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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12699/2022

ACPR/844/2022 du 01.12.2022 sur ONMMP/1981/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);COMMANDEMENT DE PAYER;DROIT DE LA FAMILLE
Normes : CP.181; CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12699/2022 ACPR/844/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 1er décembre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me Stéphane REY, avocat, rue Michel-Chauvet 3, case postale 477, 1211 Genève 12,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 juin 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 25 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 juin 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 8 juin 2022.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause pour ouverture d'une instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par jugement de mesures protectrices de l'union conjugale rendu le 17 mai 2021 par le Tribunal civil, B______ a été condamné à verser à A______, au titre de contribution à son entretien, les montants de CHF 9'700.- par mois du 1er février au 31 décembre 2021 et de CHF 1'900.- depuis le 1er janvier 2022.

b. Il ressort ce qui suit des échanges de courriers intervenus entre les avocats des parties, après le jugement précité :

b.a. Le 11 juin 2021, B______ a affirmé que le montant dû au titre de l'entretien de A______, pour les mois de février à juin 2021, était de CHF 23'260.92. À la somme de CHF 48'500.-, correspondant au versement de la contribution d'entretien de CHF 9'700.- par mois sur cinq mois, il convenait de déduire le montant de CHF 25'239.08 relatif à des factures payées, durant cette période, par B______ pour son épouse, concernant le loyer de l'appartement de celle-ci, des primes d'assurance, les mensualités d'un emprunt et diverses dépenses courantes (électricité, téléphonie, frais de véhicule, etc.).

b.b. Le 15 juin 2021, A______ a contesté la compensation à laquelle son époux entendait procéder.

b.c. Le 16 septembre 2021, B______ a réclamé à A______ le versement du montant de CHF 25'239.08 d'ici au 30 septembre suivant, ainsi que la restitution d'un montant de CHF 100'000.-, qu'il lui avait versé sur la base d'informations "fausses" de la part de celle-ci.

c. Par arrêt du 12 octobre 2021, la Chambre civile de la Cour de justice a modifié la contribution due par B______ à l'entretien de A______, la fixant, mensuellement, à CHF 8'500.- du 1er février au 31 décembre 2021 et à CHF 1'400.- dès le 1er janvier 2022.

d. B______ a déposé contre A______ deux requêtes de conciliation, les 10 décembre 2021 et 28 mars 2022, par-devant le Tribunal civil, visant à obtenir le paiement des montants respectifs de CHF 100'000.- et de CHF 26'134.81.

e. Le 18 décembre 2021, B______ a fait notifier à A______ un commandement de payer pour la somme de CHF 25'239.08, avec intérêts à 5% dès le 1er octobre 2021, avec la mention, sous "cause de l'obligation", qu'il s'agissait de "remboursement de factures de Madame A______ entre février 2021 et juin 2021 payées par Monsieur B______".

f. A______ y a formé opposition le 20 décembre 2021.

g. Le 18 mars 2022, A______, qui considérait que le commandement de payer précité était "pénalement relevant" car constituant une "tentative de contrainte", a mis B______ en demeure de retirer sa poursuite d'ici au 21 mars suivant, faute de quoi elle agirait par "toutes voies de droit utiles".

h. B______ n'a pas retiré ladite poursuite dans le délai imparti par A______.

i. Le 8 juin 2022, A______ a déposé plainte contre B______ pour tentative de contrainte (art. 181 CP cum 22 al. 1 CP).

En substance, le commandement de payer qu'B______ lui avait fait notifier le 18 décembre 2021 l'avait effrayée, car elle ne disposait d'aucune source de revenu ni fortune. À cela s'ajoutaient les demandes en paiement déposées les 10 décembre 2021 et 28 mars 2022, portant respectivement sur les montants de CHF 100'000.-, à titre de remboursement d'un don qu'elle avait reçu de la part du précité à la suite de la vente, en décembre 2019, du logement conjugal, et de CHF 26'134.81. Elle s'était sentie "prise à la gorge" par les tentatives "incessantes" de récupérer des montants qui n'étaient pas dus. En raison de l'inscription de la poursuite, elle ne pouvait plus espérer trouver un appartement. Les agissements d'B______ visaient à la mettre sous pression afin de la contraindre à verser des sommes indues.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient qu'il ne ressortait pas de la plainte que le montant réclamé était manifestement dénué de tout fondement. Compte tenu du caractère purement civil du litige, pour lequel deux actions civiles et une procédure de mesures protectrices de l'union conjugale étaient en cours, il n'existait pas de soupçons suffisants de contrainte, même sous forme d'une tentative.

D. a. À l'appui de son recours, A______ expose que son mari avait profité de sa dépendance financière totale pour lui réclamer des montants infondés – car ne ressortant d'aucun jugement rendu entre les parties – en vue de l'acculer. Le dessein de nuire du mis en cause était manifeste, ce qui revêtait un caractère pénal. Le Ministère public avait ignoré qu'elle dépendait entièrement du mis en cause, sans lequel elle était dans la précarité, ce qui expliquait la frayeur causée par le commandement de payer reçu. L'audition des protagonistes et une confrontation entre les parties se justifiaient.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, avec suite de frais. Le mis en cause avait indiqué la cause de sa prétention sur le commandement de payer. Il avait, en outre, déposé une demande en paiement concernant ladite prétention, de sorte que l'envoi du commandement de payer n'avait pas pour but d'entraver la liberté de la plaignante. Compte tenu du litige civil pendant, il n'appartenait pas au Ministère public de se déterminer sur le bienfondé de la créance réclamée par le mis en cause à la plaignante. Aucun acte d'instruction n'était susceptible de modifier cette appréciation, et il était prévisible que chaque partie maintiendrait sa position lors d'une confrontation.

c. La recourante n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a. CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale, et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 5 et 8 ad art. 310).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 10 ad art. 310 ; DCPR/104/2011 du 11 mai 2011).

2.2. Se rend coupable de contrainte selon l'art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, ne pas faire ou à laisser faire un acte.

La contrainte n'est contraire au droit que si elle est illicite, soit parce que le moyen utilisé ou le but poursuivi est illicite, soit parce que le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux moeurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440 s.; 137 IV 326 consid. 3.3.1 p. 328; 134 IV 216 consid. 4.1 p. 218). Pour une personne de sensibilité moyenne, faire l'objet d'un commandement de payer d'une importante somme d'argent est, à l'instar d'une plainte pénale, une source de tourments et de poids psychologique, en raison des inconvénients découlant de la procédure de poursuite elle-même et de la perspective de devoir peut-être payer le montant en question. Un tel commandement de payer est ainsi propre à inciter une personne de sensibilité moyenne à céder à la pression subie, donc à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action (arrêt 6B_70/2016 du 2 juin 2016 consid. 4.3.4 non publié aux ATF 142 IV 315). Certes, faire notifier un commandement de payer lorsqu'on est fondé à réclamer une somme est licite. En revanche, utiliser un tel procédé comme moyen de pression est clairement abusif, donc illicite (cf. ATF 115 III 18 consid. 3 p. 20 s., 81 consid. 3b p. 87 s.; arrêt 6B_70/2016 précité consid. 4.3.4).

Le fondement de la créance invoquée, le montant indiqué sur le commandement de payer et le contexte de sa notification sont autant d'éléments pertinents dans l'appréciation des circonstances du cas d'espèce. S'agissant du fondement de la créance déduite en poursuite, il suffit que la situation juridique ne soit pas d'une clarté indiscutable pour admettre la licéité, sous l'angle de l'infraction de contrainte, du commandement de payer (R. JORDAN, Les poursuites injustifiées: point de situation, in Revue de l'avocat 2017 p. 131 s. et les arrêts cités).

À titre d'exemples, le créancier abuse manifestement de son droit en poursuivant le débiteur lorsqu'il fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais demander la mainlevée de l'opposition ni la reconnaissance judiciaire de sa créance, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, ou encore lorsqu'il reconnaît, devant l'Office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_378/2016 du 15 décembre 2016 = SJ 2017 I 373).

La notification de trois commandements de payer d'un montant de CHF 910'000.- chacun, ne reposant sur aucune créance valable, notifiés à des dirigeants d'une société avec laquelle l'auteur se trouvait en litige et portant, comme cause de l'obligation, une référence à un courrier du ministère public envoyé dans le cadre d'une procédure pénale, est constitutive d'une tentative de contrainte (arrêt du Tribunal fédéral 6B_8/2017 du 15 août 2017 consid. 2.2; cf. également les faits à la base de l'arrêt du Tribunal fédéral 6S.853/2000 du 9 mai 2001).

Il en va de même de la notification d'un commandement de payer de plus de CHF 800'000.-, somme qualifiée d'exorbitante par la Chambre pénale d'appel et de révision, ceci plus de 13 ans après les faits et sans démarches judiciaires parallèles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_153/2017 du 28 novembre 2017 consid. 3.2.2).

2.3. En l'espèce, plusieurs échanges de correspondances entre avocats, relatifs aux prétentions du mis en cause à l'encontre de la recourante, ont précédé l'envoi du commandement de payer du 18 décembre 2021 et le dépôt par-devant le Tribunal civil des requêtes de conciliation des 10 décembre 2021 et 28 mars 2022. Dans ce cadre, le mis en cause a étayé ses prétentions – en particulier dans l'annexe à son courrier du 11 juin 2021 – qui consistaient en un remboursement de factures, prétendument payées par lui, en faveur de la recourante, durant la période immédiatement postérieure au dies a quo de la contribution d'entretien.

Indépendamment de leur bienfondé, de telles prétentions ne peuvent pas être qualifiées de fantaisistes. Le fait que le mis en cause semble ne pas les avoir soulevées dans le cadre de la procédure de mesures protectrices de l'union conjugale ne les rend pas, pour autant, manifestement dénuées de tout fondement à l'avenir. En cas de divorce, il n'est pas exclu que la prise en charge de frais par un époux en faveur de l'autre puisse être pertinente lors de la liquidation du régime matrimonial. Le dépôt d'une requête de conciliation le 28 mars 2022, en lien avec le montant réclamé par le commandement de payer du 18 décembre 2021, montre que ce dernier n'a pas été utilisé à des fins détournées, par exemple dans le but de nuire à la réputation de la recourante ou de l'entraver dans d'autres démarches, mais s'inscrivait dans le processus ordinaire de recouvrement d'une créance. Par ailleurs, le montant exigé par la voie de la poursuite repose sur des éléments concrets, à savoir des factures, et est en adéquation avec la somme de celles-ci.

Enfin, à teneur du dossier, on ne voit pas quel résultat le mis en cause aurait cherché à obtenir, hormis celui de faire valoir ses prétentions : à la réception du commandement de payer litigieux, le 18 décembre 2021, une autorité judiciaire de deuxième instance avait déjà arrêté le montant de la contribution d'entretien due à la recourante. Partant, le mis en cause ne pouvait plus espérer de concessions de la recourante sur ce point.

Au vu des circonstances, l'envoi du commandement de payer du 18 décembre 2021 ne constituait pas un moyen de pression abusif. Tant le moyen employé, qui fait suite à plusieurs échanges entre avocats lors desquels les prétentions litigieuses ont été expliquées, que le but poursuivi, à savoir le paiement de prétentions éventuellement dues par la recourante, ne revêtent aucun caractère illicite, sous l'angle du droit pénal. L'audition et la confrontation des parties, sollicitées par la recourante, ne seraient pas susceptibles de conduire à une appréciation différente de ce qui précède, chaque partie ayant largement expliqué sa position lors des échanges de courriers qui ont suivi le jugement du Tribunal civil du 17 mai 2021.

C'est donc à bon droit que le Ministère public a conclu que les éléments constitutifs de la tentative de contrainte n'étaient pas réalisés.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/12699/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

     

Total

CHF

900.00