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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15390/2022

ACPR/370/2023 du 17.05.2023 sur OMP/2371/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DÉFENSE D'OFFICE
Normes : CPP.132

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15390/2022 ACPR/370/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 17 mai 2023

 

Entre

 

A______, comparant par Me B______, avocat,

recourante,

 

contre l'ordonnance de refus de nomination d'avocat d'office rendue le 6 février 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte reçu le 17 février 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 6 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner la défense d'office en sa faveur.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à ce que Me B______ soit désigné à sa défense d'office.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Il est reproché à A______ d'avoir, à Genève :

- entre le 18 juin 2020 et à tout le moins en 2022, empêché, sans droit, sa fille C______, née le ______ 2008, d'entretenir tout contact personnel avec son père D______, lequel a été subitement privé de toutes relations personnelles avec son enfant durant cette période, portant ainsi atteinte au développement psychique de l'enfant;

- entre janvier et juin 2022, soustrait C______ à son père en l'emmenant sans droit et contre le gré de ce dernier, de Genève à l'étranger, en France, à E______, étant précisé que le jugement de divorce du 18 juin 2020 prévoyait l'autorité parentale conjointe des parents et l'interdiction à ceux-ci de quitter le territoire suisse avec C______;

- le 6 juin 2022, tenté de soustraire C______ à son père en l'emmenant sans droit et contre le gré de ce dernier, de Genève en Serbie, étant précisé qu'elles n'ont finalement pas quitté la Suisse dans la mesure où elles ont été interceptées par la police à l'aéroport de Genève.

b. Par courrier du 6 juin 2022, le Service de protection des mineurs (ci-après, SPMi) a retenu que C______ était en danger auprès de A______ et a décidé de lui retirer provisoirement le droit de déterminer le lieu de résidence de sa fille et sa garde de fait, s'opposant, en l'état, à toute relation personnelle entre elles.

c. Par ordonnance du 5 juillet 2022, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après, TPAE) a, préalablement, ratifié la clause péril prise par le SPMi, ordonné une expertise familiale et, sur mesures provisionnelles, a notamment retiré à A______ la garde et le droit de déterminer le lieu de résidence de sa fille, ordonnant son placement dans un foyer d'urgence et la suspension du droit aux relations personnelles entre elles.

d. Par dénonciation du 18 juillet 2022, le TPAE a informé le Ministère public que, A______ et sa fille avaient définitivement quitté la Suisse le 21 janvier 2022 pour la France, puis s'étaient présentées le 6 juin 2022 à l'aéroport pour se rendre en Serbie. En outre, lors de l'audience du 5 juillet 2022, A______ était sortie précipitamment, s'était rendue à l'hôtel F______ dans lequel elle résidait, quittant les lieux vers 18h avec sa fille en pyjama pour y revenir seulement le lendemain vers 19h.

e. Le 5 août 2022, D______ a, sur conseil du SPMi, déposé plainte à l'encontre de A______ pour les faits du 6 juin 2022.

f. Par courrier du 22 septembre 2022, Me B______ a demandé au Ministère public de le nommer d'office pour la défense des intérêts de A______, rappelant qu'il avait déjà été nommé dans le cadre de la procédure devant le TPAE.

g. Le 21 octobre 2022, A______, assistée de Me B______, a été entendue par la police. Elle a contesté les faits reprochés. Elle n'était "pas en tort" au motif que "toutes les décisions du tribunal [avaient] fait l'objet de recours suspensifs". Elle ne s'était ainsi pas rendue aux visites prévues par le jugement de divorce. Du 7 mars au 6 juin 2022, elle avait séjourné avec sa fille dans un hôtel à E______ en raison de dégâts d'eau dans son ancien appartement à Genève. Le 6 juin 2022, elle comptait partir pour trois jours en Serbie. Elle n'avait pas acheté les billets de retour car elle ne savait pas encore si elles rentreraient en bus ou en avion. S'agissant des faits du 5 juillet 2022, elle s'était rendue aux urgences parce que sa fille était malade.

h. Le 6 février 2023, le Ministère public a refusé de donner une suite favorable à la demande de nomination d'office (cf infra C.).

i. Par ordonnance pénale du même jour, il a condamné A______ à une peine pécuniaire de 75 jours-amende, avec sursis durant 3 ans, pour violation du devoir d'assistance ou d'éducation, enlèvement de mineur et tentative d'enlèvement de mineur.

j. Le 17 février 2023, sous la plume de Me B______, A______ a formé opposition à ladite ordonnance.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que la cause ne présentait pas de difficultés particulières juridiques ou de fait et que la prévenue était donc à même de se défendre efficacement seule. La cause était en outre de peu de gravité et n'exigeait pas la désignation d'un défenseur d'office, la peine encourue n'étant passible que d'une peine privative de liberté maximale de 4 mois ou d'une peine pécuniaire maximale de 120 jours-amende.

D. a. À l'appui de son recours, A______ conteste les faits tels qu'établis par le Ministère public. Elle était dépourvue de connaissances juridiques, maîtrisait imparfaitement le français et était particulièrement touchée et stressée par les procédures judiciaires. En outre, les faits reprochés qui étaient en lien avec la procédure en divorce étaient d'une complexité certaine et devaient être qualifiés de graves, au vu des enjeux et des conséquences que pouvait avoir une condamnation pénale sur la procédure pendante auprès du TPAE et sur la garde de sa fille.

En outre, elle produit une ordonnance du TPAE du 21 novembre 2022, à teneur de laquelle cette autorité a, dans l'attente du résultat de l'expertise familiale, maintenu, en l'état, le retrait de la garde de l'enfant ordonné à son encontre le 5 juillet 2022.

b. Dans ses observations, le Ministère public expose que la culpabilité de la recourante était établie et la peine appropriée, soit une peine bien en deçà de la peine maximale prévue à l'art. 132 al. 3 CPP. De plus, la cause ne présentait aucune difficulté particulière sur le plan factuel ou juridique. Enfin, il était parfaitement possible que les auditions de la recourante se passent en présence d'un interprète.

c. Dans sa réplique, A______ indique être particulièrement anxieuse à l'idée de ne pas pouvoir être défendue convenablement dans la procédure pénale. Son conseil avait été nommé d'office pour une demande de modification du jugement de divorce en vue d'obtenir la garde et l'autorité parentale exclusive sur sa fille. Il ne pouvait être retenu que les faits ne représentaient aucune difficulté pour elle, dès lors qu'ils relevaient également d'une compréhension du droit et pouvaient avoir des conséquences négatives sur les autres procédures civiles.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public une constatation erronée et incomplète des faits (art. 393 al. 2 let. b CPP). Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

3.             3.1. À teneur de l'art. 132 al. 1 let. b CPP, la direction de la procédure ordonne une défense d'office si le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et que l'assistance d'un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts.

L'art. 132 al. 3 CPP prévoit qu'en tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois, ou d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende.

La défense d'office aux fins de protéger les intérêts du prévenu se justifie notamment lorsque l'affaire n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP), ces deux conditions étant cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_229/2021 du 9 septembre 2021 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_194/2021 du 21 juin 2021 consid. 3.1). Il n'est pas exclu que l'intervention d'un défenseur soit justifiée par d'autres motifs (comme l'indique l'adverbe "notamment"), en particulier dans les cas où cette mesure est nécessaire pour garantir l'égalité des armes ou parce que l'issue de la procédure pénale a une importance particulière pour le prévenu, par exemple s'il est en détention, s'il encourt une révocation de l'autorisation d'exercer sa profession ou s'il risque de perdre la garde de ses enfants (arrêts du Tribunal fédéral 1B_12/2020 du 24 janvier 2020 consid. 3.1 ; 1B_374/2018 du 4 septembre 2018 consid. 2.1). La désignation d'un défenseur d'office peut ainsi s'imposer selon les circonstances, lorsque le prévenu encourt une peine privative de liberté de quelques semaines à quelques mois si, à la gravité relative du cas, s'ajoutent des difficultés particulières du point de vue de l'établissement des faits ou des questions juridiques soulevées, qu'il ne serait pas en mesure de résoudre seul. En revanche, lorsque l'infraction n'est manifestement qu'une bagatelle, en ce sens que son auteur ne s'expose qu'à une amende ou à une peine privative de liberté de courte durée, la jurisprudence considère que l'auteur n'a pas de droit constitutionnel à l'assistance judiciaire (ATF 143 I 164 consid. 3.5 p. 174; arrêt du Tribunal fédéral 1B_360/2020 du 4 septembre 2020 consid. 2.1).

3.2. Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. En particulier, il convient de s'attacher à la peine concrètement encourue et non à la seule peine menace prévue par la loi (ATF 143 I 164 consid. 2.4.3 et 3; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit Commentaire du CPP, 2e éd., 2016, n. 30 ad art. 132). La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure. La jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi – qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes – ferait ou non appel à un avocat.

Pour apprécier la difficulté subjective d'une cause, il faut aussi tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_257/2013 du 28 octobre 2013 consid. 2.1 publié in SJ 2014 I 273 et les références citées) et des mesures qui paraissent nécessaires, dans le cas particulier, pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (ATF 115 Ia 103 consid. 4).

3.3. L'assistance juridique est en règle générale octroyée avec effet au jour du dépôt de la requête (art. 5 al. 1 RAJ ; ACPR/360/2015 du 30 juin 2015 consid. 3.1), sous réserve de démarches urgentes entreprises peu de temps avant (ATF 122 I 203 consid. 2f p. 208/209; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019 n. 68 ad art. 136).

3.4. En l'espèce, le Ministère public ne conteste pas l'impécuniosité de la recourante, ce dont il lui sera donné acte.

Dans la mesure où la peine pécuniaire encourue concrètement par la recourante s'élève à 75 jours-amende, la cause est de peu de gravité, au sens de l'art. 132 al. 3 CPP.

En tant que telle, la cause ne présente – à première vue – pas de difficulté du point de vue factuel ou des questions juridiques soulevées, que la recourante ne serait pas en mesure de résoudre seule. Tant les faits que les dispositions applicables sont clairement circonscrits et compréhensibles, ce qui n'est au demeurant pas contesté par la recourante. Elle s'est déjà expliquée à cet égard, contestant les faits et donnant des explications précises sur les motifs qui l'ont poussée à agir.

Reste à examiner s'il existe d'autres motifs que ceux prévus à l'art. 132 al. 2 CPP qui justifieraient une défense d'office.

Force est de constater que ladite cause place la recourante dans une situation délicate. La procédure a été ouverte pour violation du devoir d'assistance ou d'éducation et enlèvement de mineur suite à la dénonciation du SPMi. En sus, la recourante fait face à une procédure en cours devant le TPAE au centre de laquelle se joue notamment les relations avec sa fille (droit de garde, lieu de résidence de sa fille) et a déposé une demande de modification du jugement de divorce. Face à toutes ces procédures, l'issue de la procédure pénale est particulièrement importante pour la recourante puisqu'elle peut avoir un effet sur celle relative à la garde de sa fille.

Au vu des circonstances, il se justifie ainsi de la mettre au bénéfice d'une défense d'office, au jour du dépôt de sa demande.

4.             Le recours est admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée. La défense d'office de la recourante sera admise à compter du 22 septembre 2022 et Me B______ sera désigné à cet effet.

5.             La procédure de recours contre le refus de l'octroi de l'assistance juridique ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).

6.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance du Ministère public du 6 février 2023.

Désigne Me B______ à la défense d'office de A______, avec effet au 22 septembre 2022.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

La greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).