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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1529/2023

ATA/607/2023 du 08.06.2023 sur JTAPI/559/2023 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1529/2023-MC ATA/607/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 juin 2023

en section

 

dans la cause

 

A______, alias B______ recourant
représenté par Me Gaétan DROZ, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 mai 2023 (JTAPI/559/2023)


EN FAIT

A. a. A______, alias B______, né le ______ 1977, est originaire d'Algérie.

b. Il est arrivé en Suisse le 1er janvier 2010 et y a déposé une demande d'asile le 3 mai 2010. Le Secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) n'est pas entré en matière sur cette requête et a prononcé son renvoi de Suisse, par décision du 8 juin 2010, entrée en force le 19 juin 2019. La prise en charge de l'intéressé et l'exécution de son renvoi ont été confiées au canton de Schwytz.

c. Par arrêt du 3 mars 2020, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours interjeté par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) du 8 mars 2019. Dès lors, la décision de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) du 27 mars 2018, qui refusait de préaviser favorablement l'octroi d'une autorisation de séjour pour cas d'extrême gravité et prononçait son renvoi de Suisse, est devenue exécutoire.

A______ demeurait attribué au canton de Schwytz, si bien que c'était à bon droit que l'OCPM puis le TAPI avaient jugé qu'il lui appartenait de s'adresser aux autorités schwytzoises pour réclamer un permis de séjour en application de l'art. 14 al. 2 LAsi, autorisation qui pouvait par ailleurs lui être refusée, ses nombreuses condamnations pénales valant motif de révocation au sens de l'art. 62 LEI. Il était par ailleurs retenu dans l'arrêt que A______ logeait depuis plusieurs années chez C______, et qu'ils formaient un couple de concubins.

d. Il ressort du casier judiciaire de A______ qu'il a été condamné à douze reprises entre le 28 mai 2013 et le 1er novembre 2022, essentiellement pour des vols (art. 139 CP) et des infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

e. Entendu par les services de police le 23 octobre 2020, A______ a expliqué vivre en couple avec C______, domicilié rue du D______ aux Acacias, qu'il connaissait depuis dix ans. Il n'avait aucune autorisation de séjour en Suisse ni moyen de subsistance.

f. Le 25 octobre 2020, A______ s'est vu notifier une décision d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois, par le Commissaire de police (ci-après : le commissaire) et a été acheminé, le lendemain, dans le canton de Schwytz.

B. a. Le 4 mai 2023, A______ a été interpellé à Genève et prévenu de violation de domicile (art. 186 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0), tentative de vol (art. 22 cum 193 CP) et infractions à la LEI, après avoir été surpris dans un appartement et retenu par les locataires.

b. Entendu par les services de police le même jour, il a déclaré ne pas se souvenir des faits en raison de son état d'alcoolisation. Il était entré dans l'appartement pour se reposer un moment. Malgré les dires du locataire, selon lequel il aurait tenté de dérober des objets dans l'appartement en les mettant dans un sac en papier, il a nié les faits. S'agissant de sa situation personnelle, il a déclaré être arrivé en Suisse en 2012 et n'y avoir aucune autorisation de séjour. Il n'avait aucune famille ni attache particulière en Suisse, hormis son ami chez lequel il résidait aux Acacias. Il était démuni de moyens de subsistance.

c. Le 5 mai 2023, il a été condamné par le Ministère public de Genève à une peine privative de liberté de 180 jours pour violation de domicile (art. 186 CP), tentative de vol (art. 22 cum 193 CP) et séjour illicite (art. 115 al. 1 let. b LEI).

d. Le 5 mai 2023 à 15h20, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire a prononcé à l'encontre de A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois. Il n'était pas au bénéfice d'une autorisation de séjour, faisait l'objet d'une décision de renvoi prononcée le l8 juin 2010, et était attribué aux autorités cantonales de Schwytz auprès desquelles il devait se tenir à disposition. Enfin, il troublait l'ordre et la sécurité publics au vu de ses nombreuses condamnations, notamment pour des vols.

C. a. A______ a formé immédiatement opposition – soit le 5 mai 2023 – auprès du commissaire contre cette décision.

b. Me E______ a été nommée d'office à la défense de ses intérêts le 9 mai 2023. Le même jour, A______ a été convoqué par pli simple et pli recommandé, distribué le 10 mai 2023 selon le suivi des envois de la poste suisse, au domicile de son conseil, pour l'audience du 16 mai 2023 par-devant le TAPI.

c. A______ ne s'est pas présenté à l'audience du 16 mai 2023 à 14h30.

Son conseil a confirmé l'opposition à la décision d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève prise le 5 mai 2023 pour une durée de 18 mois. Elle ne savait pas si son client avait fait opposition à l'ordonnance pénale du 5 mai 2023. Elle a produit le courrier du 15 mai 2023 adressé à son client. Elle a conclu au report de l'audience à une date fixée à au moins deux semaines et s'est opposée à l'interdiction territoriale prononcée.

La représentante du commissaire a conclu à la confirmation de la décision attaquée.

d. Par jugement du 17 mai 2023, le TAPI a rejeté l'opposition et confirmé la décision d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève prise le 5 mai 2023 pour une durée de 18 mois.

A______ ne disposait d'aucun titre de séjour et faisait l'objet d'une décision de renvoi entrée en force. Il était pris en charge par le canton de Schwytz. Il avait été condamné à treize reprises entre le 28 mai 2013 et le 5 mai 2023, dont treize fois pour des faits commis sur le territoire genevois, essentiellement des vols (art. 139 CP), et avait déjà fait l'objet d'une interdiction territoriale sur le canton de Genève entre le 25 octobre 2020 et le 25 octobre 2021, ce qui ne l'avait pas empêché de perpétrer de nouveaux méfaits à Genève. Il était donc indéniable qu'il troublait l'ordre et la sécurité public genevois, et son pronostic était clairement défavorable, si bien que les conditions légales de la mesure litigieuse étaient réalisées.

La durée de 18 mois prononcée par l'autorité intimée était assez longue et avait sans doute un impact important sur la liberté de circulation de A______, mais les aspects du dossier la légitimaient néanmoins. D'une part, il avait déjà fait l'objet d'une décision identique, prise pour une durée de douze mois, mais il s'était montré indifférent à cet avertissement. D'autre part, s'il était en couple avec une personne domiciliée à Genève chez qui il résidait, à tout le moins par périodes, il avait tout loisir de fréquenter son compagnon en dehors du territoire genevois, étant rappelé que la chambre administrative l'avait sommé de reprendre domicile dans le canton de Schwytz.

D. a. Par acte posté le 30 mai 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le jugement précité, concluant, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, à la restitution de l'effet suspensif au recours et, principalement, à l'annulation du jugement attaqué et de la décision du 5 mai 2023 et à l'allocation d'une indemnité de procédure.

Il vivait avec C______ depuis 2013. Ils avaient signé le 4 août 2016 une convention de vie commune. Le couple avait pour projet de se marier, mais les démarches auprès des services d'état civil algériens ainsi que l'officialisation de sa relation avec un homme d'un point de vue religieux rendaient ce projet difficile à réaliser pour lui.

Ce n'était que le 22 mai 2023 que C______ avait retiré le pli recommandé envoyé par son précédent conseil et qu'il avait appris l'existence de l'audience du 16 mai 2023 ainsi que du fait qu'un avocat lui avait été désigné d'office.

Le TAPI devait statuer dans un délai de 20 jours dans le cas d'une interdiction de territoire, après convocation de l'étranger. Il n'avait pas été régulièrement convoqué à l'audience du TAPI, puisque même s'il était allé chercher le pli recommandé envoyé par son ancien conseil dès le lendemain de l'envoi, il aurait manqué l'audience. Son droit d'être entendu avait été violé. Il sollicitait également la tenue d'une audience de comparution personnelle des parties et d'enquêtes en procédure de recours, son concubin devant être entendu.

Sur le fond, la mesure prononcée violait le principe de la proportionnalité au vu de sa durée excessivement longue et du fait qu'elle l'obligeait à quitter son domicile et à être séparé de son concubin.

b. Le 5 juin 2023, le commissaire a conclu au rejet du recours.

A______ était un criminel multirécidiviste. Son comportement montrait qu'il n'avait cure des injonctions des autorités suisses. Le service de l'asile du canton de Schwytz avait confirmé les 9 et 16 mai 2023 à l'OCPM être toujours responsable de l'exécution du renvoi du précité et demander l'entraide du canton de Genève en application de l'art. 97 LEI.

S'agissant du grief relatif au droit d'être entendu, le formulaire systématiquement remis à l'étranger lors d'une opposition immédiate contenait la formule suivante : « Dans ce cas, il appartient à l'intéressé de contacter téléphoniquement le tribunal dans les 3 jours ouvrables, afin d'obtenir la date de son audition auprès de cette juridiction et venir chercher sa convocation. [En gras:] Téléphone : 022 388 12 20, de 10h00 à 12h00 ». A______ n'avait pas suivi ces instructions et était malvenu de se plaindre de ne pas avoir pu participer à l'audience.

Quant au fond, le principe de la proportionnalité était respecté et la longueur justifiée d'une part car un autre canton était responsable de l'exécution de son renvoi, et d'autre part dans la mesure où il s'agissait d'un criminel multirécidiviste ayant déjà, dans le passé, violé à réitérées reprises une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève.

c. Le 5 juin 2023, l'avocate désignée d'office par le TAPI, interpellée par le juge délégué, s'est déterminée au sujet de la régularité de la convocation de son client devant le TAPI.

Elle avait à au moins deux reprises, entre le 11 et le 15 mai 2023, tenté de joindre son client par téléphone au numéro de téléphone portable figurant dans le dossier, et lui avait envoyé un courrier recommandé le 15 mai 2023.

d. Le 5 juin 2023, le recourant a précisé qu'il avait reçu copie du courrier de son ancien conseil. Le contenu dudit courrier n'était nullement contesté. Le pli recommandé avait été retiré le 22 mai 2023. Par ailleurs, il n'utilisait plus depuis longtemps le numéro de téléphone qui figurait au dossier, dans des pièces remontant à l'année 2020.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les 10 jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 1er juin 2023 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Le recourant n'a pas conclu à son audition ni à celle de son partenaire, mais déclare dans son acte de recours solliciter ces deux actes d'instruction.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 Contrairement à ce qui vaut pour la procédure devant le TAPI (art. 9 al. 1 let. b LaLEtr), la loi ne prévoit pas d'audience obligatoire devant la chambre de céans, et son délai pour statuer est plus court (10 jours au lieu de 20 : art. 10 al. 2 LaLEtr). De plus, le recourant n'indique pas en quoi son audition ou celle de son concubin apporterait des éléments supplémentaires pertinents pour la résolution du litige. S'agissant en particulier de l'audition de C______, il convient en outre de relever que tant le TAPI, dans le jugement attaqué, que la chambre de céans, dans l'ATA/253/2020, ont retenu qu'il cohabitait avec le recourant depuis plusieurs années.

La demande d'actes d'instruction sera dès lors rejetée.

4.             Dans un premier grief d'ordre formel, le recourant invoque la violation de son droit d'être entendu et le fait de n'avoir pas été valablement convoqué à l'audience du 16 mai 2023 devant le TAPI.

4.1 Le TAPI examine la légalité et l'adéquation de l'assignation territoriale dans les 20 jours au plus après sa saisine en cas d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, après convocation de l'étranger ; cette convocation est traduite dans une langue qu'il comprend et assortie d'un bon de transport (art. 9 al. 1 let. b LaLEtr). Il statue au terme d’une procédure orale (art. 9 al. 5 LaLEtr). Dès son assignation territoriale, sa mise en rétention ou sa mise en détention, l'étranger a le droit d'être assisté ou représenté par un avocat, ou un autre mandataire professionnellement qualifié, avec lesquels il doit pouvoir prendre contact, s'entretenir et correspondre librement et sans témoin (art. 12 al. 1 LaLEtr). Au cas où l’étranger ne dispose pas d’un avocat ou d’un mandataire, un avocat est mis d’office à sa disposition pour les procédures prévues aux art. 9 et 10 LaLEtr (art. 12 al. 2 LaLEtr).

Les parties ont le droit de participer à l’audition des témoins, à la comparution des personnes ordonnées par l’autorité ainsi qu’aux examens auxquels celle-ci procède (art. 42 al. 1 LPA).

4.2 En l'espèce, le TAPI a procédé à la nomination d'office d'une avocate pour le recourant et a envoyé la convocation au domicile professionnel de cette dernière, agissant ainsi de manière régulière. L'avocate a quant à elle tenté de joindre son client par téléphone, ignorant que ce dernier avait changé de numéro, et lui a envoyé la convocation par pli recommandé la veille de l'audience.

Dès lors, même si le TAPI et l'avocat d'office ont agi de manière régulière, le recourant ne pouvait être atteint par leur biais. Or c'est justement pour éviter ce type d'écueil que le formulaire d'opposition immédiate contient la mention selon laquelle l'opposant doit se renseigner auprès du TAPI par téléphone dans les trois jours pour savoir quand se déroule l'audience le concernant. En l'occurrence, le formulaire qui figure à la procédure a été traduit en arabe au recourant, la signature de l'interprète figurant au bas du document ainsi qu'une mention en arabe au regard du numéro de téléphone du TAPI, lequel figure en gras. Dans ces conditions et dans la mesure également où le recourant devait s'attendre à recevoir rapidement une convocation du TAPI à la suite de son opposition (pour l'opposition à une ordonnance pénale : arrêt du Tribunal fédéral 6B_673/2015 du 19 octobre 2016 consid. 2.2), il a violé ses devoirs procéduraux et ne saurait dès lors se prévaloir de sa propre faute.

Le grief sera écarté.

5.             Est litigieuse l’interdiction de pénétrer dans tout le territoire cantonal pendant 18 mois.

5.1 La chambre de céans est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (art. 10 al. 2 2ème phr. LaLEtr) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l'étranger (art. 10 al. 3 1ère phr. LaLEtr).

5.2 Aux termes de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics.

Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit cependant que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommages à la propriété ou pour une infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121).

5.3 L'assignation d'un lieu de résidence ou l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée fondée sur l'art. 74 al. 1 let. b LEI vise à permettre le contrôle du lieu de séjour de l'intéressé et à s'assurer de sa disponibilité éventuelle pour la préparation et l'exécution de son renvoi de Suisse par les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.1), mais aussi, en tant que mesure de contrainte poursuivant les mêmes buts que la détention administrative, à inciter la personne à se conformer à son obligation de quitter la Suisse (ATF 144 II 16 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.1 ; Gregor CHATTON/Laurent MERZ, in Code annoté de droit des migrations, vol. II : Loi sur les étrangers [LEtr], 2017, n. 22 ad art. 74 LEtr).

L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 CEDH et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

5.4 Aux termes de l'art. 36 al. 3 Cst., toute restriction d'un droit fondamental, en l'espèce la liberté de mouvement (arrêt du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.2), doit être proportionnée au but visé. Pour être conforme au principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 in fine Cst.), la mesure doit être apte à atteindre le but visé, ce qui ne peut être obtenu par une mesure moins incisive. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 p. 175 s.; 136 I 197 consid. 4.4.4 p. 205). En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles. De telles mesures ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.1; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 4.1; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 et les références citées).

La mesure d'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010, p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

5.5 La chambre de céans a confirmé l’interdiction de tout le territoire du canton pour une durée de douze mois infligée à un recourant initialement attribué au canton de Genève dans le cadre de la procédure d’asile mais objet d’une décision de renvoi définitive et dépourvu de titre de séjour en Suisse, en raison du risque de réitération d’infractions à la LStup (ATA/1371/2020 du 30 décembre 2020).

Elle a admis le caractère disproportionné d’une interdiction de territoire privant un recourant d’accès au domicile de son amie, chez laquelle il était effectivement domicilié et avec laquelle des démarches en vue du mariage étaient effectivement en cours (dépôt d’une demande d’autorisation de séjour en vue de mariage ; ATA/668/2020 du 13 juillet 2020).

De même, elle a jugé contraire au droit l’interdiction de tout le canton de Genève notifiée à un recourant qui avait entamé des démarches auprès de l’OCPM pour l’obtention d’un titre de séjour en vue de mariage et auprès de l’état civil pour reconnaître sa fille, et dont la réalité de la relation n’avait pas été mise en cause par le TAPI (ATA/1171/2019 du 22 juillet 2019).

La chambre de céans a confirmé, dans le cas d’un ressortissant français qui avait fait l’objet d’une condamnation pour le vol d’un téléphone portable non encore entrée en force, qui n’avait pas d’antécédents judiciaires et disposait de très faibles moyens, mais avait pris un emploi de boulanger et avait produit une attestation d’annonce de cette prise d’emploi, sans avoir toutefois obtenu encore de réponse de l’OCPM, une interdiction de périmètre étendue à tout le canton, mais assortie sur opposition par le TAPI d’une exception devant permettre au recourant de se rendre à son travail et réduite de douze à trois mois. Il ne s'agissait pas d'infractions en lien avec le trafic de stupéfiants, ni de brigandage, de lésions corporelles intentionnelles ou de dommages à la propriété, l'intéressé était au bénéfice d'un emploi dans le canton et ne présentait pas d'antécédents judiciaires en Suisse. Bien que d'une durée relativement courte, la mesure paraissait apte et suffisante pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le périmètre déterminé par le TAPI (ATA/1566/2019 du 24 octobre 2019).

La chambre administrative a aussi confirmé l’interdiction territoriale étendue à tout le canton de Genève prononcée à l'encontre d'un recourant qui avait admis séjourner dans plusieurs cantons, dont le canton de Vaud auquel il avait été attribué dans le cadre de la procédure d’asile, et qui ne pouvait faire valoir de communauté conjugale ni plus généralement d’intérêt personnel qui s’opposeraient au prononcé d’une interdiction territoriale dont le périmètre serait étendu à tout le canton de Genève sans exception (ATA/1236/2021 du 16 novembre 2021).

Elle a enfin confirmé un jugement du TAPI qui concernait un étranger n'ayant pas été assigné à un autre canton que Genève dans le cadre d'une procédure d'asile. Le TAPI avait soustrait à l'interdiction une portion de territoire lui permettant de vivre chez son amie et la mère de celle-ci. La solution préconisée dans le jugement attaqué permettait à l'étranger de continuer à bénéficier du gîte et du couvert fournis par son amie et la mère de celle-ci, ce qui n'excluait évidemment pas la commission de nouvelles infractions mais pouvait réduire la nécessité d'y avoir recours, avec en outre l'avantage pour les autorités d'une résidence plus ou moins fixe augmentant les chances de localiser l'intéressé en cas de besoin. Il s'agissait donc d'une solution qui, si elle n'apparaissait pas idéale, était à même de servir de manière concrète et pragmatique les intérêts de la sécurité publique (ATA/381/2022 du 7 avril 2022).

5.6 Les fiancés ou les concubins ne sont, sous réserve de circonstances particulières, pas habilités à invoquer l'art. 8 CEDH. Ainsi, l'étranger fiancé à une personne ayant le droit de s'établir en Suisse ne peut, en principe, pas prétendre à une autorisation de séjour, à moins que le couple n'entretienne depuis longtemps des relations étroites et effectivement vécues et qu'il n'existe des indices concrets d'un mariage sérieusement voulu et imminent, comme par exemple la publication des bans du mariage (ATF 137 I 351 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1035/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1 ; 2C_207/2012 du 31 mai 2012 consid. 3.3 ; 2C_206/2010 du 23 août 2010 consid. 2.1 et 2.3 et les références citées).

5.7  En l'espèce, le recourant est un demandeur d'asile attribué au canton de Schwytz, où il est censé se tenir à la disposition des autorités. Il vit à Genève depuis environ dix ans, en toute illégalité, et y a commis de multiples infractions pénales, notamment des vols, et a encore été condamné pour violation de domicile et tentative de vol le 5 mai 2023. Il a déjà fait l'objet d'une interdiction territoriale du même genre, d'une durée de douze mois, et ne l'a pas respectée. Sa demande d'autorisation de séjour pour cas d'extrême gravité déposée à Genève a été refusée, et le recourant ne prétend pas qu'il aurait déposé une telle demande à Schwytz.

Les conditions d'une interdiction territoriale sont, au vu de ce qui précède, remplies. S'agissant de la proportionnalité de la mesure, il n'est pas contesté que recourant vit en couple avec son concubin, à Genève, depuis de nombreuses années. Il fait certes valoir des obstacles administratifs et consulaires à une démarche de mariage, sans aucunement prouver ceux-ci et en évoquant aussi sa propre réticence à s'engager dans une telle démarche pour des motifs qui lui sont personnels. Dès lors, le recourant ne pourrait pas se prévaloir de l'art. 8 CEDH. Quoi qu'il en soit, un motif de révocation au sens de l'art. 62 LEI, déjà constaté par la chambre de céans en 2020 mais toujours d'actualité, s'opposerait probablement aussi à l'octroi d'une autorisation de séjour pour regroupement familial en cas de mariage. Le recourant ne fait pas valoir d'autre attache avec le canton de Genève ni d'autre nécessité sociale. Dans ces conditions, le fait d'avoir étendu la mesure à l'ensemble du canton de Genève n'est pas contraire au principe de la proportionnalité.

Quant à la durée de 18 mois, celle-ci est certes longue mais prend en compte, comme l'a justement relevé le TAPI, le prononcé d'une mesure identique d'une durée de douze mois en 2020, à laquelle le recourant ne s'est pas plié, si bien que le prononcé d'une mesure plus longue est acceptable en l'espèce.

Il découle de ce qui précède que le recours, entièrement mal fondé, doit être rejeté.

6.             La procédure étant gratuite (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 mai 2023 par A______, alias B______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gaétan DROZ, avocat du recourant, au commissaire de police, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :