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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2616/2022

ATA/412/2023 du 19.04.2023 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2616/2022-PRISON ATA/412/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 avril 2023

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le ______ 2022.

b. Le 19 juillet 2022, il occupait une cellule située dans l'unité SUD de la prison. Les détenus de cette unité bénéficient en principe d'une heure de sport par semaine dans la grande salle de gymnastique et de la possibilité de faire du sport pendant une heure deux ou trois fois par semaine dans la petite salle de sport de l'unité SUD.

c. Le 6 juin 2022, M. A______ a fait l'objet d'une sanction disciplinaire de quatre jours de cellule forte pour violence physique exercée sur d'autres détenus et trouble à l'ordre de l'établissement, sanction qui n'a pas été contestée.

B. a. Selon un rapport d'incident rédigé par un membre du personnel de la prison, le mardi 19 juillet 2022 à 14h45, M. A______ ainsi qu'un autre détenu avaient, lors de la descente à la salle de sport, crié « avec la promenade NORD », et ne s'étaient pas tus malgré ses avertissements.

b. Par décision du 19 juillet 2022, le gardien responsable du sport a notifié à M. A______ une sanction de 30 jours de « suppression du sport grande salle ».

Le détenu avait été vu et entendu à 15h05 et avait pu s'exprimer sur sa version des faits, la sanction lui ayant été communiquée à 15h10.

C. a. Par acte posté le 18 août 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à ce que soient prises « les mesures adéquates contre l'établissement de Champ-Dollon et notamment contre le gardien ayant prononcé la sanction ».

Il avait été sanctionné pour trouble à l'ordre de l'établissement, alors qu'il n'avait « rien fait de ce genre ». La décision mentionnait qu'il avait pu donner sa version des faits, alors qu'il n'en était rien. Lorsqu'il avait contesté la sanction en disant qu'il n'avait rien fait, le gardien lui avait simplement dit : « Bon, tu signes ou tu signes pas ? », n'ayant rien à répondre aux arguments qu'il lui avait présentés. Enfin, alors que la sanction devait prendre fin le 18 août 2022, on ne l'avait pas laissé gagner la salle de sport ce jour-là en prétextant que la sanction serait levée le 19 août 2022.

b. Le 2 septembre 2022, la prison a conclu au rejet du recours.

Conformément à la jurisprudence, le rapport d'incident, rédigé par un membre du personnel assermenté faisait foi à moins que des éléments spécifiques permettent de s'en écarter. Or M. A______ faisait référence à des arguments avancés lors de la notification de sa sanction, toutefois sans aucunement les préciser et en se contentant de dire qu'il n'avait rien fait. La constatation des faits était donc exacte.

Le droit d'être entendu avait été respecté, la procédure permettant de procéder par oral et n'exigeant pas la tenue d'un procès-verbal. M. A______ avait contrevenu à l'ordre de l'établissement en criant alors qu'il se rendait à la salle de sport et en continuant à le faire malgré les avertissements du gardien responsable. La sanction était proportionnée, étant précisé notamment que M. A______ avait pu continuer à faire du sport dans la petite salle, soit celle de l'unité SUD.

c. Le 13 septembre 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 30 septembre 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Aucune des parties ne s'est manifestée.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.1 Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

1.2 Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un tel intérêt lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/1204/2022 du 30 novembre 2022 consid. 2).

1.3 En l’espèce, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’une sanction disciplinaire doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée. Dans la mesure où rien dans le dossier ne laisse à penser que le détenu ait quitté l’établissement à ce jour, il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire. Le recours conserve ainsi un intérêt actuel et est en conséquence recevable de ce point de vue.

1.4 Cela étant, les conclusions du recourant ne tendent pas à l'annulation de la décision attaquée ni au constat de son illicéité, mais à ce que soient prises des mesures contre la prison ainsi que contre le gardien qui l'a sanctionné.

La chambre de céans n'étant pas autorité de surveillance des établissements pénitentiaires, mais uniquement autorité de recours contre leurs décisions rendues notamment en matière disciplinaire, ces conclusions sont en principe irrecevables.

La recevabilité du présent recours souffrira toutefois de demeurer ouverte, celui-ci devant quoi qu'il en soit être rejeté pour les motifs qui suivent.

2.             Le recourant invoque une violation de son droit d'être entendu, déclarant n'avoir pas pu s'exprimer sur sa version des faits.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit à une audition orale (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_51/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1 ; ATA/1173/2020 du 24 novembre 2020 consid. 3a), mais celle-ci peut être ordonnée selon la nature de l'affaire (art. 18 LPA).

2.2 En l'espèce, les indications du recourant sont pour le moins contradictoires. D'un côté en effet il prétend que le gardien responsable du sport qui lui a notifié la sanction ne l'a pas laissé donner sa version des faits, de l'autre il mentionne que ledit gardien lui aurait déclaré : « Bon, tu signes ou tu signes pas ? » car il n'avait rien à répondre aux arguments qu'il lui avait présentés, ce qui tend à prouver que la décision attaquée, qui mentionne qu'il a eu l'occasion de s'exprimer, est exacte sur ce point. Par ailleurs, le fait qu'il se soit agi d'une audition orale sans procès-verbal était indiqué au vu des circonstances, et conforme à la LPA qui n'exige pas la tenue d'un procès-verbal en procédure non contentieuse.

Le grief sera écarté.

3.             Le recourant conteste la proportionnalité, et se plaint matériellement d'une constatation inexacte des faits pertinents.

3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP).

3.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer a) la suppression de visite pour 15 jours au plus, b) la suppression des promenades collectives, c) la suppression des activités sportives, d) la suppression d’achat pour 15 jours au plus ou encore g) le placement en cellule forte pour 10 jours au plus. Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP).

3.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 précité ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d ; ATA/36/2019 du 15 janvier 2019).

3.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

3.6 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 5f ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 4e).

3.7 En l’espèce, les faits reprochés au recourant ressortent du rapport établi le 19 juillet 2022. Selon ce rapport, le recourant criait sur le chemin de la salle de sport, malgré plusieurs avertissements qui lui avaient été donnés de cesser de crier.

Le recourant se contente de dire qu'il n'a rien fait. Ce faisant, il conteste de manière toute générale les faits reprochés et n’explique pas en quoi le rapport d’incident serait erroné, ne précisant pas non plus les arguments qu'il aurait présentés au gardien responsable lors de la notification de la sanction. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s'écarter des constatations figurant dans le rapport susmentionné, établi au demeurant par un agent assermenté et qui a une pleine valeur probante.

Le comportement consistant à crier dans les couloirs est susceptible de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement. De ce fait, le recourant a violé ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 42 ss RRIP, en particulier à l’art. 45 let. h RRIP. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à le sanctionner pour ces faits.

La sanction prononcée, qui est prévue par ailleurs par le règlement, apparaît proportionnée à la gravité de la faute. Elle est limitée dans le temps ainsi qu’à la seule grande salle de sport, dès lors qu'elle représente en réalité la suppression d'une heure par semaine, soit environ 4 heures au total, le recourant pouvant continuer à pratiquer du sport deux ou trois fois par semaine dans la petite salle de sport de l'unité. Elle est également apte à conduire le recourant à adopter un comportement plus adéquat.

Au vu de ce qui précède, l’intimée n’a pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en sanctionnant le recourant de trente jours de suppression de l’accès à la grande salle de sport. Le recours s’avère ainsi mal fondé et sera rejeté en tant qu'il est recevable.

4.             Vu la matière concernée, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA cum art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu'il est recevable, le recours interjeté le 18 août 2022 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 19 juillet 2022 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. Croci Torti

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

la greffière :