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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/221/2022

ATA/204/2022 du 23.02.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/221/2022-FPUBL ATA/204/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 23 février 2022

sur effet suspensif et mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Philippe Ehrenström, avocat

contre

TRANSPORTS PUBLICS GENEVOIS
représentés par Me Anne Meier, avocate

 



Attendu, en fait, que :

1) Monsieur A______, né le ______ 1970, a été engagé par les Transports publics genevois (ci-après : TPG) avec effet au 1er octobre 2019 dans le domaine des technologies de l'information et de la communication (ci-après : TIC), à un taux d'activité de 100 %.

2) Une analyse des prestations et objectifs professionnels (ci-après : APOP) de M. A______ pour l'année 2019 a été effectuée à une date indéterminée en mars 2020. Toutes les rubriques étaient évaluées au moyen des lettres C (« répond aux exigences ») ou D (« dépasse les exigences »). Le commentaire général du responsable était élogieux.

3) Une APOP de M. A______ pour l'année 2020 a été effectuée à une date indéterminée en mars 2021. Toutes les rubriques étaient évaluées au moyen des lettres C (« répond aux exigences ») ou D (« dépasse les exigences »), sauf la communication, évaluée au moyen de la lettre B (« répond partiellement aux exigences »).

4) Dès le 17 septembre 2021, M. A______ a été en arrêt de travail pour cause de maladie. Il a produit des certificats médicaux d'un médecin psychiatre puis d'un médecin généraliste.

5) Le 18 octobre 2021, M. A______, sur demande de Monsieur B______, responsable ressources humaines (ci-après : RH), a retiré un commentaire qu'il avait formulé sur le réseau social professionnel LinkedIn.

6) Les 3 et 9 novembre 2021, M. A______ a adressé des courriels à M. B______, s'estimant victime de harcèlement psychologique et se décrivant comme un collaborateur de seconde zone.

7) Le 16 novembre, les TPG ont adressé un courrier à M. A______, lui rappelant qu'il avait le droit, s'il s'estimait victime de harcèlement psychologique, de s'adresser au groupe de confiance.

Les circonstances de son arrêt de travail révélaient sa difficulté à gérer des émotions très intenses, et il était primordial qu'il puisse se reposer et prendre soin de sa santé. Il s'était avéré au cours de sa dernière absence que son identification avec l'entreprise était disproportionnée. Il était ainsi judicieux que M. A______ prenne du recul.

8) Par courrier du 19 novembre 2021, les TPG ont annoncé à M. A______ leur intention de résilier ses rapports de service avec effet immédiat, au sens de l'art.  74 du statut du personnel des TPG (ci-après : SP).

9) Le 2 décembre 2021, les TPG ont rejeté la demande de M. A______ d'avoir accès aux outils informatiques professionnels et en particulier à sa messagerie, l'intérêt de l'entreprise (sic) à protéger son image et son bon fonctionnement devant primer son intérêt privé à exprimer sa vision de la situation et à justifier ses allégations.

10) Le 8 décembre 2021, M. A______ a indiqué aux TPG qu'en raison du refus d'accès aux outils de communication, d'une part, et de sa crainte de réactions inappropriées de sa part à l'issue de toute entrevue avec les RH, d'autre part, il ne pouvait se déterminer au sujet de la lettre d'intention de résiliation des rapports de service du 19 novembre 2021.

11) Par décision du 10 décembre 2021, déclarée exécutoire nonobstant recours, les TPG ont résilié les rapports de service de M. A______ avec effet immédiat et fin du droit au traitement le 28 février 2022.

Il lui était reproché d'avoir tenu à diverses reprises des propos inappropriés, inconvenants, voire virulents ou choquants, susceptibles d'affecter le bon fonctionnement de l'institution et de nuire à l'image de celle-ci, en particulier le 16 septembre 2021 (présentation par visioconférence pendant laquelle il avait formulé des reproches et exprimé ouvertement son insatisfaction sur le déroulement d’un projet, allant jusqu'à insulter les participants ; puis courriers grossiers et incohérents envoyés le soir même au supérieur hiérarchique N+2, avec copie à la présidente du conseil d'administration) et le 17 novembre 2021 (envoi au directeur général, avec copies à deux autres cadres, de courriels au contenu inadmissible et attentatoire à la personnalité de plusieurs membres du personnel).

12) Par acte déposé le 21 janvier 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution partielle de l'effet suspensif au recours par voie de mesures provisionnelles, et principalement à l'annulation de la décision attaquée et à ce que la chambre administrative propose sa réintégration au sein des TPG.

Bien que son licenciement ne repose pas sur un motif justifié, il ne demandait pas la restitution de l'effet suspensif au recours concernant le licenciement, au vu de la jurisprudence constante sur ce point. Tout autre était la situation en lien avec la partie de la décision qui concernait la limitation du droit au traitement en cas de maladie pour faute grave.

L'employeur avait fait usage de la possibilité de réduire, au sens de l'art. 37 al. 4 SP, le droit au traitement. Ce dernier prendrait fin le 28 février 2022, soit 164 jours après le début de son incapacité de travail, alors qu'il avait droit au paiement de son traitement pendant une période de 720 jours.

La restitution de l'effet suspensif au recours sur la réduction du droit au traitement pour faute ne mettrait pas en danger les intérêts financiers des TPG, ceux-ci disposant d'un système d'assurance pour la perte de gain et touchant directement les prestations de la part de l'assureur. Le coût marginal du versement de prestations dans le cas d'espèce et de son éventuel report sur les primes était insignifiant vu la taille de l'établissement, qui comptait près de 2000 employés. Si elle se prononçait à ce sujet, la chambre administrative n'irait pas au-delà de ses compétences sur le fond, puisqu'elle aurait à statuer sur la question de savoir si la réduction du droit au traitement sur la base de la faute prétendue de l'employé était fondée ou non.

De plus, les TPG faisaient une application manifestement abusive de l'art. 37 al. 4 SP, qui ne pouvait trouver application qu'en cas de fraude ou d'abus ayant un lien direct avec les contraintes et obligations de l'employé en relation avec son droit au traitement en cas d'incapacité de travailler, comme de faux certificats médicaux ou le fait de s'adonner à des activités incompatibles avec sa condition. Les TPG inventaient en l'espèce une nouvelle mesure disciplinaire non mentionnée à l'art. 64 SP.

Enfin, l'urgence découlait du fait qu'il serait privé de toutes ressources après le 28 février 2021 (recte : 2022) alors qu'il était en incapacité de travail pour cause de maladie et qu'il ne pourrait ainsi pas pourvoir à son entretien et à celui de sa famille.

13) Le 2 février 2022, les TPG ont conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif au recours.

L'interprétation restrictive de l'art. 37 al. 4 SP par M. A______ était erronée. La prérogative des TPG de réduire ou supprimer le droit au traitement en cas de résiliation immédiate avec faute grave correspondait au but même du licenciement immédiat, à savoir la fin immédiate des rapports de travail, y compris la fin du droit au versement du salaire. Dès lors, il ne s'agissait nullement d'une mesure disciplinaire. Il serait par ailleurs choquant que les TPG soient tenus de verser son traitement à un collaborateur ayant commis une faute grave, au seul motif que celui-ci se trouvait en arrêt maladie.

De plus, l'intérêt public à la préservation des finances de l'État était important. Il devait primer en l'occurrence, au vu de l'incertitude quant à la capacité de M. A______ à rembourser les mois de salaire qui lui seraient versés en cas de confirmation sur le fond de la décision attaquée. L'allégation selon laquelle les intérêts financiers des TPG ne seraient pas mis en péril au motif qu'ils disposaient d'un système d'assurance pour la perte de gain était fausse, les TPG ne disposant pas d'une assurance perte de gain maladie.

14) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif et des mesures provisionnelles.

Considérant, en droit, que :

1) Les décisions sur mesures provisionnelles sont prises par la présidente ou le vice-président de la chambre administrative ou, en cas d’empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 LPA et art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

2) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

3) L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

5) L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

6) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

7) Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

8) a. Tous les employés sont liés aux TPG par un rapport de droit public (art. 2 al. 2 SP). La loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (Code des obligations CO - RS 220), notamment son titre dixième (du contrat de travail), s'applique à titre de droit public supplétif (art. 2 al. 3 SP).

b. Selon l’art. 74 SP, l’employeur et l’employé peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour des motifs justifiés, soit selon l’al. 2, toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail. Selon l’al. 3, le juge apprécie librement s’il existe des motifs dûment justifiés mais en aucun cas, il ne peut considérer comme tel le fait que le travailleur a été sans sa faute empêché de travailler. S’il s’avère que cette résiliation avec effet immédiat était injustifiée, le travailleur a droit à ce qu’il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé ou à la cessation du contrat conclu pour une durée déterminée. De plus, s’il retient que le licenciement ne repose pas sur un motif justifié, le juge peut proposer à l’entreprise la réintégration du salarié. Si l’entreprise s’y oppose, le juge fixera une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à un ni supérieur à huit salaires mensuels (art. 76 SP).

c. Le traitement est versé à l'employé durant sept cent vingt jours, en cas d'absence due à la maladie dûment attestée par certificat médical (art. 31 al. 1 SP). Le plein traitement est versé à l'employé durant sept cent vingt jours civils au maximum – en tenant compte des interruptions d'absence – durant une période de neuf cents jours (art. 37 al. 3 SP). Le traitement peut être réduit ou supprimé en cas d'abus ou de faute grave de l'employé (art. 37 al. 4 SP).

9) En l'espèce, la question de la fin du droit au traitement est l'une de celles que la chambre de céans aura à traiter sur le fond, et elle est intimement liée à celle des justes motifs permettant de prononcer un licenciement avec effet immédiat.

Dans ce cadre, interpréter d'emblée l'art. 37 al. 4 SP comme le souhaite le recourant – alors même que la jurisprudence de la chambre de céans tend plutôt à mettre en parallèle les deux questions précitées (ATA/80/2022 du 2 février 2022 consid. 8d in fine) –, et ordonner la poursuite du versement de son traitement reviendrait à lui allouer, à titre provisoire voire définitif, ses conclusions sur le fond, ce qui est prohibé. À cet égard, selon la jurisprudence constante de la chambre de céans, l'intérêt privé du recourant à conserver les revenus relatifs au maintien desdits rapports doit céder le pas à l'intérêt public à la préservation des finances de l'État (ATA/762/2021 du 15 juillet consid. 9 ; ATA/174/2021 du 18 février 2021 ; ATA/191/2019 du 26 février 2019) ; or, si le recourant se trouve sans ressources, comme il l'allègue, en cas d'absence de versement de son traitement dès le 1er mars 2022, il est très probable qu'il ne puisse rembourser les traitements versés à titre provisionnel en cas de confirmation de la décision attaquée.

La restitution partielle de l'effet suspensif au recours sera dès lors refusée, de même que l'octroi d'éventuelles mesures provisionnelles, étant rappelé que le recourant n'a demandé une telle restitution ou de telles mesures qu'en lien avec le versement de son traitement pour cause de maladie.

10) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours et d'octroyer des mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Philippe Ehrenström, avocat du recourant ainsi qu'à Me Anne Meier, avocate des intimés.

 

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :

C. Ravier