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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/743/2022

ATA/209/2023 du 07.03.2023 ( FPUBL ) , REJETE

Recours TF déposé le 27.04.2023, rendu le 19.03.2024, REJETE, 8D_4/2023
Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE;DÉTENTION(INCARCÉRATION);DÉBAT DU TRIBUNAL;PUBLICITÉ DE LA PROCÉDURE;EFFET DÉVOLUTIF;PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);POUVOIR D'APPRÉCIATION;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : Cst.29.al2; LPA.41; CEDH.6; LPA.18; LPA.61; LPA.67; LOPP.3.al2; LOPP.7.al1; ROPP.19.al3; ROPP.20.leta; LOPP.29; ROPP.53; ROPP.47; RCurabilis.1; RCurabilis.9; RCurabilis.10; RCurabilis.18; RCurabilis.23; RCurabilis.24; Cst.9; Cst.5.al3; Cst.8.al1; LOPP.6.al1; LPAC.2B; CO.328; RPPers.1
Résumé : Recours contre une décision de refus d'indemnité pour surpopulation carcérale. Le personnel pénitentiaire peut prétendre à une indemnité financière basée sur la pénibilité du travail qui résulte de la surpopulation carcérale. Or, les conditions pour revoir/adapter/actualiser la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire de l'établissement en cause ne sont pas réunies. Même avec les calculs retenus par le recourant, il n'a pas droit à l'indemnité pour surpopulation carcérale. Malgré l'augmentation du nombre de détenus, l'effectif pénitentiaire était suffisant sans rendement supplémentaire. Le recourant échoue à démontrer que l'autorité intimée aurait agi de mauvaise foi. Pas de violation du principe de l'égalité de traitement. Les normes de protection de la personnalité du personnel sont respectées dans la mesure où le taux d'encadrement pénitentiaire était suffisant par rapport à la population carcérale présente. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/743/2022-FPUBL ATA/209/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 mars 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA DÉTENTION



EN FAIT

1) Monsieur A______ est ______ au sein de l’établissement fermé de Curabilis (ci-après : Curabilis), dont il est ______ ressources humaines (ci-après : RH).

2) Le 1er novembre 2017, la directive sur la détermination des taux d'encadrement et les conditions d'octroi de l'indemnité pour surpopulation carcérale (Directive n° 3.04 ; ci-après : la directive) est entrée en vigueur.

La directive a pour objectifs de définir les notions permettant de déterminer les taux d'encadrement de référence, les seuils relatifs à la pénibilité mesurée, les conditions d'octroi et de suspension de l'indemnité pour surpopulation carcérale et le calcul du montant de l'indemnité.

Le taux d'encadrement pénitentiaire correspond au rapport entre l'effectif du personnel pénitentiaire de l'établissement et le nombre de personnes détenues physiquement présentes sur la période de référence (TEP = ETP/nbr. détenus).

L'effectif en personnel administratif ou technique de l'établissement se rapporte au nombre d'agents temps plein travaillant au sein d'un établissement (lieu de travail physique) correspondant au personnel administratif ou technique non soumis à la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 (LOPP - F 1 50), y compris les collaborateurs absents qui perçoivent un traitement. Les collaborateurs affectés contractuellement à un établissement ne font pas partie de l'effectif de celui-ci s'ils sont détachés à un autre établissement.

L'indemnité pour surpopulation carcérale est définie comme étant un montant variable permettant de compenser la pénibilité du travail des agents de détention, calculée en fonction du taux d'encadrement pénitentiaire, de la pénibilité qui en résulte et des seuils de calculs préétablis.

La valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire, laquelle permet le bon fonctionnement de chaque établissement, est de 0.90 pour Curabilis. En-dessous de ce taux, une indemnité au sens de l'art. 53 al. 1 du règlement d'application de la LOPP du 22 février 2017 (ROPP - F 1 50.01) est due.

En plus des deux principaux paramètres de calcul (l'effectif temps plein et le nombre de détenus), la définition de la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire par établissement prend en compte le régime de détention, les prestations fournies par l'établissement, les contraintes liées à la configuration du bâtiment et les missions connexes comme la surveillance extérieure.

Si la nature du régime de détention vient à changer, la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire pour l'établissement visé doit être reconsidérée et adaptée au niveau type de régime soumis. Il en sera de même en cas d'internalisation ou d'externalisation de prestations ayant un impact sur l'effectif du personnel pénitentiaire.

La pénibilité se caractérise par une exposition à plusieurs facteurs de risques inhérents à la surpopulation carcérale impliquant un rendement supplémentaire, compensé par l'indemnité de surpopulation carcérale. Les niveaux d'exposition aux facteurs de pénibilité sont déterminés par deux seuils. Pour une pénibilité mesurée du personnel pénitentiaire supérieure ou égale à 0, le montant de l'indemnité est de CHF 0.-, de CHF 150.- pour une pénibilité inférieure à 0 et jusqu'à -0.07 et de CHF 250.- pour une pénibilité inférieure ou égale à -0.07.

Le montant de l'indemnité est proportionnel au taux d'activité avec un mois de décalage. À chaque période de référence, les RH de l'office cantonal de la détention (ci-après : OCD ou l'office) mettent à disposition de direction des établissements pénitentiaires les données relatives à la situation du taux d'encadrement.

3) Le 22 février 2021, M. A______ a transmis au directeur de Curabilis des tableaux pour les années 2019 et 2020, desquels il ressortait qu'une indemnité pour surpopulation carcérale aurait dû être octroyée pour les mois d'octobre et décembre 2020.

4) Le 25 février 2021, le chef de service RH de l'OCD a indiqué au directeur de Curabilis que la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire était une valeur fixe.

De plus, le taux d'encadrement pénitentiaire était calculé sur la base de l'effectif pénitentiaire physique et non contractuel.

Certes, la directive devrait faire l'objet d'une réadaptation selon le budget en vigueur, mais la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire n'aurait pas vocation à augmenter dans la même proportion que les effectifs.

L'indemnité pour surpopulation carcérale n'était dès lors pas due.

5) Le 26 février 2021, le directeur de Curabilis a transmis au chef de service RH de l'OCD des tableaux actualisés par M. A______ en fonction de ces remarques et de l'oubli de soustraire des calculs les effectifs temps plein détachés dans d'autres établissements pénitentiaires.

En outre, la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire devait passer de 0.90217 à 1.03261 pour l'année 2020 et à 1.02174 dès le 1er janvier 2021.

L'indemnité pour surpopulation carcérale était donc due pour les mois de janvier à mars et octobre à décembre 2020 ainsi que pour le mois de janvier 2021.

6) Le 4 mars 2021, le chef de service RH a confirmé que le taux d'encadrement applicable aux années 2020 et 2021 était de 0.9 pour Curabilis tant que la directive n'était pas modifiée.

De plus, parmi la liste des personnes mentionnées par M. A______ détachées ou bénéficiaires de la cellule de retour au travail, certains cas ne devaient pas être pris en compte du fait qu'ils n'avaient aucune influence sur les effectifs temps plein.

Pour fixer la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire en 2017, l'OCD s'était fondé sur le taux d'encadrement de 1 préconisé par le Manuel des constructions dans le domaine de l'exécution des peines et mesures établi le 26 septembre 2016 par l'office fédéral de la justice (ci-après : le manuel), lequel avait été pondéré à 0.9.

7) Le 25 mai 2021, M. A______ a interpellé le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé, devenu depuis lors le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département), requérant l'ouverture d'une procédure et le prononcé d'une décision sujette à recours sur son droit à une indemnité pour surpopulation carcérale, intérêts moratoires en sus. Il demandait également à ce que lui soit communiqué l'ensemble des données brutes pertinentes dont les moyennes mensuelles des emplois plein temps et des détenus, selon les statistiques « Papillon ».

Depuis 2017, année du calcul de la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire (83 agents de détention pour 92 détenus), de nombreux changements étaient intervenus au sein de Curabilis. L'effectif pénitentiaire était passé de 83 en 2017 à 95 en 2020 et 94 pour l'année 2021.

Cette dotation supplémentaire avait été justifiée par les nouvelles orientations de Curabilis et les missions complémentaires dont les agents de détentions avaient été chargés (augmentation du nombre d'ateliers, ouverture d'une unité de mesures supplémentaires initialement destinée à la sociothérapie ou la réalisation des conduites de détenus).

Même si Curabilis avait pu compter sur le renfort de certains agents détachés d'un autre établissement pénitentiaire, l'établissement avait manqué d'effectifs.

La modification de ces circonstances devait conduire à une réévaluation de la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire fixé en 2017 dans la directive. Ainsi, pour l'année 2020, la valeur cible s'élevait à 1.03261 (95/92) et 1.02174 pour l'année 2021 (94/92).

Il en découlait une obligation de verser l'indemnité pour surpopulation carcérale pour plusieurs mois de ces années.

8) Le 24 juin 2021, le département a transmis le courrier précité à l'OCD, son objet relevant de sa compétence.

9) Par décision du 28 janvier 2022, après une relance du 6 décembre 2021, l'OCD a rejeté la demande de M. A______.

La directive fixait une valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire qui permettait de calculer des seuils relatifs à la pénibilité. Pour Curabilis, cette valeur était fixée à 0.9.

Si les changements intervenus depuis l'entrée en vigueur de la directive en terme d'effectif (augmentation de 12 postes, pour un total de 95 effectif temps plein en 2020 par exemple) faisaient apparaître un taux effectif d'encadrement par du personnel pénitentiaire bien plus important qu'en 2017, il fallait y voir les conséquences d'un choix politique d'encadrer davantage les personnes détenues au sein de Curabilis. Une augmentation de la dotation ne donnait aucun droit à une adaptation simultanée du taux d'encadrement pénitentiaire. Comme l'indiquait la directive, une telle adaptation serait possible « si la nature du régime de détention venait à changer » ou « en cas d'internalisation ou d'externalisation de prestations ». Or, aucun changement de ce type n'était intervenu depuis 2017. De plus, les « missions complémentaires » mentionnées étaient des prestations qui s'inscrivaient dans une prise en charge classique au sein d'un établissement du type de Curabilis.

Par ailleurs, le nombre de personnes détenues au sein de Curabilis en 2020 et 2021 avait été inférieur à celui de 2017, sur lequel la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire à 0.9 avait été calculée. À l'instar de l'augmentation de la dotation en personnel, une diminution périodique du nombre de personnes détenues ne justifiait pas non plus la modification du taux d'encadrement pénitentiaire.

Les conditions pour l'octroi d'une indemnité pour surpopulation carcérale n'étaient donc pas remplies.

Des tableaux, relatifs à la détermination du calcul de l'indemnité pour surpopulation carcérale pour les années 2020 et 2021, étaient joints à la décision.

10) Par acte du 3 mars 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant, préalablement, à la production des données brutes relatives à l'effectif en personnel pénitentiaire, administratif et technique, et au nombre de personnes détenues à Curabilis, pour les années 2017 à 2021, ainsi qu'à une audience de comparution personnelle des parties et la tenue d'une audience publique répondant aux réquisits de l'art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Principalement, la décision attaquée devait être annulée et l'OCD condamné à lui payer l'indemnité pour surpopulation carcérale prévue par l'art. 53 ROPP pour les années 2020 et 2021, avec intérêts à 5 % l'an.

N'ayant pas eu accès au dossier, ni aux pièces sur lesquelles se fondait la décision contestée, son droit d'être entendu avait été violé.

La valeur cible était susceptible de révision en cas de modification des circonstances. Les conditions permettant une telle adaptation étaient réunies compte tenu du changement de la nature du régime de détention au vu de l'ouverture d'une unité de mesures supplémentaire à Curabilis, initialement destinée à l'exécution de peines. Les missions complémentaires confiées au personnel pénitentiaire ne pouvaient pas être considérées comme des prestations qui s'inscrivaient dans une prise en charge classique au sein de Curabilis. Même à supposer que tel serait le cas, la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire devait être adaptée puisque ces tâches représentaient des prestations complémentaires fournies par l'établissement, respectivement une internalisation des prestations. L'octroi du personnel complémentaire et du budget correspondant constituait la reconnaissance même de la nécessité d'un encadrement supplémentaire lié à ces tâches. En outre, la méthode de calcul du personnel présent était contraire à l'art. 47 ROPP. Il ne pouvait pas être inclus dans l'effectif physique de Curabilis les collaborateurs libérés de leur obligation de travailler ainsi que ceux inactifs ou en stage auprès de la cellule de retour au travail. Ces personnes devaient être exclues du calcul.

L'OCD adoptait un comportement contraire à la bonne foi dans la mesure où trois critères définissant la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire avaient évolué depuis 2017. De plus, dans le courriel du 25 février 2021, l'office avait reconnu que la directive devait faire l'objet d'une réadaptation selon le budget en vigueur.

La « pénibilité » de son travail et de celui du personnel actuellement en place était jugée à l'aune de la situation, révolue, existant en 2017. La décision contestée instaurait un traitement identique pour des situations pourtant dissemblables. Le principe de l'égalité de traitement était donc violé.

L'indemnité pour surpopulation carcérale visait à compenser financièrement les difficultés et la pénibilité d'un travail du personnel pénitentiaire résultant de l'incapacité de l'État à se doter d'un nombre suffisant d'établissements et de personnel en regard du nombre de personnes en détention. Cette indemnité découlait ainsi de l'obligation de l'État de pourvoir à la protection de la personnalité des membres du personnel en sanctionnant le manquement à celle-ci par une indemnité financière. L'octroi du budget complémentaire requis était le reflet de la reconnaissance, par l'État, de la nécessité d'adapter à la hausse l'encadrement des détenus à Curabilis, en raison de l'évolution de la situation et de la modification des missions tant du personnel que de l'établissement. Les art. 2B de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), 2 du règlement d’application de la LPAC du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01) et 1 du règlement relatif à la protection de la personnalité à l'État de Genève du 12 décembre 2012 (RPPers - B 5 05.10) imposaient ainsi à l'office, en 2020 et 2021, d'assurer un encadrement pénitentiaire de 1.03261 et de 1.02174 respectivement, ou, à défaut, d'y être en mesure, de verser l'indemnité en application de l'art. 53 ROPP.

11) Le 8 avril 2022, l'OCD a conclu au rejet des conclusions préalables et du recours.

Il n'y avait pas lieu de modifier la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire de 0.9 pour les motifs expliqués dans la décision du 22 janvier 2022. En outre, l'absence de changement du régime d'exécution à Curabilis ressortait des art. 1 et 40 du règlement de l'établissement de Curabilis du 19 mars 2014 (RCurabilis - F 1 50.15) qui n'avaient pas été modifiés depuis leur adoption. Le fait que l'unité de sociothérapie ait été reconvertie en unité d'exécution de mesures ne modifiait pas la mission principale de Curabilis consistant en l'exécution de mesures thérapeutiques et d'internements. Aucune internalisation ou externalisation des prestations de Curabilis n'avait eu lieu. Les conduites faisaient partie des tâches usuelles des agents de détention et n'avaient pas été effectuées auparavant par du personnel externe.

Aucune indemnité pour surpopulation carcérale n'était due pour les années 2020 et 2021. Les tableaux annexés à la décision attaquée détaillaient les calculs effectués et les données obtenues permettant d'arriver au résultat de la pénibilité mesurée pour les années 2020 et 2021. Même en utilisant la méthode de calcul du recourant, le résultat obtenu dépassait la valeur cible du taux d'encadrement de 0.9.

Le recourant n'avait pas expliqué en quoi l'OCD aurait abusé de son pouvoir d'appréciation en maintenant identique la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire. Cela aurait été pour le moins difficile, les taux d'encadrement au sein de Curabilis étant près de trois fois supérieurs aux standards reconnus pour les établissements du même type, ce qui suggérait davantage un excès de générosité que d'avarice dans la fixation des taux d'encadrement au sein de Curabilis.

Le recourant n'avait enfin pas requis de l'autorité intimée qu'elle rende une décision formelle sur la question spécifique de la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire. Au vu de cette valeur cible, fixée antérieurement, l'OCD n'avait pas eu d'autre choix que de refuser d'accorder une indemnité pour surpopulation carcérale, sa marge de manœuvre et son pouvoir d'appréciation étant extrêmement limités.

12) Le 15 août 2022, M. A______ a répliqué persistant dans ses conclusions.

Les mesures d'instruction demandées devaient être diligentées.

La valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire devait être adaptée compte tenu des modifications intervenues depuis 2017 à Curabilis. L'OCD versait dans la mauvaise foi, ou à tout le moins le formalisme excessif, en soutenant qu'il n'aurait pas requis la réadaptation de la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire et que cette question serait étrangère à l'objet du litige. Son courrier du 25 mai 2021 démontrait qu'il avait bien demandé la réévaluation de la valeur cible. En toute hypothèse, cette question était comprise dans l'objet du litige.

13) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant demande la production des données brutes relatives à l'effectif en personnel pénitentiaire, administratif et technique, et au nombre de personnes détenues à Curabilis pour les années 2017 à 2021. Il sollicite également une audience de comparution personnelle ainsi qu'une audience publique répondant aux exigences de l'art. 6 CEDH.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

Cela n'implique pas une audition personnelle de l'intéressé, celui-ci devant simplement disposer d'une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l'issue de la cause (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_83/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.2 ; 2C_236/2019 du 4 juillet 2019 consid. 5.2 ; ATA/484/2020 du 19 mai 2020 consid. 2a et les arrêts cités).

b. L'art. 6 par. 1 CEDH donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Il peut être renoncé à une audience publique dans les cas prévus par l'art. 6 par. 1 2ème phr. CEDH, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est manifestement bien fondé ou encore lorsque l'objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 141 I 97 consid. 5.1 ; 136 I 279 consid. 1 ; 134 I 331 consid. 2.3).

La CourEDH a également rappelé que l'art. 6 CEDH, en dehors des limitations expressément prévues par cette disposition, n'exige pas nécessairement la tenue d'une audience dans toutes les procédures. Cela est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d'autres pièces. Partant, on ne saurait conclure, même dans l'hypothèse d'une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que la disposition conventionnelle implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D'autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d'un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires. La CourEDH a ainsi déjà considéré que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques pouvaient remplir les conditions de l'art. 6 CEDH même en l'absence de débats publics (arrêt de la CourEdH Mutu et Pechstein contre Suisse du 2 octobre 2018 § 177 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_5/2019 du 4 juin 2020 consid. 3.2.2).

c. En l'espèce, comme il le sera vu ci-dessous, les tableaux joints à la décision attaquée contiennent les données relatives à l'effectif du personnel pénitentiaire, administratif et technique et le nombre de personnes détenues à Curabilis pour les années 2020 et 2021. L'autorité intimée a au surplus produit avec sa réponse les tableaux pour les années 2017 à 2019. Par ailleurs, le dossier comprend notamment les écritures des parties ainsi que les pièces produites à leur appui, étant rappelé que la procédure administrative est en principe écrite (art. 18 LPA). Le dossier apparaît ainsi complet et en état d’être jugé.

En outre, pour autant que l’art. 6 CEDH s’applique à la présente cause, il sera renoncé à la tenue d’une audience publique, dans la mesure où les questions à trancher, purement juridiques, peuvent être traitées de manière adéquate en procédure écrite. Les impressions et appréciations personnelles des parties ne sont en particulier pas déterminantes. Il n’existe pas non plus de question de crédibilité qu’il conviendrait d’établir. Dès lors, la chambre de céans considère que le présent litige n'exige pas la tenue d'une audience publique et qu’elle peut se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et les pièces produites.

Il ne sera dès lors pas donné suite aux mesures d'instruction sollicitées par le recourant.

3) Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu au motif qu'il n'a pas eu accès aux données brutes pertinentes avant le prononcé de la décision attaquée.

a. Le droit d'être entendu comporte également le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

b. La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 126 I 68 consid. 2) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; ATA/1194/2019 du 30 juillet 2019 consid. 3c). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/1108/2019 du 27 juin 2019 consid. 4c).

c. Comme l'indique l'art. 61 LPA, le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit. Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4).

d. En l’espèce, il est exact que le recourant, dans son courrier du 25 mai 2021, a demandé la communication des données brutes pertinentes notamment celles des emplois plein temps et des détenus. Toutefois, il appert que ces données résultent des tableaux joints à la décision attaquée, si bien que, même à admettre une violation de son droit d’être entendu, celle-ci a été réparée dans la procédure de recours. En effet, le recourant a pu s’exprimer à plusieurs reprises devant la chambre de céans sur ces données, étant précisé que la problématique soulève des questions de fait et de droit, sur lesquelles la chambre de céans a le même pouvoir d’examen que le département, le recours devant elle ayant un effet dévolutif complet (art. 67 LPA).

Le grief est mal fondé.

4) L'objet du litige consiste à déterminer si le recourant a droit à des indemnités pour surpopulation carcérale pour les années 2020 et 2021.

5) Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont pas la compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée dans le cas d’espèce.

6) a. L'art. 3 al. 2 LOPP prévoit que par personnel pénitentiaire, on entend le directeur de l’établissement et son suppléant (let. a), ainsi que les agents de détention (let. b).

Selon l'art. 7 al. 1 LOPP, le personnel pénitentiaire est chargé d'assurer les tâches de surveillance interne et externe, de maintien de l’ordre, de conduite et de sécurité intérieure au sein des établissements (let. a) et de garantir les tâches d’accompagnement et d’encadrement nécessaires aux personnes détenues dans le respect des droits fondamentaux et des principes en matière de privation de liberté, en particulier l’accompagnement à la réinsertion (let. b).

Les art. 19 et 20 ROPP précisent les tâches du personnel pénitentiaire. Il a notamment pour missions d'accompagner et d'encadrer les personnes détenues dans le respect des droits fondamentaux et des principes en matière de privation de liberté. Il œuvre en faveur de la réinsertion sociale des personnes détenues en vue de leur libération (art. 19 al. 3 ROPP). En fonction des caractéristiques des établissements et des régimes de détention qui y sont appliqués, le personnel pénitentiaire peut également être appelé à exercer notamment les activités de prestations aux personnes détenues, telle la gestion des ateliers ou l’éducation (art. 20 let. a ROPP).

b. L'art. 29 LOPP prévoit que le Conseil d’État détermine par règlement la nature et le montant des indemnités et compensations auxquelles ont droit les membres du personnel pénitentiaire.

Selon l'art. 53 ROPP, en cas de surpopulation carcérale, les agents de détention reçoivent une indemnité, basée sur la pénibilité du travail qui en résulte (al. 1). Le montant de l’indemnité se situe entre CHF 150.- et CHF 250.- par mois, en fonction des taux d’encadrement définis à l’art. 47 ROPP (al. 2). L’indemnité est versée proportionnellement au taux d’activité (al. 3). Le versement de cette indemnité cesse après soixante jours d’absence consécutifs, sauf si l'absence résulte d'un congé maternité (al. 4). Les modalités liées à cette indemnité sont fixées par voie de directive, émise par la direction générale (al. 5).

À teneur de l'art. 47 ROPP, la direction générale fixe les taux d'encadrement des personnes détenues nécessaires au bon fonctionnement de chaque établissement. Elle alloue à chaque établissement l'effectif en personnel, en fonction des taux d’encadrement définis et des budgets alloués (al. 1). Les taux d'encadrement sont définis sur la base du rapport, à un moment donné, entre l’effectif de l’établissement et le nombre de personnes détenues physiquement présentes. Ils sont précisés par voie de directive de la direction générale (al. 2). Les collaborateurs affectés à un établissement, mais détachés à un autre établissement, ne font pas partie de l'effectif considéré (al. 3).

c. Comme vu ci-dessus, la directive est entrée en vigueur le 1er novembre 2017 et est applicable aux membres du personnel pénitentiaire de Curabilis.

La valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire a été fixée à 0.9 pour Curabilis et permet le bon fonctionnement de l'établissement. En-dessous de ce taux, une pénibilité au sens de l'art. 53 al. 1 ROPP peut être mesurée.

Cette pénibilité correspond à la différence entre le taux d'encadrement pénitentiaire constaté à la fin de chaque mois et la valeur cible applicable pour Curabilis.

En plus des deux principaux paramètres de calcul, à savoir les effectifs temps plein et le nombre de détenus, la valeur cible du taux d'encadrement prend en compte les facteurs du régime de détention, les prestations fournies par Curabilis, les contraintes liées à la configuration du bâtiment et les missions connexes comme la surveillance extérieure. Si la nature du régime de détention venait à changer, la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire pour l'établissement visé devrait être reconsidérée et adaptée au niveau type de régime instauré. Il en serait de même en cas d'internalisation ou d'externalisation de prestations ayant un impact sur l'effectif du personnel pénitentiaire.

Ont été annexées à la directive notamment des simulations des seuils de pénibilité et détermination du calcul de l'indemnité pour surpopulation carcérale selon la période de référence.

d. Selon le manuel, le taux d’encadrement est le rapport entre le nombre de collaborateurs et le nombre de places de détention. Par le taux d’encadrement, les responsables décident si l’établissement a la possibilité de mettre en application les principes d'exécution du code pénal et dans quelle mesure il peut le faire. Plus le taux d’encadrement est adéquat, plus les agents de détention ont le temps d’observer avec attention ce qui se passe, et moins il y a de risques de voir se développer subcultures et délinquance parmi les détenus. Les jeunes, les personnes présentant des faiblesses physiques et les détenus d’un certain âge peuvent aussi mieux être protégés. Moins le quotidien d'une prison est organisé de manière répressive, avec force, directives et règles, plus les collaborateurs peuvent tirer parti des compétences et des connaissances acquises au cours de leur formation. Cette approche peut atténuer les conséquences délétères de la privation de liberté et gagner en resocialisation.

La composition du personnel est difficile à trouver et dépend notamment du mandat et de l'offre de l'établissement. Aujourd’hui, dans la pratique des établissements modernes, on vise un taux d’encadrement d’un collaborateur pour deux détenus en exécution ouverte, d'un pour 1.3 en exécution fermée et d’un pour 2.3 pour les prisons de district. Ces taux englobent la totalité du personnel d’un établissement divisé par le nombre de détenus (chapitre C5 p. 16).

Les expériences thérapeutiques menées à l'enseigne de l'exécution des mesures indiquent qu'un taux d'encadrement de 1:1 est indispensable (chapitre B2.4 p. 10).

e. L'art. 1 du règlement de l'établissement de Curabilis du 19 mars 2014 (RCurabilis - F 1 50.15) précise que Curabilis est un établissement pénitentiaire fermé avec une prise en charge thérapeutique élevée, qui est constitué de quatre unités de mesures (al. 1 let. a), d'une unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire (al. 1 let. b), d'une unité de sociothérapie (al. 1 let. c). La mission générale de Curabilis est de détenir des personnes majeures privées de liberté en application du droit pénal et, pour l'unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire, également du droit administratif ou civil, afin qu’elles reçoivent des traitements, des soins psychiatriques ou de sociothérapie (al. 2). Les personnes détenues dans les unités de mesures et l'unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire peuvent être des hommes ou des femmes. L'unité de sociothérapie en revanche n'accueille que des détenus de sexe masculin (al. 3).

Selon l'art. 9 RCurabilis, les unités de mesures accueillent des personnes condamnées à une mesure thérapeutique institutionnelle pour traitement des troubles mentaux dans un établissement fermé au sens de l’art. 59 al. 3 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), et exceptionnellement de l'art. 59 al. 2 CP (al. 1 let. a), une mesure thérapeutique institutionnelle pour traitement des addictions au sens de l’art. 60 CP (al. 1 let. b), ou un internement au sens de l’art. 64 CP (al. 1 let. c). Les unités de mesures peuvent également recevoir des personnes faisant l’objet de l’exécution anticipée d’une mesure telle que prévue à l'al. 1 (al. 2).

L'art. 10 RCurabilis précise que les unités de mesures ont pour but de dispenser un traitement thérapeutique institutionnel dont il est à prévoir qu'il détournera la personne détenue de nouvelles infractions (al. 1). De manière générale, la privation de liberté doit améliorer le comportement de la personne détenue et lui permettre d'établir au point de vue social et professionnel des liens indispensables à sa réinsertion, afin de prévenir la récidive (al. 2). Le concept de prise en charge repose sur la thérapie, l'assistance sociale, le comportement, le travail, l'activité occupationnelle et la formation de la personne détenue (al. 3).

À teneur de l'art. 18 RCurabilis, l'unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire est une unité psychiatrique dans laquelle sont dispensés à des fins thérapeutiques des traitements et des soins psychiatriques en milieu carcéral à des patients privés de liberté en application du droit pénal, administratif et civil (al. 1). L'unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire a pour but de prendre en charge des patients temporairement dangereux pour eux-mêmes ou pour leur entourage, et pour lesquels aucune autre structure moins coercitive n’est adéquate (al. 2).

L'art. 23 RCurabilis prévoit que l'unité de sociothérapie accueille des personnes condamnées à une sanction pénale, majeures et de sexe masculin, atteintes de désordres graves de la personnalité et qui demandent à y être traitées (al. 1). L’unité de sociothérapie peut exceptionnellement recevoir des personnes faisant l’objet d’une mesure pénale ou d’une exécution anticipée d’une peine ou d'une mesure (al. 2). L'art. 24 RCurabilis précise que l'unité de sociothérapie a pour but d’améliorer le comportement social des personnes détenues, en particulier leur aptitude à vivre sans commettre d’infraction, conformément à l’art. 75 CP (al. 1). Elle tend à favoriser la resocialisation puis la réinsertion de personnes détenues (al. 2). Le fonctionnement de l’unité de sociothérapie répond aux exigences du but thérapeutique poursuivi et des impératifs sécuritaires (al. 3).

7) En l'espèce, l'autorité intimée admet que la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire peut être reconsidérée et adaptée, pour autant que les conditions soient réunies. Le recourant estime que tel est le cas compte tenu de l'ouverture d'une unité de mesures supplémentaire et au vu des missions complémentaires confiées au personnel pénitentiaire.

Il n'est pas contesté qu'une unité de sociothérapie a été transformée en unité d'exécution de mesures en 2018. Toutefois, comme il ressort de son règlement, Curabilis connaissait déjà quatre autres unités de mesures au moment de son ouverture (art. 1 al. 1 let. a, 9 et 10 RCurabilis). Le régime de détention relatif à cette nouvelle unité était donc déjà appliqué à l'époque dans le cadre des quatre autres unités. Il n'y a donc eu aucune nouveauté quant au régime de détention de l'établissement fermé en cause. Au surplus, la mission générale de Curabilis, telle qu'elle ressort de l'art. 1 al. 2 RCurabilis, n'a pas été modifiée par la création de cette nouvelle unité de mesures. Elle est en effet demeurée identique, soit la détention des personnes majeures privées de liberté accompagnée de traitements et de soins psychiatriques, en plus d'une prise en charge pénitentiaire.

Le régime de détention appliqué à Curabilis n'a donc pas fondamentalement été modifié par la reconversion de l'unité de sociothérapie en une nouvelle unité d'exécution de mesures.

En outre, même s'il ressort du dossier que l'effectif temps plein du personnel pénitentiaire a augmenté depuis l'entrée en vigueur de la directive, cela ne signifie toutefois pas que la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire doive être revue pour ce motif. En effet, le recourant oublie que l'autre paramètre de calcul principal de la valeur cible – laquelle permet le bon fonctionnement de Curabilis – est le nombre de détenus. Comme il le sera vu ci-dessous, l'effectif temps plein du personnel pénitentiaire peut être augmenté dans une même mesure que le nombre de détenus présents au sein de l'établissement, ce qui au final n'implique pas un rendement supplémentaire de sa part, au sens de la directive.

Quant aux prestations fournies par le personnel pénitentiaire de Curabilis, les art. 7 al. 1 LOPP et 19 et 20 ROPP indiquent qu'elles comprennent notamment l'accompagnement et l'encadrement des personnes détenues. Le personnel peut également être appelé à contribution dans le cadre de la gestion des ateliers ou l’éducation. Les tâches, telles que celles dévolues dans les ateliers et les conduites de détenus, font donc partie des missions du personnel pénitentiaire. Il ne peut ainsi pas être retenu que Curabilis aurait connu une internalisation ou une externalisation de prestations.

Au vu de ces éléments, les conditions mentionnées par la directive pour revoir, actualiser ou reconsidérer la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire de Curabilis ne sont pas réunies.

À propos des calculs effectués, selon les pièces du dossier, la valeur cible de 0.9 – ou 0.902 plus précisément – a été fixée en fonction de ce que prévoit le manuel, à savoir le taux d'encadrement d'un effectif temps plein pour un détenu physiquement présent (1:1) puisqu'il s'agit d'expériences thérapeutiques menées à l'enseigne de l'exécution des mesures. Ce taux ne pouvait pas être appliqué directement en tant que valeur cible à Curabilis, dans la mesure où il prenait en considération la totalité du personnel d’un établissement (personnel administratif, technique et médical compris). Ainsi, afin que seul soit concerné l'ensemble du personnel pénitentiaire (personnel pénitentiaire soumis à la LOPP : agents de détention, directeur et suppléant ; art. 3 al. 2 LOPP), il a été pondéré et arrêté à 0.902 (seuil de référence : [92 effectifs à temps plein - 9 personnes rattachées au personnel administratif et technique] = 83 : 92 détenus physiquement présents).

Cela relevé, il semble que le courriel du 4 mars 2021 du chef de service RH comporte une contradiction puisqu'il indique que les personnes mises en exergue « en rouge » ne doivent pas être comptabilisées, dans la mesure où leur nombre n'a aucune influence sur les effectifs temps plein physiques, alors même qu'il semble qu'ils aient été considérés comme en faisant partie.

Indépendamment de cela, même à suivre le recourant dans ses calculs pour les mois où il demande l'indemnité pour surpopulation carcérale (janvier à mars et octobre à décembre 2020, ainsi que pour le mois de janvier 2021), la pénibilité mesurée du personnel pénitentiaire ne serait pas suffisante pour lui voir octroyer une indemnité :

 

janv.20

févr.20

mars.20

oct.20

nov.20

déc.20

janv.21

Effectif en personnel

pénitentiaire

de l'établissement

 

90.70

 

90.70

 

91.86

 

89.02

 

88.18

 

87.40

 

87

Personnes détenues

physiquement

présentes

 

89.55

 

89.24

 

89.10

 

88.97

 

88.80

 

89.55

 

87.52

Taux

d'encadrement

pénitentiaire (TEP)

 

1.013

 

1.016

 

1.031

 

1.001

 

0.993

 

0.976

 

0.994

Valeur cible du

taux d'encadrement

pénitentiaire

 

0.902

 

0.902

 

0.902

 

0.902

 

0.902

 

0.902

 

0.902

Pénibilité mesurée

(du personnel pénitentiaire)

 

+0.111

 

+0.114

 

+0.129

 

+0.099

 

+0.091

 

+0.074

 

+0.092

Indemnité

pour surpopulation carcérale

 

CHF 0.-

 

CHF 0.-

 

CHF 0.-

 

CHF 0.-

 

CHF 0.-

 

CHF 0.-

 

CHF 0.-

 

S'il est vrai que les pièces du dossier montrent que le nombre de détenus a augmenté depuis 2017, passant de 73 en novembre 2017 à un maximum de 91 au mois de juillet 2021, cela n'a toutefois pas demandé pour le personnel pénitentiaire un rendement supplémentaire au sens de la directive. L'effectif temps plein du personnel pénitentiaire était en effet suffisant pour permettre le bon fonctionnement de l'établissement fermé, les budgets ayant été alloués pour ces postes.

Ainsi, même en partant des chiffres retenus par le recourant, celui-ci n'a pas droit à une indemnité pour surpopulation carcérale fondée sur l'art. 53 ROPP et la directive.

Pour les autres mois des années 2020 et 2021, il sera renvoyé aux tableaux annexés à la décision attaquée, qui apparaissent conformes au droit dans leurs résultats, avec une application de la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire de 0.902.

Les griefs sont mal fondés.

8) Le recourant soutient que l'autorité intimée adopte un comportement contradictoire en refusant d'adapter la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire.

a. Le principe de la bonne foi entre administration et administré exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 ; 1C_173/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.3). En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7).

Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2). Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, (2) qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (5) que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_617/2019 du 27 mai 2020 consid. 4.1).

b. En l'espèce, comme vu ci-dessus, les conditions pour adapter la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire ne sont pas réunies. Il ne ressort en outre pas du dossier que l'autorité intimée aurait formulé une promesse faisant naître chez le recourant une attente quant à l'actualisation de la valeur cible. Le courriel du 25 février 2021, dont se prévaut le recourant, précise bien que même si la directive devra fait l'objet d'une réadaptation selon le budget en vigueur, « la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire quant à elle, n'aura pas vocation à proportionnellement augmenter dans les mêmes pourcentages que (les) effectifs ». La note décisionnelle établie le 28 mars 2019 par le directeur de Curabilis ne renseigne également en rien sur la question de la valeur cible compte tenu de l'augmentation de l'effectif global au sein de Curabilis.

Le recourant échoue donc à démontrer que l’intimé aurait agi de mauvaise foi.

Le grief est mal fondé.

9) Le recourant se plaint que la décision attaquée instaure un traitement identique pour des situations pourtant dissemblables, puisque la « pénibilité » de son travail est jugée à l'aune de la situation, révolue, existante en 2017.

a. Selon l'art. 8 al. 1 Cst., tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Une décision viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente (ATF 140 I 201 consid. 6.5.1 ; 137 V 334 consid. 6.2.1).

b. En l'occurrence, comme vu ci-dessus, le recourant perd de vue que l'un des paramètres de calcul principal, en plus de celui du nombre d'effectifs temps plein, est le nombre de détenus. Or, malgré son augmentation, l'effectif pénitentiaire était suffisant sans rendement supplémentaire au sens de la directive. En outre, les explications de l'autorité intimée quant au rapport 1 effectif temps plein pour 1 détenu physiquement présent trouvent une assise dans le manuel. Ce taux a toutefois été pondéré pour que seul le personnel pénitentiaire soumis à la LOPP soit éligible à l'indemnité pour surpopulation carcérale prévue par l'art. 53 ROPP, comme expliqué ci-avant.

En outre, dans la mesure où les « missions complémentaires » alléguées font partie des tâches générales du personnel pénitentiaire, l'autorité intimée est en droit d'appliquer la directive telle qu'établie en 2017.

Le grief est infondé.

10) Le recourant soutient enfin que les normes de protection de la personnalité des membres du personnel de l’État imposaient à l'autorité intimée, en 2020 et 2021, d'assurer un encadrement pénitentiaire de 1.03261 et de 1.02174 respectivement ou, à défaut d'en être en mesure, de verser l'indemnité pour surpopulation carcérale.

a. Selon l'art. 6 al. 1 LOPP, le personnel pénitentiaire est soumis à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), et à ses dispositions d’application, sous réserve des dispositions particulières de la LOPP.

b. L'art. 2B LPAC prévoit qu'il est veillé à la protection de la personnalité des membres du personnel, notamment en matière de harcèlement psychologique et de harcèlement sexuel (al. 1). Des mesures sont prises pour prévenir, constater et faire cesser toute atteinte à la personnalité (al. 2). Cette disposition a son pendant, en droit privé, à l’art. 328 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220).

Les modalités de la protection de la personnalité des fonctionnaires soumis à la LPAC, sont fixées par le règlement relatif à la protection de la personnalité à l'État de Genève du 12 décembre 2012 (RPPers - B 5 05.10) (art. 2B al. 3 LPAC).

c. À teneur de l’art. 1 RPPers, le Conseil d'État veille à la protection de la personnalité de tous ses collaborateurs dans le cadre de leur activité professionnelle (al. 1). Il prend les mesures nécessaires à la prévention, à la constatation, à la cessation et à la sanction de toute atteinte à la personnalité d'un membre du personnel, en particulier en cas de harcèlement sexuel ou psychologique (al. 2).

d. La notion de protection de la personnalité de l'agent public et l'obligation qui en découle pour l'employeur est typiquement un concept dont la portée et la valeur matérielle sont identiques en droit public et en droit privé (Valérie DÉFAGO GAUDIN, Conflits et fonctions publiques : Instruments, in Jean-Philippe DUNAND/Pascal MAHON [éd.], Conflits au travail. Prévention, gestion, sanctions, 2015, p. 156). Il incombe à l'employeur public, comme à l'employeur privé (art. 328 CO), de protéger et respecter la personnalité du travailleur. L'employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur (art. 328 al. 1 CO).

e. Selon la directive, la pénibilité se caractérise par une exposition à plusieurs facteurs de risques inhérents à la surpopulation carcérale impliquant un rendement supplémentaire, compensé par l'indemnité de surpopulation carcérale.

f. En l'espèce, comme il a été démontré ci-dessus, l'office était en droit de ne pas revoir la valeur cible du taux d'encadrement pénitentiaire de Curabilis.

Ainsi, dans la mesure où ce taux était suffisant par rapport à la population carcérale présente, on ne saurait retenir que le recourant a été exposé aux facteurs de pénibilité ou de risques qui auraient porté atteinte à sa personnalité ou auraient commandé le versement de l'indemnité pour surpopulation carcérale de l'art. 53 ROPP.

Au vu de ce qui précède, l'office pouvait, sans abuser de son pouvoir d'appréciation ni violer la loi, la directive ou les principes de la bonne foi et d'égalité de traitement, rejeter les prétentions du recourant.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

11) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 [LTF - RS 173.110]).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 mars 2022 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la détention du 28 janvier 2022.

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat du recourant, ainsi qu'à l'office cantonal de la détention.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :