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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4393/2022

ATA/613/2023 du 09.06.2023 sur JTAPI/119/2023 ( PE ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4393/2022-PE ATA/613/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 9 juin 2023

sur mesures provisionnelles et de suspension de la procédure

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Guglielmo PALUMBO, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 janvier 2023 (JTAPI/119/2023)



Vu en fait que :

par jugement du 11 décembre 2018, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève a reconnu A______, né le ______ 1976, originaire de Tunisie coupable de diverses infractions et l’a condamné à une peine privative de liberté de 36 mois, dont 18 fermes. Il a prononcé à son encontre une mesure d'expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans en application de l'art. 66a al. 1 let. b et g et al. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) ;

par décision du 5 février 2020, notifiée le surlendemain et après l'avoir entendu, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a refusé de reporter l'exécution de son expulsion ;

par arrêt du 10 mars 2021, la chambre pénale de recours (ci-après : CPR) a rejeté le recours de A______ contre cette décision de l'OCPM. Il en a été de même pour le Tribunal fédéral, selon arrêt du 1er septembre 2021, s’agissant du recours déposé contre l'arrêt de la CPR ;

le 31 mai 2022, A______ a déposé auprès de l’OCPM une demande de report de l’expulsion, invoquant l’évolution et des changements dans sa situation familiale ;

par décision du 25 novembre 2022, l’OCPM a considéré cette requête comme une demande de reconsidération de sa décision du 5 février 2020. Les arguments avancés n’étaient toutefois pas de nature à modifier celle-ci, de sorte qu’il a refusé d’entrer en matière. La décision mentionnait une voie de recours auprès de la CPR, dans un délai de dix jours ;

par arrêt du 15 décembre 2022, la CPR a déclaré irrecevable le recours déposé par A______ contre cette décision, laquelle n’était pas une décision de non-report d’expulsion, mais un refus de l’autorité administrative de reconsidérer une telle décision entrée en force. La décision attaquée était fondée sur l’art. 48 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et échappait ainsi à la cognition de la CPR qui n’était pas une autorité de recours administrative. Par ailleurs, la voie de la reconsidération n’était pas prévue par le Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), de sorte qu’une décision en ce sens, positive ou négative, n’était pas sujette à recours au sens de l’art. 393 al. 1 let. a CPP ;

par acte du 23 décembre 2022, reçu le 30 suivant au greffe du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), A______ a interjeté recours contre la décision de non-entrée en matière de l’OCPM du 25 novembre 2022. Il a conclu, à titre superprovisionnel et provisionnel, à ce qu’il soit sursis à l’exécution de son expulsion pénale, fait interdiction à toute autorité de l’expulser, fait interdiction à toute autorité de requérir un « laissez-passer » auprès des autorités tunisiennes ou toute autre démarche visant à mettre en œuvre son expulsion et à ce qu’il soit autorisé à rester sur le territoire suisse jusqu’à droit jugé sur le recours. Sur le fond, il a, préalablement, conclu à la suspension de la procédure jusqu’à ce que le Tribunal fédéral se prononce sur le recours qu’il déposerait à l’encontre de l’arrêt de la CPR du 15 décembre 2022. Principalement, il a conclu à l’annulation de la décision du 25 novembre 2022 et à ce qu’il soit ordonné à l’OCPM d’entrer en matière sur sa demande de reconsidération. Subsidiairement, il a conclu à l’annulation de cette décision et à plusieurs auditions ;

il a exposé que la jurisprudence était claire en matière de compétence de la CPR sur les questions de report de l’expulsion judiciaire, raison pour laquelle il porterait l’arrêt de cette instance devant le Tribunal fédéral. Il faisait toutefois également recours devant le TAPI pour sauvegarder ses droits. D'importants changements étaient intervenus dans sa situation personnelle et familiale, les plus considérables s'étant produits postérieurement à l'arrêt du Tribunal fédéral du 1er septembre 2021. Une fois la peine exécutée, il avait été incarcéré dès le 28 mai 2022 en vue de l'exécution de son expulsion. Durant les six mois séparant la date du dépôt de sa demande auprès de l’OCPM et la décision querellée du 25 novembre 2022, cette autorité avait mis tout en œuvre pour que son expulsion soit exécutée, malgré l'absence délibérée d'examen de sa situation actuelle et de l'existence de motifs empêchant l'exécution de celle-ci. Il s'exposait à une grave et irrémédiable violation de ses droits les plus fondamentaux ;

par jugement du 30 janvier 2023, le TAPI a déclaré irrecevable le recours interjeté le 23 décembre 2022 contre la décision de l’OCPM du 25 novembre 2022. La chambre constitutionnelle de la Cour de justice s’était, dans un arrêt du 23 novembre 2022, prononcée sur le conflit de compétence entre la CPR et le TAPI et avait jugé que la première était compétente pour statuer sur le report de l’exécution de l’expulsion pénale. Quand bien même l’OCPM avait traité sa demande comme une reconsidération, il était au final question du report de son expulsion pénale. Le TAPI n’était donc pas compétent, en raison de la matière, pour connaître du recours ;

le 10 février 2023, A______ a déposé auprès du TAPI une demande d’ « annulation et [de]de révision du jugement du 30 janvier 2023 au sens de l’art. 80 LPA » , le TAPI devant tenir compte de ses déterminations du 20 janvier 2023 et de ses allégués complémentaires ;

le TAPI a transmis cet acte à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), dans la mesure où il était déposé dans le délai de recours ;

A______ a expédié le 16 février 2023 un « recours » à la chambre administrative après que celle-ci lui eut imparti un délai pour déposer des conclusions conformes à l’art. 65 LPA. A______ y a conclu préalablement à ce qu’il soit sursis à l’exécution de son expulsion pénale, fait interdiction à toute autorité de l’expulser, ainsi qu’à ce qu’il soit autorisé à rester sur le territoire suisse, jusqu’à droit jugé sur le recours, subsidiairement, notamment, à la suspension de la présente procédure jusqu’à droit connu dans la procédure 6B_87/2023 en cours auprès du Tribunal fédéral et à sa reprise dans l’hypothèse où la CPR serait déclarée non compétente.

le 25 avril 2023, l’OCPM a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Il était de jurisprudence constante que la question du report de l’expulsion pénale relevait du droit pénal et non pas du droit administratif, de sorte que ni le TAPI, ni la chambre administrative n’étaient compétents pour en connaître. Il relevait, à titre superfétatoire, que le Tribunal fédéral avait d’ores et déjà ordonné, par ordonnance du 13 février 2023 (produite le 26 avril 2023), « aux autorités cantonales compétentes de surseoir à l’expulsion pénale de A______ jusqu’à droit jugé devant le Tribunal fédéral », de sorte que les mesures que ce dernier sollicitait étaient inutiles, en plus d’aller largement au-delà de ce qui était strictement nécessaire au regard de sa situation, et devaient en conséquence être rejetées ;

dans sa réplique du 26 mai 2023, A______ a relevé qu’il s’exposait à l’exécution de son renvoi dès l’instant où le Tribunal fédéral aurait rendu son arrêt. La chambre administrative n’ayant aucune emprise sur le maintien des mesures conservatoires devant le Tribunal fédéral et quelle que soit l’issue devant cette instance, elle devait assurer de sauvegarder l’état de fait jusqu’à droit jugé au fond devant elle. Compte tenu de l’enjeu majeur de la présente cause, il était absolument indispensable de le préserver du risque de mise en œuvre de son expulsion, alors même qu’aucune instance judiciaire n’aurait réexaminé l’objet de la cause sur le fond, en particulier une atteinte irrémédiable portée à ses droits fondamentaux et à ceux de ses trois enfants ;

les parties ont été informées, le 31 mai 2023, que la cause était gardée à juger.

Considérant en droit que :

l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d'empêchement de celles-ci, par un juge ;

aux termes de l'art. 66 de la LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

par ailleurs, l'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles ;

selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018) ;

elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités) ;

ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, ibidem) ;

par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3) ;

lors de l'octroi de mesures provisionnelles, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

selon l’art. 14 al. 1 LPA lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions. Cette disposition est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/444/2023 du 26 avril 2023 consid. 3.1).

la suspension de la procédure ne peut pas être ordonnée chaque fois que la connaissance du jugement ou de la décision d’une autre autorité serait utile à l’autorité saisie, mais seulement lorsque cette connaissance est nécessaire parce que le sort de la procédure en dépend (ATA/630/2008 du 16 décembre 2008 consid. 5). Une procédure ne saurait dès lors être suspendue sans que l’autorité saisie ait examiné les moyens de droit qui justifieraient une solution du litige sans attendre la fin d’une autre procédure. Il serait en effet contraire à la plus élémentaire économie de procédure et à l’interdiction du déni de justice formel fondée sur l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) d’attendre la décision d’une autre autorité, même si celle-ci est susceptible de fournir une solution au litige, si ledit litige peut être tranché sans délai sur la base d’autres motifs (ATA/812/2021 du 10 août 2021 consid. 2a ; ATA/1493/2019 précité consid. 3b).

en l’espèce, la question de la recevabilité du recours doit être tranchée en premier lieu et dépend indubitablement de l’issue qui sera donnée par le Tribunal fédéral au recours déposé contre l’arrêt d’irrecevabilité de la CPR du  15 décembre 2022 ;

autrement dit, ce n’est qu’à l’issue de cette procédure que le Tribunal fédéral aura déterminé qui, de la chambre de céans ou de la CPR, doit trancher au fond ce qui a été considéré par l’OCPM comme une demande de reconsidération de sa décision de refus de reporter l'exécution de son expulsion du 5 février 2020, entrée en force ;

le sort de la présente procédure dépend donc de l’arrêt du Tribunal fédéral à venir dans la cause 6B_87/2023 ;

la présidente du Tribunal fédéral a, par ordonnance du 13 février 2023, partiellement admis la requête de mesures provisionnelles du recourant et ordonné aux autorités cantonales compétentes de surseoir à son expulsion pénale jusqu’à droit jugé devant lui, rejetant la requête pour le surplus ;

il n’y a ainsi aucune urgence ni nécessité de sauvegarde d'intérêts compromis, tels que requise pour le prononcé de mesures provisionnelles ;

de telles mesures peuvent être demandées en tout temps et il appartiendra au recourant, une fois en possession de l’arrêt du Tribunal fédéral, de déposer soit devant la CPR, soit la chambre de céans, s’il l’estime nécessaire, une requête visant au prononcé de telles mesures ;

au vu de ce qui précède, la suspension de la présente procédure sera ordonnée jusqu’à droit connu dans la cause 6B_87/2023 devant le Tribunal fédéral et le prononcé de mesures provisionnelles refusé ;

le sort des frais afférents à la présente décision est réservé.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

prononce la suspension de la procédure ;

invite la partie la plus diligente, à lui transmettre, à réception, l’arrêt du Tribunal fédéral à venir dans la cause 6B_87/2023 ;

refuse le prononcé de mesures provisionnelles ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Guglielmo PALUMBO, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’au secrétariat d’État aux migrations.

 

La vice-présidente :

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :