus, de sorte que la question de l'application de l'art. 18 aRProst peut souffrir de rester indécise.

Ainsi, dans la mesure où la recourante ne satisfaisait effectivement pas aux conditions légales qu'elle doit remplir (art. 10 let. d LProst), le département était fondé à la sanctionner.

9.             Reste encore à examiner si les mesures et sanctions infligées à la recourante respectent le principe de la proportionnalité.

9.1 L'art. 14 LProst a trait aux mesures et sanctions administratives dont peut faire l'objet la personne responsable d'un salon (al. 1) qui n'a pas rempli son obligation d'annonce en vertu de l'art. 9 LProst (let. a), ne remplit pas ou plus les conditions personnelles de l'art. 10 LProst (let. b), n'a pas procédé aux communications qui lui incombent en vertu de l'art. 11 LProst (let. c) ou n'a pas respecté les obligations que lui impose l'art. 12 LProst (let. d). L'autorité compétente prononce, selon la gravité ou la réitération de l'infraction (al. 2) l'avertissement (let. a), la fermeture temporaire du salon, pour une durée de un à six mois et l'interdiction d'exploiter tout autre salon, pour une durée analogue (let. b) ou la fermeture définitive du salon et l'interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée de dix ans (let. c). Le même catalogue de mesures et sanctions est prévu, mutatis mutandis, pour l’exploitant d’une agence d’escorte (art. 21 LProst) ne remplissant plus les conditions personnelles de l’art. 17 let. c LProst et n’ayant pas respecté les obligations que lui impose l'art. 18 LProst.

La fermeture, temporaire ou définitive, est conçue davantage comme une mesure administrative, destinée à protéger l'ordre public et la liberté d'action des personnes qui se prostituent que comme une sanction. Pour être efficace, une telle mesure doit être accompagnée d'une véritable sanction administrative consistant en une interdiction d'exploiter tout autre salon afin d'empêcher la personne concernée de poursuivre, ou reprendre, l'exploitation d'un autre établissement quelques rues plus loin (MGC 2008-2009/VII A 8669).

9.2 Les travaux préparatoires relatifs au PL 12'031 mentionnent encore que la recommandation du rapport n° 85 qui visait une modification législative afin que deux travailleurs du sexe puissent partager un appartement en bénéficiant de l'art. 8 al. 3 LProst, n'a pas été concrétisée dans le cadre dudit projet de loi. Cette modification s'était tout d'abord heurtée à l'opposition de la police, du département et du DT, avant d'être partagée par le Conseil d'État. Eu égard à la particularité de la profession visée, l'assouplissement évoqué par le rapport n° 85 serait suivi, s'il était concrétisé dans la loi, d'une forme d'exploitation de l'une des deux personnes (celle titulaire du bail et/ou d'un permis de séjour ou d'établissement, et par conséquent bien intégrée) sur l'autre (non titulaire du bail et/ou non titulaire d'un permis de séjour ou d'établissement, et par conséquent dans une situation beaucoup plus précaire) et cela, de façon manifestement contraire au premier but poursuivi par la LProst. Le Conseil d'État était persuadé de la nécessité de maintenir la notion d'appartement privé au sens de la LProst, soit d'un appartement dans lequel une seule personne exerce et qui n'a pas pour vocation principale l'exercice d'une activité économique mais garde un caractère prépondérant d'habitation. Dans les faits, la personne en question travaille à domicile. Ce ne serait plus le cas d'un salon dans lequel exercent plusieurs personnes, même si elles y résident. En d'autres termes, c'était l'exploitation d'un salon, au sens de la LProst, et non l'exercice de la prostitution, qui était par définition l'exercice d'une activité économique. Par ailleurs, dès l'instant où deux personnes se prostituent dans un appartement, il y avait un changement d'affectation prohibé par la LDTR. Si l'art. 8 al. 3 LProst était modifié dans le sens précité, on assisterait au développement de salons clandestins non contrôlés. La police ignorerait l'existence et l'emplacement des appartements privés dans lesquels pourraient se prostituer deux personnes et ne serait pas en mesure de vérifier qu'aucune infraction pénale (traite d'êtres humains, encouragement à la prostitution, usure, etc.) se produise. Toute dérogation à la règle actuelle conduirait à l'examen de structures au cas par cas. Chaque structure deviendrait un « cas particulier ». Les risques d'erreur, d'abus et d'incohérence dans la politique publique et dans l'application de la LProst seraient considérables (exposé des motifs du PL 10'031, p. 9 et 10).

9.3 La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants, ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). Celle-ci prévoit notamment à cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR). Elle s'applique à tout bâtiment situé dans l’une des zones de construction prévues par l’art. 19 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l’habitation (art. 2 al. 1 LDTR).

Nul ne peut, sauf dérogation au sens de l’art. 8 LDTR, même en l’absence de travaux, remplacer des locaux à destination de logements, occupés ou inoccupés, par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel, dans un bâtiment soumis à la LDTR (art. 3 et 7 LDTR).

Selon le Tribunal fédéral – appelé à statuer sur le recours d'un propriétaire considérant que l'utilisation de locaux destinés à l'habitation à des fins de prostitution ne constituait pas un changement d'affectation soumis à autorisation –, l’exercice régulier de la prostitution dans des studios d’habitation entre clairement en contradiction avec cette dernière notion, de sorte que cela frise la témérité d’argumenter qu’il ne s’agirait pas d’un changement d’affectation soumis à autorisation. Il est indifférent, de ce point de vue, que les hôtesses vivent également sur place (arrêt du Tribunal fédéral 1C_237/2012 du 31 août 2012 consid. 2 et les références citées).

9.4 La chambre de céans a jugé que la BTPI, tout comme le DT, se bornent à vérifier que le préavis positif du DT a bel et bien été obtenu, mais ne disposent d'aucun pouvoir de décision ou d'appréciation en la matière relatif audit préavis. Ce système ne viole pas les garanties générales de procédure. L’exploitant reste parfaitement libre de solliciter une décision du DT tendant à faire constater que l'usage prévu des locaux ne nécessiterait aucun changement d'affectation, à solliciter un changement d'affectation des locaux, respectivement à solliciter une dérogation audit changement d'affectation. Elle dispose alors d'une voie de recours contre la décision rendue par le DT (ATA/486/2020 du 19 mai 2020 consid. 5 ; ATA/1313/2018 du 4 décembre 2018 consid. 11). Elle a retenu qu’il ressortait des travaux préparatoires, tout comme de l'art. 8 al. 3 LProst, que l'argumentation selon laquelle l'exploitation d'une petite structure par deux ou trois personnes exerçant la prostitution ne devrait pas être considérée comme un salon au sens de l'art. 8 al. 1 LProst ne pouvait être suivie. Quand bien même cette position avait été soutenue par la Cour des comptes, elle était manifestement contraire à la volonté du législateur et au texte clair de la loi (ATA/1313/2018 précité consid. 11).

9.5 L'art. 27 Cst. garantit la liberté économique, qui comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique privée et son libre exercice et protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu (ATF 135 I 130 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 4.1 ; 2C_32/2015 du 28 mai 2015 consid. 5.1).

Une restriction à cette liberté est admissible, aux conditions de l’art. 36 Cst. Toute restriction doit ainsi se fonder sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) et proportionnée au but visé (al. 3). Sous l’angle de l’intérêt public, sont autorisées les mesures de police, les mesures de politique sociale ainsi que les mesures dictées par la réalisation d’autres intérêts publics (ATF 125 I 322 consid. 3a). Sont en revanche prohibées les mesures de politique économique ou de protection d’une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser certaines branches professionnelles ou certaines formes d’exploitation (art. 94 al. 1 Cst. ; ATF 140 I 218 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 précité consid. 4.1).

De plus, pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction à un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé, lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive ; il faut en outre qu’il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 précité consid. 4.1).

9.6 Il y a abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d'appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 et les références citées ; ATA/114/2015 du 27 janvier 2015 consid. 5c).

9.7 Indépendamment du prononcé des mesures et sanctions administratives, l'autorité compétente peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- à toute personne ayant enfreint les prescriptions de la loi ou ses dispositions d'exécution (art. 25 al. 1 LProst).

9.8 Les amendes administratives prévues par la législation cantonale sont de nature pénale. Leur quotité doit ainsi être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/991/2016 du 22 novembre 2016 consid. 6a ; ATA/810/2016 du 27 septembre 2016 consid. 4a et la référence citée). En vertu de l'art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du CP s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, ce qui vaut également en droit administratif sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 1 et 3 et 107 CP). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence. L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/991/2016 précité consid. 6a).

9.9 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé la fermeture définitive d'un salon de massages pour défaut de préavis exigé par la loi (ATA/568/2023 du 30 mai 2023).

En outre, la chambre de céans a également connu plusieurs dossiers dans lesquels le département a ordonné des fermetures définitives avec une interdiction d'exploiter durant dix ans. Les recours contre ces décisions ont tous été rejetés (ATA/443/2023 du 26 avril 2023 ; ATA/477/2022 du 4 mai 2022 ; ATA/1100/2020 du 3 novembre 2020 ; ATA/1373/2017 du 10 octobre 2017 ; ATA/486/2014 du 24 juin 2014).

9.10 En l'espèce, les manquements commis par la recourante doivent être qualifiés de graves. Celle-ci a caché – au mieux par négligence – sa situation financière obérée en ne la communiquant pas au département, contrairement à son obligation légale (art. 11 et 18 LProst). Par ailleurs, en servant de prête-nom à E______, elle a contrevenu à son obligation légale de gérer personnellement et effectivement les salons de massages et l'agence d'escorte. Elle a pris et accepté le risque que les établissements soient en réalité gérés par une personne dont les antécédents et la situation financière, qu'elle ne pouvait ignorer vu leurs liens, ne permettaient objectivement pas de garantir le respect des obligations permettant d'assurer des conditions d'exercice de la prostitution conformes à la loi.

La fermeture définitive des salons de massages et de l'agence d'escorte ainsi que l'interdiction d'exploiter pour une durée de dix ans est nécessaire pour atteindre les intérêts poursuivis, notamment celui d’éviter d’exposer les prostituées, précarisées, à des atteintes à leur personnalité ainsi que favoriser l'exercice conforme au droit de l'activité de prostitution dans son ensemble (art. 1 let. a LProst).

Au vu des graves manquements reprochés, une mesure moins incisive, soit un avertissement (art. 14 al. 2 let. a et 21 al. 2 let. a LProst) ou la fermeture temporaire du salon, pour une durée d'un à six mois, assortie d'une interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée analogue (art. 14 al. 2 let. b et 21 al. 2 let. b LProst), paraît insuffisante pour atteindre les buts visés par la LProst. La recourante ne conteste en effet pas qu'elle a déjà fait l'objet de trois avertissement depuis 2016, lesquels ne l'ont pas amenée à se comporter conformément à la loi.

Par ailleurs, dans la mesure où le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser à plusieurs reprises que la fermeture temporaire d'un salon de massages était conforme au principe de la proportionnalité dans les cas où des prostituées ressortissantes d'États tiers y exerçaient leur activité sans autorisation de séjour et de travail en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2014 du 24 avril 2015 consid. 4.3 et les arrêts cités), une fermeture définitive se justifie a fortiori lorsque, comme en l'espèce, les manquements reprochés sont plus nombreux et plus importants.

L'ordre de fermeture ne prive en tout état pas la recourante de l'exercice de toute activité économique, mais uniquement dans le domaine de la prostitution.

Au surplus, on ne saurait suivre la recourante lorsqu'elle soutient que le principe de la confiance aurait dû commander au département de lui accorder un temps d'adaptation pour qu'elle cesse ou limite sa collaboration avec E______. En effet, il ressort des formulaires d'annonce des salons de massages en cause qu'elle était clairement indiquée comme l'unique personne responsable des salons, étant relevé que la convention quadripartite de gestion concerne un autre salon érotique fermé depuis lors. Les pièces jointes au formulaire d'annonce pour l'exploitation de l'agence d'escorte ne concernent d'ailleurs que la recourante (notamment sa pièce d'identité, son extrait du casier judiciaire et son attestation de non poursuite).

Par ailleurs, il n’est pas contesté qu’elle n'a pas obtenu les préavis exigés par la loi pour les locaux et n’a par ailleurs pas demandé de dérogation au DT. Elle ne remplissait ainsi plus la condition personnelle prévue à l’art. 10 let. d LProst, situation qui justifiait une mesure selon l’art. 14 al. 1 let. b LProst, étant observé que l’infraction à la loi – soit le défaut de préavis favorable à l’occupation de locaux en raison de leur destination au logement – est en soi grave (ATA/568/2023 précité consid. 4.10). Selon la jurisprudence précitée, le département n’avait dès lors d’autre choix que d’ordonner la fermeture des salons de massages « F______ » et « H______ », en application de l’art. 14 al. 2 let. c LProst. Cette restriction apparaît fondée. En effet, la condition visant l'obtention du préavis repose sur une base légale et poursuit un intérêt public, soit notamment la préservation du logement en période de crise et l’exercice conforme au droit de l’activité de prostitution. Elle respecte le principe de proportionnalité. Aucune autre atteinte moins sévère à la liberté de la recourante n’apparaît susceptible de réaliser les objectifs d’intérêt public de la loi – en particulier, une fermeture temporaire ne permettrait pas de rendre définitivement au logement des locaux exploités pour une activité commerciale.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l'intérêt de la recourante à pouvoir gérer un salon de prostitution et une agence d'escorte doit céder le pas à l'intérêt public au respect des conditions gouvernant l'exploitation de tels établissements.

Enfin, la recourante ne conteste pas la quotité de l’amende qui lui a été infligée. Compte tenu de la gravité des infractions à la LProst, le montant de CHF 2'000.-, qui se situe encore au bas de la « fourchette » prévue par l’art. 25 al. 1 LProst, n'est pas critiquable.

Les mesures et sanctions infligées à la recourante respectent donc le principe de la proportionnalité, de sorte que l'autorité intimée n'a pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d'appréciation.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

10.         Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 novembre 2022 par A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 10 octobre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Manuel BOLIVAR, avocat de la recourante, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER et Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

P. HUGI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 


 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :