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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3647/2022

ATA/700/2023 du 27.06.2023 ( LAVI ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : LOI FÉDÉRALE SUR L'AIDE AUX VICTIMES D'INFRACTIONS;AIDE AUX VICTIMES;INFRACTIONS CONTRE LA VIE ET L'INTÉGRITÉ CORPORELLE;VICTIME;LÉSION CORPORELLE SIMPLE;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);TORT MORAL;ATTEINTE À LA SANTÉ PHYSIQUE;AFFECTION PSYCHIQUE
Normes : LPA.61; LAVI.1.al1; LAVI.25.al1; LAVI.22.al1; CO.47; CO.49; LAVI.4; LAVI.23.al1; LAVI.23.al2.leta; LAVI.28
Résumé : Compte tenu de l'agression subie par le recourant (deux coups au visage au moins), des conséquences physiques (perte d'une dent, difficulté à se nourrir) et psychiques (sentiment d'insécurité) qui en ont découlé, l'autorité intimée ne pouvait pas retenir que le seuil de gravité exigé par l'art. 22 LAVI n'était pas atteint et ne pas octroyer une indemnité (art. 23 LAVI). Au regard de la pratique des instances LAVI dans d'autres affaires, il se justifie d'allouer au recourant une indemnité de CHF 1'000.- à titre de réparation morale. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3647/2022-LAVI ATA/700/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 juin 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI intimée

 



EN FAIT

A. a. Le 6 octobre 2021, vers 16h00, au B______, derrière le magasin C______, A______ a reçu, à tout le moins, deux coups de poing au visage de la part de D______.

Selon le certificat médical établi le lendemain par les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), A______ a souffert d'une diplopie au regard vers la gauche, d'une tuméfaction de la lèvre supérieure gauche avec dermabrasion d'environ 1 cm de diamètre, d'un hématome intra-buccal de la lèvre supérieure gauche, en regard de la tuméfaction et de la perte d'une dent. Il avait des douleurs à la palpation de la mandibule et de l'arcade maxillaire. L'ouverture buccale était limitée à 3 cm et il présentait des douleurs à la palpation des occiputs.

Il a déposé plainte pénale le 12 octobre suivant.

b. Par ordonnance pénale du 13 janvier 2022, le Ministère public genevois a déclaré D______ coupable de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) et l'a condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 30.- l'unité. A______ était renvoyé à agir par la voie civile, s'agissante de ses éventuelles prétentions civiles.

c. Le 4 mars 2022, A______ a réclamé CHF 3'000.- à D______ à titre de tort moral pour les lésions corporelles occasionnées.

d. Le 16 mars 2022, D______ a contesté devoir le moindre montant à A______. En effet, ce dernier lui devait près de CHF 14'000.- correspondant à son dommage « lié à la disparition de ses affaires ». Il compensait sa propre créance avec toute prétention qu'il entendait faire valoir à son encontre, pour autant que quelque chose lui soit dû.

D______ était bénéficiaire de l'assurance-invalidité et de prestations complémentaires.

B. a. Le 12 mai 2022, A______ a sollicité auprès de l'instance d'indemnisation LAVI (ci-après : instance LAVI) le versement d'une indemnité pour tort moral de CHF 3'000.-.

b. Lors de son audition par l'instance d'indemnisation LAVI le 16 juin 2022, A______ a expliqué avoir été choqué par l'agression et ne pas comprendre les motivations de D______. Il s'était rendu à l'hôpital puis était retourné une autre fois.

Il était suivi au Centre médical des Acacias par le Dr E______, son médecin traitant. Avant les faits, il était suivi depuis longtemps par la Dre F______, psychiatre, en raison notamment de sa situation familiale difficile et de son divorce. Les coups de poing lui avaient fait perdre ses lunettes et une dent. Une seconde dent qui bougeait avait été arrachée au moment où il s'était fait poser un appareil dentaire. Depuis les faits, il avait des troubles de la déglutition et était apeuré regardant toujours derrière lui. À l'époque des faits, il ne travaillait pas étant bénéficiaire d'une rente AI depuis 2020. Les frais dentaires s'élevaient à CHF 11'000.- mais il n'avait pas les moyens de les assumer.

Psychologiquement, il n'allait pas bien. Quand il rentrait chez lui, il fermait tout de suite la porte derrière lui.

Avant les faits, il n'avait pas de troubles visuels. Il avait passé un scanner car il avait des maux de tête et une diplopie.

c. Le 19 juillet 2022, A______ a transmis à l'instance d'indemnisation LAVI deux attestations signées par le Dr E______ et la Dre F______.

La Dre F______ a indiqué le 27 juin 2022 que A______ était son patient depuis 2018. Il suivait un traitement psychotrope et avait des séances de thérapie mensuelles. L'intéressé souffrait d'un trouble anxio-dépressif, avec beaucoup de difficultés de concentration et de l'attention, des troubles de la mémoire, de l'anxiété, des troubles du sommeil, des ruminations anxieuses liées à ses enfants et à son avenir. Ces symptômes étaient péjorés en cas de situation de stress aigu, comme l'agression dont il avait été victime en 2021.

Le 19 juillet 2022, le Dr E______ a précisé que A______ présentait depuis les faits des douleurs mandibulaires droites qui augmentaient à la mastication. Il se sentait également limité dans l'ouverture de la bouche avec des douleurs sur les articulations temporo-mandibulaires des deux côtés, mais qui étaient plus importantes sur le côté droit. Cliniquement, une asymétrie d'ouverture de bouche avec un retard sur les articulations temporo-mandibulaires droites était constatée. Une imagerie par résonnance magnétique (ci-après : IRM) allait être effectuée afin de préciser si l'on avait affaire à une atteinte de l'articulation.

d. Par décision du 16 juin 2022, notifiée le 5 octobre suivant, l'instance d'indemnisation LAVI a rejeté la requête.

Les conditions pour que A______ soit considéré comme une victime, au sens de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5), étaient remplies.

Il était difficile de retenir que les séquelles psychiques dont souffrait actuellement l'intéressé étaient en rapport de causalité direct avec l'agression, puisque les symptômes décrits pas la Dre F______, laquelle suivait son patient depuis 2018, étaient présents depuis plusieurs années déjà. Même si les symptômes s'étaient péjorés, ils étaient liés avant tout à ses enfants et à son avenir.

A______ était au bénéfice d'une rente de l'assurance-invalidité depuis 2020 déjà.

Compte tenu de ces éléments, les séquelles psychiques et physiques en lien avec les faits et fondant la demande en indemnisation n'atteignaient pas le seuil de gravité exigé par la LAVI.

C. a. Par acte du 4 novembre 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à son annulation et à l'octroi d'une « indemnité de victime de CHF 3'000.- ».

Sa santé physique avait été fortement touchée par les coups de poing violents reçus lors de son agression le 6 octobre 2021. Depuis lors, il éprouvait des douleurs à l'ouverture de sa mandibule. Le Dr E______ avait constaté une asymétrie d'ouverture de bouche avec un retard sur les articulations temporo-mandibulaires droites, qui lui provoquait des douleurs sur les articulations temporo-mandibulaires des deux côtés. Cela l'empêchait de savourer ce qu'il mangeait et de partager les moments de convivialité avec les personnes assises à la table.

Son agression avait péjoré son état psychique. Il éprouvait une grande difficulté à se concentrer, son attention était toujours parasitée par des pensées anxiogènes sur l'avenir de ses filles et la sienne. Il avait 62 ans et sa réinsertion professionnelle était très compliquée au vu de son invalidité. Depuis l'agression, lors de promenades, il craignait d'être à nouveau frappé et de ne plus revoir ses filles. Si son agresseur ne l'avait pas attaqué, il aurait pu reprendre un travail et ne serait pas dans une optique de survie. L'indemnité en réparation morale l'aiderait à se remettre sur pied. Symboliquement, elle représenterait une reconnaissance des années compliquées vécues et aiderait également ses filles, qui en bénéficieraient directement.

Ainsi et compte tenu des circonstances, le principe d'indemnisation devait être admis. L'instance d'indemnisation LAVI n'avait pas pris en compte sa situation familiale difficile, sa santé psychique (péjorée à la suite de l'agression), son incapacité de travail et la réduction de sa capacité de déglutition, fonction essentielle de la vie quotidienne.

b. Le 25 novembre 2022, l'instance d'indemnisation LAVI a indiqué que le recours n'appelait pas d'observations de sa part et qu'elle se référait aux considérants de sa décision.

c. A______ n'ayant pas répliqué, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 19 de la loi d'application de la LAVI du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10).

2.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b) ; les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

Il est incontesté que le recourant a la qualité de victime (art. 1 al. 1 LAVI) et que le délai de péremption de cinq ans de l'art. 25 al. 1 LAVI a été respecté. En l'occurrence, seul est litigieux le droit du recourant à une réparation morale en application des art. 22 ss LAVI.

3.             3.1 Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 de loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) s'appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6742).

Aux termes de l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale. Par ailleurs, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d'argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l'atteinte le justifie et que l'auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement (art. 49 al. 1 CO).

3.2 Le système d'indemnisation du tort moral instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique est subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation dont la victime dispose déjà (art. 4 LAVI ; ATF 131 II 121 consid. 2 ; 123 II 425 consid. 4b). Ainsi, celui qui sollicite une indemnité doit rendre vraisemblable que l'auteur de l'infraction ne verse aucune prestation ou ne verse que des prestations insuffisantes, à moins que, compte tenu des circonstances, on ne puisse pas attendre de lui qu'il effectue des démarches en vue d'obtenir des prestations de tiers (art. 4 al. 1 et 2 LAVI ; ATF 125 II 169 consid. 2b.cc).

3.3 La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 ; 129 II 312 consid. 2.3 ; 125 II 169 consid. 2b/aa). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3 ; ATA/1284/2021 du 23 novembre 2021 consid. 2b ; ATA/973/2015 du 22 septembre 2015 consid. 4c).

3.4 La chambre administrative se fonde sur la jurisprudence rendue en la matière, et, vu le renvoi opéré par l’art. 22 al. 1 LAVI, sur la jurisprudence rendue en matière d’indemnisation du tort moral sur la base de l’art. 49 CO (SJ 2003 II p. 7) ou, le cas échéant, l’art. 47 CO, étant précisé que, au sens de cette disposition, des souffrances psychiques équivalent à des lésions corporelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012 consid. 3.1.1). Le système d’indemnisation du tort moral prévu par la LAVI répond à l’idée d’une prestation d’assistance et non pas à celle d’une responsabilité de l’État ; la jurisprudence a ainsi rappelé que l’utilisation des critères du droit privé est en principe justifiée, mais que l’instance LAVI peut au besoin s’en écarter (ATF 129 II 312 consid 2.3 ; 128 II 49 consid. 4.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_244/2015 du 7 août 2015 consid. 4.1) ou même refuser le versement d’une réparation morale. Une réduction du montant de l’indemnité LAVI par rapport à celle octroyée selon le droit privé peut en particulier résulter du fait que la première ne peut pas tenir compte des circonstances propres à l’auteur de l’infraction (ATF 132 II 117 consid. 2.2.4 et 2.4.3).

L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte – ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances – et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2 et les références citées). Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 116 II 299 consid. 5a). Il est nécessaire de préciser l'ensemble des circonstances et de s'attacher surtout aux souffrances ayant résulté de l'atteinte. Les souffrances psychologiques résultant de l'agression, tel le sentiment d'insécurité ou la perte de confiance en soi, ne doivent pas être négligées (ATA/222/2023 du 7 mars 2023 consid. 5b ; ATA/1291/2022 du 20 décembre 2022 consid. 7c).

En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 117 II 60 consid. 4a/aa et les références citées). L’indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d’argent. C’est pourquoi son évaluation chiffrée ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l’indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l’atteinte subie et il évitera que la somme accordée n’apparaisse dérisoire à la victime. S’il s’inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 ; 125 III 269 consid. 2a ; 118 II 410 consid. 2a).

En matière de réparation du tort moral, une comparaison avec d'autres causes ne doit ainsi intervenir qu'avec circonspection, puisque le tort moral ressenti dépend de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Cela étant, une comparaison peut se révéler, suivant les occurrences, un élément utile d'orientation (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 ; 130 III 699 consid. 5.1).

3.5 La chambre de céans et d'autres juridictions cantonales ont alloué des montants de CHF 1'000.- à CHF 4'000.- à des victimes de lésions corporelles simples ou graves ayant nécessité des interventions chirurgicales, entraîné des cicatrices permanentes, des incapacités de travail de quelques jours à quelques semaines ou des difficultés d'ordre psychique (ATA/595/2020 du 16 juin 2020 consid. 8a ; Meret BAUMANN/Blanca ANABITARTE/Sandra MÜLLER GMÜNDER, La pratique en matière de réparation morale à titre d'aide aux victimes - Fixation des montants de la réparation morale selon la LAVI révisée, in Jusletter 8 juin 2015, pp. 20 ss).

Plus particulièrement et concernant des dommages à la dentition, les montants suivants ont été octroyés :

-       CHF 500.- à une victime d'un coup de poing au visage. Canine cassée et contusion de la mâchoire, saignements de nez, écorchure au coude, difficultés à manger pendant quelques jours, nerf dentaire atteint, douleurs ou coloration de la dentition antérieure possible à long terme. Le montant octroyé correspondait au montant accordé sur le plan civil (14 mai 2013, Bâle 1510) ;

-       CHF 1'000.- ont été accordés à une victime d'un coup de pied donné dans la rue par un inconnu ayant causé la perte de quatre dents (de devant), la pose d'une attelle, une mastication douloureuse pendant plusieurs semaines, une absorption de nourriture difficile. De plus, la pose d'implants et couronnes étaient à prévoir (8 novembre 2012 dans le canton de Genève) ;

-       CHF 1'500.- pour une victime d'un coup de poing et une bouteille au visage. Perte de trois dents (antérieures) avec une intervention chirurgicale délicate cinq ans après les faits (traitement provisoire jusque-là), avec des troubles psychiques importantes, une perte de confiance en soi et une rétrogradation professionnelle. Le montant accordé correspondait au montant accordé sur le plan civil (12 août 2013, Zürich 330/2013) ;

-       CHF 1'500.- alloués à une victime tabassée par un inconnu causant une double fracture de la mâchoire inférieure, la perte d'une dent, deux interventions chirurgicales (attelles bimaxillaires), interruption de travail durant deux mois et demi à 100 %, puis 22 jours à 50 % (23 mai 2014, Zürich 147/2014) ;

-       CHF 1'800.- ont été octroyés à une victime ayant reçu un coup de poing lui ayant causé une fracture du nez et des parois nasales, une commotion cérébrale, un hématome oculaire et quatre dents cassées, une opération du nez compliquée après un an (obstruction de la cavité nasale droite), cicatrice et sensations anormales au nez (31 août 2011, Schwytz 153/2011) (Meret BAUMANN/Blanca ANABITARTE/Sandra MÜLLER GMÜNDER, op. cit. p. 20-21).

3.6 Le Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d'aide aux victimes d'infractions à l'intention des autorités cantonales en charge de l'octroi de la réparation morale à titre de LAVI, rédigé en octobre 2008 (ci-après : le guide) a été entièrement remanié et s'intitule désormais « Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale selon la LAVI » du 3 octobre 2019 (accessible à l’adresse https://www.bj.admin.ch/bj/fr/ home/aktuell/news/2019/2019-10-03.html).

Il s'adresse aux autorités d'indemnisation des victimes et aux professionnels chargés d'accorder une réparation morale au sens de la LAVI. Le guide concerne principalement la prétention à réparation morale et la fixation de son montant au sens de la LAVI. Il a pour objectif de permettre l'application uniforme de la LAVI en matière de réparation morale (p. 2).

Les fourchettes du guide aménagent une marge de manœuvre suffisante pour qu'il soit tenu compte des particularités de chaque cas d'espèce. La difficulté réside surtout dans le calcul du montant approprié à l'intérieur de ces fourchettes. La prise en considération de décisions antérieures semblables est dès lors essentielle pour garantir la sécurité et l'application uniforme du droit. Aussi, malgré la grande diversité des cas, certains facteurs ci-après sont récurrents : parmi les blessures légères, on range les contusions, les plaies par déchirure, les lésions dentaires, les morsures superficielles, les petites cicatrices et les troubles psychiques causés principalement par des atteintes inattendues. La fourchette se situe ici entre CHF 0.- et CHF 1'000.- ; en cas de blessures, dont la guérison se déroule le plus souvent sans complication telles que des fractures, les montants se situent entre CHF 1'000.- et CHF 3'000.-. S'il s'agit de blessures infligées par couteau ou par balle, la réparation peut s'élever jusqu'à CHF 5'000.- ; dans la tranche allant de CHF 5'000.- à CHF 10'000.-, on trouve surtout des lésions occasionnées à des organes (rate, foie, yeux) qui nécessitent un processus de guérison plus long et plus complexe et qui peuvent laisser des séquelles, telles une diminution de l'acuité visuelle, une paralysie intestinale ou une prédisposition accrue aux infections (Meret BAUMANN/Blanca ANABITARTE/Sandra MÜLLER GMÜNDER, op. cit., p. 27 s).

Par ailleurs, selon le guide, les atteintes à l’intégrité physique de peu de gravité ne donnent pas droit à réparation morale, sauf en présence de circonstances aggravantes. Ces dernières sont présentes lorsque les lésions corporelles ont été infligées dans des circonstances traumatiques, ou bien ont laissé des séquelles psychiques durables. On peut par exemple aussi considérer comme circonstances aggravantes la mise en danger de la vie, des répercussions dramatiques sur la vie privée et professionnelle de la victime, un séjour prolongé à l’hôpital, plusieurs séjours, ou encore des douleurs persistantes ou aiguës. Une indemnité jusqu'à CHF 5'000.- correspond à des atteintes corporelles non négligeables, en voie de guérison, ainsi que des atteintes de peu de gravité avec circonstances aggravantes, comme par exemple des fractures ou des commotions cérébrales (p. 10). Lorsque l'atteinte grave à l'intégrité psychique va de pair avec une atteinte à l'intégrité physique ou sexuelle, elle est une conséquence ou une circonstance aggravante de cette dernière, auquel cas la prétention et le montant de la réparation seront déterminés par les fourchettes applicables à la première atteinte. On procède alors comme pour l'application du principe de l'aggravation des peines (p. 14).

Les critères de fixation du montant sont, selon le guide, les conséquences directes de l'acte (notamment l'intensité, l'ampleur et la durée des séquelles physiques telles que les douleurs par exemple, des séquelles psychiques, la durée du traitement, de la psychothérapie, l'altération considérable du mode de vie), le déroulement de l'acte et ses circonstances (notamment l'acte qualifié avec utilisation d'armes ou d'autres objets dangereux, l'ampleur et l'intensité de violence, la commission de l'acte dans un cadre protégé tel qu'un logement) et la situation de la victime (âge notamment) (p. 11).

Pour les victimes ayant subi une atteinte grave à l'intégrité psychique, la pratique pour la détermination de la gravité de cette atteinte consiste à partir de la gravité ou des circonstances concrètes de l'infraction et à en tirer des conclusions sur les répercussions notoires. Ainsi, pour une atteinte à l'intégrité psychique non négligeable même si temporaire avec circonstances aggravantes déterminées par l'acte, par exemple utilisation d'armes ou d'autres objets dangereux, commission en groupe, acte commis dans un cadre protégé, récidive : longue période et fréquence, le guide prévoit une réparation morale allant jusqu'à un montant de CHF 5'000.- (p. 15).

Les critères de fixation du montant sont, selon le guide, les conséquences directes de l'acte (notamment l'intensité, l'ampleur et la durée des séquelles psychiques, la durée de la psychothérapie, la mise en danger de la vie et la durée de persistance de ce danger, l'altération considérable du mode de vie, les conséquences sur la vie privée ou professionnelle), le déroulement de l'acte et les circonstances (notamment l'acte qualifié, l'ampleur et l'intensité de la violence, la durée et la fréquence de l'acte, l'acte commis dans un cadre protégé), ainsi que la situation de la victime (l'âge en particulier une victime mineure, la vulnérabilité particulière et la relation de confiance ou de dépendance entre la victime et l'auteur) (p. 16).

Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d'application. Toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles correspondent en principe à la volonté du législateur et constituent une référence permettant d'assurer une certaine égalité de traitement, tant que le Conseil fédéral n'impose pas de tarif en application de l'art. 45 al. 3 LAVI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3). Dans un souci d'application uniforme et équitable de la loi, il peut être tenu compte des recommandations qui y sont mentionnées (ATA/222/2023 précité consid. 5e).

3.7 Constitue un excès négatif du pouvoir d'appréciation le fait que l'autorité se considère comme liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou encore qu'elle renonce d'emblée en tout ou partie à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1), ou qu’elle applique des solutions trop schématiques, ne tenant pas compte des particularités du cas d’espèce (ATA/926/2021 du 7 septembre 2021 consid. 6b ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 514). L’autorité commet un abus de son pouvoir d'appréciation lorsque, tout en respectant les conditions et les limites légales, elle ne se fonde pas sur des motifs sérieux et objectifs, se laisse guider par des éléments non pertinents ou étrangers au but des règles ou viole des principes généraux tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; ATA/1349/2017 précité consid. 10 ; ATA/1253/2015 du 24 novembre 2015 consid. 5d ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2015, p. 566).

3.8 En l'espèce, compte tenu de la teneur du courrier de D______ du 16 mars 2022, le recourant a rendu vraisemblable que son agresseur ne compte lui verser aucune prestation (art. 4 LAVI).

Cela relevé, il ressort de l'ordonnance pénale du 13 janvier 2022 que D______ a asséné au visage du recourant au moins deux coups, lui occasionnant de la sorte une tuméfaction de la lèvre supérieure gauche avec dermabrasion d'environ 1 cm de diamètre, un hématome intra-buccal de la lèvre supérieure gauche, en regard de la tuméfaction.

Ces lésions corporelles ont été qualifiées de simples par les autorités pénales.

Le certificat médical établi le lendemain de l'agression par les HUG est toutefois plus complet. Il indique en effet que le recourant souffre d'une diplopie au regard vers la gauche, de la perte d'une dent, ainsi que de douleurs à la palpation de la mandibule et de l'arcade maxillaire. L'ouverture buccale était de plus limitée à 3 cm et le recourant présentait des douleurs à la palpation des occiputs.

Entendu par l'intimée près de huit mois après les faits, le recourant souffrait toujours de séquelles de l'agression, puisqu'il a indiqué avoir toujours des troubles de la vision et de la déglutition, ainsi que des maux de tête. De plus, son agression avait eu des répercussions sur le plan psychique en ce sens qu'elle avait péjoré les symptômes de son trouble anxio-dépressif, comme le retient le certificat médical établi le 27 juin 2022 par la Dre F______.

Au vu de ces certificats médicaux, les lésions subies entrent dans la catégorie des blessures dites « légères », soit celle des lésions simples ayant entraîné des complications et des souffrances d'ordre psychique, sans toutefois nécessiter d'opération ou autres actes plus invasifs et pour lesquelles la fourchette se situe entre CHF 0.- et CHF 1'000.-. La casuistique développée ci-dessus illustre toutefois que des montants allant de CHF 500.- à 1'800.- ont été octroyés à des victimes ayant subi des dommages semblables à ceux du recourant, notamment par rapport à la dentition et aux difficultés à se nourrir.

De plus, il ressort de l'attestation du médecin traitant du recourant que la question d'une atteinte aux articulations temporo-mandibulaires est en cours d'instruction, puisqu'une IRM allait être faite. Il n'est donc pas exclu que les séquelles de l'agression soient plus importantes.

Enfin, même si le recourant était déjà suivi pour un trouble anxio-dépressif, l'agression gratuite dont il a été victime a péjoré sa situation psychique. Il ressort en effet de son audition qu'il a développé un sentiment d'insécurité depuis les faits.

Au vu de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, en particulier de l'agression subie par le recourant, des conséquences physiques et psychiques qui en ont découlé, l'autorité intimée ne pouvait pas retenir que le seuil de gravité exigé par l'art. 22 LAVI n'était pas atteint et ne pas octroyer une indemnité (art. 23 LAVI). Dans ces conditions et au regard de la pratique des instances LAVI dans les cas susmentionnés, il se justifie d'allouer au recourant une indemnité de CHF 1'000.- à titre de réparation morale.

La jurisprudence citée par le recourant, dans laquelle le Tribunal fédéral a confirmé une indemnité pour tort moral de CHF 2'000.-, ne lui est d'aucun secours. En effet, la victime en question a été blessée à l'abdomen par un objet dangereux et il avait dû être hospitalisé quelques jours. Il avait de plus dû interrompre son travail durant trois semaines. Les circonstances de ce dossier ne sont donc pas comparables avec celui du recourant.

Dans ces circonstances, le recours sera partiellement admis, la décision de l'autorité intimée sera annulée et une indemnité pour tort moral de CHF 1'000.- sera octroyée au recourant, sans intérêts conformément à l'art. 28 LAVI.

4.             Vu l'issue et la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 30 al. 1 LAVI et 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera versée au recourant, qui y a certes conclu mais n'a pas allégué avoir exposé de frais pour assurer sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 novembre 2022 par A______ contre la décision de l'instance d'indemnisation LAVI du 16 juin 2022 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision de l'instance d'indemnisation LAVI du 16 juin 2022 ;

alloue à A______ la somme de CHF 1'000.- à titre de réparation morale ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l'instance d'indemnisation LAVI ainsi qu’à l’office fédéral de la justice.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. DIKAMONA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :