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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10649/2019

ACPR/714/2024 du 07.10.2024 sur OMP/13425/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DÉFENSE D'OFFICE;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : CPP.135; Cst.29

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10649/2019 ACPR/714/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 7 octobre 2024

 

Entre

Me A______, avocat, [Etude] B______, ______ [VD], agissant en personne,

recourant,

 

contre l'ordonnance d'indemnisation rendue le 25 juin 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 2 juillet 2024, Me A______ recourt contre l'ordonnance du 25 juin 2024, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a arrêté à CHF 1'852.45 l'indemnité due pour son activité de défenseur d'office.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 540.50 (TVA incluse), à l'annulation de l'ordonnance entreprise et à sa réformation en ce sens que sa rémunération soit portée à CHF 5'460.39.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 25 février 2021, A______, avocat, a été nommé d'office pour la défense de C______, dans le cadre de la P/10649/2019, instruite contre ce dernier notamment des chefs d'infraction à la LEI (art. 115) et violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP).

b. Par avis de prochaine clôture du 11 novembre 2021, le Ministère public a informé le prévenu de ce qu'il entendait rendre une ordonnance pénale à son égard pour infraction à l'art. 285 ch. 1 CP, ainsi qu'une ordonnance de classement partiel s'agissant des autres faits reprochés, et lui a imparti un délai pour présenter ses éventuelles réquisitions de preuve.

c. Par pli du 14 décembre 2021, A______ a sollicité, pour le compte de son mandant, divers actes d'instruction et déposé la liste détaillée de son activité pour indemnisation.

d. En l'absence de réponse du Ministère public après diverses relances, C______ a formé un recours, le 8 mars 2023, pour déni de justice et retard injustifié.

e. Le 14 mars 2023, le Ministère public a rendu une ordonnance pénale contre C______ aux termes de laquelle il a notamment déclaré le précité coupable de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 ch. 1 al. 1 CP). Le même jour, il a également rendu une ordonnance de classement partiel à l'encontre du prévenu s'agissant des autres faits.

f. Par courrier de son conseil du 27 mars 2023, complété le 17 juillet suivant, C______ a formé opposition à l'encontre de l'ordonnance pénale précitée, concluant au classement de la procédure. Aux termes de son second courrier, le conseil du prévenu a produit une nouvelle liste détaillée de son activité.

g. Par décision du 4 juillet 2023, la Chambre de céans a constaté un retard injustifié de l'autorité pénale à statuer, au préjudice du prévenu, dans la conduite de la procédure.

h.a. Par ordonnance pénale du 18 juillet 2023, le Ministre public – mettant à néant sa précédente ordonnance –, après avoir refusé d'administrer les preuves requises par C______, a déclaré le précité coupable d'infraction à l'art. 285 ch. 1 al. 1 CP, tout en réduisant la quotité de la peine, en raison de la violation du principe de la célérité constatée par la Chambre de céans.

h.b. Par pli du 31 juillet 2023, C______ a formé opposition contre cette décision.

h.c. Par ordonnance du 2 août 2023, le Ministère public a maintenu son ordonnance pénale et transmis la procédure au Tribunal de police.

h.d. Par courrier du 3 mai 2024, C______ a retiré son opposition. Aux termes de cette correspondance, le conseil du précité a précisé, s'agissant de son relevé d'activité, avoir dû s'entretenir avec son mandant majoritairement par téléphone en raison de sa domiciliation à l'étranger et régulièrement lui expliquer les différentes correspondances et actes de procédure, dans la mesure où ceux-ci étaient rédigés en français. Au total, il avait comptabilisé 30h15 d'activité réparties entre les postes "conférences" (3.51 heures), "procédure" (14.78 heures), "audience" (4 heures) et "courriers et autres téléphones" (7.95 heures).

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public n'a admis que 6h20 d'activité au tarif horaire de CHF 200.-, au motif que les divers courriers, courriels, téléphones et examens de pièces (ordonnances, courriers, avis MP) correspondaient à des prestations comprises dans le forfait. L'indemnité due au défenseur d'office devait ainsi être fixée à CHF 1'852.45, soit CHF 1'266.65 pour les 6h20 d'activité à CHF 200.-/heure, montant auquel s'ajoutait un forfait de 20% pour la correspondance et les appels téléphoniques (CHF 253.35), les déplacements (CHF 200.-), ainsi que la TVA au taux de 7.7% (CHF 132.45).

D. a. Dans son acte de recours, A______ soutient que la décision du Ministère public viole son droit d'être entendu, l'autorité intimée ayant réduit de manière substantielle et arbitraire son indemnité.

Non seulement la décision attaquée ne comportait aucune motivation, de sorte qu'il ignorait quelles opérations avaient été jugées non nécessaires à la cause, ce qui l'empêchait d'attaquer utilement la décision, mais qui plus est, l'ensemble de son activité était justifié par son mandat et les explications fournies dans son courrier du 3 mai 2024. La décision entreprise devait ainsi être annulée et réformée, afin qu'une indemnité de CHF 5'460.39 (TTC) lui soit octroyée.

b. Le Ministère public s'en rapporte à justice.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 135 al. 3 et 393 al. 1 let. a CPP) et émane du défenseur d'office, qui a qualité pour recourir (art. 135 al. 3 et 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir violé son droit d'être entendu, faute de motivation suffisante de l'ordonnance d'indemnisation.

2.1.       La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4; 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3). Il suffit que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 et les références = JdT 2017 IV p. 243; ATF 142 I 135 consid. 2.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_246/2017 du 28 décembre 2017 consid. 4.1; 6B_726/2017 du 20 octobre 2017 consid. 4.1.1).

Selon la jurisprudence rendue en matière de dépens, la garantie du droit d'être entendu implique que lorsque le juge statue sur la base d'une liste de frais, il doit, s'il entend s'en écarter, au moins brièvement indiquer les raisons pour lesquelles il tient certaines prétentions pour injustifiées, afin que son destinataire puisse attaquer la décision en connaissance de cause (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1008/2017 du 5 avril 2018 consid. 2.2; 6B_833/2015 du 30 août 2016 consid. 2.3; 6B_124/2012 du 22 juin 2012 consid. 2.2).

Une violation de l'obligation de motiver peut toutefois être réparée. En effet, le Tribunal fédéral admet la guérison – devant l'autorité supérieure qui dispose d'un plein pouvoir d'examen – de l'absence de motivation, pour autant que l'autorité intimée ait justifié et expliqué sa décision dans un mémoire de réponse et que le recourant ait eu la possibilité de s’exprimer sur ces points dans une écriture complémentaire; il ne doit toutefois en résulter aucun préjudice pour ce dernier (ATF 125 I 209 consid. 9a et 107 Ia 1 consid. 1; arrêt du Tribunal pénal fédéral R.R.2019.70 du 3 septembre 2019 consid. 3.1 in fine). La Haute Cour admet également la réparation d’une violation du droit d’être entendu, y compris en présence d'un vice grave, lorsqu’un renvoi à l'instance inférieure constituerait une vaine formalité, respectivement aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 145 I 167 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020).

2.2.       En l'espèce, le Ministère public a réduit substantiellement le nombre d'heures à indemniser au défenseur d'office, au motif que les courriers, courriels, téléphones et examens de diverses pièces étaient compris dans le forfait courriers/téléphones. Or, cette simple justification ne permet pas au recourant d'identifier quelles activités ont été admises, respectivement refusées par l'autorité intimée. Il n'est ainsi pas en mesure de contester à bon escient la décision litigieuse. Le Ministère public n'ayant, par ailleurs, pas pris position sur le recours, il n'est pas possible non plus à la Chambre de céans d'exercer son contrôle. En effet, l'activité totale retenue par le Ministère public s'élève à 6h20, alors que les postes "conférences" et "audiences" de l'état de frais du recourant dépassent, à eux seuls, 7h00.

La violation du droit d'être entendu est, partant, non seulement réalisée, mais trop importante pour être réparée dans le cadre de la procédure de recours – l'autorité intimée ayant au demeurant renoncé à justifier et expliquer sa décision dans sa réponse –, de sorte que le recours sera admis.

3.             L'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants (art. 397 al. 2 CPP).

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             5.1. Le défenseur d'office a droit à des dépens lorsqu'il conteste avec succès une décision d'indemnisation (ATF 125 II 518 consid. 5; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1251/2016 du 19 juillet 2017 consid. 4 et 6B_439/2012 du 2 octobre 2012 consid. 2).

5.2. À teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif des avocats est édicté à l'art. 16 RAJ; il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire de CHF 200.- pour un chef d'étude (art. 16 al. 1 let. c RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

5.3. Le recourant, défenseur d'office, qui a eu gain de cause, peut prétendre à des dépens. En l'occurrence, le précité a chiffré son activité – sans la détailler – à CHF 540.50 (TVA incluse) pour la procédure de recours.

Eu égard à l'absence de difficulté de la cause et aux développements juridiques nécessaires au recours, la durée de l'activité utile à l'avocat sera ramenée à 2h00, au tarif de l'assistance juridique pour un chef d'étude, et l'indemnité, à la charge de l'État, fixée à CHF 432.40 (TVA incluse).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance d'indemnisation du 25 juin 2024 et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 432.40 (TTC) pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à Me A______ et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).