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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3007/2022

ATA/1074/2022 du 25.10.2022 sur JTAPI/1037/2022 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3007/2022-MC ATA/1074/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 octobre 2022

en section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE

contre

Monsieur A______
représenté par Me Guillaume De Candolle, avocat

_________




Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 octobre 2022 (JTAPI/1037/2022)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1989 et originaire d'Espagne et d'Équateur, a été condamné le 4 mars 2022 par le Tribunal de police du canton de Genève à la suite du vol d'articles multimédia représentant un montant de CHF 926.- commis au préjudice d'un commerce de l'enseigne Media Markt situé à Carouge.

2) Le 6 septembre 2022, M. A______ a été arrêté par les forces de l'ordre genevoises à la suite du vol de vêtements représentant un montant de CHF 369.50.- commis au préjudice d'une filiale SportXX située dans le centre commercial de Balexert, étant précisé que M. A______ faisait l'objet d'une interdiction d'entrée dans tous les magasins Migros depuis le 3 mars 2022.

Entendu par les enquêteurs, M. A______ a reconnu les faits qui lui étaient reprochés, tout en prétendant avoir des problèmes de mémoire. Il a par ailleurs allégué avoir de la famille à Genève, à savoir son fils, sa mère et sa tante. S'agissant de sa situation financière, il ne s'était prévalu d'aucune source légale de revenu, étant souligné que lors de son audition par la police, le 10 avril 2021, il avait indiqué avoir commis le vol qui lui avait valu sa condamnation par le Tribunal de police dans le but de vendre les articles alors dérobés parce qu'il n'avait pas de travail. Il a été prévenu de vol (au sens de l'article 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) et de violation de domicile.

3) Le 7 septembre 2022, M. A______ a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public à une peine privative de liberté de soixante jours pour les faits ayant mené à son arrestation, puis il a été libéré. Il a fait opposition à l'ordonnance précitée.

4) Le même jour, soit le 7 septembre 2022, en application de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de dix-huit mois.

5) Par acte du 16 septembre 2022, M. A______ a formé opposition auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation.

Il avait fait opposition à l'ordonnance pénale du 7 septembre 2022. Invoquant ses liens avec sa mère et son fils B______ qui habitaient à Genève, il estimait que la mesure litigieuse le priverait de tous contacts avec ces derniers. En outre, un tel éloignement serait délétère pour son état de santé dès lors qu'il souffrait de troubles anxieux et addictologiques.

6) Lors de l'audience du 30 septembre 2022 devant le TAPI, M. A______ a persisté dans son opposition.

Il a confirmé que son fils, âgé de onze ans, vivait à Genève chez sa propre mère, laquelle y vivait depuis plusieurs années. En 2020, il lui avait confié son enfant au moment où la situation sanitaire liée à la Covid-19 était particulièrement difficile en Espagne. Il n'était pas en mesure de produire un permis de séjour en Suisse concernant son fils et ne disposait d'aucun jugement ou autre document officiel qui établirait que la grand-mère aurait un droit de garde sur l'enfant. Il s'agissait d'un accord entre eux. Il a expliqué que son fils suivait sa scolarité à l'école primaire C______. Il préférait que celui-ci reste à Genève où il suivrait une meilleure scolarité qu'en Espagne et où la situation économique, chez sa grand-mère, était plus favorable.

Il a ajouté que sa compagne – qui était la mère de B______ – et lui-même avaient obtenu la nationalité espagnole et qu'ils souhaitaient venir s'établir dès que possible à Genève pour rejoindre leur enfant. Ils étaient tous deux à la recherche d'un travail. Il avait une très bonne relation avec son fils et ne voulait pas que celui-ci grandisse sans ses parents. De plus, il n'avait pas l'intention de continuer à vivre en Espagne où il craignait de retomber dans ses addictions à l'alcool et à la drogue. Durant ces deux dernières années, il avait fait des aller-retours entre l'Espagne et la Suisse où il restait environ deux ou trois mois, logeant chez sa mère et ensuite retournait en Espagne. Il n'avait pas de travail en Espagne. Sa compagne travaillait en Espagne, en ce moment, à mi-temps. Actuellement, il était domicilié à Barcelone. Il était venu à Genève la semaine précédente, et logeait chez sa mère, à la rue de D______.

M. A______ a par ailleurs expliqué qu'il souffrait d'anxiété et suivait un traitement psychiatrique en Espagne. Ayant cru aller mieux, il avait arrêté ses médicaments mais avait dû se rendre à l'évidence, à savoir qu'il n'était pas guéri. Lorsqu'il serait établi à Genève, il comptait poursuivre son traitement avec l'appui d'un psychiatre.

La représentante des commissaires de police a conclu au rejet de l'opposition.

Le conseil de M. A______ a conclu à l'annulation de l'interdiction territoriale, invoquant l'application du principe de proportionnalité.

7) Le 3 octobre 2022, dans le délai imparti par le TAPI, M. A______ a remis une attestation de scolarité datée du 30 septembre 2022, établissant que B______, né le ______ 2011, était scolarisé auprès de l'école primaire C______ ainsi que la copie de bulletins scolaires de l'enfant, desquels il ressort que celui-ci a intégré le 23 novembre 2020 l'école genevoise, où il poursuit depuis sa scolarité.

8) Par jugement du 5 octobre 2022, le TAPI a admis partiellement l'opposition de M. A______ et a renvoyé le dossier au commissaire de police pour qu'il modifie l'interdiction au sens des considérants.

M. A______ faisait état de son intérêt à pouvoir venir voir son fils mineur, et sa mère, qui vivent à Genève. Il n'était pas contesté que cette dernière, Madame F______, était domiciliée à la rue de D______ à Genève, au bénéfice d'une autorisation de séjour. Concernant l'enfant B______, il ne ressortait pas du dossier qu'il posséderait un titre de séjour en Suisse. Il apparaissait néanmoins qu'il habitait chez sa grand-mère depuis novembre 2020 et qu'il était régulièrement scolarisé à l'école primaire C______ depuis bientôt deux ans. Dans ces circonstances, il apparaissait vraisemblable que l'intéressé logeait à cette même adresse lorsqu'il venait voir son fils à Genève, soit au domicile de sa propre mère.

Afin de ménager au mieux les intérêts publics et privés en présence, et afin de permettre à M. A______ de poursuivre ses relations personnelles avec son fils mineur de même qu'avec sa mère chez qui il loge durant ses séjours à Genève, l'interdiction territoriale devait comporter une exception, à savoir que le périmètre interdit devrait être défini de façon à permettre à M. A______ de se trouver dans le quartier où réside B______, soit au domicile de Mme F______, à la rue de D______ et dans le quartier du Petit-Saconnex où se situait l'école primaire C______ que fréquentait son fils.

En outre, la durée de la mesure, d'emblée fixée à dix-huit mois, n'apparaissait pas se justifier sous l'angle de la proportionnalité. Une mesure moins longue, d'une durée de douze mois, était tout aussi propre à dissuader l'intéressé de continuer ses activités coupables au vu des risques de réitération manifestes, s’agissant d’une première interdiction de pénétrer dans un territoire concernant une personne dont le lieu de résidence à Genève était connu.

9) Par acte posté le 17 octobre 2022, le commissaire de police a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et au rétablissement intégral de sa décision du 7 septembre 2022.

B______ était inconnu des registres Calvin et Symic, si bien qu'il séjournait de manière illégale en Suisse. Mme F______ était arrivée à Genève le 16 janvier 2018. Aucun document ne venait attester des liens parentaux invoqués par M. A______.

Ce dernier était un voleur récidiviste qui troublait et menaçait l'ordre public. B______ était un mineur non accompagné, aucun adulte disposant de l'autorité parentale n'habitant légalement en Suisse, et devait être remis à ses parents à l'étranger. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la mère et le fils « allégués » de M. A______ pouvaient se voir demander de se rendre dans la zone assignée à leur parent, en l'occurrence en France voisine ou en Espagne.

L'annulation de la décision initiale aux motifs qu'il convenait de ménager au mieux les intérêts publics et privés en présence et qu'une mesure moins longue était tout aussi propre à dissuader l'intéressé de mener ses activités coupables, était profondément choquante et constitutive d'arbitraire et d'un abus d'autorité. La durée de l'interdiction était adaptée au fait que M. A______ était un criminel récidiviste.

10) Le 19 octobre 2022, M. A______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, ainsi qu'à l'octroi de « dépens ».

Le TAPI avait procédé à une transmission du jugement par voie électronique du jugement le 5 octobre à 12h25, et toutes les parties l'avaient reçu le lendemain. La simple apposition d'une date manuscrite et d'une signature sur le courrier de couverture ne pouvaient suffire à prouver une notification ultérieure, plus lente qu'un courrier A. Le recours, déposé le 17 octobre 2022, était ainsi tardif.

Sur le fond, il renvoyait aux considérants et à la pesée d'intérêts opérée par le TAPI. Il joignait le procès-verbal de l'audience tenue par le Ministère public le 13 octobre 2022, à la suite de son opposition. La régularisation de la situation de son fils pourrait intervenir dès que la mère de ce dernier aurait reçu un permis de séjour. Elle avait déposé un formulaire par le biais de son employeur, mais le court délai de réponse n'avait pas permis d'en obtenir une copie. Le lien de filiation avec son fils était prouvé par l'acte d'état civil espagnol fourni devant le TAPI, qu'il produisait à nouveau.

11) Le 21 octobre 2022, le commissaire de police a persisté dans les termes de son recours.

Les faits nouveaux évoqués par M. A______ étaient contestés et, à défaut d'être prouvés, ne pouvaient être tenus pour avérés. La mère de M. A______ vivait quant à elle dans un studio.

Lors de son arrestation du mois d'avril 2021, M. A______ avait dit que son fils vivait en Espagne. Même devant le TAPI, il n'avait pas évoqué la présence de la mère de l'enfant dans le canton. Ses déclarations étaient ainsi contradictoires et ne pouvaient être prises au sérieux.

Dans l'hypothèse où la situation de l'enfant et celle de sa mère deviendrait régulière, le commissaire de police serait enclin à reconsidérer sa décision. Tel n'était cependant pas le cas en l'état du dossier.

12) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). La chambre de céans ne dispose à ce dernier égard pas d'élément permettant d'infirmer que le recourant aurait bien reçu le jugement attaqué le 7 octobre 2022 comme cela résulte du reçu manuscrit.

2) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 18 octobre 2022 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3) À teneur dudit art. 10 LaLEtr, la chambre de céans est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l'étranger (al. 3 1ère phr.).

4) a. Aux termes de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics.

Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit cependant que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommages à la propriété ou pour une infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121).

b. L'assignation d'un lieu de résidence ou l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée fondée sur l'art. 74 al. 1 let. b LEI vise à permettre le contrôle du lieu de séjour de l'intéressé et à s'assurer de sa disponibilité éventuelle pour la préparation et l'exécution de son renvoi de Suisse par les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.1), mais aussi, en tant que mesure de contrainte poursuivant les mêmes buts que la détention administrative, à inciter la personne à se conformer à son obligation de quitter la Suisse (ATF 144 II 16 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.1 ; Gregor CHATTON/Laurent MERZ, in Code annoté de droit des migrations, vol. II : Loi sur les étrangers [LEtr], 2017, n. 22 ad art. 74 LEtr).

L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 CEDH et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

c. La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants ainsi qu'à maintenir les requérants d'asile éloignés des scènes de la drogue (arrêts du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1).

Des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue ou des contacts avec des extrémistes suffisent à justifier une telle mesure, de même que la violation grossière des règles tacites de la cohabitation sociale (ATA/607/2013 du 12 septembre 2013 consid. 4 ; ATA/46/2013 du 25 janvier 2013 consid. 3 et les références citées). Le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI ; en outre, de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3.1 et les arrêts cités). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contacts répétés avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 précité consid. 2.1). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un recourant qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 précité).

d. La mesure d'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

La mesure doit être nécessaire et suffisante pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c ; ATA/748/2018 du 18 juillet 2018 consid. 4b).

f. L'art. 74 LEI ne précise pas la durée de la mesure. Celle-ci doit répondre au principe de proportionnalité, à savoir être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; vers le haut, des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 consid. 6), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

g. La chambre de céans a confirmé l’interdiction de tout le territoire du canton pour une durée de douze mois infligée à un recourant initialement attribué au canton de Genève dans le cadre de la procédure d’asile mais objet d’une décision de renvoi définitive et dépourvu de titre de séjour en Suisse, en raison du risque de réitération d’infractions à la LStup (ATA/1371/2020 du 30 décembre 2020).

Elle a admis le caractère disproportionné d’une interdiction de territoire privant un recourant d’accès au domicile de son amie, chez laquelle il était effectivement domicilié et avec laquelle des démarches en vue du mariage étaient effectivement en cours (dépôt d’une demande d’autorisation de séjour en vue de mariage ; ATA/668/2020 du 13 juillet 2020).

De même, elle a jugé contraire au droit l’interdiction de tout le canton de Genève notifiée à un recourant qui avait entamé des démarches auprès de l’OCPM pour l’obtention d’un titre de séjour en vue de mariage et auprès de l’état civil pour reconnaître sa fille, et dont la réalité de la relation n’avait pas été mise en cause par le TAPI (ATA/1171/2019 du 22 juillet 2019).

La chambre de céans a confirmé, dans le cas d’un ressortissant français qui avait fait l’objet d’une condamnation pour le vol d’un téléphone portable non encore entrée en force, qui n’avait pas d’antécédents judiciaires et disposait de très faibles moyens, mais avait pris un emploi de boulanger et avait produit une attestation d’annonce de cette prise d’emploi, sans avoir toutefois obtenu encore de réponse de l’OCPM, une interdiction de périmètre étendue à tout le canton, mais assortie sur opposition par le TAPI d’une exception devant permettre au recourant de se rendre à son travail et réduite de douze à trois mois. Il ne s'agissait pas d'infractions en lien avec le trafic de stupéfiants, ni de brigandage, de lésions corporelles intentionnelles ou de dommages à la propriété, l'intéressé était au bénéfice d'un emploi dans le canton et ne présentait pas d'antécédents judiciaires en Suisse. Bien que d'une durée relativement courte, la mesure paraissait apte et suffisante pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le périmètre déterminé par le TAPI (ATA/1566/2019 du 24 octobre 2019).

A été confirmée l’interdiction territoriale étendue à tout le canton de Genève prononcée à l'encontre d'un recourant qui avait admis séjourner dans plusieurs cantons, dont le canton de Vaud auquel il avait été attribué dans le cadre de la procédure d’asile, et qui ne pouvait faire valoir de communauté conjugale ni plus généralement d’intérêt personnel qui s’opposeraient au prononcé d’une interdiction territoriale dont le périmètre serait étendu à tout le canton de Genève sans exception (ATA/1236/2021 du 16 novembre 2021).

5) S'agissant de la durée de la mesure, la chambre de céans a récemment confirmé une durée d'interdiction territoriale de dix-huit mois, qu'elle a jugée importante, mais adéquate dans la mesure où la personne concernée n'avait aucun lien avec le canton de Genève, et où elle se trouvait dans la fourchette admise par la jurisprudence entre une année, qui permettait à la mesure de déployer une certaine efficacité, et deux ans, qui devrait s'appliquer aux situations les plus sérieuses (l'ATA/924/2022 du 15 septembre 2022 consid. 6b).

6) Un étranger peut se prévaloir de protection de la vie familiale garantie par l'art. 8 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) pour s'opposer à l'éventuelle séparation de sa famille (ATF 139 I 330 consid. 2.1 ; 137 I 284 consid. 1.3 ; ATA/384/2016 du 3 mai 2016 consid. 4d). Le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 CEDH n'est toutefois pas absolu. Une ingérence dans l'exercice de ce droit est possible selon l'art. 8 § 2 CEDH, pour autant qu'elle soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. L'art. 8 CEDH vise en premier lieu la famille dite nucléaire, c'est-à-dire la communauté formée par les parents et leurs enfants mineurs (ATF 144 II 1 consid. 6.1). La séparation de deux membres d'une même famille nucléaire peut constituer une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale, quand bien même ces personnes n'ont pas de titre de séjour en Suisse (ACEDH Agrew c. Suisse du 29 juillet 2010, req. 3295/06).

7) a. En l’espèce, l’intimé ne possède aucun titre de séjour, et a fait l’objet de deux condamnations pour vol, dont l'une est en force. Le prononcé d’une interdiction territoriale est donc fondé dans son principe – ce qui n'est pas contesté, l'intéressé n'ayant pas interjeté recours contre le jugement du TAPI.

b. Le recourant soutient néanmoins que le TAPI aurait dû maintenir le périmètre de l'interdiction à l'ensemble du canton de Genève.

Il sied tout d'abord de rappeler que l'intimé est de nationalité espagnole, et qu'il ne fait l'objet à teneur du dossier ni d'une décision de renvoi ni d'une interdiction d'entrée en Suisse.

De plus, quand bien même il n'a pas exposé sa situation familiale à la police de manière très fidèle lors de ses deux interpellations, il a néanmoins rendu vraisemblable, dans la mesure de ses possibilités vu les courts délais prévus en matière de mesures de contrainte de droit des étrangers, que sa mère et surtout son fils mineur vivaient dans le quartier du Petit-Saconnex. Que l'enfant ne dispose pas, ou pas encore, d'un titre de séjour n'est pas déterminant en l'espèce, dès lors qu'il serait quoi qu'il en soit disproportionné de ne pas permettre à l'intimé de voir son fils. À cet égard, les deux arrêts cités par le recourant ne sauraient être transposés à la présente espèce, dès lors qu'ils concernaient des ressortissants extra-européens faisant tous deux l'objet de décisions de renvoi de Suisse, et dont l'assignation au territoire d'une commune avait été prononcée en attente de leur renvoi et à titre de mesure alternative à une détention administrative. De plus, le Tribunal fédéral avait dans le premier cas (arrêt du Tribunal fédéral 2C_497/2017 du 5 mars 2018 consid. 4.3) considéré que l'impossibilité pour le recourant de voir sa fille qui résidait dans un autre canton résultait déjà de la décision de refus de renouvellement de son autorisation de séjour, qui était en force – ce qui n'est pas le cas ici. Quant au second cas (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 précité consid. 3.4), il avait considéré que le frère et le neveu du recourant pouvaient venir le voir dans la commune où il était assigné à résidence. Il ne s'agissait ainsi pas, comme en l'occurrence, des relations entre un mineur et son père.

Il résulte de ce qui précède que l'aménagement ordonné par le TAPI est conforme au principe de la proportionnalité et doit être confirmé.

Il en va de même de la réduction de la durée de l'interdiction. Au vu des circonstances d'espèce, une durée d'un an est suffisante, étant précisé que ladite interdiction pourra être renouvelée si nécessaire, et ce sur la base d'une situation de fait probablement plus claire concernant les relations familiales de l'intimé.

Le jugement attaqué sera ainsi confirmé, et le recours rejeté.

8) La chambre de céans tient en outre à souligner que si le ton des écritures du recourant est inutilement virulent, l’accusation « d’abus d’autorité » à l’égard du juge de première instance est inadmissible, s’agissant d’une infraction pénale.

9) La procédure étant gratuite (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87
al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée à l'intimé, qui y a conclu et est représenté par un avocat (art. 87 al. 2 LPA).


* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 octobre 2022 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 octobre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Guillaume De Candolle, avocat de Monsieur A______, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :