Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/283/2015

ATA/475/2015 du 19.05.2015 ( PROF ) , REJETE

Descripteurs : AVOCAT ; DILIGENCE ; DEVOIR PROFESSIONNEL ; MESURE DISCIPLINAIRE ; AVERTISSEMENT(SANCTION)
Normes : LLCA.12.leta ; LLCA.17
Résumé : La commission du barreau a prononcé un avertissement à l'encontre d'un avocat qui a adopté à plusieurs reprises des comportements répréhensibles, notamment à l'égard d'une partie adverse, enfreignant ainsi les règles professionnelles et violant son devoir d'exercer son activité avec soin et diligence. La sanction infligée étant la plus clémente, elle respecte le principe de la proportionnalité. Le recours est par conséquent rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/283/2015-PROF ATA/475/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 mai 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Arun Chandrasekharan, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ exerce la profession d’avocat et est inscrit au registre cantonal des avocats du canton de Genève.

2) Pendant une dizaine d'années, il a défendu les intérêts Monsieur B______ et de la fondation de droit liechtensteinois dont ce dernier était bénéficiaire, la fondation C______, dans le cadre d'un litige les opposant à D______ , représentée par Maîtres E______ et F______.

Les clients de M. A______ reprochaient en substance à D______ d'avoir, en 2002, réalisé à tort des titres américains détenus par la fondation pour un montant de USD 1'630'065.-, faute d'avoir obtenu des documents requis dans le cadre de la réglementation « Qualified Intermediary » (ci-après : QI) alors qu'elle doutait de la qualité d' « US Person » de M. B______, puis d'avoir persuadé ce dernier de dissoudre la fondation C______.

M. B______ avait d'abord déposé une plainte pénale pour gestion déloyale ; celle-ci avait été classée en 2007 faute de prévention suffisante et vu le caractère civil du litige. Une action civile avait été introduite en 2009 par-devant le Tribunal de première instance (ci-après : TPI), la fondation et son bénéficiaire ayant conclu en dernier lieu à la condamnation de la banque à verser à la première un montant de USD 1'497'162.90 plus intérêts à 5% dès le 16 décembre 2002, équivalant à la perte subie du fait de la réalisation des titres à un moment inopportun, et au second une somme de USD 53'284.03 plus intérêts à 5 % dès le 15 septembre 2008 correspondant aux frais liés à la désignation et à la rémunération d'un curateur au Liechtenstein habilité à faire valoir les prétentions de la fondation dissoute.

Au cours de la procédure civile, D______ avait cité notamment deux témoins, à l'époque des faits employés et non organes de la banque, à savoir Monsieur G______ et Monsieur H______.

À teneur de l'arrêt de la chambre civile de la Cour de justice (ci-après : la chambre civile) du ______ (ACJC/______), confirmant pour l'essentiel le jugement du TPI du ______, le principe de la responsabilité de D______ a été totalement admis, de même que la violation de son obligation de fidélité ; cette dernière a été condamnée à payer à la fondation C______ la somme de USD 270'530.- plus intérêts à 5% dès le 31 juillet 2003 et à M. B______ le montant de CHF 53'284.- plus intérêts à 5% dès le 15 septembre 2008. Le montant de USD 270'530.- avait été calculé par référence à la différence entre la valeur des titres lors de la vente en décembre 2002 et celle du moment où la fondation avait eu connaissance de la transaction fin juillet 2003, plutôt qu'à la date de la fin des relations contractuelles en février 2005, retenue par la fondation dans son propre calcul.

Trois quarts des dépens de première instance, comprenant une indemnité de procédure de CHF 50'000.- au titre de participation aux honoraires de M. A______ ont été mis à charge de D______. Les frais judiciaires d'appel en CHF 72'000.- ont été mis à hauteur de CHF 24'000.- à charge de D______ et de CHF 48'000.- à charge solidaire de M. B______ et de la fondation C______.

3) Durant le délai de recours au Tribunal fédéral, des pourparlers transactionnels oraux et écrits, frappés des réserves d'usage, ont eu lieu entre M. B______, la fondation C______ et D______, par l'intermédiaire de leurs conseils.

De l'avis de M. A______, la question du moment du calcul du dommage demeurait litigieuse.

4) Entre les 22 et 29 octobre 2013, les avocats des intéressés ont poursuivi ces discussions, en échangeant notamment les SMS suivants :

-       22 octobre 2013, M. A______ à Me E______ : « Cher E_____, j'ai refait mes calculs. Tarif AJ, je sors sans gagner ni perdre d'argent à CHF 800k, si accord rapide. Merci, si cela te semble juste et conforme aux intérêts de ta cliente, de bien vouloir défendre ce chiffre. Bonne journée. A______. » ;

-       25 octobre 2013, Me E______ à M. A______ : « Je saurai lundi, mais de ce que je comprends la réponse sera niet. Au mieux je devrais pouvoir convaincre des jusqu'au-boutistes de s'arrêter là si tes clients font de même. Mais pas sûr… » ;

-       26 octobre 2013, M. A______ à Me E______ : « Mon cher, c'est bien dommage. J'aurais volontiers mis un terme à tout cela, dans le calme. La suite sera très dure : G______ et H______, notamment, ont été minables et ont menti. Je vais agir probablement sur trois tableaux au moins : 1) Demande d'un rdv urgent à Berne avec l'Enforcement de la FINMA, pour les convaincre d'engager des investigations préliminaires sur le comportement judiciaire et extra-judiciaire de ces oiseaux ; 2) La FMA au Liechtenstein, pour le comportement scandaleux de D______ via sa filiale K_____ ; 3) La dénonciation de D______ et de son réviseur QI, pour violations du QI, auprès des autorités US, dans la mesure permise par le droit. Bon we, et merci bcp d'avoir essayé. A______ ».

5) Aucun accord n'est intervenu entre M. B______, la fondation C______ et D______, lesquels ont les uns et l'autre recouru auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt de la chambre civile du 27 septembre 2013.

6) Le 11 novembre 2013, M. A______ a interpellé par courriers MM. G______ et H______. Selon ses propres termes, il pressentait, « depuis son engagement il y [avait] près de huit ans, (…) que le comportement de D______ à l'endroit de ses mandants avait été profondément minable. Fait de violations, puis de dissimulations et de mensonges. Bref, un comportement en-dessous de tout. (…) l'accord QI [avait] été clairement violé et la fondation C______ avait été enterrée vivante au Liechtenstein par D______ et ses affidés locaux, pour tenter de la priver du droit d'agir en dommages-intérêts (…) ». Cette double violation avait été admise par la justice genevoise. « Le temps [était] ainsi venu de l'examen attentif du comportement judiciaire et extra-judiciaire des uns et des autres sous l'angle de la surveillance bancaire et de la garantie d'activité irréprochable, tant en Suisse (FINMA) qu'au Lichtenstein (FMA) ». Parmi les exigences éthiques découlant de la législation applicable, figuraient certainement l'interdiction des conflits d'intérêts et le devoir de ne pas mentir à la justice, tant sur du droit que sur des faits. Se référant pour le surplus aux déclarations de ces témoins au cours de la procédure, il les invitait à fournir des explications et leur demandait de veiller à ce qu'aucune pièce ne soit détruite.

7) Le 23 décembre 2013, se référant aux courriers précités adressés directement à la banque, plus particulièrement à l'attention de MM. G______ et H______, D______ s'est étonnée des propos tenus par M. A______. Les allégations de ce dernier à l'encontre de ses collaborateurs étaient totalement infondées et inadmissibles. Outre le caractère déplacé de ces missives, les circonstances de leur rédaction faisaient craindre qu'il n'ait perdu la retenue, l'indépendance, voire la dignité avec lesquelles un avocat devait exercer son mandat. Ces courriers étaient sans doute l'expression d'un comportement indigne d'un avocat, dont D______ allait tirer les conséquences, et aucune suite n'y serait donnée, faute d'obligation des employés de rendre compte de l'exercice de leur activité au sein de la banque.

8) Le 27 décembre 2013, M. A______ a tenu copie de la lettre de D______ du 23 décembre 2013 à Mes E______ et F______, la qualifiant de « torchon ». Dès lors que D______ n'avait pas précisé si M. H______ était encore son employé, ni si ses courriers lui avaient été transmis, il priait ses confrères de le renseigner à ce sujet, afin de donner à celui-ci la possibilité de faire valoir son point de vue avant toute dénonciation aux autorités.

9) Le même jour, M. A______ a invité Mes E______ et F______ à signifier aux auteurs du « torchon » précité, lesquels avaient fait le choix délibéré de l'insulter, qu'il attendait leurs excuses personnelles d'ici au 3 janvier 2014 à 17h00. À défaut, il irait directement chercher des excuses du conseil d'administration de D______.

10) Le 6 janvier 2014, Maître I______ a informé M. A______ avoir été mandaté à la suite de ses derniers échanges de courriers avec D______, dans le cadre d'un litige qui, désormais, opposait personnellement M. A______ à la banque. Le comportement de l'intéressé lors des correspondances précitées au sujet de la procédure opposant M. B______ et la fondation C______ à la banque constituait une violation des règles déontologiques des avocats. Ses écrits et leur chronologie relevaient d'infractions pénales, notamment de la diffamation, subsidiairement de l'injure et de la contrainte, le dépôt d'une éventuelle plainte pénale étant réservé. Il avait ainsi reçu pour mandat de sa cliente de dénoncer le comportement de M. A______ auprès de la commission du barreau de Genève (ci-après : la commission), respectivement de l'Ordre des avocats. Aucune suite ne serait donnée à son courrier du 27 décembre 2013.

11) Le 8 janvier 2014, M. A______ a répondu à Me I______, le remerciant pour ses courriers, lesquels, «ne [nommaient] jamais précisément la Chose (soit le vide derrière l'objet de [ses] désirs)». Il invitait ainsi son confrère à lui « expliquer, un jour, les reproches concrets [qu'il formulait] à son endroit pour tenter de faire oublier un instant le comportement scandaleux adopté par [sa] cliente et certains de ses cadres devant les magistrats genevois. [Il pourrait] alors y répondre. Pour le reste, après relecture attentive (…), [il se voyait] contraint de faire ce [qu'il n'avait] dû faire qu'une seule fois en quinze ans, avec un torchon que [lui] avait envoyé un [autre] confrère (…) : [lui] retourner ses monstruosités, en mille morceaux ». Les confettis mentionnés étaient joints au courrier.

12) Le 6 mars 2014, D______, par l'intermédiaire de Me I______, a saisi la commission, dénonçant le comportement de M. A______ dans la mesure où il était constitutif de violations des règles professionnelles applicables aux avocats et contrevenait à son serment. Un chargé de pièces était joint à cette dénonciation, comprenant notamment une copie des SMS échangés entre l'intéressé et Me E______.

Les faits dénoncés avaient été préalablement soumis au Bâtonnier de l'Ordre des avocats (ci-après : le bâtonnier), dont les bons offices n'avaient pas suffi à aplanir le conflit, compte tenu de la gravité des faits.

À plusieurs reprises, au cours des rencontres et échanges ayant eu lieu entre les conseils de M. B______, la fondation C______ et d'D______, les propositions transactionnelles de M. A______ avaient porté sur des montants bien supérieurs à ceux retenus par les juges, auxquels la banque avait été condamnée. Se fondant sur divers arguments, il avait notamment déclaré avoir un sens aigu de la justice et qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que D______ soit amenée à répondre de son comportement. Il avait en particulier mentionné la possibilité d'une intervention auprès de la FINMA et d'une action directe à l'encontre de deux témoins, dont ses clients estimaient qu'ils avaient fait de fausses déclarations lorsqu'ils avaient été entendus au cours de la procédure civile. Il avait également indiqué que ce dossier revêtait une composante financière importante dans la mesure où le montant obtenu devant les juridictions civiles ne suffisait pas à couvrir les honoraires encourus par ses clients, raison pour laquelle il devait refaire ses calculs pour définir le montant le plus bas envisageable pour une transaction.

D______ lui reprochait en substance d'avoir adressé des courriers à ses deux collaborateurs, dont un ne l'était plus à ce jour, faisant preuve d'un comportement indigne du barreau et de la profession d'avocat, ainsi que d'un manque de retenue et de distance. Il s'était en outre, dans ce contexte, livré à des procédés outrepassant ce qu'exigeait la défense de ses clients. M. A______ avait également manqué de dignité et violé le devoir de respect dû à la partie adverse en qualifiant de « torchons » les courriers que lui avaient adressés D______ et Me I______ et en désignant le second pli de « monstruosité » avant de le retourner à son expéditeur en « mille morceaux ». Il avait par ailleurs manqué de l'indépendance et de la distance requises dans son courrier par lequel il avait exigé de D______ des excuses personnelles des auteurs de la lettre du 23 décembre 2013, se sentant insulté, et annoncé qu'il irait, à défaut, chercher directement des excuses du conseil d'administration de la banque. Il avait enfin confondu ses propres intérêts avec ceux de ses clients en conduisant des négociations dont l'unique objectif était la couverture de ses honoraires.

13) Le 7 mars 2014, la commission a transmis copie de la dénonciation dont il faisait l'objet à M. A______ et l'a invité à se déterminer quant à la suite de la procédure, étant précisé que l'ouverture formelle d'une instruction disciplinaire n'avait pas encore été décidée.

14) Par arrêt du ______, le Tribunal fédéral a rejeté les recours en matière civile tant de D______ que de M. B______ et la fondation C______.

15) Par détermination du 30 avril 2014, M. A______ a conclu préalablement à ce que la commission déclare les pièces relatives aux SMS échangés avec Me E______ inexploitables, que celles-ci soient retirées du dossier et, principalement, à ce qu'il soit constaté qu'il n'avait pas violé les règles de la profession d'avocat.

Les accusations dirigées contre lui n'avaient d'autre but que celui de le faire taire, alors qu'il s'apprêtait à dénoncer les comportements inadmissibles de témoins et organes de la banque, notamment par le biais d'une prochaine dénonciation à la FINMA. Il avait déjà relevé ces comportements au cours des diverses procédures depuis 2007 et à plusieurs reprises. Il avait d'ores et déjà pris informellement contact avec le directeur de la division Enforcement de la FINMA.

Son mandat auprès de ses deux clients consistait à mettre en lumière les violations qu'ils avaient subies suite au comportement de D______, de manière à leur rendre justice tant d'un point de vue financier que moral. Dans ce contexte, sa démarche auprès des deux cadres de D______ auxquels il avait adressé des courriers était non seulement justifiée, nécessaire et proportionnée, mais également commandée par l'intérêt de ses mandants. Dès lors que la justice civile avait définitivement établi que D______ avait doublement violé ses obligations de diligence et de fidélité, et au vu des éléments de la procédure, il était apparu que certaines des déclarations des deux témoins s'étaient révélées fausses, ou à tout le moins susceptibles de faire naître de sérieux doutes quant à leur véracité, ce qu'il devait vérifier conformément à son mandat. Plutôt que de déposer une plainte pénale pour faux témoignage, il avait choisi une solution moins invasive consistant à s'adresser d'abord aux intéressés pour leur donner l'occasion de s'expliquer.

Il persistait dans les termes qu'il avait utilisés dans ses courriers, étant précisé que les appréciations présentées l'avaient été comme des pressentiments ou des intuitions, plutôt que comme des affirmations. Ses suppositions avaient aussi été présentées comme telles. Il avait utilisé les mots « profondément minable » au sens de « très médiocre » ou « lamentable », et les termes « en-dessous de tout » était une formule plus poétique que scientifique de réprobation morale que pouvait s'autoriser l'avocat engagé, libre de ses propos, dans l'exercice de son ministère. Les « violations », « dissimulations » et « mensonges » qu'il soupçonnait étaient apparus au cours des onze dernières années de litige, certains avaient été établis par la procédure civile et d'autres étaient encore susceptibles d'être confirmés ou infirmés par les explications demandées aux destinataires des courriers.

Les reproches et suspicions qu'il avait formulés présentaient un lien avec le cœur du litige, soit le comportement de D______ à l'égard de ses mandants, et étaient ainsi nécessaires et pertinents pour l'accomplissement de son mandat. L'avocat n'avait pas le devoir de ménager sa partie adverse ; il devait au contraire alléguer à l'encontre de celle-ci des faits constituant des critiques, voire des reproches graves ou des accusations d'infractions pénales. Il n'avait à cet égard pas l'obligation d'adopter en toutes circonstances le comportement le plus modéré possible.

Il contestait avoir violé son devoir d'indépendance et avoir confondu ses intérêts avec ceux de ses clients. Les SMS qu'il avait échangés avec Me E______ revêtaient un caractère confidentiel et étaient intervenus dans un contexte de discussions sous les réserves d'usage, cas échéant, amicales. S'agissant des chiffres mentionnés dans le cadre des négociations, il avait proposé à D______ une transaction portant sur CHF 800'000.-, cette somme englobant un montant net de CHF 500'000.- à reverser à ses clients et un montant de CHF 300'000.- pour ses honoraires, calculés à un taux horaire réduit, relatifs à huit ans de travail et près de sept procédures devant deux juridictions différentes. Il estimait que le risque concret pour la banque, au stade de l'attente d'un arrêt du Tribunal fédéral, s'élevait à CHF 2'000'000.-. Il ne s'était dès lors pas écarté de l'intérêt de ses clients en tentant d'obtenir un règlement amiable du litige.

16) Faisant suite au courrier de la commission du 25 juin 2014 l'informant de sa décision d'ouvrir une procédure disciplinaire à son encontre, lui communiquant la liste des membres de la commission et l'identité du rapporteur et l'invitant à produire des déterminations complémentaires, M. A______ a indiqué le 25 juillet 2014 qu'il n'entendait pas demander de récusation. Considérant toutefois que Me E______, réglant ses « petits comptes avec [lui] », se trouvait en réalité derrière D______ et son conseil Me I______, il invitait la commission à veiller qu'aucun des membres siégeant n'ait de lien particulier d'amitié avec lui.

17) Le 8 septembre 2014, M. A______ a persisté dans sa précédente détermination et l'a complétée.

Il avait pris contact avec la FINMA le 30 octobre 2013 et avait par la suite rencontré deux personnes de la division Enforcement afin d'exposer à cette autorité de surveillance les comportements de D______ et des deux hauts cadres, témoins dans la procédure. La décision d'une éventuelle saisine formelle de cette instance appartenait à présent à ses clients. Il ne s'agissait pas d'apprécier les intentions de ses clients sous l'angle de leur utilité dans le cadre de la procédure civile, mais de dénoncer des comportements inadmissibles et de leur donner les suites qu'ils méritaient. Ce raisonnement valait également pour une éventuelle dénonciation à la FMA ou aux autorités américaines.

Il avait fait part, dans ses courriers à MM. G______ et H______, de son appréciation subjective et l'avait présentée comme telle. Cela avait été un préalable à leur mise en cause administrative, leur donnant la possibilité de livrer une explication quant à leurs déclarations suspectes. Ni lui, ni ses clients n'avaient tenté d'influencer la teneur de ces explications.

Il reconnaissait avoir, d'une manière générale, utilisé des propos véhéments, mais jamais injurieux ou diffamatoires, qui s'expliquaient par le comportement et les provocations de D______ depuis plusieurs années, notamment la mise en cause de la dignité de son action dirigée avant tout contre deux hauts cadres, témoins assermentés et pris personnellement. Il avait par ailleurs présenté ses excuses à Me I______, qui les avait acceptées, pour son courrier du 8 janvier 2014.

18) Le 15 septembre 2014, faisant suite à la demande de la commission du 12 septembre 2014, Me I______ a confirmé que M. A______ lui avait présenté ses excuses pour son envoi du 8 janvier 2014 lors d'une séance de médiation devant le bâtonnier et qu'il les avait acceptées.

19) Le 16 octobre 2014, Me I______ a transmis à la commission et à M. A______ copie d'un échange de courriels intervenu les 3 et 4 décembre 2013 entre Me E______ et Maître J______, le premier ayant demandé au second son « avis d'ami » sur la remise à D______ de la copie des SMS que lui avait envoyé M. A______.

Me J______ estimait que le devoir de reddition de comptes couvrait tout ce que le mandataire recevait dans l'accomplissement de son mandat, indifféremment du moyen technique utilisé. Me E______ devait ainsi remettre à sa cliente la copie des SMS échangés en insistant sur le fait qu'ils étaient couverts par les réserves d'usage, lesquelles ne pouvaient toutefois couvrir une infraction disciplinaire ou pénale.

20) Le 10 novembre 2014, M. A______ a été entendu par la commission. Les parties, qui n'ont pas produit le procès-verbal de cette audition, n'ont pas remis en cause les éléments retenus par la commission, à savoir que M. A______ « avait à cette occasion souhaité apporter un éclairage plus transversal. Il avait certes, ci et là, commis quelques débordements, notamment dans son courrier du 27 décembre 2013 exigeant des excuses, mais il souhaitait rappeler que le combat judiciaire avait été long et particulièrement âpre, et qu'il avait, tout au long, apporté une défense totale à ses clients, dans le respect de la justice en exercice. Les règles professionnelles tendaient à sauvegarder la confiance du public dans la justice. Or, le seul profane ayant eu connaissance de ses écrits était son client, qui lui en était infiniment reconnaissant. Tous les autres acteurs étaient des intervenants avertis qui n'en avaient assurément pas perdu la confiance en la profession d'avocat, sans préjudice du fait que les organes de D______ étaient, à tout le moins dans une certaine mesure, disqualifiés, puisqu'il n'avait fait que dénoncer leurs turpitudes. Leur comportement avant, pendant et après la phase judiciaire avait été exceptionnellement grave, ce qui devait être pris en considération. Pour autant, [M. A______] était désormais apaisé et espérait que la décision de la [commission] contribue à cet état d'esprit. Il craignait qu'une sanction à son encontre ne soit brandie par D______ pour saper l'autorité morale et virginale de sa prochaine fonction alors qu'il s'engageait pour sa part, en cas d'issue favorable, à tourner la page dans la paix, sans bruit ni revanche ».

21) Par décision du 8 décembre 2014, la commission a constaté que M. A______ avait violé les règles de la profession d'avocat et lui a infligé un avertissement, dont le délai de radiation était de cinq ans. Cette décision a été communiquée dans son intégralité à D______.

Les griefs relatifs au courrier adressé à Me I______ le 8 janvier 2014 n'ont pas été examinés, des excuses ayant été présentées et acceptées. Par ailleurs, il n'y avait pas lieu d'entrer en matière sur le reproche formulé à l'encontre de M. A______ d'avoir confondu ses propres intérêts avec ceux de ses clients pour avoir engagé des pourparlers en vue d'obtenir le paiement d'un montant couvrant ses honoraires. Ce type de négociation était fréquent et conforme à l'intérêt du mandant, débiteur des honoraires. Il n'était en l'occurrence ni allégué, ni établi que l'avocat poursuivait le paiement d'honoraires excessifs au risque de l'échec d'une transaction souhaitable ou d'une réduction des prétentions du client pour une augmentation des honoraires.

M. A______ avait néanmoins, dans le contexte particulier de la recherche d'une solution transactionnelle plus avantageuse que celle découlant de l'arrêt de la chambre civile du ______, franchi à divers égards les limites imposées par les règles de la profession. L'annonce à Me E______ d'une dénonciation aux autorités de surveillances suisses, liechtensteinoises et américaines en cas d'échec des négociations ne pouvait être comprise que comme une forme de pression. L'intervention auprès des deux cadres de la banque constituait une étape supplémentaire, aggravée par le fait qu'elle contrevenait à l'interdiction de contacter directement la partie adverse. Ces démarches n'étaient pas nécessaires pour asseoir la responsabilité de la banque, déjà constatée dans la procédure civile, ni pour la détermination du quantum du dommage. Aucune plainte pénale n'avait été déposée et aucune des autorités de surveillance n'avait été saisie au final, sous réserve des démarches informelles mentionnées par l'intéressé. Cela démontrait que son intention réelle n'était pas de dénoncer un comportement jugé inacceptable par souci de justice, mais d'amener la banque à entrer en matière sur les prétentions de ses clients, alors même qu'elles étaient supérieures aux sommes fixées par la chambre civile. L'intervention directe auprès des deux cadres de D______ était d'autant plus blâmable que leur mise en cause personnelle pouvait créer une situation conflictuelle avec leur employeur. Ainsi, les diverses actions de M. A______, au mieux déloyales, contrevenaient aux règles professionnelles.

Il avait par ailleurs tenu des propos excessivement blessants, d'autant plus inutiles qu'ils étaient proférés hors du débat judiciaire, dans son SMS du 26 octobre 2013 et dans ses courriers des 11 novembre et 27 décembre 2013, en qualifiant les témoins de « minables », tout comme la banque dont le comportement avait été « en-dessous de tout », et en utilisant le terme de « torchon » pour désigner un courrier de D______. Il avait perdu la distance dont l'avocat ne devait pas se départir, personnalisant le débat au point d'exiger des excuses des auteurs de la lettre, cas échéant, du conseil d'administration de la banque. Cette réaction excessive n'avait pu qu'embarrasser les personnes concernées par le litige au sein de l'établissement. Le fait qu'il ait présenté certains de ses reproches comme des suppositions de sa part ne lui était que partiellement favorable, dans la mesure où cela procédait aussi d'une personnalisation incompatible avec la distance nécessaire.

Le prononcé d'un avertissement semblant suffire à rappeler à M. A______ ses devoirs, il était renoncé au prononcé d'un blâme. Les manquements reprochés ne constituaient pas une faute anodine, d'autant qu'ils avaient été répétés, ce qui impliquait une certaine détermination. Ceux-ci étaient de nature à porter atteinte à la confiance et la considération des interlocuteurs de l'avocat. Le fait qu’ils se soient inscrits dans le cadre d'un litige long et âpre s'avérait non pertinent, l'avocat devant être capable de garder son sang-froid dans de telles circonstances, celles-ci ne présentant rien d'exceptionnel. La véhémence de l'intéressé semblait avoir été en partie dictée par le dépit à l'issue d'une procédure donnant gain de cause à ses clients sur le principe, mais leur allouant un montant bien inférieur à celui réclamé. Il devait néanmoins savoir contenir son émotion. M. A______ avait en revanche toujours eu le souci de sauvegarder les intérêts de ses clients et sa perception de la situation avait favorablement évolué au cours de la procédure disciplinaire. Apparemment fermé à toute critique, à lire ses écritures, il avait présenté des excuses à Me I______ et admis ses excès lors de sa comparution, se déclarant apaisé et désireux que cet état d'esprit fût partagé. Enfin, il n'avait pas d'antécédent disciplinaire et le prononcé d'une sanction, alors qu'il s'apprêtait à revêtir une fonction exigeant l'exemplarité, constituait un signal fort.

22) Par acte du 27 janvier 2015, M. A______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), par le biais de son conseil, concluant à son annulation, à ce qu'il soit constaté qu'il n'avait pas violé la législation applicable, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité pour les frais indispensables causés par la présente procédure.

Dans sa décision, la commission ne faisait pas la distinction entre une violation des règles déontologiques et une éventuelle violation des règles professionnelles applicables aux avocats. Or, pour justifier une sanction, il ne suffisait pas que le recourant ait manqué aux règles de courtoisie, encore fallait-il qu'il ait gravement manqué à ses devoirs en agissant à l'encontre des intérêts de ses clients, ce qui n'était pas établi. Sa détermination à engager des procédures administratives en Suisse, au Liechtenstein et aux États-Unis reflétait au contraire son engagement et sa capacité à faire valoir les intérêts de ses clients par des moyens supplémentaires à la demande en paiement. Il était erroné de lui reprocher d'avoir tenté de chercher une solution transactionnelle plus avantageuse que celle découlant de la procédure civile, alors que l'arrêt de la chambre civile n'était pas définitif, car cela faisait précisément partie de son devoir d'avocat.

Il avait certes usé de moyens de pression pour défendre les intérêts de ses clients en tentant de trouver une solution amiable plus favorable que le résultat de l'arrêt de la chambre civile et sans devoir passer par la voie du recours au Tribunal fédéral. La pression qu'auraient pu constituer des procédures administratives contre D______ trouvait cependant son origine dans les faits de la cause, en particulier dans le comportement de la banque et de ses employés. Il existait par conséquent un rapport interne de connexité entre la menace des procédures administratives futures et une solution amiable à l'ensemble des litiges civils et administratifs. Dans la mesure où la commission n'en avait pas tenu compte dans sa décision, son raisonnement était vicié.

Le choix des mots qu'il avait employés ne franchissait pas le seuil de ce que le Tribunal fédéral considérait inadmissible. S'il avait qualifié le comportement de D______ de « minable » et « en-dessous de tout » et le courrier de D______ de « torchon », ces termes familiers n'apparaissaient pas vulgaires selon le dictionnaire Robert, ni aussi blessants que les propos tenus par un avocat lucernois (ayant accusé la partie adverse d' « Abdriften in die Prostitution, de vivre avec un ancien proxénète, d'avoir volé son client à plusieurs reprises et d'autres actes scatologiques») qu'il citait en exemple. Ces termes péjoratifs n'étaient pas non plus des injures au sens du droit pénal, ainsi que l'avait considéré le Tribunal fédéral. Le choix des mots s'inscrivait dans la même veine que ceux adressés à un journaliste par un avocat (« lui imputant d'avoir agi avec un cynisme révoltant, d'être le séide de l'adversaire de son client et le déshonneur de sa profession »), auquel la commission avait refusé d'infliger une sanction. L'usage de SMS comme moyen de négociation était peut-être à reconsidérer, mais c'était à tort que la décision entreprise lui reprochait le choix de ces trois termes dans le cadre particulier du litige opposant ses mandants à la banque et sous l'angle de la défense des intérêts de ses clients. La commission n'avait pas pris en considération le contexte procédural d'un différend ayant duré presque une décennie.

La commission confondait MM. G______ et H______ avec D______. Le fait qu'il se fût adressé directement à ces deux témoins ne pouvait pas lui être reproché, l'interdiction de contact n'étant pas absolue dès lors que c'était l'influence que pouvait exercer l'avocat sur les témoins qui était proscrite, davantage que le procédé en tant que tel. Ses courriers n'avaient pas été adressés à la partie adverse, aucun des deux destinataires n'étant organe de D______. Ils avaient été envoyés à deux témoins, après leurs témoignages, dans le but d'évaluer l'opportunité d'une éventuelle dénonciation administrative. Il n'avait ainsi pas cherché à influencer les témoignages, mais à clarifier des ambiguïtés subsistant après les déclarations des témoins. Les courriers avaient été adressés personnellement à MM. G______ et H______, et non pas de façon anonyme à D______. Lorsque cette dernière lui avait directement répondu, il avait pris soin de ne pas répondre directement, mais de passer par le conseil de la banque. Dans l'hypothèse où la chambre de céans devait admettre que ces lettres avaient bel et bien été adressées à D______, il convenait de retenir que l'interdiction de contacter une partie adverse découlait des règles déontologiques et non des règles professionnelles, et qu'il n'était pas punissable sous cet angle.

Il n'avait dès lors pas manqué de soin et diligence dans l'exercice de sa profession. Il avait au contraire tout mis en œuvre pour défendre son client étranger, originaire d'un pays en voie de développement, contre le « Goliath » de l'industrie bancaire suisse qui avait violé son devoir de fidélité à deux reprises, ainsi que l'avait constaté la chambre civile.

Il soulignait encore l'ironie de la présente procédure initiée par D______ devant l'autorité de surveillance des avocats, précisément parce qu'il l'avait menacée d'une procédure devant la FINMA.

Enfin, la commission avait transmis l'intégralité de la décision attaquée à la dénonciatrice, sans motiver son choix, ni procéder à une pesée des intérêts en jeu, et faisant fi du principe de la proportionnalité, alors qu'il eût suffi de ne communiquer à D______ que le dispositif.

23) Le 26 février 2015, la commission a transmis son dossier, sans formuler d'observations.

24) Le 27 février 2015, le juge délégué a imparti au recourant un délai au 14 mars 2015 pour formuler toute requête complémentaire et/ou exercer son droit à la réplique, dont il n'a pas fait usage.

25) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10, applicable par renvoi de l’art. 49 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 - LPAv - E 6 10).

2) Se fondant sur la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), la commission considère que le recourant a, par son comportement dans le cadre de la recherche d'une solution transactionnelle au litige opposant ses clients à la banque, enfreint les règles de la profession d'avocat, en particulier son devoir d'exercer son métier avec soin et diligence. Il lui est reproché d'avoir entrepris diverses démarches qui n'étaient nécessaires, ni pour confirmer la responsabilité de la banque, reconnue par la justice, ni pour déterminer le moment du calcul du dommage subi par ses clients, soit d'avoir :

-                annoncé à la partie adverse une dénonciation aux autorités de surveillance suisses, liechtensteinoises et américaines de son comportement et de celui de ses employés, sans qu'aucune démarche formelle ne soit finalement entreprise dans ce sens, ce qui ne pouvait être compris que comme un moyen de pression exercé en vue d'obtenir une issue plus avantageuse que celle résultant de la procédure civile cantonale ;

-                contacté directement la partie adverse en intervenant auprès de deux cadres de la banque, témoins dans la procédure civile, pour leur demander des explications ;

-                tenu des propos excessivement blessants à l'égard de la banque et de ses employés (« minables », « en-dessous de tout », « torchon ») ;

-                personnalisé le débat, de manière incompatible avec la distance qui devait être maintenue, en exigeant des excuses des auteurs d'un courrier de la banque et, à défaut, de son conseil d'administration, ainsi qu'en évoquant dans ses écrits ses propres suppositions et suspicions quant au comportement des uns et des autres.

Pour sa part, le recourant ne conteste pas les agissements qui lui sont reprochés, mais davantage l'interprétation qu'en a faite la commission pour retenir une violation des règles professionnelles et prononcer une sanction disciplinaire à son égard.

3) a. L’avocat autorisé à pratiquer doit respecter les règles professionnelles énoncées à l’art. 12 LLCA. Ce dernier définit exhaustivement les règles professionnelles applicables aux avocats (ATF 136 III 296 consid. 2.1 ; ATF 131 I 223 consid. 3.4 ; ATF 130 II 270 consid. 3.1 ; ATA/132/2014 du 4 mars 2014). Il n’y a plus de place pour une règlementation cantonale divergente (ATF 130 II 270 consid. 3.1). Ces règles professionnelles sont des normes destinées à réglementer, dans l’intérêt public, la profession d’avocat, afin d’assurer son exercice correct et de préserver la confiance du public à l’égard des avocats (ATF 135 III 145 consid. 6.1).

b. À teneur de l’art. 14 LPAv, à Genève, la commission exerce les compétences dévolues à l’autorité de surveillance des avocats par la LLCA, ainsi que celles qui lui sont attribuées par le droit cantonal. Elle statue sur tout manquement aux devoirs professionnels et peut, si un tel manquement est constaté et suivant la gravité du cas, prononcer les sanctions énoncées à l’art. 17 LLCA (art. 43 al. 1 LPAv).

4) a. Selon l’art. 12 let. a LLCA, l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence.

b. Cette disposition constitue une clause générale, visant le soin et la diligence de l’avocat dans l’exercice de son activité professionnelle. Ceci l’astreint à se comporter de façon correcte vis-à-vis de ses clients, mais aussi envers les autorités judiciaires ou administratives, ses confrères et le public (arrêt du Tribunal fédéral 2C_555/2014 du 9 janvier 2015 in SJ 2015 I 229 ; ATF 130 II 270, consid. 3.2 ; Michel VALTICOS, in Michel VALTICOS/Christian REISER/ Benoît Chappuis [éd.], Commentaire romand - Loi sur les avocats, 2010, n. 6 ad art. 12 LLCA). Le fait de devoir observer certaines règles non seulement dans les rapports avec les clients, mais aussi à l’égard des autorités, des confrères et du public est en effet nécessaire à une bonne administration de la justice et présente un intérêt public (arrêt du Tribunal fédéral 2A.191/2003 du 22 janvier 2004 consid. 5 ; Isaak MEIER, Bundesanwaltsgesetz : Probleme in der Praxis, Plädoyer 5/2000 p. 33).

c. L'obligation de diligence imposée à l'art. 12 let. a LLCA est directement déduite de l'art. 398 al. 2 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) ; elle interdit à l'avocat d'entreprendre des actes qui pourraient nuire aux intérêts de son client. Pour qu'un comportement tombe sous le coup de cette disposition légale, il suppose toutefois l'existence d'un manquement significatif aux devoirs de la profession (arrêts du Tribunal fédéral 2C_878/2011 du 28 février 2012 consid. 5.1 et 2C_452/2011 du 25 août 2011 consid. 5.1).

d. Le client n'est toutefois pas l'unique bénéficiaire de l'obligation de soin et de diligence de l'avocat qui doit, en tant qu'auxiliaire de la justice, assurer la dignité de la profession, condition nécessaire au bon fonctionnement de la justice. Les devoirs de l'avocat découlant de l'art. 12 let. a LLCA s'étendent ainsi à tous ses actes professionnels (Benoît Chappuis, La profession d'avocat, Tome I, Le cadre légal et les principes essentiels, 2013, p. 33). Ont notamment été considérées comme des questions entrant dans le cadre de cette disposition le respect dû par l'avocat à la partie adverse et aux justiciables (ATF 130 II 270 consid. 4), la limitation des contacts qu'il peut entretenir avec des témoins (ATF 136 II 551), ou encore l'interdiction pour un avocat d'entrer directement en contact avec une partie représentée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_177/2007 du 19 octobre 2007 consid. 5.1 ; 2P.156/2006 du 8 novembre 2006 ; 2A.355/2006 du 8 novembre 2006 consid. 4.1). Bien que les règles déontologiques revêtent un rôle subsidiaire depuis l'entrée en vigueur de la LLCA, elles restent une source d'inspiration du Tribunal fédéral pour l'interprétation des règles professionnelles de l'avocat (Benoît Chappuis, op. cit., p. 34).

e. Si l'avocat n'est pas censé ménager la partie adverse, il doit se limiter à alléguer des faits en rapport avec le procès et nécessaires pour l'issue de ce dernier. Tout en se montrant critique, il lui faut s'abstenir de propos ou d'attaques inutilement blessants ou sans pertinence pour la solution du litige (Benoît Chappuis, op. cit., p. 39). Déterminer si l’avocat outrepasse les limites de la liberté dont il bénéfice dépend des circonstances du cas d’espèce, étant précisé qu’il convient d’être plus large avec les déclarations orales faites lors d’une audience animée que dans des écrits, qui supposent un plus grand recul face au litige (François BOHNET/ Vincent MARTENET, Droit de la profession d’avocat, 2009, n. 1250 ss). L’avocat agit ainsi contrairement à ses devoirs professionnels lorsqu’il formule des critiques en étant conscient de la fausseté de ses affirmations ou dans une forme attentatoire à l’honneur, au lieu de se limiter à des allégations de fait et à des appréciations (ATF 131 IV 154 consid 1.3.2. p. 157 s ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.499/2006 du 11 juin 2007 consid. 3.2 et 2A.191/2003 du 22 janvier 2004 consid. 7.3), pas davantage qu’il ne peut menacer ou injurier un magistrat personnellement pour parvenir à ses fins (arrêt du Tribunal fédéral 2A.448/2003 du 3 août 2004 consid. 5 et 7.3). Il se doit de rester objectif envers la partie adverse et de s’abstenir à son égard d’offenses personnelles, de calomnie ou de propos injurieux (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 157 s).

f. L'interdiction de contacter des témoins, découlant de l'art. 7 du code suisse de déontologie (ci-après : CSD) implique, par principe, que l'avocat s'abstienne de tout comportement propre à créer le risque que des témoins soient influencés. De ce point de vue, prendre librement contact avec une personne dont le témoignage entre en considération est problématique car une pareille démarche comporte toujours le risque, au moins abstrait, d'une influence (ATF 136 II 551 consid. 3.2). Cette interdiction peut néanmoins être relativisée dans la mesure où est essentiellement proscrite l'influence que l'avocat pourrait exercer, plutôt que le procédé en tant que tel. Si l'avocat peut ainsi nouer des contacts avec des témoins, il ne doit, sous l'angle du respect des règles professionnelles de l'art. 12 let. a LLCA, ni chercher à les influencer, ni leur donner des directives sur le contenu de leur déclaration à venir, ni surtout exercer des pressions, menaces ou intimidations (Michel VALTICOS, in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît Chappuis [éd.], op. cit., n. 67-68 ad art. 12 LLCA).

g. La chambre administrative examine librement si le comportement incriminé contrevient à l’art. 12 let. a LLCA (art. 67 LPA ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.318/2006 du 27 juillet 2007 consid. 12.1 ; ATA/820/2014 du 28 octobre 2014 ; ATA/569/2014 du 29 juillet 2014 ; ATA/288/2014 du 29 avril 2014).

5) En l'espèce, les clients du recourant avaient, dans le cadre de la procédure civile, obtenu totalement gain de cause sur le principe de l'admission de la responsabilité de la banque et partiellement gain de cause s'agissant du montant alloué par la Cour de justice. De l'avis du recourant, entre cette dernière procédure cantonale et une procédure par-devant le Tribunal fédéral, la question du moment du calcul du dommage et, par conséquent, celle du montant dû par la banque à ses clients, demeuraient seules litigieuses. Si l'on ne saurait lui reprocher dans ce contexte d'avoir, dans l'intérêt de ses clients, cherché à obtenir de manière amiable de leur partie adverse un montant supérieur à celui alloué, en l'état, par la justice, force est néanmoins de constater que les méthodes utilisées outrepassent les limites imposées par les règles de la profession d'avocat.

En effet, le fait de faire planer la menace sur la banque et ses employés, dont deux témoins dans la procédure, d'une dénonciation aux autorités de surveillance des marchés financiers suisses et étrangères ne présente pas de rapport suffisamment étroit avec le procès civil, dans la mesure où les manquements de la banque n'étaient plus à prouver et que cela n'avait pas d'influence sur la question précise du moment du calcul du dommage. Par ailleurs, cette pression a été renforcée par les deux courriers adressés par le recourant directement aux témoins, dont le ton et le contenu ne pouvaient être interprétés par leurs destinataires que comme une tentative d'intimidation, quand bien même il peut être admis que ces courriers n'ont pas été envoyés directement à la partie adverse. Or, une fois encore, cette manière de procéder ne peut pas être considérée comme étant nécessaire dans le cadre de la détermination du moment du calcul du dommage.

Quant aux termes utilisés par le recourant à l'encontre de la banque et de ses employés, en particulier en les qualifiant de « minables » (selon le dictionnaire Robert, terme familier désignant quelque chose ou quelqu'un de très médiocre, lamentable ou piteux) et « en-dessous de tout » et en qualifiant une lettre de la banque de « torchon », la question de savoir s’ils sont injurieux peut demeurer ouverte. Le recourant s'en est servi à plusieurs reprises dans des écrits dont le ton était, de son propre aveu, véhément. Ces mots constituent autant d'offenses personnelles à l’égard des personnes concernées, dont il avait le devoir de s'abstenir.

D'une manière générale, force est de constater que le recourant a adopté une attitude contraire aux règles professionnelles plusieurs fois, par écrit, à quelques jours d'intervalle, auprès de trois destinataires différents, dans la même procédure et à des fins semblables. Or, il avait le loisir, compte tenu des circonstances, de prendre un certain recul et de modérer ses propos, ce qu'il n'a pas fait.

Enfin, la chambre de céans ne peut que constater que le recourant, notamment en exigeant des excuses des auteurs d'un courrier de la banque et, à défaut, de son conseil d'administration, ainsi qu'en insistant dans ses écrits sur ses propres suppositions et suspicions quant au comportement des uns et des autres, alors même que la responsabilité de la banque avait déjà été établie par la justice, a semblé faire preuve de confusion entre le conflit qui opposait ses clients à la banque et un conflit dans lequel il se sentait personnellement impliqué, ce qui a conduit à une personnalisation du débat extra-judiciaire incompatible avec la distance qu'il se devait de respecter en sa qualité d'avocat.

Dans ces circonstances, la chambre de céans retiendra que le recourant a, par son comportement véhément et inapproprié à plusieurs reprises dans le cadre de la recherche d'une solution transactionnelle au litige qui opposait ses clients à la banque, enfreint les règles professionnelles en violant son devoir d'exercer son activité avec soin et diligence, conformément à l'art. 12 let a LLCA, en particulier à l'égard de la partie adverse et de ses employés.

6) a. En vertu de l'art. 17 LLCA, en cas de violation de cette loi, l'autorité de surveillance peut prononcer les mesures disciplinaires suivantes : a. l'avertissement ; b. le blâme ; c. une amende de CHF 20'000.- au plus ; d. l'interdiction temporaire de pratiquer pour une durée maximale de deux ans ; e. l'interdiction définitive de pratiquer (al. 1) ; l'amende peut être cumulée avec une interdiction de pratiquer (al. 2) ; si nécessaire, l'autorité de surveillance peut retirer provisoirement l'autorisation de pratiquer (al. 3).

b. L'avertissement, le blâme et l'amende sont radiés du registre cinq ans après leur prononcé (art. 20 al. 1 LLCA).

c. L’avertissement est la sanction prévue la moins grave et est réservée aux cas bénins. Le blâme est destiné à sanctionner des manquements professionnels plus graves et doit apparaître comme suffisante pour ramener l’avocat à ses devoirs et l’inciter à se comporter de manière irréprochable, conformément aux exigences de la profession (Alain BAUER/Philippe BAUER, in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS [éd.], Commentaire romand - Loi sur les avocats, 2010, n. 58 à 62 ad art. 17 LLCA).

d. Des sanctions disciplinaires contre un avocat présupposent, du point de vue subjectif, une faute, dont le fardeau de la preuve incombe à l'autorité disciplinaire. La faute peut consister en une simple négligence ; peut être sanctionné un mandataire qui a manqué du soin habituel qu'en toute bonne foi on peut et doit exiger de chaque avocat (ATF 110 Ia 95 = JdT 1986 I 142 ; Alain BAUER/Philippe BAUER, in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS [éd.], op.cit., 2010, n. 11 ad art. 17 LLCA).

e. Pour déterminer la sanction, l’autorité doit, en application du principe de la proportionnalité, tenir compte tant des éléments objectifs, telle l’atteinte objectivement portée à l’intérêt public, que de facteurs subjectifs (ATA/174/2013 du 19 mars 2013 consid. 7 ; ATA/127/2011 du 1er mars 2011 consid. 9c). Elle jouit d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre administrative ne censure qu’en cas d’excès ou d’abus (ATA/820/2014 du 28 octobre 2014 consid. 7 ; ATA/174/2013 précité consid. 7 ; ATA/127/2011 précité consid. 9d ; ATA/6/2009 du 13 janvier 2009 consid. 8d ; ATA/570/2003 du 23 juillet 2003 consid. 10a).

7) En l'espèce, il est établi que le recourant a violé l'art. 12 let. a LLCA à plusieurs reprises en exerçant des pressions injustifiées sur la partie adverse et les employés de celle-ci, notamment des témoins dans la procédure, en tenant à leur égard des propos offensants et en personnalisant le conflit à un point incompatible avec la distance dont il se devait de faire preuve en sa qualité d'auxiliaire de la justice. La question de savoir si ses différents agissements pouvaient, pris isolément, constituer une faute susceptible d'être sanctionnée peut demeurer ouverte. Pris dans leur ensemble, ils dénotent un comportement fautif inadmissible pour un avocat soumis au respect des règles professionnelles. Il convient néanmoins de retenir à sa décharge qu'il a essentiellement agi dans l'intérêt de ses clients, que la situation semble s'être apaisée au cours de la procédure disciplinaire et qu'il n'a, à teneur du dossier, pas fait l'objet d'une sanction disciplinaire par le passé.

La commission n'a dès lors pas abusé de son pouvoir d’appréciation en infligeant au recourant un avertissement, soit la sanction la plus clémente. Dans cette mesure, le principe de la proportionnalité n'a pas été violé. Par ailleurs, la durée du délai de radiation est conforme à l’art. 20 LLCA.

8) a. Le recourant estime que la commission a, à tort, communiqué l'intégralité de la décision attaquée à la dénonciatrice, sans motiver son choix, ni procéder à une pesée des intérêts en jeu, et faisant fi du principe de la proportionnalité, alors qu'il aurait suffi de ne lui transmettre que le dispositif.

b. L’obligation de motiver les décisions administratives découle du droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), et rappelé à l'art. 46 LPAv. Pour répondre à l’exigence de motivation, il suffit que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. La motivation doit également permettre au juge de contrôler la légalité de la décision dont est recours (ATF 133 III 439 consid. 3.3 ; 129 I 232 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/440/2014 du 17 juin 2014 consid. 9 et les références citées).

c. Selon l'art. 48 LPAv, si la procédure a été ouverte sur une dénonciation, l’auteur de cette dernière est avisé de la suite qui y a été donnée ; il n’a pas accès au dossier ; la commission lui communique la sanction infligée et décide dans chaque cas de la mesure dans laquelle il se justifie de lui donner connaissance des considérants.

d. En l'espèce, s'il apparaît qu'une motivation, même brève, de la commission quant à son choix et aux motifs qui l'ont conduit à transmettre l'intégralité de sa décision à la dénonciatrice aurait été souhaitable, le recourant, qui ne prend d'ailleurs aucune conclusion à ce sujet, n'indique pas, dans les circonstances particulières du cas, quels intérêts privés spécifiques auraient été susceptibles de limiter le pouvoir d'appréciation conféré par l'art. 48 LPAv à l'intimée.

9) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe. Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

10) La dénonciatrice n’étant pas partie à la procédure devant la chambre de céans, ni le présent arrêt ni son dispositif ne lui seront notifiés (ATA/388/2014 du 27 mai 2014 ; ATA/132/2014 du 4 mars 2014 et les références citées). La tâche d’informer la dénonciatrice reviendra ainsi à la commission (ATA/388/2014 précité).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 janvier 2015 par Monsieur A______ contre la décision de la commission du barreau du 8 décembre 2014 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il ne lui est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Arun Chandrasekharan, avocat du recourant, ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen et M. Pagan, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :