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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15305/2023

ACPR/216/2024 du 22.03.2024 sur ONMMP/4273/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ÉGALITÉ DES ARMES;CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);ESCROQUERIE;FAUX INTELLECTUEL DANS LES TITRES
Normes : CPP.3.al2.letc; CP.181; CP.146; CP.251

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15305/2023 ACPR/216/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 22 mars 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me Christophe GERMANN, avocat, Germann Avocats Sàrl, rue de Berne 10, 1201 Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 30 octobre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 15 novembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 octobre 2023, notifiée le 7 novembre 2023, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de poursuivre la procédure préliminaire et de procéder aux actes d'instruction qu'elle énumère.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ se sont mariés en 2000 et sont les parents de C______, née en 2001.

b. Entre 2009 et 2010, les conjoints se sont opposés dans le cadre d'une procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, initiée par A______.

c. Par jugement du 15 juin 2017 (JTPI/7926/2017), le Tribunal de première instance de Genève a prononcé le divorce des époux sur la base d'une convention de divorce conclue le 17 mars précédent. Il résulte de cette convention notamment que les parties ont liquidé leur régime matrimonial et n'ont plus de prétention à faire valoir l'une envers l'autre de ce chef. Par ailleurs, le domicile conjugal, sis rue 1______, était attribué à B______.

d. Le 4 octobre 2022, A______ a initié en Tunisie une procédure d'exequatur du jugement.

e. Le 7 mars 2023, B______ a formé devant le Tribunal de première instance une demande de révision du jugement, au motif qu'il avait découvert, le 8 décembre 2022, l'existence d'un bien immobilier appartenant à A______ en Tunisie (ci-après, appartement litigieux). Ayant conclu la convention du 17 mars 2017 dans l'ignorance de ce fait, il convenait de condamner la précitée au paiement de CHF 80'000.- à titre de liquidation du régime matrimonial.

À l'appui de cette demande B______ a notamment produit:

- une requête du 8 décembre 2022 [en arabe] adressée par son conseil en Tunisie à la Présidente du Tribunal de première instance de D______, dont la traduction libre – non contestée par A______ – est la suivante: " [v]u que Monsieur B______ est marié à Madame A______, épouse de B______, sous le régime de la communauté des biens selon un contrat de mariage conclu en Suisse. Vu que l'épouse est propriétaire d'un appartement [en Tunisie]. Veuillez autoriser le représentant légal de la Recette des finances de E______ [Tunisie] de permettre à l'opposant, Monsieur B______, d'obtenir une copie légale du contrat de vente [du] bien immobilier […]", et

- une autorisation de la vice-présidente de l'instance précitée dont la traduction libre de l'arabe est la suivante: "[a]près avoir examiné la requête […] [n]ous autorisons la Recette des finances à E______ […] à permettre à l'opposant ou son représentant d'obtenir une copie légale du contrat de vente immobilière […]", et

- un contrat de vente du 15 novembre 2013 de l'appartement litigieux.

f. A______ s'est déterminée sur la demande de révision par réponse du 14 juillet 2023.

g. Par courrier du même jour, complété à la demande du Procureur, chargé de l'affaire, par pli du 31 août 2023, A______ a déposé plainte contre B______ pour tentative de contrainte (art. 181 CP) et escroquerie au procès (art. 146 CP).

Dès 2013 ou 2014 et jusqu'à présent, B______ avait cherché à connaître l'identité d'un ami à elle – lequel lui avait fait une donation de l'appartement en Tunisie (ci-après, ami) – en "harcelant" de questions les membres de sa famille et ses proches. Le but réel de la demande en révision était aussi de la contraindre à lui révéler l'identité de l'ami précité, étant précisé qu'elle avait accepté de signer la convention de divorce – laquelle était en sa défaveur – pour préserver sa sphère privée. Par ailleurs, le 23 juillet 2022, son ex-époux avait envoyé des messages Whatsapp menaçants à F______, un ami de longue date, puis avait appelé celui-ci dans le but de la calomnier "violemment" devant ses proches [à elle], avant d'agresser verbalement le précité dans la rue en l'insultant et en cherchant à provoquer une altercation physique. Elle avait toutefois renoncé à déposer plainte pour ces faits afin de ne pas perturber la vie de leur fille qui préparait les examens universitaires. Or, malgré des courriers de son conseil des 25 juillet et 28 octobre 2022 lui demandant de s'abstenir de se rendre quotidiennement sur son lieu de travail ([le commerce] G______ de H______ [GE]), B______ avait persévéré dans ses agissements pour "marquer sa présence de manière intrusive" et ainsi la "violenter psychologiquement". À cause des actes de violence perpétrés à son encontre – lesquels s'étaient "sensiblement aggravés" depuis le prononcé du divorce –, elle avait dû recourir à un soutien psychologique et aux services d'une agence de sécurité.

Enfin, B______ avait induit en erreur le Tribunal de D______ en prétendant faussement qu'ils étaient toujours mariés – qui plus est, sous le régime de la communauté des biens – et qu'elle portait le nom [de famille de] B______. Son ex-époux avait ensuite produit des preuves illicites dans la procédure de révision en Suisse.

À l'appui de sa plainte, elle a produit notamment:

- un échange de courriers datant du 28 février au 12 décembre 2022 entre les conseils respectifs des parties dont il ressort en substance que A______ – en plus des actes décrits supra – reproche à son ex-époux d'avoir accédé indûment à son compte I______ [opérateur de téléphonie mobile] et de l'avoir calomniée devant leur fille et la psychologue de celle-ci. Par ailleurs, elle lui demande de cesser de se rendre à son lieu de travail. En réponse, B______ conteste les accusations portées contre lui, précisant avoir fait depuis 30 ans les courses [au commerce] "G______ de J______" [en réalité celle de H______], située "à une minute" de son domicile. Ils s'y croisaient régulièrement sans même s'adresser la parole;

- un courrier de I______ adressé à son conseil comportant le passage suivant: "[l]'accès litigieux aux informations a été réalisé grâce aux identifiants correspondant à l'adresse mail B______@bluewin.ch […]. Nous vous confirmons qu'un accès à l'espace client de votre mandante avec l'identifiant [précité] est visible le 27.02.2022 […]".

h. Entendu par la police en qualité de prévenu le 12 octobre 2023, B______ a contesté les faits reprochés, précisant ne plus avoir de contact avec son ex-épouse depuis novembre 2021. Il n'avait pas connaissance de l'existence d'un donateur, lequel aurait permis l'acquisition d'un appartement en Tunisie.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public souligne, à titre liminaire, le contexte conflictuel, imposant de considérer avec une certaine prudence les allégations des parties et de ne les retenir que si elles étaient corroborées par d'autres éléments objectifs. Au vu des déclarations contradictoires des parties et en l'absence d'élément objectif propre à favoriser une version plutôt que l'autre, rien ne permettait de considérer que B______ aurait tenté depuis de nombreuses années d'entraver la liberté de la plaignante dans le but de lui nuire et d'obtenir l'identité de son ami. Par ailleurs, les faits dénoncés en lien avec la fréquentation du lieu du travail de la précitée n'atteignaient pas l'intensité nécessaire à la qualification de contrainte. De surcroit, la demande en révision du jugement de divorce n'avait rien d'illicite, étant précisé que la solution inverse équivaudrait à une immixtion excessive des autorités pénales dans une procédure civile et reviendrait à admettre que le comportement a priori légal au regard du droit civil puisse être considéré comme pénalement relevant. Enfin, bien que B______ semblait avoir fait usage d'informations incorrectes, les éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie n'étaient pas réalisés, faute d'astuce.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir constaté de manière erronée les faits et violé le principe de l'égalité des armes, ainsi que les art. 310 CPP, 146 et 181 CP. En effet, sa cause avait été attribuée à un Procureur "nommé sur la base de sa carte d'[un] parti politique" et qui avait dû se récuser dans une affaire de violences conjugales à la suite d'un arrêt du Tribunal fédéral. Par ailleurs, le Ministère public n'avait pas procédé à l'audition de plusieurs personnes – dont ses proches, ses collègues du travail, F______ et la psychologue de sa fille – lesquelles pouvaient témoigner des menaces répétées et systématiques de son ex-époux, ainsi que de la présence quotidienne de ce dernier sur son lieu de travail. Il ressortait par ailleurs du rapport de son médecin que le précité avait adopté un comportement "typique de stalking", de manière à provoquer chez elle un fort sentiment d'angoisse. Enfin, le Tribunal de D______ avait été trompé astucieusement par une mise en scène – comportant la production de faux documents –, de sorte qu'elle n'avait pas pu être entendue contradictoirement par cette autorité judiciaire.

À l'appui de son recours, elle joint un rapport médical du 28 septembre 2023 de son psychiatre-psychothérapeute, duquel il ressort qu'elle était suivie "suite à un état de mal-être chronique, un sentiment d'insécurité, d'isolement et une perte de motivation, attribués à un harcèlement psychologique et moral chronique de son ex-mari […]". La patiente rapportait des épisodes de pertes de mémoire et des oublis de plus en plus fréquents, lesquels étaient dus à un stress traumatique prolongé. Son état de santé nécessitait un suivi psychologique afin de l'aider à réduire ses souffrances et à retrouver un bien-être psychique.

b. Par courriers des 6 décembre 2023 et 26 janvier 2024 adressés à la Chambre de céans, A______ expose avoir déposé, le 29 novembre 2023, une nouvelle plainte contre B______ pour tentative de contrainte. Le 20 précédent, ce dernier avait contacté une amie à elle pour se renseigner sur les vacances qu'elles avaient passées ensemble. Il avait aussi recommencé à fréquenter son lieu de travail.

c. Dans ses observations, le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet du recours. Les témoignages des proches de la recourante seraient partiaux et la psychologue de C______ n'avait pas assisté aux faits. Par ailleurs, une audience de confrontation n'apparaissait d'aucune utilité, dès lors que les parties camperaient sur leurs positions. Le rapport médical du 28 septembre 2023 ne saurait non plus fonder une prévention suffisante de tentative de contrainte, dans la mesure où le psychiatre se basait uniquement sur les allégations de la recourante. Enfin, une simple requête contenant des informations inexactes ne suffisait pas à elle seule à remplir les conditions de l'art. 251 CP. Quoi qu'il en soit, une demande d'entraide aux autorités tunisiennes paraissait disproportionnée.

d. Dans sa réplique, la recourante persiste dans les termes de son recours. Sa fille, ses deux sœurs et F______ avaient eu une connaissance directe des violences verbales et "menaces physiques" perpétrés par son ex-époux. Rien ne laissait présager que leurs déclarations seraient partiales, dès lors qu'ils seraient rendus attentifs aux suites pénales d'un faux témoignage. Par ailleurs, B______ l'avait calomniée devant la psychologue de sa fille, de sorte que celle-ci était témoin direct des faits. Enfin, son droit d'être entendue avait été violé, dès lors qu'elle n'avait pas été auditionnée.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. La recourante allègue une prévention du Procureur contre elle sans toutefois requérir formellement sa récusation, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur ce point. Il n'appartient pas non plus à la Chambre de céans de se déterminer sur la plainte du 29 novembre 2023, qui ne fait pas l'objet de l'ordonnance querellée. Enfin, soulevé pour la première fois dans sa réplique, le grief de la violation du droit d'être entendu est irrecevable, l'exercice du droit de réplique ne servant pas à apporter au recours des éléments qui auraient pu l'être pendant le délai légal (ATF 143 II 283 consid. 1.2.3 p. 286; 132 I 42 consid. 3.3.4 et arrêt du Tribunal fédéral 1C_575/2019 du 1er mars 2022 consid. 2.4).

Pour le surplus, le recours est recevable.

1.3. La pièce nouvelle produite devant la juridiction de céans est également recevable, la jurisprudence admettant la production de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2. La recourante déplore une constatation incomplète et erronée des faits.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

3. La recourante voit dans l'attribution de la cause au procureur précité une violation du principe de l'égalité des armes.

3.1. Le droit à un procès équitable est garanti par les art. 3 al. 2 let. c CPP, 29 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. Le principe d'égalité des armes, tel qu'il découle du droit à un procès équitable, exige un juste équilibre entre les parties: chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires. Au pénal, ce principe suppose un équilibre non seulement entre le prévenu et le ministère public soutenant l'accusation, mais également entre le prévenu et la partie civile. Cette égalité doit permettre d'assurer un débat contradictoire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_315/2023 du 10 juillet 2023 consid. 2.6.2).

3.2. En l'espèce, il n'y a pas de "déséquilibre" entre les parties, dès lors que les droits procéduraux de la recourante ne sont pas menacés et que, le seraient-ils, les voies de droit à sa disposition lui offriraient, cas échéant, les correctifs nécessaires.

Ce grief sera dès lors rejeté.

4. La recourante fait grief au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

4.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière notamment s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a).

Une procédure pénale peut être liquidée par ordonnance de non-entrée en matière lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_488/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.3; arrêts 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.2).

4.2.1. Selon l'art. 181 CP, quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'oblige à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte se rend coupable de contrainte.

Afin de respecter le principe légal et constitutionnel de la légalité ("nullum crimen sine lege") la variante de l'entrave "de quelque autre manière dans la liberté d'action" doit être interprétée restrictivement. N'importe quelle pression insignifiante sur la liberté de décider d'un tiers ne conduit pas à une condamnation fondée sur l'art. 181 CP. Pour être constitutif de l'infraction, le moyen de coercition de l'entrave doit clairement dépasser le seuil d'influence usuellement toléré, à l'image de ce qui prévaut s'agissant des moyens de contrainte expressément mentionnés dans la loi que sont la violence et la menace d'un dommage sérieux. Ce moyen de coercition doit produire un effet d'entrave comparable à celui produit par les moyens expressément cités dans la disposition (cf. ATF 137 IV 326 consid. 3.3.1).

La contrainte n'est contraire au droit que si elle est illicite, soit parce que le moyen utilisé ou le but poursuivi est illicite, soit parce que le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but illégitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif au contraire aux mœurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1; 137 IV 326 consid. 3.3.1).

Pour que la contrainte soit consommée, il faut que la victime, sous l'effet de moyens de contrainte illicites, commence à modifier son comportement, subissant ainsi l'influence voulue par l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_719/2015 du 4 mai 2016 consid. 2.1). Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n'adopte pas le comportement voulu par l'auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP; ATF 129 IV 262 consid. 2b).

4.2.2. Selon la jurisprudence fédérale, le comportement typique du stalking peut, dans certaines conditions, être qualifié de contrainte. L'art. 181 CP suppose, d'une part, que le comportement incriminé oblige la victime à agir, à tolérer ou à omettre un acte et, d'autre part, que cet acte amène la victime à adopter un comportement déterminé. Le résultat ainsi obtenu doit se trouver en lien étroit avec la contrainte. Faire appel à la globalité que constituent plusieurs actes ne suffit pas dans ce contexte. Toutefois, les différents comportements en cause doivent être appréciés en tenant compte de l'ensemble des circonstances, en particulier les comportements précédant les actes en question. S'il est question de nombreux actes de harcèlement durant un long temps, leurs effets se cumulent. Si une certaine intensité est atteinte, chaque acte isolé, qui à lui seul ne suffirait pas à remplir les conditions de l'art. 181 CP, peut être susceptible de déployer sur la liberté d'action de la personne concernée un effet d'entrave comparable à celui de la violence ou de la menace (ATF
129 IV 162 consid. 2.4; 141 IV 437 consid. 3.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_568/2019 du 17 septembre 2019 consid. 4.1).

Dans l'arrêt publié aux ATF 129 IV 262, il a été jugé que les agissements de l'auteur, consistant, tout en exprimant des menaces graves, à se rendre plus de 120 fois en une année sur le parking d'une institution, en y demeurant des heures, au mépris des injonctions du service de sécurité et d'une interdiction d'entrer, en vue de forcer des responsables à s'entretenir avec lui de son avenir professionnel, constituaient des actes de contrainte. Dans l'ATF 141 IV 437 précité, le Tribunal fédéral a également retenu la contrainte par "stalking", en soulignant que la prévenue avait rendu publics des détails privés et intimes de sa relation avec le plaignant, que ses e-mails n'avaient pas seulement été adressés au plaignant, mais également à des personnes faisant partie de son environnement privé et professionnel et qu'il en allait de même s'agissant de ses autres comportements comme ses publications sur Facebook, ses envois et ses cadeaux, ses graffitis, ainsi que ses distributions de tracts. Ces informations propagées en public avaient signifié une grosse humiliation pour le plaignant. Par ailleurs, des tiers avaient également été importunés par les messages ou les dommages à la propriété commis par la prévenue (déprédation des boîtes aux lettres et des alentours de l'entrée de l'immeuble d'habitation du plaignant par des graffitis). Chacun de ces actes à lui seul était porteur de la menace explicite ou implicite que la prévenue ne laisserait le plaignant en paix que lorsqu'il aurait parlé avec elle. Comme le plaignant avait obstinément refusé la discussion exigée, une tentative de contrainte entrait en ligne de compte. Enfin, le Tribunal fédéral a considéré que le fait de menacer par écrit le conjoint de punition divine en cas d'annulation de mariage – mise en relation avec d'autres menaces de mort proférées par oral, à plusieurs reprises, par le passé – constituait une tentative de contrainte (arrêt du Tribunal fédéral 6B_598/2022 du 9 mars 2023 consid. 2.3).

4.3. Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

L'escroquerie au procès constitue un cas particulier d'escroquerie. Elle consiste à tromper astucieusement le juge aux fins de le déterminer à rendre une décision – matériellement fausse – préjudiciable au patrimoine de la partie adverse ou d'un tiers (ATF 122 IV 197 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_510/2020 du 15 septembre 2020 consid. 3.3). L'escroquerie au procès tombe sous le coup de l'art. 146 CP moyennant la réalisation de l'ensemble des éléments constitutifs objectifs et subjectifs de cette disposition. La typicité se conçoit sans réelle particularité (ATF 122 IV 197 consid. 2d; arrêt 6B_751/2018 précité consid. 1.4.3).

Le procédé auquel l'auteur a recours doit apparaître comme une machination. L'édifice de mensonges, et donc l'astuce, n'est réalisée que si les mensonges sont l'expression d'une rouerie particulière et se recoupent d'une manière subtile au point que même une victime faisant preuve d'esprit critique se laisse tromper (ATF
122 IV 197 consid. 3d).

4.4. Selon l'art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, crée un titre faux, falsifie un titre, abuse de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre.

Cette disposition vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité. Un simple mensonge écrit ne constitue cependant pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s'y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration (ATF 144 IV 13 consid. 2.2.2).

4.5.1. En l'espèce, la recourante décrit dans sa plainte plusieurs actes de son ex-époux, constitutifs selon elle de harcèlement obsessionnel. En l'absence de norme spécifique réprimant le "stalking", le simple renvoi à un ensemble d'actes ne suffit toutefois pas, de sorte qu'il lui appartenait de mettre en évidence de manière précise quel comportement du mis en cause a pu entraîner quel résultat à quel moment.

En premier lieu, la recourante lui reproche de se rendre quotidiennement – voire, aux termes de son recours, trois fois par jour – sur son lieu de travail, ce qui est admis par ce dernier, qui précise toutefois y faire ses courses depuis 30 ans, compte tenu de la proximité avec son domicile. Force est de constater qu'en l'absence d'une mesure d'éloignement (cf. art. 2 al. 1 et 8 ss de la Loi genevoise sur les violences domestiques, LVD – F 1 30) – voire d'une interdiction d'approcher (art. 28b CC) – et dès lors que la recourante n'allègue pas que le mis en cause lui aurait adressé à chaque fois la parole dans le but de l'importuner, on peine à voir le rapport que tente de faire celle-là entre le comportement reproché à celui-ci et une éventuelle contrainte commise à son encontre. L'audition des employés [du commerce] G______ de H______ ne changerait rien à ce constat.

En deuxième lieu, la recourante fait grief au mis en cause d'avoir "harcelé" de questions les membres de sa famille et ses proches dans le but de connaître l'identité de la personne qui lui aurait donné l'appartement en Tunisie, ce qui est contesté par ce dernier. Or, la recourante ne rend pas vraisemblable en quoi lesdits harcèlements – au demeurant nullement décrits avec précision – seraient de nature à la limiter, elle, dans sa liberté d'action. Seuls, ses membres de la famille et proches auraient qualité pour s'en plaindre. Là encore, l'audition de témoins sollicités par la recourante – de surcroit, tous proches de cette dernière – n'apparaît pas susceptible de modifier l'appréciation de la Chambre de céans sur ce point.

En troisième lieu, en tentant d'obtenir par voie civile la révision du jugement de divorce, le mis en cause n'apparaît pas avoir utilisé un moyen de pression, et encore moins un moyen de pression illicite ou disproportionné. Ce d'autant qu'il n'apparaît pas que l'appartement litigieux serait mentionné dans la convention de divorce. Ainsi – sans préjuger en rien le caractère licite, ou pas, des preuves fournies dans la demande de révision du 7 mars 2023 –, on ne saurait faire tomber sous le coup de la loi pénale l'ex-époux qui cherche à défendre ses intérêts patrimoniaux par les voies légales.

En quatrième lieu, la recourante reproche, certes, au mis en cause d'avoir eu indûment accès à ses données I______, respectivement de l'avoir calomniée devant la psychologue de sa fille et d'avoir agressé un ami à elle – soit des comportements susceptibles de constituer des infractions pénales, lesquelles ne font toutefois pas l'objet ni de la plainte ni de la décision querellée –. Or elle n'allègue pas que le mis en cause lui aurait demandé – qui plus est par l'intermédiaire de tiers – d'adopter un comportement particulier.

Enfin, compte tenu de ce qui précède, le rapport médical produit – lequel reprend en grande majorité les déclarations de la recourante – est insuffisant pour constituer des soupçons de tentative de contrainte.

4.5.2. La recourante reproche en outre au mis en cause d'avoir trompé le Tribunal de D______ au moyen de faux documents et d'avoir ensuite produit devant le juge civil genevois des actes des autorités tunisiennes et le contrat de vente de l'appartement litigieux, soit des pièces obtenues de "manière illicite".

Or, force est de constater que la requête du mis en cause du 8 décembre 2022 – et d'éventuelles pièces l'accompagnant – ont été produites devant le juge tunisien. Ainsi, quand bien même une escroquerie au procès – respectivement un faux dans les titres – aurait été commise par le mis en cause, celle-ci ne serait pas intervenue en Suisse. En effet, la recourante ne rend nullement vraisemblable que le juge civil suisse aurait été trompé astucieusement par le mis en cause, dans la mesure où elle ne prétend pas que les actes des autorités tunisiennes – pas plus que le contrat de vente de l'appartement litigieux – seraient des faux. En tout état de cause, la recourante s'est déterminée sur la demande en révision du jugement de divorce par devant le Tribunal de première instance de Genève.

Enfin, c'est à juste titre que le Ministère public a considéré qu'une simple requête contenant des informations inexactes – du surcroit produite devant les autorités tunisiennes – ne revêtait pas la qualité de titre, faute de valeur probante accrue.

5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame  Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/15305/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00