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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15885/2022

ACPR/644/2023 du 16.08.2023 sur OCL/373/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ACTE D'ORDRE SEXUEL SUR UN INCAPABLE DE DISCERNEMENT;CONSENTEMENT DU LÉSÉ;DOSSIER MÉDICAL;MOYEN DE PREUVE;PRÉVENU;VOIES DE FAIT
Normes : CPP.319; CP.191; CPP.429; CP.126

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15885/2022 ACPR/644/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 16 août 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], représentée par sa curatrice, Me B______, avocate,

C______, domicilié ______, France, représenté par Me D______, avocat,

recourants,

contre l’ordonnance de classement partiel rendue le 14 mars 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par ordonnance rendue le 14 mars 2023, notifiée le 16 suivant, le Ministère public a notamment :

·      classé, parmi les infractions reprochées à C______, celles d’actes d’ordre sexuel commis au détriment de A______ (art. 191 CP) et de voies de fait (art. 126 CP) perpétrées à l'encontre E______ (ch. 1 du dispositif);

·      refusé d’allouer au prévenu une indemnité fondée sur l’art. 429 CPP (ch. 5).

b. Par acte expédié le 27 mars 2023, A______, soit pour elle sa curatrice de représentation, recourt contre le chiffre 1 du dispositif de cette décision.

Elle conclut à son annulation, le Procureur devant être invité, soit à poursuivre l’instruction, soit à renvoyer C______ en jugement, s’agissant de l’infraction à l’art. 191 CP.

c. Par acte expédié le 27 mars 2023, le prévenu recourt contre le chiffre 5 du dispositif de cette même décision.

Il sollicite, préalablement, la suspension de la procédure devant la Chambre de céans jusqu’à droit jugé, par le Tribunal pénal, sur son indemnisation dans la présente cause, et, principalement, l’annulation du point attaqué, la somme de CHF 17'500.- devant lui être allouée pour réparer ses divers préjudices.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. A______, née en 1966, célibataire et sans enfant, a vécu de nombreuses années auprès de ses parents, F______ et E______.

Elle a été diagnostiquée, par les médecins du département de psychiatrie des HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE (ci-après : HUG), service au sein duquel elle a effectué trois séjours entre 2015 et 2020, comme souffrant d’un trouble envahissant du développement et d'un retard mental "sans précision".

Elle ne bénéficie d’aucun suivi psychiatrique; son médecin généraliste est le Dr. G______.

Elle perçoit une rente AI depuis une date non connue.

a.b. En automne 2021, A______ a emménagé seule, dans un studio.

Depuis lors, sa mère s’y rend régulièrement et l'intéressée a géré, de facto, jusqu’à fin 2022, les affaires courantes de sa fille.

a.c. Entre fin juillet et mi-août 2022, A______ et C______ ont entretenu, à tout le moins, des préliminaires à l’acte sexuel, à une reprise, et un rapport sexuel complet, à une autre.

b.a. À compter de l’été 2022, C______ a fait l’objet de plusieurs plaintes pénales, déposées par, notamment :

·      H______, lequel lui reprochait d’avoir, entre fin mai et le 25 juillet 2022 – période où il l'hébergeait provisoirement et gracieusement –, endommagé son habitation (art. 144 CP), respectivement de l'avoir menacé (art. 180 CP) et insulté (art. 177 CP) à plusieurs reprises;

·      E______, en raison de menaces (art. 180 CP) et de voies de fait (art. 126 CP) perpétrées à son détriment;

·      F______, tant à titre personnel, le mis en cause l’ayant traitée, en plusieurs occasions, de "pute" (art. 177 CP), qu’au nom et pour le compte de A______, du chef d’infraction à l’art. 191 CP.

À ce dernier égard, elle a précisé que le comportement de sa fille avait changé depuis qu’elle fréquentait C______; en effet, A______ était sous l’influence du prénommé, consommateur d’alcool et de stupéfiants. L’intéressé abusait de sa faiblesse, "notamment par des actes sexuels"; n’ayant pas de logement, il profitait "largement de la situation".

b.b. Prévenu des infractions précitées, C______ a été arrêté le 14 août 2022.

Le Tribunal des mesures de contrainte a ordonné sa mise en détention provisoire le 16 suivant, se référant, dans son ordonnance, à l’ensemble des normes sus-évoquées.

L’intéressé a été libéré le 27 septembre 2022.

b.c. Me B______, curatrice désignée par le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) pour représenter A______ dans la présente procédure, s’est constituée partie plaignante, au nom de sa protégée.

b.d. Le Ministère public a recueilli les informations et témoignage suivants s’agissant de l’état de santé de A______ :

b.d.a. L’intéressée a été hospitalisée du 24 au 25 juillet 2022 au sein du service de psychiatrie des HUG, pour des troubles mentaux et du comportement liés à la consommation d’alcool et de cannabis.

D’après les rapports résumant ce séjour, établis les 24 juillet et 12 août 2022, F______ avait contacté la police à la première de ces dates, au motif que sa fille refusait de lui ouvrir la porte du studio, où elle se trouvait avec [C______]; à leur arrivée, les gendarmes avaient appelé une ambulance, au vu de l’état de A______; les ambulanciers avaient trouvé cette dernière en train de "cour[ir] dans un parc".

Les médecins ont constaté que la prénommée présentait une désorganisation idéo-comportementale, avec un discours peu cohérent, sur "fonds persécutoire", une logorrhée, "plusieurs passages du coq à l'âne" et des "réponse[s] à côté"; une thymie euphorique et une labilité affective ont également été identifiées, à l’instar d’une "familiarité et [d’]une désinhibition", la patiente ayant tenté de toucher les parties intimes d’une infirmière. A______ exprimait un sentiment de colère et de frustration, s’estimant surveillée et contrôlée par sa mère, qui, selon elle, l’empêchait d’être libre et d’avoir une relation sentimentale; elle reconnaissait que sa consommation des substances sus-évoquées avait augmenté depuis sa rencontre avec "cet homme". La patiente ne parvenait pas à comprendre "les mises en danger" qu’induisait une telle consommation; elle disposait de faibles capacités, aussi bien de "critique et de gestion des émotions et relations" que "d’élaboration et d’introspection dues à sa pathologie de fond".

Une prise en charge à la Clinique de I______ a été envisagée, sans toutefois pouvoir être mise en œuvre, A______ ayant quitté les HUG avec sa mère le 25 juillet 2022, contre l’avis des médecins.

b.d.b. Le 4 août 2022, la police a "adress[é]" A______ aux urgences psychiatriques, en raison d’un "trouble du comportement avec agitation".

Les médecins ont alors constaté, selon le rapport établi le 9 du même mois, que l’intéressée présentait un discours fluide, peu cohérent, logorrhéique avec tachypsychie ainsi qu’un "[d]iscours tangentiel avec réponse à côté"; une thymie labile, une anxiété et un "contact quelque peu désinhibé" ont également été relevés; aucun trouble du contenu de la pensée n’a été identifié. A______ expliquait fréquenter un homme avec lequel elle entretenait des rapports sexuels non protégés; elle ne comprenait pas les inquiétudes de sa mère.

Une hospitalisation a été envisagée, sans toutefois pouvoir être mise en œuvre, la patiente et sa mère ayant quitté les HUG, contre l’avis des médecins.

b.d.c. Entendu en qualité de témoin, le Dr. G______ a déclaré suivre A______ depuis fin novembre 2012. Il l’avait vue à six reprises entre cette dernière époque et 2019, notamment pour des infections, ainsi qu’en une septième occasion, le 5 septembre 2022, en présence de sa mère, laquelle l’avait informé que sa fille "avait été abusée ou quelque chose comme ça". Les troubles envahissants dont souffrait sa patiente impliquaient une altération des interactions sociales, "des activités limitées et des inactions", qui pouvaient être disproportionnées. De manière générale, le retard mental engendrait une naïveté, les patients étant "un peu comme [d]es enfants", mais lui-même n'avait pas "testé" A______. À son sens, cette dernière était capable de s'exprimer et de se positionner sur les évènements de sa vie, pour autant qu'elle ne se trouvât pas dans une phase euphorique ou d'agitation. Le fait de passer "du coq à l’âne" pourrait être lié à une phase euphorique. Il ne saurait dire s’il y avait "des phases dans l’état" de sa patiente, ne l’ayant que très peu vue. À sa connaissance, la prénommée ne consommait pas d’alcool ni de stupéfiants. Il n’avait jamais abordé, avec elle, le sujet des relations sentimentales/sexuelles.

À la question de savoir si A______ était "capable de se déterminer en toute connaissance de cause et de comprendre le sens et la portée d’une relation sexuelle, c’est[-]à[-]dire si elle a[vait] la capacité de discernement à ce sujet, soit la capacité d’y consentir", le praticien a répondu qu’il "pens[ait] que oui, elle en [était] quand même consciente".

b.e. Le Procureur a encore entendu, respectivement fait auditionner, les personnes suivantes concernant l’infraction à l’art. 191 CP :

b.e.a. Convoquée par la police le 15 août 2022, A______ n’a pas été en mesure de déposer, les gendarmes ayant constaté qu’elle "divaguait ( ) et était incapable de discernement".

Le 2 septembre suivant, une audition a été menée selon le protocole EVIG par des policiers et une psychologue. La séance avait dû être interrompue, A______ "n’arriva[n]t pas à répondre" aux questions de la phase déclarative. Cela étant, "[d]urant les quelques échanges obtenus", la prénommée n’avait fait état d’aucun problème ou agression potentielle la concernant, affirmant, au sujet du "copain que j'aime", qu'"il [ne] profite pas de moi" (d’après la vidéo de son audition).

b.e.b. F______ a déclaré que C______ prenait sa fille pour "une bonne poire"; il s’était "incrusté" chez elle, n’ayant plus d’appartement. Elle-même avait d’emblée informé le prévenu des troubles dont souffrait A______; ce dernier lui avait répondu les avoir remarqués, ajoutant que, dorénavant, il s’occuperait lui-même d’elle. Sa fille pouvait se montrer extrêmement gentille et il était possible de "lui faire faire n’importe quoi", "même du sexe". A______ lui avait dit avoir "fait l’amour" avec C______, sans préciser à combien de reprises. Un jour, au mois d’août 2022, elle avait trouvé sa fille nue, dans le lit du studio, avec C______, lequel était sur elle; cette dernière était alors "comme inerte"; elle-même avait sommé le prévenu de partir, ce qu’il avait fait. Sa fille lui avait récemment confié ne pas avoir été d’accord de "coucher" avec C______, précisant avoir eu peur de ce dernier.

b.e.c. H______ (cf. B.b.a) a exposé avoir vu, le 23 juillet 2022, à son domicile, le prévenu accompagné de A______; cette dernière, qui lui avait semblé apeurée et stressée, lui avait dit, alors que C______ s’était rendu dans une autre pièce, qu’elle "devait toujours lui obéir".

b.e.d. Entendu par le Procureur en présence de son défenseur d’office, C______ a nié toute infraction à l’art. 191 CP. Quand il avait rencontré A______, cette dernière s’était tout de suite "collée" à lui et montrée "très avenante"; il avait dû la repousser "un peu". Depuis fin juillet 2022, la prénommée était "[s]a copine". Tous deux étaient amoureux. Il savait qu’elle avait des troubles du comportement et n’était "pas normale"; il l’avait lui-même constaté et F______ l’en avait informé. Il pouvait avoir des conversations simples avec A______. Parfois, elle avait des absences et pouvait se montrer "inerte" : c’était alors "comme si elle n’était plus là". À une reprise, un individu l'avait accostée et lui-même était intervenu pour la protéger, l'intéressée étant "très encline à répondre aux demandes sexuelles des hommes". Il l’acceptait comme elle était. F______ s’occupait mal de sa fille, ne la "laissa[n]t [pas] vivre sa vie". A______ buvait occasionnellement de l’alcool; il lui arrivait de consommer du cannabis, avec lui. Il n’avait "pas eu tellement le temps" de s’interroger sur la capacité de cette dernière à consentir à des rapports intimes, leur relation ayant duré trois semaines. Les actes litigieux, au nombre de deux, à savoir des préliminaires et un rapport sexuel complet, avaient été consentis; ils étaient intervenus à l’initiative de la prénommée, qui s’était montrée "avenante", en ce sens qu’elle s’était approchée de lui, l’avait caressé, puis embrassé. Le jour où F______ l’avait surpris dans le lit du studio avec A______ était celui desdits préliminaires; tous deux étaient allongés, somnolents, raison pour laquelle A______ avait paru "inerte" à sa mère.

c. Par ordonnance du 2 décembre 2022 – dont seul le dispositif figure au dossier –, le TPAE a instauré une curatelle de portée générale en faveur de A______, rappelé que cette dernière était, de ce fait, privée de l’exercice de ses droits civils, désigné F______ en qualité de curatrice et maintenu Me B______ dans ses fonctions.

d. Le 16 février 2023, le Ministère public a informé les parties de son intention, d’une part, de rendre une ordonnance de classement partiel s’agissant des infractions aux art. 126 ainsi que 191 CP et, d’autre part, de renvoyer C______ en jugement pour les autres actes qui lui étaient reprochés.

À cette suite, la curatrice de A______ n’a pas requis d’acte d’instruction complémentaire.

C______ a sollicité d’être indemnisé, en lien avec les deux infractions classées, à hauteur de : CHF 9'000.- pour le tort moral occasionné par sa détention préventive; CHF 7'500.- au titre de gains manqués pendant la période où il avait été incarcéré; CHF 1'000.-, correspondant à la valeur de ses effets personnels, laissés au domicile de H______, affaires qu’il n’avait pas été en mesure de récupérer avant que ce dernier ne s’en débarrasse, étant alors en prison.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que A______ disposait, aux dires du Dr. G______, d'une capacité de discernement suffisante pour comprendre la portée d'un acte sexuel et y consentir. Or, la prénommée avait déclaré, lors de son audition EVIG, que C______ n’avait nullement profité d'elle, confirmant ainsi la version des faits donnée par ce dernier. Les conditions de l’art 191 CP n’étaient donc pas réunies.

Il n’y avait pas lieu, à ce stade, d’indemniser le prévenu d’une éventuelle détention subie à tort (CHF 9'000.-). En effet, il appartiendrait au juge du fond, appelé à statuer sur les autres infractions que celles classées, également à l’origine de la détention, de déterminer si celle-ci pourrait être compensée (art. 51 CP) avec la peine potentiellement fixée. L’indemnisation étant subsidiaire à une telle compensation, C______ ne pouvait choisir entre ces deux voies. Les autres prétentions formulées par l’intéressé devraient, pour les mêmes raisons, être tranchées par l’autorité de jugement.

D. a.a. À l'appui de ses recours et réplique, la curatrice de A______ dénonce une violation du principe in dubio pro duriore. En effet, sa protégée ne pouvait valablement consentir aux actes (d’ordre) sexuel(s) litigieux, comme en attestaient les éléments suivants du dossier : elle souffrait de divers troubles (mentaux et du comportement), associés à un retard mental, qui la rendaient naïve et influençable; le TPAE avait instauré une curatelle de portée générale en sa faveur; elle ne pouvait, d’après le Dr. G______, se positionner/s’exprimer sur les aspects de sa vie que pour autant qu’elle ne se trouvât pas dans une phase d’agitation ou euphorique. Il n’y avait pas lieu de tenir compte de l’audition EVIG de sa protégée, celle-là n’ayant pas abouti. C______ étant conscient des troubles et retard mental sus-évoqués, il n’était pas exclu qu’il les ait utilisés pour amener A______ à faire preuve de complaisance et de docilité.

a.b. Invité à se déterminer, le prévenu conclut au rejet du recours, faisant siennes les considérations de la décision attaquée. Les propos du Dr. G______ étaient dénués d’ambiguïté : A______ était capable de discernement sur le plan sexuel. Aucune valeur probante ne pouvait être accordée aux déclarations, au demeurant non étayées, de F______ et de H______, au vu du lourd contentieux qui l’opposait à ces derniers.

a.c. Pour sa part, le Ministère public persiste dans les termes de son ordonnance, ajoutant que A______ n’avait jamais confié à quiconque avoir subi une infraction contre son intégrité sexuelle. Le dossier ne comportait aucun élément médical permettant de s’écarter de l’avis du médecin traitant précité. Du reste, rien ne permettait de penser que A______ se serait trouvée dans une phase euphorique ou d’agitation lors des actes (d’ordre) sexuel(s) incriminés, lesquels n’avaient pas pu être précisément datés.

b.a. À l’appui de son recours, C______ fait valoir que, dans l’hypothèse où le juge du fond ne se prononcerait pas sur son indemnisation en lien avec les infractions classées, le chiffre 5 du dispositif attaqué devrait être annulé. En effet, il subirait alors un déni de justice, aucune autorité pénale ne s’étant prononcée sur ses prétentions.

b.b. La cause a été gardée à juger sur cet aspect sans échange d’écritures ni débats.

EN DROIT :

1. Les deux recours sont dirigés contre la même ordonnance et la réponse à apporter au premier, interjeté par A______, influe sur le sort du second, émanant de C______; ils seront donc joints et traités par un seul arrêt.

I. Recours de A______

2. Cet acte est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision de classement, sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP), et émaner de la partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP) qui, agissant par sa curatrice de représentation (art. 106 al. 2 CPP), a qualité pour recourir, ayant un intérêt juridiquement protégé à voir poursuivre les prétendues infractions commises contre son intégrité sexuelle (art. 115 et 382 CPP).

3. 3.1. Selon l’art. 319 al. 1 let. b CPP, le procureur classe la cause quand les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis.

Cette décision doit être prise en application du principe in dubio pro duriore, selon lequel une procédure ne peut être close que s'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1148/2021du 23 juin 2023 consid. 3.1).

3.2. L'art. 191 CP réprime le comportement de celui qui, sachant qu'une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle un acte (d’ordre) sexuel.

3.2.1. Est incapable de discernement l’individu qui n’est pas en mesure de comprendre le sens/la portée de relations sexuelles, respectivement de se déterminer en toute connaissance de cause sur celles-ci (arrêt du Tribunal fédéral 6B_727/2019 du 27 septembre 2019 consid. 1.1). Tel est le cas quand il se trouve dans un état d’incapacité psychique, soit durable (maladie mentale, etc.), soit passager (perte de connaissance ou encore alcoolisation importante; arrêt du Tribunal fédéral 6B_866/2022 précité).

Cela étant, si la victime, bien que mentalement handicapée, demeure apte à se défendre, l'infraction n'est pas réalisée. En effet, l’on ne saurait, par le biais de l’art. 191 CP, empêcher toute activité sexuelle chez les personnes souffrant de certaines déficiences mentales (Message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal et du code pénal militaire (Infractions contre la vie et l'intégrité corporelle, les mœurs et la famille) du 26 juin 1985, FF 1985 II 1021, 1093 in fine).

L’incapacité de discernement étant une notion relative, il appartient au juge d’établir concrètement si la victime était ou non en mesure de consentir/résister (arrêt du Tribunal fédéral 6B_727/2019 précité).

3.2.2. L’auteur doit, pour accomplir l’acte (d’ordre) sexuel litigieux, exploiter la situation de la personne lésée. En cas de consentement valable de l'intéressée, il n’y a point d’infraction (A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 15 ad art. 191).

Dans l’hypothèse où la victime n'est pas en mesure d'acquiescer à des actes (d’ordre) sexuel(s), faute de capacité de discernement, il convient, pour déterminer si le prévenu a profité/abusé d’elle, d’examiner les circonstances extérieures et concrètes qui ont entouré la commission desdits actes (arrêt du Tribunal fédéral 6S.359/2002 du 7 août 2003 consid. 4.2 et 4.3). Est punissable, en pareil cas, l’auteur qui utilise le lésé comme un objet visant à satisfaire ses désirs sexuels (arrêt du Tribunal fédéral 6B_128/2012 du 21 juin 2012 consid. 1.2.1).

3.2.3. L’infraction étant intentionnelle, le prévenu doit connaître l'incapacité de discernement/résistance de sa victime. Le dol éventuel suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_996/2017 du 7 mars 2018 consid. 1.1).

Agit intentionnellement celui qui s'accommode de la possibilité que la personne lésée ne soit pas, en raison de son état physique/psychique, en situation de s'opposer à un acte d'ordre sexuel, mais le lui fait malgré tout subir. En revanche, il n'y a pas d'infraction si l’auteur est convaincu, à tort, que sa victime est capable de discernement/résistance au moment dudit acte (arrêt du Tribunal fédéral 6B_866/2022 précité).

3.3.1. En l’espèce, il est constant qu’entre juillet et mi-août 2022, A______ et le prévenu ont entretenu, à deux reprises au moins, des actes (d’ordre) sexuel(s) (consistant dans un rapport sexuel complet et des préliminaires).

La prénommée souffrant d’un trouble envahissant du développement et d’un retard mental, il y a lieu de déterminer si elle était ou non capable de saisir le sens et la portée de ces actes, respectivement d’y consentir.

Le dossier comporte peu d’éléments médicaux pour répondre à cette question.

En effet, les psychiatres des HUG, qui ont diagnostiqué lesdits trouble et retard mentaux, ne se sont pas prononcés sur ce point dans les rapports versés à la procédure. Ils n’ont pas non plus été entendus par le Ministère public.

L’on ignore si le TPAE disposait d’informations à cet égard – étant relevé que l’instauration d’une curatelle de portée générale n’implique pas (encore) que la personne à protéger soit incapable d’acquiescer à des actes (d’ordre) sexuel(s) –, seul le dispositif de l’ordonnance du 2 décembre 2022 ayant été produit.

Certes, le médecin traitant de A______ a déclaré qu’il "pens[ait]" que cette dernière était "quand même" apte à consentir à des relations sexuelles.

Ce praticien, généraliste de formation, a toutefois affirmé ne pas avoir "testé" le retard mental de sa patiente, ne l’avoir que très peu vue (à sept reprises entre 2012 et 2022, notamment pour des infections) et n’avoir jamais abordé avec elle le sujet des relations sentimentales/sexuelles.

Son opinion – d’une teneur au demeurant nuancée – ne permet donc pas, à elle seule, de retenir, sous l'angle du principe in dubio pro duriore, que A______ pouvait valablement consentir aux actes (d’ordre) sexuel(s) litigieux.

Cela vaut d’autant plus que le Dr. G______ a spécifié que sa patiente n’était apte à se positionner sur les évènements de sa vie – lesquels devraient, sensément, inclure les relations sexuelles – que pour autant qu’elle ne se trouvât pas dans une phase euphorique ou d'agitation – phases que le prénommé n’a pas lui-même constatées, à bien le comprendre –.

Or, durant la période pénale (soit entre fin juillet et mi-août 2022), A______ a été adressée à deux reprises au service de psychiatrie des HUG; à ces occasions, les spécialistes ont relevé qu’elle présentait des troubles mentaux et du comportement – lesquels étaient suffisamment importants pour envisager une hospitalisation – ainsi qu’une tendance à la désinhibition – la prénommée ayant essayé, en juillet 2022, de toucher les parties intimes d’une infirmière –. Dans le même ordre d’idées, la police a constaté, le 15 août 2022, que A______ "divaguait ( ) et était incapable de discernement".

Il demeure donc concevable, à ce stade de l'instruction, que l’intéressée ait pu ne pas être apte à acquiescer/résister aux actes incriminés lors de leur commission.

Il s’ensuit qu’une potentielle incapacité de discernement/de se défendre de A______ ne peut être niée, en l'état.

3.3.2. Le prévenu conteste avoir exploité la situation de la prénommée pour perpétrer les actes litigieux.

A______ semble partager ce point de vue, ayant déclaré, lors de son audition EVIG, que son "copain" ne "profit[ait] pas [d’elle]" – propos qu’il n’y a pas lieu d’écarter au seul motif que cette audition n’a pas abouti –.

Il est toutefois malaisé de juger la fiabilité de cette déclaration; en effet, l’intéressée dispose, d’après les psychiatres des HUG, d’une faible capacité de critique quant à ses relations; son aptitude à valablement consentir/résister à des actes (d’ordre) sexuel(s) n’est pas non plus suffisamment établie. L'on ne peut, en conséquence, donner à son avis une portée déterminante, du moins à ce stade.

La nature de la relation qu’entretenaient l’intimé et la prénommée est en outre peu claire.

En effet, si, aux dires du prévenu, il était amoureux de A______, F______ a toutefois déclaré qu’il profitait de sa fille, en particulier sur le plan sexuel; ainsi, elle avait retrouvé cette dernière "inerte" lors de l’épisode des préliminaires; l’intéressée lui aurait également confié ne pas avoir été d’accord de "coucher" avec le prévenu, précisant en avoir eu peur. Pour sa part, H______ a exposé que A______ lui avait dit devoir toujours "obéir" à l’intimé. En l’état, aucune de ces versions ne peut être privilégiée – le fait que les deux prénommés sont effectivement en conflit avec le prévenu n'impliquant pas (encore) qu'ils aient menti en tenant les propos précités –.

À cette aune, il demeure envisageable que l’intimé ait pu exploiter la situation de A______ lors de la commission des actes litigieux.

3.3.3. De plus, le prévenu s’est dit conscient du fait que la prénommée souffrait de troubles mentaux et était "très encline à répondre aux demandes sexuelles des hommes".

Il n’est donc pas exclu qu’il ait eu conscience, lors de la commission desdits actes, de l’éventuel état d’incapacité de l’intéressée – ses allégués selon lesquels il n’aurait "pas eu tellement le temps" de s’interroger sur la capacité de sa partenaire à y consentir, n’emportant, à ce stade et sans préjuger du fond, pas conviction –.

3.4. En conclusion, une infraction à l’art. 191 CP ne peut être niée, en l’état.

Il s'ensuit que le recours est fondé.

Partant, la décision attaquée sera annulée en tant qu’elle porte sur l’infraction à l’art. 191 CP, et la cause renvoyée au Procureur pour qu’il poursuive l’instruction, en particulier sur les aspects médicaux sus-évoqués.

II. Recours de C______

4. 4.1. Cet acte a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) contre les conséquence économiques accessoires d’un classement, points sujets à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP), par le prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP).

4.2. Une partie des griefs qui y sont formulés est toutefois devenue sans objet, soit celle afférente à l’indemnisation fondée sur l’infraction à l’art. 191 CP, la procédure ayant été rouverte sur cet aspect.

4.3. L’intéressé conserve, en revanche, un intérêt (art. 382 CPP) à ce qu’il soit statué sur ses conclusions relatives aux voies de fait, cette infraction étant définitivement classée (à défaut, pour E______, d’avoir contesté l’ordonnance déférée).

5. 5.1.1. Le prévenu au bénéfice d'une décision de classement a le droit d'obtenir une indemnité pour les pertes de salaires/gains résultant d’une mise en détention avant jugement (art. 429 al. 1 let. b CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_278/2021 du 2 novembre 2021 consid. 1.2.2), respectivement pour le tort moral découlant de cette privation de liberté (art. 429 al. 1 let. c CPP).

5.1.2. En vertu de l’art. 51 CP, le juge impute la détention avant jugement subie par l’auteur dans le cadre de l’affaire qui vient d’être jugée ou d’une autre procédure.

Cette imputation prime une compensation financière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_343/2015 du 2 février 2016 consid. 1.2.4).

5.2. L’infraction à l’art. 126 CP est passible d’une amende.

5.3.1. À la lumière de ces principes, les voies de fait constituent une simple contravention.

La mise en détention préventive du recourant reposait, non sur cette infraction – puisque celle-ci est réprimée de l’amende –, mais sur les autres agissements qui lui étaient reprochés.

Le TMC a, certes, cité l’art. 126 CP dans sa décision du 16 août 2022; il l’a toutefois fait à titre illustratif, pour mentionner l’ensemble des actes imputés au prévenu.

En l’absence de lien de causalité entre l’incarcération litigieuse et les voies de fait dénoncées, il n'y a pas de place pour une compensation, quelle qu'elle soit (en nature [art. 51 CP] ou financière [art. 429 CPP]).

5.3.2. Quant au prétendu dommage découlant de la disparition des effets personnels du prévenu (CHF 1'000.-), il est exorbitant à l’infraction à l’art. 126 CP, de sorte qu’il ne saurait être réparé à l’occasion du classement de celle-ci.

5.4. En conclusion, le recours se révèle manifestement infondé (sur l’aspect pour lequel il conserve encore un objet), constat auquel la Chambre de céans pouvait procéder sans ordonner d’échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).


 

 

III. Frais et indemnités

6. 6.1. A______ obtient gain de cause sur son recours (art. 428 al. 1 CP). Les frais y relatifs seront donc laissés à la charge de l’État (art. 428 al. 4 CPP).

6.2. L’activité de Me B______ sera indemnisée par l'autorité qui l'a nommée (art. 4, 6 et 10 al. 4 du Règlement fixant la rémunération des curateurs [RRC; E 1 05.15]; ACPR/762/2021 du 10 novembre 2021, consid. 5).

7. 7.1. L’acte de C______ a été, pour partie, déclaré sans objet (cf. consid. 4.2) et, pour partie, rejeté (cf. consid. 5.4).

Les frais liés à son recours, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP; E 4 10.03]), seront, s’agissant de sa demande d’indemnisation fondée sur l’infraction à l’art. 191 CP, imputés à l’État – vu le renvoi de la cause au Procureur (art. 428 al. 4 CPP) –, et, concernant le dédommagement réclamé du chef des voies de fait, mis à sa charge (art. 428 al. 1 CP) – étant rappelé que l’autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4) –.

Aussi le prévenu sera-t-il condamné à la moitié desdits frais, soit au paiement de CHF 450.-.

7.2. Il sied de rémunérer l’avocat d’office pour son activité devant la Chambre de céans.

Une somme de CHF 473.90 sera allouée à ce conseil – qui n’a pas chiffré ni justifié ses prétentions –, correspondant à 4 heures d’activité admissible pour la rédaction, par un stagiaire, du recours, acte qui comporte huit pages de développements, TVA à 7.7% incluse (soit 4 x CHF 110.- [tarif horaire applicable à un avocat stagiaire, selon l’art. 16 al. 1 let. a RAJ] + la TVA).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Joint les recours de A______ et C______.

Admet le recours de A______, annule, en conséquence, l’ordonnance déférée dans la mesure où elle porte sur l’infraction à l’art. 191 CP, et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Rejette le recours de C______ en tant qu’il conserve encore un objet.

Laisse les frais de la procédure du recours de A______ à la charge de l’État.

Met à la charge de C______ la moitié des frais de la procédure liés à son recours, fixés en totalité à CHF 900.-, soit CHF 450.-, et laisse le solde (CHF 450.-) à la charge de l'État.

Alloue à Me D______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 473.90, TVA à 7.7% incluse, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et C______, soit pour eux leurs curatrice et conseil respectifs, ainsi qu’au Ministère public.

Siégeant :

 

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

Voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

 

Par ailleurs, le Tribunal pénal fédéral connaît des recours du défenseur d'office contre les décisions de l'autorité cantonale de recours en matière d'indemnisation (art. 135 al. 3 let. a CPP et 37 al. 1 LOAP). Le recours doit être adressé dans les 10 jours, par écrit, au Tribunal pénal fédéral, case postale 2720, 6501 Bellinzone.


 

 

P/15885/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

805.00

Total

CHF

900.00