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Décisions | Assistance juridique

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AC/2614/2021

DAAJ/91/2023 du 12.09.2023 sur AJC/1271/2023 ( AJC ) , ADMIS

Normes : RAJ.16.al2
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

AC/2614/2021 DAAJ/91/2023

COUR DE JUSTICE

Assistance judiciaire

DÉCISION DU MARDI 12 SEPTEMBRE 2023

 

 

Statuant sur le recours déposé par :


Monsieur A______, avocat, p.a. c/o B______ Avocats, ______ [GE],

 

contre la décision du 7 mars 2023 de la vice-présidence du Tribunal civil.

 

 

 


EN FAIT

A.           a. Par décision du 7 septembre 2021, la vice-présidente du Tribunal de première instance a octroyé l'assistance juridique à C______ pour une procédure de divorce sur requête commune. Me A______ (ci-après : le recourant), avocat, a été désigné pour défendre ses intérêts.

b. C______ et son époux ont été cités à comparaître à une audience de comparution personnelle fixée le 1er avril 2022.

c. Par jugement JTPI/4444/2022 du 7 avril 2022, le Tribunal de première instance a prononcé le divorce des époux C______/D______ et ratifié leur "convention sur les effets accessoires du divorce".

B. Le 18 janvier 2023, le recourant a transmis son état de frais à l'Assistance juridique, d'un montant total de 3'634 fr. 90, comprenant notamment 1 heure d'activité facturée 100 fr. pour une vacation aller-retour au Tribunal de première instance le 1er avril 2022, le jour de l'audience susvisée.

C. a. Par décision d'indemnisation du 19 janvier 2023, le greffe de l'Assistance juridique a indemnisé le recourant à hauteur de 3'392 fr. 55. Il a écarté les 100 fr. relatifs à la vacation du 1er avril 2022 au motif que les coûts de déplacement n'étaient pas pris en charge en matière civile et administrative, au vu de l'exiguïté du territoire genevois.

b. Le 1er février 2023, le recourant a adressé une demande de reconsidération à la vice-présidence du Tribunal civil, concluant à ce que la vacation aller-retour du 1er avril 2022 au Tribunal de première instance soit indemnisée à hauteur de 100 fr.

Il a fait valoir que le temps de déplacement était indemnisé en matière pénale et qu'aucun motif pertinent ne justifiait un traitement différent en procédure civile.

c. Par décision du 7 mars 2023, la vice-présidence du Tribunal civil a rejeté la demande de reconsidération.

Il a été exposé que, de pratique constante, les frais de vacation facturés dans le cadre d'une affaire civile et/ou administrative n'étaient pas pris en charge par l'assistance juridique. Une indemnisation pour les coûts de déplacement ne se justifiait pas au vu de l'exiguïté du territoire genevois, dès lors que l'ensemble des tribunaux civils et administratifs se situaient dans le périmètre restreint du centre-ville (où se trouvaient également la grande majorité des études d'avocat) contrairement aux autorités pénales qui étaient plus éloignées (notamment le Ministère public). L'indemnisation forfaitaire arrêtée par les juridictions pénales ne pouvait dès lors être appliquée par analogie, ce d'autant plus qu'aucune juridiction civile ou administrative fédérale ne s'était prononcée sur le principe et les modalités d'indemnisation des avocats nommés d'office en matière civile ou administrative.

D.           a. Recours est formé contre cette décision, par acte expédié le 20 mars 2023 à la Présidence de la Cour de justice. Le recourant conclut à ce que la décision sur reconsidération du 7 mars 2023 soit annulée et à ce que sa rémunération pour son activité en qualité d'avocat d'office soit arrêté à 3'492 fr. 55.

b. Dans ses observations du 3 avril 2023, la vice-présidence du Tribunal civil a conclu au rejet du recours, puisque la non-indemnisation du temps de déplacement découlait d'une pratique établie de longue date, telle qu'expressément prévue dans les directives du greffe de l'assistance juridique. Il ne se justifiait pas de faire systématiquement usage, par analogie, des indemnisations forfaitaires arrêtées par la jurisprudence pénale dans la mesure où ces rémunérations forfaitaires apparaissaient trop élevées par rapport à la durée effective d'un déplacement jusqu'au siège d'une autorité civile ou administrative, étant relevé que dans le cas d'espèce, le trajet réel aller-retour était estimé à 34 minutes.

c. Par courrier du 2 mai 2023, le greffe de la Cour a informé le recourant de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Les décisions de reconsidération en matière de taxation, rendues en procédure sommaire (art. 119 al. 3 CPC), sont sujettes à recours auprès du président de la Cour de justice (art. 121 CPC, art. 21 al. 3 LaCC), compétence expressément déléguée à la vice-présidente soussignée sur la base des art. 29 al. 5 LOJ et 10 al. 1 du Règlement de la Cour de justice (RSG E 2 05.47). Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours (art. 321 al. 1 CPC) dans un délai de dix jours (art. 321 al. 2 CPC).

L'avocat commis d'office dispose à titre personnel d'un droit de recours au sujet de la rémunération équitable accordée (ATF 131 V 153 consid. 1; TAPPY, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 22 ad art. 122 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours dirigé contre la décision sur reconsidération en matière de taxation rendue le 7 mars 2023 par la vice-présidence du Tribunal civil, reçue le 10 mars 2023 par le recourant, est recevable pour avoir été interjeté dans le délai utile et en la forme écrite prescrite par la loi.

1.3 Lorsque la Cour est saisie d'un recours (art. 121 CPC), son pouvoir d'examen est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC, applicable par renvoi de l'art. 8 al. 3 RAJ). Il appartient en particulier au recourant de motiver en droit son recours et de démontrer l'arbitraire des faits retenus par l'instance inférieure (HOHL, Procédure civile, tome II, 2ème éd., n. 2513-2515).

2. 2.1 A l'instar du défenseur d'office en matière pénale, le conseil juridique commis d'office n'exerce pas un mandat privé, mais accomplit une tâche de droit public, à laquelle il ne peut se soustraire (cf. art. 12 let. g LLCA) et qui lui confère une prétention de droit public à être rémunéré équitablement (cf. ATF 137 III 185 consid. 5.2. et 5.3).

Aux termes de l'art. 122 al. 1 let. a CPC, le conseil juridique commis d'office est rémunéré équitablement par le canton. La notion de "rémunération équitable" permet aux cantons de fixer, sur la base d'un large pouvoir d'appréciation, le montant de l'indemnité allouée au conseil d'office dans les limites de leur tarif des frais (art. 96 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_82/2018 du 15 juin 2018 consid. 6.2.1 et les références citées). Dans l'élaboration des normes cantonales, l'autorité doit respecter le droit à une rétribution équitable: un régime excessivement ingrat pour l'avocat d'office ne favorise pas une conduite optimale des affaires qui lui sont attribuées. Une rémunération insuffisante peut ainsi, indirectement, entraver l'assistance judiciaire qui est garantie au citoyen par l'art. 29 al. 3 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 1P_28/2000 du 15 juin 2000).

2.1.1 A Genève, l'art. 16 al. 2 du Règlement sur l'assistance juridique et l'indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale (RAJ) prévoit que seules les heures nécessaires sont retenues (1ère phrase) et que celles-ci sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (2ème phrase). L'art. 16 al. 1 RAJ fixe les taux horaires applicables aux avocats d'office et défenseurs d'office en matière pénale en fonction de la position qu'ils occupent dans leur étude, soit 200 fr. pour un chef d'étude, 150 fr. pour un collaborateur et 110 fr. pour un avocat stagiaire. Selon l'art. 17 RAJ, l'état de frais détaille par rubriques les activités donnant lieu à indemnisation, avec indication du temps consacré (1ère phrase). Les justificatifs des frais sont joints (2ème phrase). Les directives du greffe sont applicables pour le surplus (3ème phrase).

D'après les directives du greffe de l'assistance juridique relatives à l'établissement de l'état de frais des avocats des 10 septembre 2002 et 17 décembre 2004, la durée admise pour les audiences ne comprend pas "[l]e temps de déplacement de l'Etude au Palais".

Ces directives – disponibles sur le site Internet de l'État de Genève – n'ont cependant pas valeur de norme légale, ce d'autant moins que la teneur actuelle du règlement sur l'assistance juridique, tout comme celle du CPC, est postérieure à ces écrits. Elles doivent donc pouvoir être adaptées en fonction de la nature et de l'importance de l'activité réellement déployée par l'avocat, conformément à l'usage en matière d'assistance juridique, ce que le Tribunal fédéral a confirmé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_165/2014 du 19 août 2014 consid. 3.5).

2.1.2 Selon la Cour des plaintes du Tribunal fédéral, le temps consacré par l'avocat pour se rendre en audience doit être considéré comme nécessaire pour la défense d'office au sens de l'art. 135 CPP et donne ainsi lieu à rémunération (arrêt BB.2015.33 du 28 juillet 2015 consid. 4.3). Cette autorité a en particulier retenu que la Chambre pénale de la Cour de justice de Genève ne pouvait être suivie lors qu'elle affirmait que la rémunération du temps relatif aux déplacements de l'avocat d'office sur le territoire du canton de Genève devait être exclue par principe, compte tenu de l'exiguïté de celui-ci.

A la suite de cette arrêt, la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a arrêté la rémunération forfaitaire de la vacation aller/retour (soit 30 minutes au total) au et du Palais de justice, respectivement au et du bâtiment du Ministère public à 50 fr. pour les chefs d'étude, 35 fr. pour les collaborateurs et 20 fr. pour les avocats-stagiaires. La CPAR a ainsi comblé une lacune, puisque le RAJ ne prévoyait pas quelle devait être la rémunération des vacations. Selon cette autorité, il apparaissait justifié de considérer que la rémunération du seul déplacement devait être réduite de 50% par rapport à la rémunération des prestations intellectuelles relevant du mandat stricto sensu. Il a également été tenu compte de l'exiguïté du territoire cantonal et du fait que la plupart des études étaient installées au centre-ville, soit à une distance d'au maximum une quinzaine de minutes à pied ou en transports publics, du Palais de justice ou des locaux du Ministère public (AARP/515/2015 du 3 décembre 2015, dont les principes ont été repris par la CPR, cf. ACPR/8/2016 du 13 janvier 2016).

Depuis octobre 2018, la rémunération forfaitaire a été augmentée à 100 fr. pour les chefs d'étude, 75 fr. pour les collaborateurs et 55 fr. pour les avocats-stagiaires (cf. AARP/326/2018 du 10 octobre 2018; ACPR/178/2019 du 6 mars 2019).

2.1.3. La pratique vaudoise applique pour l'indemnisation des déplacements des avocats devant les autorités civiles la règle prévalant en matière de défense d'office en matière pénale, où le Ministère public alloue en accord avec l'OAV un montant forfaitaire de 120 fr. aux avocats brevetés et de 80 fr. aux stagiaires, ce forfait valant pour tout le canton – voire en principe aussi pour les déplacements intercantonaux (CREC VD, 3.8.2016, HC/2016/880) – et couvrant tant les kilomètres parcourus que le temps du déplacement aller-retour (CREC VD, 26.10.2012, HC 2012/699, JdT 2013 III 3; cf. désormais art. 3bis al. 3 RAJ/VD dans sa teneur au 1er mai 2019; COLOMBINI, Petit commentaire CPC, 2020, n. 15 ad art. 122 CPC).

2.1.4 Pour statuer sur une affaire dans laquelle la rémunération de l'avocat d'office dans le cadre d'une procédure civile était litigieuse au sujet de la prise en compte de la TVA lorsque le destinataire de l'assistance judiciaire est domicilié à l'étranger, le Tribunal fédéral s'est expressément référé à la jurisprudence rendue en matière pénale sur cette question. Il a retenu qu'il n'y avait pas lieu de trancher différemment dans le cas d'espèce, puisque les caractéristiques de la défense d'office en matière pénale mises en évidence dans ladite jurisprudence correspondaient à celles du mandat d'office (ATF 141 III 560 consid. 3.1-3.2).

2.2 En l'espèce, la vice-présidence du Tribunal civil a retenu que la vacation aller-retour de l'avocat à l'audience du 1er avril 2022 ne devait pas être indemnisée au vu de l'exiguïté du territoire genevois et de la pratique cantonale constante sur ce point en matière d'assistance judiciaire civile et administrative.

Ce raisonnement ne peut cependant être confirmé. Ainsi que l'a retenu le Tribunal fédéral en matière pénale, le déplacement de l'avocat en audience constitue une activité nécessaire à la défense des intérêts de son client, de sorte qu'elle doit être indemnisée. L'exiguïté du territoire genevois ne constitue pas un motif suffisant pour justifier qu'il soit dérogé à ce principe.

La circonstance qu'aucune juridiction fédérale n'ait eu à trancher la question d'une rétribution du temps de déplacement des avocats d'office en matière civile ou administrative est dépourvue de pertinence. En effet, à l'instar de ce qui a été jugé par le Tribunal fédéral en matière de TVA, rien ne justifie un traitement différent entre l'indemnisation des défenseurs d'office en matière pénale et celle des avocats d'office en procédure civile (ou administrative), ce qui est d'ailleurs également confirmé par le fait que leur rémunération est régie par le même règlement cantonal et repose sur des principes identiques. La pratique vaudoise va également dans le même sens.

A Genève, une solution différente sur le plan civil se justifie d'autant moins qu'à l'exception du Ministère public, les tribunaux civils se trouvent dans le même périmètre que les juridictions pénales. Or, le forfait arrêté de longue date par les juridictions pénales de seconde instance n'a pas été circonscrit aux déplacements des avocats à des audiences tenues devant le Ministère public, un tarif identique étant appliqué en ce qui concerne les audiences appointées au centre-ville. A noter que la question de la proximité entre la majorité des études d'avocat et les divers lieux d'audience a été dûment prise en compte dans la fixation de la quotité de la rémunération forfaitaire des vacations.

Compte tenu de ce qui précède, le recourant fait à juste titre valoir que la rémunération forfaitaire de la vacation aller/retour en audience appliquée par les juridictions pénales genevoises – soit 100 fr. pour un chef d'étude – doit être appliquée par analogie dans le cas d'espèce.

Par conséquent, le recours sera admis et la décision querellée annulée. Un montant forfaitaire de 100 fr. sera donc alloué au recourant pour l'indemnisation de sa vacation du 1er avril 2022, de sorte que son indemnisation totale sera arrêtée à 3'492 fr. 55 (3'392 fr. 55 + 100 fr.).

3.             Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, il n'est pas perçu de frais judiciaires pour la procédure d'assistance juridique (art. 119 al. 6 CPC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR :


A la forme
:

Déclare recevable le recours formé par A______ contre la décision rendue le 7 mars 2023 par la vice-présidence du Tribunal civil dans la cause AC/2614/2021.

Au fond :

Admet le recours et annule la décision attaquée.

Cela fait, statuant à nouveau :

Arrête l'indemnité due à Me A______ à 3'492 fr. 55, TVA comprise.

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires pour le recours.

Notifie une copie de la présente décision à A______ (art. 327 al. 5 CPC et 8 al. 3 RAJ).

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, vice-présidente; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.