Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2993/2022

ATA/587/2023 du 06.06.2023 ( FPUBL ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2993/2022-FPUBL ATA/587/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 juin 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Renato CAJAS, avocat

contre

ÉTABLISSEMENTS PUBLICS POUR L'INTÉGRATION (EPI) intimés
représentés par Me Lorella BERTANI, avocate

 



EN FAIT

A. a. A______, né en 1990, a été engagé le 28 février 2019 par les Établissements publics pour l'intégration (ci-après : EPI), en qualité de maître d’atelier à 100% à compter du 1er avril 2019.

b. Selon son cahier des charges, il lui appartenait notamment d’« assurer la protection de la personne en situation de handicap en lui apprenant à se protéger ».

c. Par avenant du 15 mars 2019, les EPI ont confirmé la prise en charge de la formation de maître socio-professionnel sur trois ans.

d. Il a signé, le 21 mars 2019, la Directive concernant la prévention et le suivi des cas de suspicion d’abus sexuels, de maltraitance ou d’autres formes de violation de l’intégrité contre des collaboratrices et collaborateurs en emploi adapté et autres usages avec handicap.

e. Il a été nommé fonctionnaire le 1er avril 2021. Son supérieur hiérarchique était B______, chef de secteur formation intégration en restauration.

B. a. C______, née le ______ 1996, est collaboratrice en emploi adapté dans le service de restauration au restaurant de la ______ auprès des EPI depuis le 1er septembre 2018. Elle a commencé son activité au taux de 30%, puis a augmenté son activité à 40% dès le 1er janvier 2021.

b. Après avoir examiné l’intéressée en 2017, le médecin-conseil des EPI a attesté d’un « petit niveau intellectuel ».

c. Elle perçoit une rente entière d’invalidité depuis 2019.

C. a. Le 14 février 2022, D______, maîtresse de réadaptation et référente de C______ depuis septembre 2018, a reçu l’intéressée pour un entretien d’évaluation, en présence de A______. Lors de cet entretien, il a été discuté de la possibilité pour C______ d’accomplir un stage dans un autre lieu. Selon le compte rendu de D______, un certain manque de ponctualité et de régularité pouvait être un frein au changement de lieu. C______ était invitée à limiter ses arrivées tardives pour démontrer sa motivation.

b. Le 17 février 2022, entre 8h30 et 8h45, C______ a appelé E______, chef de secteur de restauration, l’informant de ce qu’elle se trouvait à la ______ et souhaitait le voir. Selon les témoins présents sur ce lieu ce matin-là, l’intéressée était « très affectée », « en mauvais état », « en pleurs », « exprimant la crainte de ne pas être crue, aux limites de l’effondrement ».

Elle a été reçue en entretien le matin même, à 9h30, par E______ et F______, chef de service de restauration.

Selon le rapport interne rédigé le 18 février 2022 par F______, C______ s’était plainte de ce que les échanges avec A______ étaient devenus plus souvent d’ordre privé que professionnel. Un vendredi, en fin de service, la conversation avait même débordé sur le sexe. Cette situation l’avait perturbée durant le week-end, si bien qu’elle s’était excusée auprès de A______ le lundi suivant. Ce dernier lui avait alors répondu avoir « aimé » cette conversation et avait continué à la questionner sur ses habitudes sexuelles. Elle se sentait sous son emprise. Un jour, ils s’étaient retrouvés seuls dans une salle. A______ lui avait alors demandé de se baisser devant elle, ce qu’elle avait refusé de faire. Cette situation avait engendré le propos suivant : « Tu vois, tu n’es pas si soumise que ça ». Il avait ensuite fait tomber un stylo et lui avait demandé de le ramasser, ce qu’elle avait fait. Il lui avait alors dit que si elle ne l’avait pas ramassé, il aurait remis en cause ses horaires de travail. Suite à cet épisode, les choses n’avaient fait qu’empirer. Dès qu’il avait quelque chose à faire, il lui demandait de l’accompagner. Lorsqu’ils étaient seuls, il l’enlaçait, comme pouvait le faire un petit ami. Il lui avait demandé lors de ces moments-là de lui faire des bisous sur la joue. Il lui avait également demandé de lui montrer comment elle était soumise et de s’allonger sur une table. Il lui avait alors touché les fesses. Elle lui avait demandé d’arrêter et de cesser de l’importuner. Il l’avait par la suite dénigrée, ignorée et dévalorisée. Elle reconnaissait qu’elle avait été naïve, pensant régler la situation seule. Selon elle, à part son petit ami et sa collègue, G______, collaboratrice en emploi adapté, personne n’était au courant de la situation.

c. Faisant suite à cet entretien, F______ et E______ ont convoqué, séparément, A______, H______, restauratrice, et I______, collaboratrice en emploi adapté.

Selon le rapport interne rédigé le 18 février 2022 par F______, A______ a déclaré n’avoir jamais eu le comportement décrit par C______ et a contesté l’ensemble des accusations portées à son encontre.

H______ a expliqué ne pas comprendre pourquoi, avec les relations qu’elles entretenaient, C______ ne lui avait jamais dit quoi que ce soit à ce sujet. Pour elle, l’intéressée avait cherché à rendre jaloux son petit ami. Elle pensait que celle-ci avait un « faible » pour A______.

I______ a indiqué n’avoir jamais constaté de la part de A______ un quelconque débordement auprès de C______ ou toute autre personne. Il était très professionnel et n’avait jamais eu un comportement déplacé. Elle était étonnée des propos rapportés par C______ à l’encontre de A______. Selon elle, C______ laissait volontiers entendre qu’elle avait des difficultés dans son couple.

d. A______ a à nouveau contesté les faits lors d’un entretien qui s’est tenu le 18 février 2022 en présence de J______, médiatrice institutionnelle aux EPI.

e. Par courrier du 23 février 2022, la direction des ressources humaines des EPI a informé A______ que les éléments qui lui étaient reprochés, s’ils devaient être avérés, seraient constitutifs de très graves manquements à ses obligations professionnelles et pourraient aboutir à une révocation. Ils étaient en conséquence dans l’obligation d’en informer le Conseil d’administration des EPI (ci-après : le CA), instance compétente pour ouvrir une enquête administrative dans ce type de situation. Dans l’attente de sa décision, il était dispensé de son obligation de travailler. Il avait, de plus, l’interdiction formelle d’entrer en contact avec C______ et d’évoquer cette situation lors d’éventuels contacts avec des collaborateurs des EPI.

f. Par décision du 1er mars 2022, le CA a ouvert une enquête administrative à l’encontre de A______, qu’il a confiée à K______. Compte tenu des éléments qui lui avaient été rapportés et sous réserve d’autres faits qui pourraient apparaître en cours d’enquête, le CA considérait que ces derniers n’étaient pas de nature à compromettre la confiance qu’impliquait la poursuite de l’activité qu’il effectuait. Il était partant autorisé à poursuivre son travail de maître socioprofessionnel au secteur restauration.

g. A______ a toutefois renoncé à poursuivre son activité.

h. L’enquêtrice a rendu son rapport d’enquête le 31 mai 2022, après avoir entendu D______, G______, I______, F______, E______, B______, L______, cuisinier, H______, M______, assistante socio-professionnelle dans la restauration, N______, cuisinier, et C______. Ni A______, ni son avocat, n’ont été convoqués à la première audience du 22 mars 2022, lors de laquelle l’enquêtrice a procédé à l’audition de D______, G______, I______ et C______.

Dans le cadre de l’enquête, C______ a produit des croquis des locaux établis par ses soins, ainsi qu’un certificat médical du 4 mai 2022 de son psychiatre traitant, le docteur O______.

En l’absence de tout témoin oculaire ou direct de tout ou partie des faits dénoncés, un examen de la crédibilité de tous les éléments qui pouvaient confirmer ou infirmer les dires de C______ s’imposait. Le premier élément avait trait aux circonstances dans lesquelles les faits avaient été dénoncés. Les témoignages concordaient concernant l’état psychologique de C______, très affectée, en mauvais état, en pleurs, exprimant la crainte de ne pas être crue, aux limites de l’effondrement. Sa démarche n’avait été prévue par aucun agenda. Il n’était pas non plus prévu qu’elle sollicite un entretien avec E______. L’audition de C______ avait par ailleurs mis en évidence que c’était avec beaucoup de réticence qu’elle avait répondu aux interrogations d’H______ qui avait dû insister pour que sa jeune collègue s’exprime. C’était donc sous une pression maximale qu’elle s’était expliquée devant E______.

Il convenait également de mentionner le fait que C______ s’était confiée à G______, une collègue de travail au même statut. Son témoignage revêtait ainsi une importance particulière, dans la mesure où elle était la seule personne susceptible de fournir des éléments de temps et de lieu par rapport aux plaintes de C______. G______ était apparue comme une jeune femme réservée, réfléchie et cohérente. Elle s’était certes trompée dans les dates, mais cela n’affectait pas la crédibilité de son témoignage. Elle avait un récit propre, basé sur ce qu’elle avait observé. Elle avait aussi manifesté vis-à-vis de l’enquêtrice son incompréhension face à l’attitude contradictoire de sa collègue, qui se plaignait d’une certaine indifférence de la part de A______.

Un autre élément d’appréciation important résidait dans la cohérence et la continuité de la déclaration de C______. Lors de son audition durant l’enquête, visiblement rassurée d’être écoutée sans jugement et prise au sérieux, elle avait rapidement pu fournir les indications de temps et de lieu qui lui avaient fait défaut. Ainsi, elle avait situé plusieurs épisodes dans une petite salle appelée P______ se trouvant sur l’étage du restaurant et qui avait pour particularité de pouvoir être fermée par deux portes et refroidie en été lors des grandes chaleurs, ce que plusieurs témoins avaient confirmé. Elle n’avait jamais amplifié les accusations portées contre A______ et au contraire insisté pour dire que les attouchements et autres caresses s’étaient faits par-dessus les habits. Elle s’était aussi attribuée une part de responsabilité pour avoir participé à des discussions à caractère sexuel et n’avoir pas manifesté son opposition de manière plus claire.

La question pouvait se poser de savoir si C______, en quelque sorte mue par la déception de ne pas pouvoir réaliser son projet de stage sur un autre site, aurait alors décidé de dénoncer A______ trois jours plus tard. Cette hypothèse ne pouvait être totalement exclue, mais manquait de logique et de cohérence. Elle avait expliqué qu’au sortir de la séance, A______ lui avait dit dans l’oreille « tu aurais pu mentionner que tu as payé de ta personne ». C______ avait commencé par dire à l’enquêtrice qu’elle n’avait pas tout de suite compris le sens de cette phrase, ce que l’on imaginait assez facilement, au vu de son faible niveau intellectuel. Elle ne s’attendait pas à ce qu’un entretien important pour elle donne lieu à une remarque de ce genre. La remarque était assurément malveillante, voire méprisante, et lui rappelait que ce n’était pas elle qui décidait, que ce soit par rapport à un stage ou par rapport à la fin de cette situation embarrassante et pesante vis-à-vis de son maître d’atelier. Si l’on considérait l’état émotionnel de C______ le matin du 17 février 2022, tel qu’observé et rapporté par plusieurs personnes, l’on voyait mal ce qui d’autre qu’un incident ou un événement fort, voire violent, aurait pu la pousser à faire ce qu’elle n’avait pas osé pendant si longtemps : dénoncer son supérieur au risque de ne pas être crue. S’ajoutait à cela que l’attestation de son psychiatre traitant renforçait la crédibilité de sa déclaration, étant précisé que l’intéressée ne souhaitait pas le délier de son secret médical au-delà de la teneur de son attestation.

En présence d’un ensemble d’éléments concordants, l’enquêtrice parvenait ainsi à la conclusion que rien ne permettait d’écarter ou d’invalider le récit de C______, parce qu’il serait le fruit de son imagination ou le résultat d’une vengeance. Retenir la crédibilité des dires de C______ devait conduire l’enquêtrice à la conclusion que A______ ne disait pas la vérité. Il n’y avait pas de moyen terme possible. Lors de son audition, l’intéressé avait expressément contesté que C______ ait adopté, vis-à-vis de lui, un comportement de séduction, ce quand bien même certains témoins avaient qualifié des attitudes de l’intéressée de telles. La position de A______ était compréhensible et se trouvait dans la logique de la contestation pure et simple. L’aveu était difficile et la nuance lors de ce type d’accusations était extrêmement rare. Compte tenu de l’ensemble de ses formations, des devoirs liés à sa fonction et de la figure d’autorité qu’il représentait, il devait assumer complètement les conséquences de ses actes. Il avait indiscutablement l’intelligence et la maturité à cet effet.

En conclusion, C______ était crédible dans la dénonciation des attitudes et actes à caractère sexuel de la part de A______, « sans qu’il soit possible de déterminer avec précision combien de fois de telles attitudes avaient été adoptées, respectivement de tels actes avaient eu lieu, la période de commission s’étendant du début de l’été 2021 au 14 février 2022 ».

i. Faisant usage de son droit d’être entendu, A______ a contesté la valeur du rapport d’enquête. L’absence totale d’objectivité dans sa synthèse et le parti pris de l’enquêtrice dès le début de la procédure lui enlevaient toute crédibilité. Aucun des faits allégués par la dénonciatrice n’avait été établi.

j. Par décision du 14 juillet 2022, se fondant sur le rapport d’enquête, les EPI ont constaté que les faits reprochés constituaient des actes qui devaient être qualifiés de très graves dans le contexte décrit. La mission des EPI consistait, notamment, à offrir aux personnes en situation de handicap un environnement propice au développement de leur autonomie et à l’amélioration de leurs conditions de vie. En raison de sa fonction, il encadrait des personnes en difficulté, fragilisées et très vulnérables. Le lien de confiance était rompu, ce qui rendait impossible la poursuite des relations de travail. Sa révocation était dès lors prononcée, avec effet immédiat.

D. a. Par acte du 14 septembre 2022, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation (ch. 3), à sa réintégration (ch. 4) et à ce que les EPI soient condamnés au paiement rétroactif des traitements en sa faveur depuis le 18 juillet 2022 (ch. 5) ainsi qu’au paiement d’une indemnité équivalente à 24 traitements bruts en sa faveur (ch. 7). Il a sollicité une audience de comparution personnelle ainsi que l’audition de l’enquêtrice et du Dr O______.

La décision de révocation reposait exclusivement sur le rapport du 31 mai 2022, lequel était dénué de toute valeur probante. Au vu des déclarations des témoins, et des pièces au dossier, il convenait de tenir pour établi qu’il n’avait pas eu le moindre comportement déplacé à l’encontre de la dénonciatrice.

L’absence totale d’objectivité dans la synthèse du rapport et le parti pris de l’enquêtrice dès le début de la procédure lui enlevaient toute crédibilité. Il était choquant que le jeu de séduction unilatéral de la part de la dénonciatrice n’ait pas été analysé par l’enquêtrice pour examiner si la dénonciation n’était pas le fruit d’une déception des attentes que la dénonciatrice avait vis-à-vis de lui ou d’une tentative de rendre jaloux son compagnon. Or, ces deux hypothèses avaient été spontanément évoquées par H______. Sans motif, l’enquêtrice avait écarté les déclarations de E______, G______, I______ et H______. Quant aux déclarations de la dénonciatrice, l’enquêtrice lui avait permis de témoigner sous la forme de récit au lieu de répondre à des questions. Or, ce procédé lui permettait d’éviter de se contredire. S’ajoutait à cela que la dénonciatrice avait refusé de délier son psychiatre traitant de son secret médical, ce qui aurait dû conduire l’enquêtrice à remettre en question la valeur probante de son attestation. Il était également surprenant que cette attestation soit produite aussi tardivement.

b. Par réponse du 16 novembre 2022, les EPI ont conclu à ce le recourant soit invité à indiquer s’il avait trouvé un emploi. Si tel était le cas, le recours était irrecevable. La conclusion visant à l’obtention d’une indemnité équivalent à 24 mois de traitement était également irrecevable. Subsidiairement, les EPI ont conclu au rejet du recours.

Sur le fond, il ne faisait aucun doute que les faits reprochés au recourant étaient extrêmement graves même si, par impossible, la victime avait consenti aux actes. Commettre des actes d’ordre sexuel sur le lieu de travail constituait une grave violation des devoirs de service. La faute était d’autant plus grave que la victime travaillait en emploi adapté et était subordonnée au recourant. Ce dernier avait pour mission de la protéger. Les déclarations de C______, qui remplissaient tous les critères de crédibilité, avaient plus de poids que les dénégations du recourant. Les faits et les lieux, tels que décrits par l’intéressée, n’étaient pas improbables, ni impossibles et avaient matériellement pu se produire. Le fait pour une victime de révéler des faits aussi lourds et gênants à une personne de confiance était une constante dans la jurisprudence. Elle s’était par ailleurs confiée à un psychiatre. La version de la victime n’avait jamais varié et elle avait toujours donné des détails qu’elle n’aurait pas pu inventer.

Au vu de leur politique de tolérance zéro face aux abus sexuels et de leur obligation de protéger les collaborateurs en emploi adapté, ils n’avaient commis aucun excès ni abus de leur pouvoir d’appréciation en retenant qu’au vu de l’extrême gravité des faits et de la faute commise, seule la révocation était envisageable.

c. La chambre de céans a tenu une audience de comparution personnelle le 13 janvier 2023 lors de laquelle A______ a indiqué avoir commencé un nouvel emploi dans le domaine de la réinsertion professionnelle auprès de la Fondation Foyer Handicap le 15 août 2022. Il retirait donc les conclusions n° 4 et 5 de son recours. Il maintenait toutefois sa conclusion n° 7. Il avait renoncé à déposer une plainte pénale pour calomnie à l’encontre de C______. Il ne tirait aucune conséquence sous l’angle du droit d’être entendu de son absence de convocation à la première audience devant l’enquêtrice. Il remettait toutefois en cause la valeur probante du rapport d’enquête.

La représentante des EPI a persisté à contester l’absence d’intérêt actuel à agir de A______.

d. Par arrêt sur partie du 31 janvier 2023, la chambre administrative a déclaré le recours recevable.

Le refus du recourant de réintégrer son poste en raison d’un nouvel emploi ne supprimait pas son intérêt actuel juridique ou pratique au traitement de son recours. Il convenait dès lors de lui reconnaître la qualité pour recourir.

e. Lors de l’audience de comparution personnelle du 24 mars 2023, A______ a indiqué qu’il était relativement rare qu’il se retrouve seul avec C______, car ils travaillaient dans un espace « très ouvert ». Questionné au sujet du comportement de l’intéressée, A______ a répondu qu’elle avait besoin d’attention de manière générale. Elle la cherchait envers d’autres collègues également, dont I______ et H______. Elle avait besoin d’un accompagnement spécifique et avait des difficultés à gérer ses émotions. Il avait toujours essayé d’adapter son travail à ses horaires et besoins. Son travail consistait à observer les employés et à les valoriser en cas d’initiative ou de travail bien fait. Il se comportait comme cela avec tous les collaborateurs. Il n’avait pas le souvenir qu’elle se serait plainte quand il ne la regardait pas. Il était exact que C______ parlait souvent de sa vie privée. Dans ce genre de situation, il laissait la personne s’exprimer en lui offrant une oreille attentive et la dirigeait le cas échéant vers un spécialiste.

À l’issue de l’audience, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             La recevabilité du recours a déjà été admise dans l’arrêt sur partie du 31 janvier 2023 (ATA/94/2023).

2.             Le recourant sollicite son audition, ainsi que celle du Dr O______ et de l’enquêtrice.

2.1 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour l'intéressé de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes. Il n'empêche toutefois pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 143 III 65 consid. 3.2 ; 142 II 218 consid. 2.3). Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit à l’audition de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’occurrence, la chambre de céans a procédé à deux audiences de comparution personnelle, de sorte que la demande du recourant en ce sens est devenue sans objet. L’audition de l’enquêtrice, dont le rapport a été versé à la procédure, n’est pas susceptible de modifier l’issue du litige. Le recourant ne conteste du reste pas les constats effectués mais uniquement les conclusions qu’elle en tire. Quant à l’audition du Dr O______, qui n’a pas été délié du secret médical par la dénonciatrice, elle n’est pour cette raison pas susceptible d’apporter des éléments supplémentaires.

Le dossier étant complet et en état d'être jugé, il ne sera pas donné suite aux requêtes d’audition du recourant.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de révocation avec effet immédiat du 14 juillet 2022.

3.1 La chambre administrative peut revoir le droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que les faits (art. 61 al. 1 LPA), à l'exclusion de l'opportunité de la décision attaquée (art. 61 al. 2 LPA).

3.2 Sous l’appellation « Établissements publics pour l’intégration », il est institué un établissement de droit public, doté de la personnalité juridique, dont le siège est à Genève (art. 28 LIPH).

À teneur de l’art. 29 LIPH, les EPI ont pour but l’intégration et la réinsertion professionnelle des personnes handicapées, l’augmentation de leur autonomie et l’amélioration de leurs conditions de vie en tenant compte de leurs besoins particuliers. Ils exploitent également des lieux d’activités de jour et des lieux de vie accueillant des personnes handicapées.

3.3 Les relations entre les EPI et son personnel sont régies par la législation cantonale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux (art. 43 al. 1 de la loi sur l'intégration des personnes handicapées du 16 mai 2003 - LIPH - K 1 36).

Les membres du personnel sont tenus au respect de l'intérêt de l'État et doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 20 al. 1 du règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 - RPAC - B 5 05.01). Ils se doivent, par leur attitude, d'entretenir des relations dignes et correctes avec leurs supérieures et supérieurs, leurs collègues et leurs subordonnées et subordonnés, et permettre et faciliter la collaboration entre ces personnes (art. 21 let. a RPAC) et de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1 RPAC). Ainsi, un fonctionnaire a l’obligation, pendant et en dehors de son travail, d’adopter un comportement qui inspire le respect et qui soit digne de confiance, et il doit s’abstenir de tout ce qui peut porter atteinte aux intérêts de l’État. En particulier, il doit s’abstenir de tout comportement de nature à entamer la confiance du public en l’intégrité de la fonction publique et des fonctionnaires ou à le rendre moins digne de confiance aux yeux de son employeur. Il est sans importance que le comportement répréhensible ait été connu ou non du public et ait attiré l'attention (arrêts du Tribunal fédéral 8C_252/2018 du 29 janvier 2019 consid. 5.2; 8C_146/ 2014 du 26 juin 2014 consid. 5.5). 

3.4 Le Conseil d'État veille à la protection de la personnalité de tous les membres du personnel dans le cadre de leur activité professionnelle. Il prend les mesures nécessaires à la prévention, à la constatation, à la cessation et à la sanction de toute atteinte à la personnalité d'un membre du personnel, en particulier en cas de harcèlement sexuel ou psychologique (art. 1 du règlement relatif à la protection de la personnalité à l'État de Genève du 12 décembre 2012 - RPPers - B 5 05.10).

Le personnel des EPI est également soumis au RPPers (art. 2 al. 2 let. a RPPers).

Est constitutive d'une atteinte à la personnalité toute violation illicite d'un droit de la personnalité, telles notamment la santé physique et psychique, l'intégrité morale, la considération sociale, la jouissance des libertés individuelles ou de la sphère privée (art. 3 al. 1 RPPers).

Les membres du personnel chargés de fonctions d’autorité sont tenus, notamment, de veiller à la protection de la personnalité des membres du personnel (art. 23 let. f RPAC).

Il incombe à l'employeur public, comme à l'employeur privé (art. 328 CO), de protéger et respecter la personnalité du travailleur. Cette obligation comprend notamment le devoir de l'employeur d'agir dans certains cas pour calmer la situation conflictuelle et de ne pas rester inactif (ATF 137 I 58 consid. 4.2.3).

3.5 Il résulte des particularités du harcèlement que ce dernier est généralement difficile à prouver, si bien qu'il faut savoir en admettre l'existence sur la base d'un faisceau d'indices convergents, mais aussi qu'il peut n'être qu'imaginaire, sinon même être allégué abusivement pour tenter de se protéger contre des remarques et des mesures pourtant justifiées (arrêts du Tribunal fédéral 2A.770/2006 du 26 avril 2007 consid. 4.3 et 4C.343/2003 du 13 octobre 2004 consid. 3.1 ; ATA/1057/2015 du 6 octobre 2015 et les références citées).

3.6 Le conseil d’administration peut en tout temps ordonner l’ouverture d’une enquête administrative qu’il confie à une personne qui a les compétences requises. Il doit le faire notamment dans l'hypothèse d'une révocation (art. 27 al. 2 LPAC). L’intéressé est informé de l’enquête dès son ouverture et il peut se faire assister d’un conseil de son choix (art. 27 al. 3 LPAC). L'enquête doit, en principe, être menée à terme dans un délai de trente jours dès la première audition. En règle générale, il n'est procédé qu'à une seule audience au cours de laquelle les parties, ainsi que d'éventuels témoins, sont entendus. Les parties doivent communiquer d'emblée à l'enquêteur tous les moyens de preuve dont elles requièrent l'administration (art. 27 al. 4 LPAC). Une fois l'enquête achevée, l'intéressé peut s'exprimer par écrit dans les trente jours qui suivent la communication du rapport (art. 27 al. 5 LPAC). Le conseil d’administration statue à bref délai (art. 27 al. 6 LPAC).

3.7 Les sanctions disciplinaires sont traitées à l’art. 16 LPAC. Selon cette disposition, les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, des sanctions suivantes :

a)      prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec sa hiérarchie :

1° le blâme ;

b)      prononcées, au sein de l'administration cantonale, par le chef du département ou le chancelier d'État, d'entente avec l'office du personnel de l'État ; au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire, par le secrétaire général du pouvoir judiciaire ; au sein de l'établissement, par le directeur général :

2° la suspension d'augmentation du traitement pendant une durée déterminée,

3° la réduction de traitement à l'intérieur de la classe ;

c)      prononcées, à l'encontre d'un fonctionnaire, au sein de l'administration cantonale, par le Conseil d'État ; au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire, par la commission de gestion du pouvoir judiciaire ; au sein de l'établissement par le conseil d'administration :

4° le retour au statut d'employé en période probatoire pour une durée maximale de trois ans,

5° la révocation.

Dans le domaine des mesures disciplinaires, la révocation est la sanction la plus lourde. Elle est l'ultima ratio. Elle implique une violation grave ou continue des devoirs de service. Il peut s'agir d'une violation unique spécialement grave, soit d'un ensemble de transgressions dont la gravité résulte de leur répétition. L'importance du manquement doit être appréciée à la lumière des exigences particulières qui sont liées à la fonction occupée.

L'autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_292/2011 du 9 décembre 2011 consid. 6.2). Le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller
au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d'intérêt public recherchés. À cet égard, l'autorité doit tenir compte en premier lieu d'éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l'intéressée ou l'intéressé. En particulier, elle doit tenir compte de l'intérêt de la recourante ou du recourant à poursuivre l'exercice de son métier, mais elle doit aussi veiller à la protection de l'intérêt public (ATA/1287/2019 du 27 août 2019 consid. 9a).

La révocation disciplinaire, qui est la sanction la plus lourde prévue par la loi, implique une faute grave, soit une violation particulièrement grave d'un devoir de service (ATA/1619/2019 du 5 novembre 2019 consid. 5c ; MGC 2005-2006/XI A p. 10423 et 10436). Cette mesure revêt l'aspect d'une peine et a un caractère plus ou moins infamant. Elle s'impose surtout dans les cas où le comportement de l'agente ou agent démontre qu'elle ou il n'est plus digne de rester en fonction (arrêt du Tribunal fédéral 8C_324/2017 du 22 février 2018 consid. 5.2.2 ; ATA/1476/2019 du 8 octobre 2019 consid. 7c).

En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou à l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1619/2019 du 5 novembre 2019 consid. 7).

3.8 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence de faute du fonctionnaire (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, n. 1515 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2249). La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/137/2020 du 11 février 2020 ; ATA/808/2015 du 11 août 2015). La faute disciplinaire peut même être commise par méconnaissance d'une règle. Cette méconnaissance doit cependant être fautive (Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire dans la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse romande, RJJ 1998 1-125, n. 55).

En matière pénale, le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 §. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 Cst. et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

4.             En l'espèce, la décision de révocation attaquée, qui s'appuie sur les conclusions du rapport d'enquête, retient que les faits reprochés constituent des actes qui doivent être qualifiés de très graves dans le contexte décrit. La mission des EPI consistait à offrir aux personnes en situation de handicap un environnement propice au développement de leur autonomie et à l’amélioration de leurs conditions de vie. De par sa fonction, le recourant encadrait des personnes en difficulté, fragilisées et très vulnérables.

Pour établir les faits, l’enquêtrice s’est basée sur les témoignages et interrogations du mis en cause et de la dénonciatrice, ainsi que sur l’attestation du psychiatre traitant de l’intéressée.

Or, ainsi que le relève le recourant, en se fondant uniquement sur les déclarations de la dénonciatrice, l’enquêtrice s’est livrée à une appréciation partielle des faits. Le rapport d’enquête retient que dans la mesure où ses déclarations devaient être considérées comme crédibles, cela conduisait à la conclusion que le recourant ne disait pas la vérité. En l’absence de témoin oculaire ou direct des faits dénoncés, la crédibilité des dires de l’intéressée résultait des circonstances dans lesquelles les faits avaient été dénoncés, des confidences envers sa collègue G______, de la cohérence et la continuité de la déclaration de C______ et de l’attestation de son psychiatre traitant. L’enquêtrice est parvenue à la conclusion qu’en présence d’un ensemble d’éléments concordants, rien ne permettait d’écarter ou d’invalider le récit de C______.

Il appert toutefois que, contrairement à ce que retient l’enquête, plusieurs éléments au dossier permettent de douter de la crédibilité du récit de la dénonciatrice. Il ressort en particulier des déclarations des trois collègues ayant travaillé de manière rapprochée avec l’intéressée, soit I______, G______ et H______, qu’elles ont toutes nourri des doutes quant à la version des faits rapportée par celle-ci. I______, amie de longue date de C______, a indiqué être « restée dubitative » quand elle a appris qu’il y avait eu des gestes déplacés de la part du recourant à proximité des caisses du restaurant. Une telle situation ne lui semblait pas possible. Selon elle, le « harcèlement » du recourant envers C______ n’avait jamais existé car l’intéressée n’avait jamais montré de retenue ou de gêne vis-à-vis de celui-ci. Au contraire, les deux rigolaient ensemble, C______ faisant « même des blagues ». Pour elle, C______ avait cherché à « rendre jaloux son petit ami », étant précisé qu’elle aurait eu « un petit faible » pour le recourant. G______, qui travaillait en même temps que C______ et faisait le même type de travail, a également indiqué n’avoir jamais « constaté quelque chose d’anormal entre C______ et A______». Elle avait le sentiment que l’intéressée « cherchait plus ». Son comportement n’était, à son sens, pas clair : d’un côté, elle lui faisait des confidences et de l’autre côté, elle cherchait le contact avec le recourant, se plaignant de ce qu’il ne la regardait pas. Elle ne comprenait pas cette attitude. Également entendue par l’enquêtrice, H______, collègue de l’intéressée, à qui elle se confiait volontiers, a décrit le comportement de l’intéressée de la même manière. Selon elle, C______ « cherchait le contact [du recourant], mais ce dernier n’entr[ait] jamais dans son jeu ». La témoin n’a d’ailleurs pas non plus été convaincue par le récit de C______ puisqu’elle a déclaré devant l’enquêtrice qu’elle ne « sa[vait] toujours pas si quelque chose s’[était] passé ». S’ajoute à cela qu’aucun des témoins n’avait jamais entendu de plaintes à l’égard du recourant. H______, E______, F______ et B______ ont tous déclaré n’avoir constaté aucun signe avant-coureur de la situation dénoncée par C______. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que, malgré l’ouverture de l’enquête administrative, le CA a considéré que les faits qui lui avaient été rapportés n’étaient pas de nature à compromettre la confiance qu’impliquait la poursuite de son activité, de sorte qu’il a été autorisé à poursuivre son travail.

Il est vrai qu’en matière d’infractions sexuelles, la preuve est difficile à apporter. Il est toutefois significatif de relever que, durant toute la période des faits reprochés au recourant, aucun témoin n’ait indiqué avoir vu C______ dans un état de choc, ou particulièrement affectée. Au contraire, D______, qui connaissait C______ depuis plusieurs années, a affirmé que son état le 17 février 2022, soit le matin de l’entretien avec E______ et F______, lorsqu’elle était « défaite et en pleurs », était « tout à fait inhabituel ». G______ a, pour sa part, rapporté que quand C______ lui parlait des attouchements de A______, elle n’était « pas triste mais dans un état normal » ; elle avait l’impression que « cela ne la gênait pas ». Enfin, comme mentionné ci-avant, I______ a relevé que C______ n’avait jamais montré de retenue ou de gêne vis-à-vis de A______.

C______ a certes indiqué avoir « fait des confidences » à son psychiatre traitant plusieurs mois avant la réunion du 14 février 2022. Il ressort toutefois uniquement de l’attestation du Dr O______ qu’elle aurait « évoqué une difficulté avec son maître d’atelier ». Ce document médical se limite ainsi à rapporter les plaintes subjectives de la patiente, mais ne contient aucune constatation objective en relation avec son état de santé psychologique en lien avec les faits relatés. On ne saurait ainsi retenir, comme le fait l’enquêtrice, que cette pièce vient renforcer la crédibilité de la dénonciatrice, ce d’autant plus qu’elle a refusé de lever son secret médical, même de manière limitée aux faits de la cause.

Quant aux « confidences » que l’intéressée a faites envers sa collègue G______, seule collègue envers qui elle a évoqué sa situation avec le recourant, elles ne renforcent pas pour autant la crédibilité de ses déclarations. G______ s’est en effet contentée de rapporter le récit de sa collègue, tout en formulant des réserves quant à ses intentions réelles envers le recourant, comme on l’a vu.

Enfin, il est vrai que, dans l’ensemble, les déclarations de la dénonciatrice ont été cohérentes et continues. L’intéressée a en particulier situé les épisodes dans une petite salle appelée P______ se trouvant à l’étage du restaurant et qui a pour particularité de pouvoir être fermée par deux portes et être refroidie en été lors de grandes chaleurs. Or, le fait de pouvoir décrire les lieux – qui sont ceux où elle travaille – ne permet pas encore de retenir que les faits dénoncés y ont eu lieu. Le recourant a d’ailleurs précisé en audience, sans avoir été contesté sur ce point, que les portes de la salle n’étaient jamais fermées à clé et que tout collaborateur y avait accès.

L’enquêtrice semble avoir retenu, en défaveur de la crédibilité du récit du recourant, que ce dernier avait expressément contesté que C______ avait adopté
vis-à-vis de lui un comportement de séduction, alors que plusieurs témoins l’avaient constaté. Il ressort certes des déclarations de plusieurs témoins que l’intéressée cherchait le contact avec le recourant. Entendu en audience, le recourant n’a toutefois pas contesté que l’intéressée ait cherché à attirer son attention, mais il a expliqué qu’elle avait « besoin d’attention de manière générale ». Elle cherchait cette attention envers d’autres collègues également, étant précisé qu’elle avait besoin d’un accompagnement spécifique et avait des difficultés à gérer ses émotions. Le travail du recourant consistait à observer les collaborateurs en emploi adapté et à les valoriser en cas d’initiative ou de travail bien fait. Il se comportait ainsi avec tous les collaborateurs. Il n’est donc pas exclu, compte tenu du contexte du travail en emploi adapté et sur la base des déclarations du recourant, que C______ ait ressenti les encouragements de son maître d’atelier comme une forme de séduction à son égard. Il n’y a, en tous les cas, pas lieu d’affaiblir la crédibilité des déclarations du recourant pour ce motif. S’ajoute à cela que C______ a déclaré devant l’enquêtrice que A______ « parlait de sa vie privée à tout le monde ». Or, cet élément n’a été confirmé par aucun témoignage. L______ a en particulier déclaré qu’il avait de très bonnes relations avec le recourant et qu’ils ne « parlaient pas de [leur] vie privée ». Les témoins entendus ont d’ailleurs relevé que c’était surtout C______ qui parlait de sa vie privée au travail. I______ a déclaré en particulier qu’elle « parlait de sa vie privée et de ses affaires de cœur à A______ au travail ». H______ a également déclaré que C______ lui avait « souvent fait des confidences sur sa relation avec son copain ». Le recourant a, quant à lui, confirmé devant l’enquêtrice que C______ parlait « volontiers de sa vie privée ». Il lui était arrivé à plusieurs reprises qu’elle lui parle de son copain et des « difficultés occasionnelles qu’elle pouvait avoir avec lui ».

Enfin, les circonstances entourant la séance du 17 février 2022 sont, pour le moins, équivoques. L’enquêtrice a retenu, en faveur de la crédibilité du récit de la dénonciatrice, qu’il n’était pas prévu qu’elle sollicite un entretien avec E______. Il ressort toutefois des déclarations de G______ qu’elle lui avait demandé son numéro de téléphone sur « Snapchat » afin de pouvoir se plaindre auprès de lui. On ne saurait ainsi considérer que la demande d’entretien avait été prise le matin même en raison d’un état psychologique « aux limites de l’effondrement ». La proximité de cette séance avec celle du 14 février 2022 soulève par ailleurs des interrogations. Il n’est en effet pas contesté que la dénonciatrice n’a pas obtenu ce qu’elle avait sollicité lors de cet entretien d’évaluation. L’enquêtrice a relevé que l’hypothèse selon laquelle, mue par la déception, elle aurait décidé de dénoncer le recourant ne pouvait être totalement exclue. Elle a toutefois estimé que cette hypothèse « manquait de logique et de cohérence ». En effet, à la fin de la séance du 14 février 2022, le recourant lui aurait dit « tu aurais pu mentionner que tu as payé de ta personne ». Selon l’enquêtrice, c’est cette remarque, « assurément malveillante », qui l’aurait poussée à dénoncer le recourant. Ce dernier a toutefois contesté avoir tenu ces propos, et aucun témoin, en particulier M______, présente à l’entretien, n’a pu les confirmer.

Il appert ainsi que les conclusions de l’enquêtrice reposent exclusivement sur les dires de C______, lesquels constituent les seuls éléments à charge du recourant. Or, l’appréciation de l’ensemble des témoignages au dossier aurait dû conduire les intimés à retenir qu’il existait des doutes sérieux quant à l’existence des faits dénoncés par l’intéressée. Dans la mesure où la décision entreprise se fonde exclusivement sur les faits précités pour retenir que le lien de confiance était rompu, il convient de retenir que la décision de révocation est infondée.

Partant, le recours sera admis et la décision querellée annulée.

5.             Reste à examiner si le recourant peut se voir allouer une indemnité.

5.1 L’art. 31 al. 4 LPAC, qui prévoit la possibilité pour la chambre de céans de fixer une indemnité, traite des recours contre une décision de résiliation des rapports de service et n’a pas d’équivalent s’agissant des recours contre une sanction disciplinaire. Ainsi, selon la jurisprudence, l’annulation de la décision de révocation a pour conséquence, ex lege, la réintégration obligatoire du fonctionnaire (ATA/137/2020 du 11 février 2020 consid. 18, confirmé par le Tribunal fédéral par arrêt 8C_203/2020 du 25 août 2020 consid. 3).  

Dans l’ATA/94/2023 du 31 janvier 2023, qui traite également de la situation du recourant, la chambre de céans a retenu qu’il convenait d’interpréter les art. 30 et 31 LPAC en ce sens que la chambre de céans est habilitée à fixer une indemnité au lieu de prononcer une réintégration lorsque le fonctionnaire révoqué a retrouvé un nouvel emploi. Le fonctionnaire révoqué conservait en effet, à tout le moins, un intérêt à obtenir le rétroactif de salaire entre le moment où les rapports de travail ont pris fin et celui où il a commencé une nouvelle activité. Cette interprétation tenait compte de la volonté du législateur de protéger les agents publics contre l’arbitraire des employeurs publics et du souci d’éviter que le fonctionnaire renonce à rechercher activement un emploi (consid. 5).

La chambre administrative a pour pratique de fixer l'indemnité pour refus de réintégration à un certain nombre de mois du dernier traitement brut de l'employé, conformément à l'art. 31 al. 4 LPAC (ATA/1042/2016 du 13 décembre 2016 consid. 13c ; ATA/258/2014 du 15 avril 2014 consid. 7). L'indemnité fondée sur cette disposition comprend le treizième salaire au prorata du nombre de mois fixés et n'est pas soumise à la déduction des cotisations sociales (ATA/1042/2016 précité consid. 13c ; ATA/590/2016 du 12 juillet 2016 consid. 17). En l'absence de conclusion sur ce point, les intérêts moratoires n'y sont pas additionnés (art. 69 al. 1 LPA ; ATA/273/2015 du 17 mars 2015 consid. 17c ; ATA/193/2014 du 1er  avril 2014 consid. 17).

5.2 Dans un cas de licenciement pour motif fondé, la chambre administrative a pris en compte la gravité de la violation du droit d’être entendue de l’intéressée, l’importante péjoration de sa situation financière, la recourante n’ayant eu d’autre choix que la retraite anticipée, et son activité de plus de vingt ans pour l’autorité intimée pour fixer l’indemnité à quinze mois (ATA/193/2014 du 1er avril 2014 consid. 17). Le Tribunal fédéral a toutefois considéré que ce montant allait au-delà des limites admissibles sous l’angle de l’arbitraire, au motif que le licenciement avait été invalidé en raison de la violation d’une garantie de procédure et que, sur le fond, il n’avait pas été constaté qu’il était injustifié. Le Tribunal fédéral a donc réduit le montant de l’indemnité à six mois de traitement, considérant au surplus que la collaboratrice avait été mise au bénéfice d’une pension de retraite, ce qui était de nature à atténuer les conséquences de la perte de son emploi (arrêt du Tribunal fédéral 8C_421/2014 du 17 août 2015 consid. 4.2).

Dans un cas de licenciement arbitraire par une commune, la chambre administrative a en particulier pris en considération la durée des rapports de service, de près de trois ans et demi, les résultats de l’enquête administrative, y compris le fait que le collaborateur avait dû subir dite enquête alors que le soupçon s’était avéré mal fondé, les atteintes portées à sa personnalité pendant la durée du contrat de travail, le retrait de l’effet suspensif à la décision de licenciement, le refus de réintégration du recourant malgré sa disponibilité, ainsi que la pertinence de certains griefs à l’encontre de l’intéressé, malgré le contexte dans lequel il avait dû évoluer et même s’ils ne fondaient pas un licenciement. La chambre administrative a ainsi fixé l’indemnité à douze mois du dernier traitement (ATA/439/2014 du 17 juin 2014 consid. 15).

Dans un cas de licenciement par une autre commune, matériellement vicié en raison d’une violation des principes de la proportionnalité et de l’égalité de traitement, la chambre administrative a tenu compte de la gravité de la faute du recourant qualifiée de moyennement grave, de la violation du droit par l’autorité intimée dans le cadre du licenciement, du refus de réintégration malgré la disponibilité du recourant, de la durée des rapports de service de cinq ans, du fait qu’il n’avait pas retrouvé de travail, qu’il était âgé de soixante ans et qu’il lui serait difficile de retrouver un emploi, pour fixer l’indemnité à quinze mois (ATA/744/2014 du 23 septembre 2014 consid. 5).

Dans une cause dans laquelle le licenciement avait été prononcé en l’absence de motifs fondés, la chambre administrative a notamment tenu compte de l’absence de tout reproche envers la recourante pendant près de quatre ans à compter de son engagement, de l’atteinte de longue durée à sa santé liée aux conditions de travail, de l’attitude déplacée de la collaboratrice, pouvant toutefois s’expliquer par l’attitude peu constructive et peu compréhensive de la part de sa hiérarchie, de l’absence de cohérence et d’empathie de la part de la nouvelle hiérarchie de l’intéressée face au contexte professionnel global, de l’absence de mesures prises par la hiérarchie afin de permettre à la collaboratrice de pouvoir maintenir son employabilité après sa longue maladie, de la durée des rapports de service de sept ans, du refus de réintégration, de la violation grave commise par l’autorité intimée en prononçant un licenciement en l’absence de motifs fondés et des conséquences sur les perspectives professionnelles futures de la collaboratrice, âgée de
quarante-cinq ans. Elle a ainsi arrêté l’indemnité à douze mois (ATA/347/2016 précité consid. 11d). Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal fédéral.

Dans le cas d’une révocation contraire au droit car prononcée par une autorité incompétente, la chambre administrative a tenu compte du fait que les deux dénonciatrices de faits reprochés au recourant n’avaient pas été entendues au stade de l’enquête administrative, de la longue carrière sans accroc du recourant pour l’institution entre 1995 et 2012, de son acquittement par deux juridictions pénales pour les faits dénoncés par une des dénonciatrices, du refus de réintégration de l’autorité, de la gravité de la violation procédurale, ainsi que de l’âge de 60 ans et l’absence d’activité professionnelles du recourant depuis plusieurs années, facteurs compromettant son employabilité, pour fixer l’indemnité à vingt-quatre mois (ATA/1532/2017 du 28 novembre 2017 consid. 16 confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_78/2018 du 3 septembre 2018). Un recours est actuellement pendant devant le Tribunal fédéral.

Dans le cas d’une résiliation des rapports de service contraire au droit, la chambre administrative a fixé le montant de l’indemnité à vingt et un mois de traitement, en tenant compte du caractère matériellement infondé du licenciement du recourant pour insuffisance de ses prestations et pour disparition durable d’un motif d’engagement, de la longueur des procédures, de plus de deux ans, de l’investissement du recourant dans son travail, de la qualité de son travail, du fait qu’il était au service de l’État de Genève depuis quarante ans au moment de son licenciement, du fait que l’autorité intimée l’a suspendu, l’a libéré de son obligation de travailler et a déclaré le licenciement exécutoire nonobstant recours, de l’absence de suite à sa demande « d’aide » dans une situation personnelle difficile, des incapacités de travail du recourant, auxquelles les procédures menées à son encontre avaient contribué, et le fait qu’âgé de 62 ans, il aurait vraisemblablement de grandes difficultés à retrouver du travail même s’il devait récupérer une capacité de travail suite à la fin de la procédure et de l’existence de quatre griefs partiellement fondés à son encontre (ATA/589/2018 du 12 juin 2018 consid. 31).

5.3 En l’occurrence, le recourant a retrouvé un emploi le 15 août 2022, soit un mois après la décision entreprise. Conformément à la jurisprudence rendue dans l’ATA/94/2023 précité, la chambre de céans est habilitée à fixer une indemnité. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, en particulier de la durée des rapports de service, de trois ans, du fait que le travail fourni par le recourant a donné entière satisfaction, du résultat de l’enquête administrative et de sa mise à l’écart lors des premières auditions, du retrait de l’effet suspensif à la décision de révocation immédiate, du caractère infamant de la sanction prise par les intimés (consid. 3.7) et de la reprise d’une activité un mois après la décision entreprise, l’indemnité sera arrêtée à six mois de son dernier traitement mensuel brut. Elle comprendra le treizième salaire au prorata du nombre des mois fixés, à l'exclusion de tout autre élément de rémunération. Elle n'est pas soumise à la déduction des cotisations sociales et, en l'absence de conclusion sur ce point, sans intérêts moratoires.

6.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 2’000.- sera allouée au recourant, à la charge des Établissements publics pour l’intégration (art. 87 al. 2 LPA).

 

Compte tenu des conclusions du recours et vu l’échelle des traitements de l’intimée, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).

 

 

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2022 par A______ contre la décision des Établissements publics pour l’intégration du 14 juillet 2022 ;

au fond :

l’admet ;

condamne les Établissements publics pour l’intégration à verser à A______ une indemnité correspondant à six mois de son dernier traitement brut, comprenant le treizième salaire au prorata du nombre de mois fixés ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à la charge des Établissements publics pour l’intégration ;

dit que, conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé, s’il est formé avant le 1er juillet 2023, au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, s’il est formé dès le 1er juillet 2023, au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Renato CAJAS, avocat du recourant ainsi qu'à Me Lorella BERTANI, avocate des Établissements publics pour l’intégration .

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :