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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19819/2022

ACPR/320/2023 du 04.05.2023 sur ONMMP/3558/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;APPROPRIATION ILLÉGITIME
Normes : CPP.310.al1.leta; CP.137

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19819/2022 ACPR/320/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 4 mai 2023

 

Entre

 

A______ SARL, ayant son siège ______, comparant par Me Thomas BÜCHLI, avocat, WLM Avocats, place Edouard-Claparède 5, case postale 292, 1211 Genève 12,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 octobre 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 24 octobre 2022, A______ SARL recourt contre l'ordonnance du 14 octobre 2022, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 13 juillet 2022 contre C______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée, et, cela fait, à la mise en prévention de C______ pour infraction à l'art. 137 al. 2 CP, ainsi qu'à la saisie du véhicule immatriculé GE 1______ et à sa restitution.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 800.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.A______ SÀRL (ci-après : A______) est une société inscrite le ______ 2005 au Registre du commerce de Genève. D______ en est associé gérant, avec droit de signature individuelle, et C______, épouse de celui-ci, associée, sans droit de signature.

E______ SÀRL (ci-après : E______) est une société inscrite le ______ 2009 au Registre du commerce de Genève. C______ en est associée gérante, avec droit de signature individuelle.

b. Le 13 juillet 2022, A______, représentée par D______, a déposé plainte contre C______.

D______ avait reçu le 11 juillet 2022, de la part de la précitée, une photographie d'un nouveau permis de circulation concernant le véhicule [de la marque] F______, immatriculé GE 1______, établi au nom de E______. Il ne savait pas comment son épouse avait pu mettre ledit véhicule, propriété de A______, au nom de sa société à elle, sans son accord à lui. Ils étaient mariés depuis 20 ans mais leur relation s'était détériorée environ 6 mois auparavant, empêchant tout dialogue. Lorsqu'il avait cherché à obtenir des informations, l'Office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) lui avait suggéré de déposer plainte, sans quoi aucun renseignement ne pourrait lui être transmis.

c. Auditionnée le 30 août 2022 par la police, C______ a contesté s'être appropriée le véhicule précité sans droit. Durant la crise sanitaire en 2021, elle avait prêté à son mari – qui lui avait fait part d'un besoin d'argent – un montant total de CHF 50'000.- depuis le compte de E______. En contrepartie, le véhicule en question devait revenir à sa société une fois les mensualités du leasing payées. En juin 2022, elle avait demandé à son mari de combler le trou créé par ce prêt dans les comptes de E______, ce qu'il avait refusé. Comme il avait accès aux comptes de E______, il s'était même versé un montant supplémentaire de CHF 6'000.-. Elle avait ensuite découvert que le besoin d'argent de son mari était lié à l'infidélité de celui-ci. Comme la situation financière de son mari s'était améliorée en 2022, elle avait procédé elle-même à l'exécution de leur accord en transférant la propriété du véhicule. Après le dépôt de plainte, D______ lui avait proposé le retrait de celle-ci en échange de leur maison commune en France, ce qu'elle avait refusé.

À l'issue de son audition, C______ a produit un avis bancaire de débit du 23 septembre 2021 de CHF 40'000.- transféré de E______ à D______.

d. Par courrier du 20 septembre 2022, le Ministère public a transmis à A______ une copie du procès-verbal de l'audition de la mise en cause et lui a imparti un délai pour lui indiquer si elle entendait, au vu des explications fournies, maintenir sa plainte.

A______ n'a pas réagi audit courrier.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que le litige avait un caractère essentiellement civil, dès lors qu'il concernait la possibilité, pour la mise en cause, de compenser une créance alléguée de sa société à l'encontre de la plaignante. Cette compensation était, selon la mise en cause, convenue entre les intéressées. Il n'appartenait donc pas à l'autorité pénale d'intervenir dans ce contexte.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que le Ministère public avait violé le principe in dubio pro reo, dès lors que la mise en cause, qui avait fourni des explications contradictoires, n'avait pas invoqué un droit civil de manière crédible. Elle avait évoqué les difficultés conjugales et non l'exécution d'un contrat et, même dans l'hypothèse où elle aurait entendu obtenir le remboursement d'une créance, il lui appartenait de saisir les tribunaux civils plutôt que de faire un acte de "justice privée". En outre, les conditions d'application des art. 137 et 139 CP étant "clairement remplies", la saisie du véhicule et sa restitution à sa propriétaire se justifiaient.

A______ a produit des copies de la carte grise du véhicule, attestant du transfert de celui-ci à E______ et la copie de la demande d'immatriculation adressée par la mise en cause à l'OCV.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. La mise en cause, qui était associée de A______, avait expliqué de manière crédible, documents à l'appui, avoir procédé elle-même à un remboursement dû à E______, ce que la recourante n'avait pas contesté. Le dessein d'enrichissement illégitime faisait manifestement défaut, la mise en cause n'ayant, au vu de ses explications, pas eu conscience que l'acte constituait un tel enrichissement.

c. La recourante soutient que le dessein d'enrichissement illégitime ne constituait pas une condition d'application de l'infraction visée à l'art. 137 al. 2 CP. E______ n'avait jamais été créancière de A______. Un récapitulatif des transactions entre E______ et A______, établi le 19 octobre 2022 par G______ SARL, faisait apparaître que E______ était débitrice de la somme de CHF 109'593.90 à l'égard de A______. À cet égard, le Ministère public pouvait entendre H______, de la fiduciaire précitée.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification n'ayant pas été observées (art. 85 al. 2 CPP) –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Les pièces nouvelles sont recevables (arrêts du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.1 et 3.2; 1B_768/2012 du 15 janvier 2013 consid. 2.1).

3.             La recourante fait grief au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte.

3.1.       Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées). Face à des versions contradictoires des parties, il peut être exceptionnellement renoncé à une mise en accusation lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre version comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêts du Tribunal fédéral 6B_174/2019 du 21 février 2019 consid. 2.2 et les références citées).

3.2.1. Selon l'art. 137 CP, celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire, en tant que les conditions prévues aux art. 138 à 140 ne seront pas réalisées (ch. 1). Si l'auteur a trouvé la chose ou si celle-ci est tombée en son pouvoir indépendamment de sa volonté, s'il a agi sans dessein d'enrichissement ou si l'acte a été commis au préjudice des proches ou des familiers, l'infraction ne sera poursuivie que sur plainte (ch. 2).

Cette disposition présuppose notamment l'appropriation d'une chose mobilière appartenant à autrui, ainsi qu'un dessein d'enrichissement illégitime de la part de l'auteur (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, volume I, 3e éd., 2010, n. 9 ss ad art. 137 CP). L'acte d'appropriation signifie tout d'abord que l'auteur incorpore économiquement la chose ou la valeur de la chose à son propre patrimoine, pour la conserver, la consommer ou pour l'aliéner ; il dispose alors d'une chose comme propriétaire, sans pour autant en avoir la qualité. L'auteur doit avoir la volonté, d'une part, de priver durablement le propriétaire de sa chose, et, d'autre part, de se l'approprier, pour une certaine durée au moins. Il ne suffit pas que l'auteur ait la volonté d'appropriation, celle-ci devant se manifester par un comportement extérieurement constatable (ATF 129 IV 223 consid. 6.2.1 p. 227 ; 121 IV 25 consid. 1c p. 25 ; 118 IV 148 consid. 2a p. 151 ss). Il n'y a pas d'appropriation si d'emblée l'auteur veut rendre la chose intacte après un acte d'utilisation. Elle intervient cependant sans droit lorsque l'auteur ne peut la justifier par une prétention qui lui soit reconnue par l'ordre juridique (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1043/2015 du 9 décembre 2015 consid. 4.2.1 et 6B_395/2015 du 25 novembre 2015 consid. 2.2). L'appropriation est illégitime dès lors qu'elle dénote un comportement contraire à la volonté du propriétaire (ATF 129 IV 223 consid. 6.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1056/2018 du 29 janvier 2019 consid. 2.3.1).

Sur le plan subjectif, l'auteur doit avoir agi intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime. Par enrichissement, on entend la réalisation d'un dommage, à savoir une lésion au patrimoine de la victime sous la forme d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou d'une non-diminution du passif, mais aussi d'une mise en danger de celui-ci telle qu'elle a pour effet d'en diminuer la valeur du point de vue économique (ATF 121 IV 104 consid. 2c p. 107 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1043/2015 du 9 décembre 2015 consid. 4.2.1 et 6B_395/2015 du 25 novembre 2015 consid. 2.2).

3.2.2. L'art. 137 ch. 2 CP prévoit que l'infraction ne sera poursuivie que sur plainte si l'auteur a trouvé la chose ou si celle-ci est tombée en son pouvoir indépendamment de sa volonté ou s'il a agi sans dessein d'enrichissement.

Les actes de justice privée, fondée sur une prétention réelle ou probable, sont des exemples classiques d'appropriation sans dessein d'enrichissement illégitime (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 45 ad art. 137 CP). La jurisprudence a considéré, dans le cadre d'un contrat de gardiennage de vaches prévoyant la possibilité d'un paiement en nature, que l'appropriation unilatérale de têtes de bétail par le gardien, à titre de compensation pour la prestation financière contractuelle non versée, était exclue, dès lors que rien ne permettait de déduire que le gardien pouvait choisir lui-même les animaux à abattre et passer outre l'accord préalable du propriétaire des vaches (arrêt du Tribunal fédéral 6B_70/2016 du 2 juin 2016 consid. 3.1 et 3.4, non publiés aux ATF 142 IV 315).

3.2.3. La société à responsabilité limitée, régie aux art. 772 et ss de la loi fédérale complétant le Code civil suisse (CO), acquiert la personnalité par son inscription au registre du commerce (art. 779 al. 1 CO).

3.3. En l'espèce, la mise en cause justifie l'appropriation du véhicule de la recourante par un droit de compensation qui aurait été convenu avec son mari, à l'occasion du prêt, par sa société, d'un montant de CHF 50'000.- en 2021. Dans la mesure où il ressort de l'avis de débit produit par la mise en cause que le montant litigieux a été versé au crédit du compte de son mari, et non de la recourante, un éventuel droit de rétention (cf. art. 895 CC) ou une autre forme de compensation ne paraissent pas s'appliquer, faute d'identité des parties. Dès lors, il n'est pas exclu, à ce stade, que l'appropriation du véhicule litigieux par la mise en cause constitue un acte de justice privée, susceptible de constituer une infraction à l'art. 137 al. 2 CP.

Cela étant, son mari n'a pas été entendu sur les circonstances du versement des sommes d'argent depuis le compte de E______, ainsi que des modalités ayant accompagné ce "prêt". Compte tenu du lien conjugal existant, ainsi que du statut d'associée de la mise en cause au sein de la recourante, on ne peut exclure d'entrée de cause la version de la mise en cause, selon laquelle le remboursement du "prêt" à son mari devait intervenir par l'intermédiaire de la société détenue par le couple, ni le droit de celle-ci à procéder elle-même aux démarches de remboursement.

Or, ces éléments constituent des points essentiels dans l'analyse d'une éventuelle infraction à l'art. 137 al. 2 CP. Par conséquent, un prononcé de non-entrée en matière paraît, en l'état, prématuré.

4. Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour complément d'enquête ou l'ouverture d'une instruction.

5. Compte tenu de ce qui précède, il appartiendra au Ministère public d'examiner la demande de séquestre sollicitée.

6. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par la recourante lui seront restituées.

7. La recourante, partie plaignante, assistée d'un avocat, n'ayant ni chiffré ni a fortiori justifié l'indemnité requise pour ses frais de procédure, cette question ne sera pas examinée (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière du 14 octobre 2022 et renvoie la cause au Ministère public pour complément d'enquête ou l'ouverture d'une instruction.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État et ordonne la restitution à A______ SARL des sûretés versées (CHF 800.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).