Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

1 resultats
P/6283/2022

AARP/19/2025 du 16.01.2025 sur JTDP/829/2024 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : PLAINTE PÉNALE;INDIVISIBILITÉ
Normes : CP.30; CP.179ter; CP.31; CP.32; CP.21
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6283/2022 AARP/19/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 16 janvier 2025

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me B______, avocat,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/829/2024 rendu le 28 juin 2024 par le Tribunal de police,

 

et

C______, partie plaignante, comparant par Me D______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/829/2024 du 28 juin 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a acquittée de diffamation mais l'a reconnue coupable d'injure (art. 177 al. 1 du code pénal [CP]) et d'enregistrement non autorisé de conversations (art. 179ter al. 1 CP) et l'a condamnée à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 30.- l'unité, assortie du sursis et d'un délai d'épreuve de deux ans. Le TP l'a également condamnée, conjointement et solidairement avec E______, à payer à C______ CHF 500.- à titre de réparation du tort moral (art. 47/49 du code des obligations [CO]).

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant principalement à l'absence de plainte pénale valable et subsidiairement à son acquittement, avec suite de frais et indemnités.

b. L'appel formé par E______, condamné par le même jugement du TP, a été déclaré irrecevable le 11 novembre 2024 (AARP/395/2024).

c. Selon l'ordonnance pénale du 19 décembre 2023, il est encore reproché ce qui suit à A______ :

À Genève, le 7 mars 2022, de concert avec E______, à son domicile, sis chemin 1______ no. ______, elle a enregistré avec un téléphone portable une discussion intervenue à trois, avec C______, sans le consentement de cette dernière, et sans même que celle-ci n'en soit informée au préalable.

Le même jour, de concert avec E______, elle a porté atteinte à l'honneur de C______, par écrit, en lui indiquant que son licenciement immédiat était notifié en raison d'actes de corruption active et passive (art. 322ter et 322quater CP) commis par cette dernière et qu'elle aurait commis des actes constitutifs d'octroi d'un avantage (art. 322quinquies CP), justifiant ainsi son licenciement immédiat, eu égard à la commission d'infractions pénalement répréhensibles.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. C______ a été employée par F______ Sàrl, dont A______ est associée gérante et E______ directeur, tous deux au bénéfice d'une signature individuelle.

Elle a été licenciée le 7 mars 2022, au cours d'un entretien avec A______ et E______, d'une durée d'environ 18 minutes, à l'issue duquel E______ l'a informée que l'entretien avait été enregistré. Cet enregistrement figure au dossier de la procédure ; on entend essentiellement C______ et E______, mais A______ s'exprime également, de façon parfois virulente. Au moment où C______ est informée de l'enregistrement (vers 17m 30s), elle proteste (plus sur le déroulement de l'entretien que sur le principe de l'enregistrement). E______ et A______ l'invitent alors à ne plus rien dire et l'enregistrement s'interrompt moins d'une minute après.

Le lendemain, C______ a déposé plainte à la police à l'encontre de E______, sans mentionner A______ dans sa plainte.

b. E______ a admis avoir procédé à l'enregistrement sans le consentement de son employée, précisant que A______ était au courant de l'enregistrement prévu et d'accord avec ce mode de procéder (PV police du 14 mars 2022 p. 2). Il a précisé avoir pensé que, s'agissant d'une conversation dans un cadre professionnel, l'interdiction d'enregistrer les conversations privées ne s'appliquait pas.

c. Une ordonnance pénale a été prononcée le 28 mars 2022 à l'encontre de E______ pour ces faits, à laquelle il a formé opposition.

d. C______ a déposé une nouvelle plainte à l'encontre de E______ le 7 juin 2022, en lien avec les motifs écrits figurant dans la lettre de licenciement, tels que rapportés ci-dessus.

À l'audience de confrontation au Ministère public (MP) du 16 juin 2022, les parties ont convenu de chercher un règlement amiable à leur litige, sans succès.

e. Le 4 septembre 2022, C______ a sollicité la reprise de la procédure et l'audition de A______ en qualité de témoin. Elle a produit à cette occasion une attestation remplie par son ancien employeur et envoyée aux autorités compétentes en matière d'assurance-chômage. Elle précisait à cette occasion que A______ avait transmis l'enregistrement illicite à des tiers dans le but de lui nuire et que "les prénommés" [i.e. E______ et A______] avaient transmis la lettre de licenciement litigieuse à des tiers (NdR : l'appelante a été acquittée de ce volet [diffamation]).

f. Entendue en qualité de prévenue par le MP, A______ a indiqué que E______ avait eu l'idée d'enregistrer la conversation du 7 mars 2022 et qu'ils avaient agi de la sorte car "on voulait montrer qu'elle mentait". Elle a confirmé avoir rédigé la lettre de licenciement avec E______ et n'a pas souhaité s'exprimer sur la mention d'infractions pénales dans ce courrier.

Au cours de cette audience, E______ a confirmé avoir informé A______ de l'enregistrement "à la fin" de celui-ci, et avoir rédigé la lettre de licenciement avec elle.

g. Le 19 janvier 2024, le Tribunal des prud'hommes a débouté C______ de sa demande en paiement dirigée contre F______ Sàrl, considérant qu'elle avait commis un acte de concurrence déloyale et que son licenciement immédiat était justifié.

h. Devant le premier juge :

E______ a indiqué n'avoir dit à A______ qu'à la fin de l'entretien que celui-ci était enregistré, avoir rédigé seul la lettre de licenciement et les documents pour l'assurance-chômage.

A______ a expliqué n'avoir su qu'à la fin de l'entretien que celui-ci était enregistré. Elle a nié avoir participé à la rédaction de la lettre de licenciement ou avoir eu connaissance de la teneur des dispositions pénales qui y étaient mentionnées, et indiqué que E______ s'était occupé seul de l'élaboration de l'attestation destinée à l'assurance-chômage. Elle n'a pas souhaité répondre à la question de savoir si l'enregistrement de la conversation du 7 mars 2022 avait été diffusé à des tiers.

C______ a indiqué, par la voix de son conseil, qu'elle n'avait pas eu la volonté de déposer plainte pénale contre A______ et que ses conclusions civiles n'étaient dirigées qu'à l'encontre de E______.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

c. C______ s'en est rapportée à justice. Le MP a conclu à la confirmation du jugement entrepris.

d. Les arguments plaidés seront discutés, dans la mesure de leur pertinence, au fil des considérants qui suivent.

D. A______, de nationalité suisse, est née le ______ 1958. Elle est divorcée et mère de deux enfants désormais majeurs. Elle est au bénéfice d'une rente AVS de
CHF 1'600.-. Son loyer est de CHF 4'500.- et est pris en charge par la société F______ Sàrl. Ses primes d'assurance maladie s'élèvent à CHF 800.-. Elle se déclare sans dettes ni fortune.

À teneur de son casier judiciaire suisse, A______ est sans antécédent.

E. a. A______ présente des conclusions en indemnisation à hauteur de CHF 9'000.-. Elle produit une facture de CHF 3'558.28 pour la procédure de première instance, correspondant à six heures et 35 minutes d'activité de son conseil au taux de CHF 500.- de l'heure, et sollicite dans le corps de son mémoire d'appel une indemnité supplémentaire correspondant à huit heures d'activité pour la procédure d'appel.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. L'appelante soutient que la plainte pénale formée par la plaignante n'est pas dirigée contre elle et ne constitue donc pas un fondement valable à la présente procédure.

2.1. Aux termes de l'art. 30 al. 1 CP, si une infraction n'est punie que sur plainte, toute personne lésée peut porter plainte contre l'auteur. Selon l'art. 31 CP, le droit de porter plainte se prescrit par trois mois. Le délai court du jour où l'ayant droit a connu l'auteur de l'infraction. Avec le dépôt d'une plainte, le lésé manifeste sa volonté inconditionnelle de voir l'auteur de l'infraction poursuivi pénalement (ATF 141 IV 380 consid. 2.3.4 p. 387).

Le droit fédéral règle le contenu de la plainte. Déposée valablement contre inconnu ou contre l'un (ou certains) des participants, la plainte vaut aussi contre tous ceux qui, ne serait-ce que durant un laps de temps limité, ont pris part à l'infraction. La plainte doit être inconditionnelle : si des conditions sont posées, elle n'est pas valable (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 6ss ad art. 30 CP).

2.2. Aux termes de l'art. 32 CP, si un ayant droit a porté plainte contre un des participants à l'infraction, tous les participants doivent être poursuivis.

Une plainte pénale déposée volontairement contre certains seulement des participants d'une infraction – coauteurs, instigateurs, complices – contient en soi une contradiction au regard du principe de l'indivisibilité et des conséquences de la violation de celui-ci. Dans une telle hypothèse, l'autorité doit informer le plaignant de ce que, conformément à la loi, tous les participants doivent être poursuivis ou aucun, et elle doit déterminer quelles sont ses intentions. Lorsqu'il est patent que le plaignant entend épargner ceux qui ne sont pas désignés dans la plainte, celle-ci doit être déclarée non valable (ATF 121 IV 150 consid. 3a/bb p. 152 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_8/2010 du 29 mars 2010 consid. 1.3.1 ; L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op.cit., n. 6 ad art. 32 CP).

2.3. L'ayant droit peut retirer sa plainte tant que le jugement de deuxième instance cantonale n'a pas été prononcé (art. 33 al. 1 CP). Le plaignant peut revenir sur sa décision non seulement en raison d'une éventuelle modification des circonstances depuis le dépôt de sa plainte (par exemple, la conclusion d'un compromis), mais aussi parce qu'une connaissance plus approfondie de l'état de fait le conduit souvent à une nouvelle appréciation de la situation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_640/2008 du 12 février 2009 consid. 1.1). Le retrait de plainte constitue une déclaration de volonté. Même si celle-ci peut résulter d'actes concluants, la volonté de retirer la plainte doit être exprimée de manière non équivoque (ATF 143 IV 104 consid. 5.1).

Quiconque a retiré sa plainte ne peut la renouveler (art. 33 al. 2 CP).

2.4. En l'espèce, la plaignante a exposé au premier juge ne pas avoir l'intention de poursuivre l'appelante. Auparavant le MP, qui n'avait pas attiré son attention sur la teneur de l'art. 32 CP, a poursuivi toutes les personnes revêtant à ses yeux la qualité d'auteur de l'infraction. La plaignante n'a jamais été expressément invitée à se déterminer avant les débats de première instance, ni n'a été mise en garde (même en première instance) sur la teneur de l'art. 32 CP.

La lésée a clairement déposé plainte pour des faits déterminés, désignant, dans ses deux plaintes, le co-prévenu ; au moment de sa demande de reprise de la procédure elle a sollicité l'audition de l'intimée comme témoin, tout en indiquant que celle-ci avait selon elle assisté à l'infraction du 7 mars 2022, voire participé à celle d'avril 2022 (pour des faits dont l'appelante a été acquittée en première instance). Confrontée au fait que le MP a entendu l'appelante comme prévenue, puis prononcé à son encontre une ordonnance pénale, la plaignante n'a, à aucun moment, retiré sa plainte. Elle a de ce fait manifesté une certaine ambivalence, vraisemblablement liée au fait qu'elle dirigeait ses reproches essentiellement contre le co-prévenu de l'appelante, qui était son principal interlocuteur lors de la conversation du 7 mars 2022.

La condamnation à l'encontre des deux auteurs a été prononcée et est entrée en force contre le premier ; ce nonobstant, et alors qu'elle est assistée d'un avocat, l'intimée n'a pas retiré ses plaintes. Même si son attitude peut apparaître contradictoire, elle ne l'est pas au point de justifier qu'il soit retenu que ses plaintes ne sont pas valables ; il faut au contraire retenir qu'elle a choisi de les maintenir, souhaitant voir celui qui est à ses yeux l'auteur principal des faits être puni, s'accommodant ainsi de la poursuite de l'appelante.

Dans ces circonstances, la poursuite pénale est fondée sur des plaintes pénales valables et il n'y a aucun motif de classer la procédure.

3. 3.1. Se rend coupable d'injure celui qui aura, par la parole, l'écriture, l'image, le geste ou par des voies de fait, attaqué autrui dans son honneur (art. 177 al. 1 CP). Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon le sens qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 133 IV 308 consid. 8.5.1 p. 312 ; 119 IV 44 consid. 2a p. 47 ; 117 IV 27 consid. 2c p. 29-30 et les arrêts cités). S'agissant d'un texte, il doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3 p. 315 s. ; 128 IV 53 consid. 1a p. 58 et les arrêts cités).

Alors que la diffamation (art. 173 CP) ou la calomnie (art. 174 CP) supposent une allégation de fait, un jugement de valeur, adressé à des tiers ou à la victime, peut constituer une injure au sens de l'art. 177 CP. La notion de jugement de valeur doit être comprise dans un sens large ; il s'agit d'une manifestation directe de mésestime ou de mépris, au moyen de mots blessants, de gestes ou de voies de fait. L'honneur protégé correspond alors à un droit au respect formel, ce qui conduit à la répression des injures dites formelles, tels une expression outrageante, des termes de mépris ou des invectives (ATF 128 IV 53 consid. I/A/1/f/aa, p. 61 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_794/2007 du 14 avril 2008 consid. 3.1 et 6B_811/2007 du 25 février 2008 consid. 4.2). La marque de mépris doit revêtir une certaine gravité, excédant ce qui est acceptable (arrêts du Tribunal fédéral 6B_229/2016 du 8 juin 2016 consid. 2.1.2 ; 6B_557/2013 du 12 septembre 2013 consid. 1.1 et les références, in SJ 2014 I 293).

3.2. L'art. 179ter CP prévoit que celui qui, sans le consentement des autres interlocuteurs, aura enregistré sur un porteur de son une conversation non publique à laquelle il prenait part, celui qui aura conservé un enregistrement qu'il savait ou devait présumer avoir été réalisé au moyen d'une infraction visée à l'al. 1, ou en aura tiré profit, ou l'aura rendu accessible à un tiers, sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire.

Pour déterminer si une conversation est "non publique" au sens des art. 179bis et 179ter CP, il faut examiner, au regard de l'ensemble des circonstances, dans quelle mesure elle pouvait et devait être entendue par des tiers. La conversation n'est pas publique lorsque ses participants s'entretiennent dans l'attente légitime que leurs propos ne soient pas accessibles à tout un chacun. La nature de la conversation peut constituer un indice à cet égard, mais n'est pas seule décisive. Cette solution permet ainsi de protéger l'individu contre la diffusion de ses propos en-dehors du cercle des personnes avec lequel il a choisi de partager ses opinions, peu importe en quelle qualité il s'est exprimé (ATF 146 IV 126 consid. 3.6).

3.3. Aux termes de l'art. 21 CP, quiconque ne sait ni ne peut savoir au moment d'agir que son comportement est illicite n'agit pas de manière coupable. Le juge atténue la peine si l'erreur était évitable.

L'erreur sur l'illicéité vise le cas où l'auteur agit en ayant connaissance de tous les éléments constitutifs de l'infraction, et donc avec intention, mais en croyant par erreur agir de façon licite. La réglementation relative à l'erreur sur l'illicéité repose sur l'idée que le justiciable doit faire tout son possible pour connaître la loi et que son ignorance ne le protège que dans des cas exceptionnels. Pour exclure l'erreur de droit, il suffit que l'auteur ait eu le sentiment de faire quelque chose de contraire à ce qui se doit ou qu'il eût dû avoir ce sentiment. Toutefois, la possibilité théorique d'apprécier correctement la situation ne suffit pas à exclure l'application de l'art. 21, 1ère phrase, CP. Ce qui est déterminant, c'est de savoir si l'erreur de l'auteur peut lui être reprochée (ATF 141 IV 336 consid. 2.4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_77/2019 du 11 février 2019 consid. 2.1 non publié aux ATF 145 IV 17).

3.4.1. En l'espèce, l'appelante conteste toute implication dans les faits du 7 mars 2022, soutenant avoir ignoré que la conversation était enregistrée. Cela correspond certes à la version qu'elle et son co-accusé ont présentée devant le premier juge ; cette version est toutefois contredite par sa propre déclaration au MP, par la version de son co-prévenu présentée lors de sa première audition à la police et, surtout, par ses propres propos sur l'enregistrement : au moment où la plaignante est informée de l'enregistrement en cours, l'appelante ne manifeste aucune surprise et, comme son co-prévenu, encourage l'intimée à se taire. Cette brève et unique réaction confirme qu'elle savait que la conversation était enregistrée ; on imagine en effet mal pourquoi elle aurait sinon dit à son interlocutrice de se taire. Au surplus, l'écoute de la conversation dans son intégralité permet de comprendre que les deux prévenus poursuivent le même but, soit recueillir les contradictions de la plaignante ; ouï cette conversation, et compte tenu du motif évoqué pour l'enregistrement (à titre de preuve), il ne fait pas de doute que l'appelante savait parfaitement dès le début que l'entretien était enregistré.

L'appelante ne conteste à raison pas la réalisation des autres conditions de l'art. 179ter CP, et notamment le caractère non-public de la conversation à laquelle aucun tiers n'a pris part et qui s'est tenue dans un lieu fermé. Le verdict de culpabilité sera donc confirmé.

3.3.2. L'appelante admet avoir relu la lettre de licenciement accusant la plaignante d'infractions aux art. 322ter, 322quater et 322quinquies CP, document signé par son co-prévenu, mais se prévaut d'une erreur sur l'illicéité. Lors de leur audition au MP et alors que son co-prévenu était assisté d'un avocat, ils ont déclaré avoir rédigé cette lettre ensemble ; l'appelante a refusé de s'exprimer sur la nature des infractions pénales mentionnées dans ce document et n'a notamment pas fait valoir à cette occasion, comme le fait son conseil dans le cadre de l'appel, avoir agi par erreur sur la teneur des infractions reprochées. Les deux prévenus ont modifié leur version lors des débats de première instance, l'appelante rejetant la responsabilité de la rédaction sur son co-prévenu, ce qu'elle maintient en appel, admettant l'avoir "superficiellement relue".

Il ressort de la procédure que les deux prévenus ont manifestement œuvré de concert en lien avec les événements ayant conduit au licenciement (justifié) de la partie plaignante. La Cour retient qu'ils ont, comme initialement déclaré, rédigé en commun la lettre de licenciement, datée du même jour que la conversation enregistrée : sa teneur découle ainsi d'une action commune. Il importe peu à cet égard que seul le co-prévenu ait signé ce document, puisqu'il était comme l'appelante au bénéfice d'une signature individuelle pour l'entreprise.

L'appelante se prévaut d'une erreur sur l'illicéité et, semble-t-il, de l'absence subjective d'atteinte à l'honneur de la plaignante, celle-ci ne pouvant sérieusement s'être sentie atteinte dans son honneur "dès lors qu'elle avait réellement effectué de la concurrence déloyale". Or, les articles expressément mentionnés se trouvent dans le Titre 19 du CP, intitulé "corruption" et dans le chapitre consacré à la corruption d’agents publics suisses ; les deux premières infractions mentionnées comportent également ce mot dans leur intitulé. La citation expresse de ces dispositions ne peut donc découler que d'une recherche spécifique, et non d'une mention accidentelle, vu leur emplacement et leur numérotation dans la loi.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, même pour des laïcs non versés dans la matière juridique, il y a une grande différence qualitative entre les accusations de corruption ainsi portées et les actes de concurrence déloyale retenus par le Tribunal des prud'hommes. De surcroît, il y a un pas que tout citoyen comprend entre une accusation de violation des devoirs d'un employé envers son employeur et des accusations d'infractions pénales passibles de peines sévères : tout travailleur qui fait l'objet d'un licenciement immédiat justifié ne se rend pas pour autant coupable d'une infraction pénale.

Il ressort bien au contraire de la procédure que l'appelante a voulu en toute connaissance de cause accuser son employée de faits graves et a, à dessein, utilisé des termes à connotation pénale qui n'avaient pas lieu d'être et qui portaient atteinte à l'honneur de son employée. Dans ces circonstances, c'est en vain qu'elle se prévaut d'une erreur de droit. Il n'y a donc pas place pour l'application de l'art. 21 CP aux faits de la présente espèce.

Le verdict de culpabilité d'injure devra ainsi également être confirmé.

4. 4.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur, en tenant compte des antécédents et de la situation personnelle de ce dernier ainsi que de l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

4.2. Conformément à l'art. 49 al. 1 CP, si, en raison de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine.

L'art. 49 al. 1 CP impose au juge, dans un premier temps, de fixer la peine pour l'infraction abstraitement - d'après le cadre légal fixé pour chaque infraction à sanctionner - la plus grave, en tenant compte de tous les éléments pertinents, parmi lesquels les circonstances aggravantes ou atténuantes. Dans un second temps, il augmentera cette peine pour sanctionner chacune des autres infractions, en tenant là aussi compte de toutes les circonstances y relatives (ATF 127 IV 101 consid. 2b p. 104 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_688/2014 du 22 décembre 2017 consid. 27.2.1 ; 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 2.1).

4.3. En l'espèce, la faute de l'appelante n'est pas anodine. Elle a organisé, de concert avec son comparse, l'enregistrement d'une conversation, afin de l'utiliser à l'encontre de la plaignante dans le cadre de la résolution de leurs rapports de travail. Elle a de surcroît accusé celle-ci d'infractions pénales dans le cadre de sa lettre de licenciement. Procéder de la sorte était manifestement inutile et disproportionné, puisque les actes de concurrence déloyale retenus par la juridiction civile compétente étaient, à eux seuls, suffisamment graves pour justifier le licenciement envisagé. Les accusations étaient de surcroît inutilement et gratuitement blessantes.

L'appelante a manifestement agi en étant mue par la colère et la déception face au comportement adopté par son employée, et sans doute également sous l'impulsion de son comparse, qui a procédé à l'enregistrement illicite et signé la lettre injurieuse. Sa faute n'en demeure pas moins sérieuse, en sa qualité de principale dirigeante de l'entreprise et d'employeur de l'intimée.

L'appelante n'a pas d'antécédent, facteur neutre sur la peine. Alors qu'elle semble avoir initialement reconnu sa responsabilité, elle s'est ensuite déchargée de celle-ci sur son co-prévenu. Elle ne semble ainsi pas avoir pris la mesure de la gravité de ses actes, préférant les nier.

Sa situation personnelle, sans particularité, n'explique ni n'excuse ses actes.

L'infraction la plus grave, en raison de la peine menace, est celle à l'art. 179ter CP, passible d'une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire. Compte tenu de l'ensemble des éléments, une peine pécuniaire de l'ordre de 30 jours-amende apparaît adéquate pour ces faits.

Compte tenu de l'interdiction de la réformation in pejus (art. 391 al. 2 CPP), cette peine de base ne peut être aggravée ; il est dès lors superflu de fixer une peine pour l'injure.

L'appelante ne conteste au surplus ni le montant du jour-amende ni la durée du délai d'épreuve, qui correspondent au minimum légal et sont conformes aux principes applicables, de sorte qu'ils seront donc confirmés.

5. 5.1. Bien que régi par les art. 122 ss CPP, le procès civil dans le procès pénal demeure soumis à la maxime des débats et à la maxime de disposition (ATF 148 IV 432 consid. 3.2.3).

5.2. L'appelante ne développe pas, au-delà de l'acquittement plaidé, ses conclusions en déboutement de l'intimée de ses conclusions civiles. Cela étant, la plaignante a clairement exposé devant le premier juge ne pas faire valoir de conclusions civiles à l'encontre de l'appelante, nonobstant la teneur contraire de l'écriture de son conseil.

Contrairement à la plainte pénale, l'action civile est divisible et peut parfaitement n'être dirigée que contre certains auteurs, sous réserve d'un appel en cause entre eux (cf. art. 50 CO).

Dans ces circonstances, le premier juge ne pouvait pas, compte tenu de cette limitation des conclusions civiles à l'encontre du seul co-prévenu de l'appelante, condamner celle-ci solidairement à leur paiement. Le jugement entrepris sera réformé sur ce point.

6. L'appelante, qui succombe pour l'essentiel et obtient gain de cause sur un point non développé dans son mémoire d'appel, supportera 90% des frais de la procédure (art. 428 CPP). Le solde sera laissé à la charge de l'État, rien ne justifiant de le mettre à la charge de l'intimée.

Il n'y a pas lieu de revenir sur les frais de la procédure de première instance, dans la mesure où les conclusions civiles n'ont joué aucun rôle sur les frais et dépens engagés. En revanche, seuls 90% de l'émolument complémentaire de jugement de CHF 500.- (moitié de CHF 1'000.-) seront mis à la charge de l'appelante.

7. 7.1. La question de l'indemnisation du prévenu (art. 429 CPP) doit être traitée en relation avec celle des frais (art. 426 CPP). Si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue. En revanche, si l'État supporte les frais de la procédure pénale, le prévenu a en principe droit à une indemnité selon l'art. 429 CPP. La question de l'indemnisation doit être tranchée après celle des frais. Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l'indemnisation (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 ; 137 IV 352 consid. 2.4.2). Lorsque la condamnation aux frais n'est que partielle, la réduction de l'indemnité devrait s'opérer dans la même mesure (ATF 145 IV 94 consid. 2.3.2).

La Cour de justice applique au chef d'étude un tarif horaire de CHF 450.- (arrêt du Tribunal fédéral 2C_725/2010 du 31 octobre 2011 = SJ 2012 I 172 ; ACPR/279/2014 du 27 mai 2014) ou de CHF 400.- (ACPR/282/2014 du 30 mai 2014), notamment si l'avocat concerné avait lui-même calculé sa prétention à ce taux-là (ACPR/377/2013 du 13 août 2013). Elle retient un taux horaire de CHF 350.- pour les collaborateurs (AARP/65/2017 du 23 février 2017).

7.2. En l'espèce, l'appelante fait valoir des conclusions en indemnisation de CHF 9'000.-, soit un montant supérieur à l'activité totale déployée par son conseil selon ses propres écritures.

L'appelante supporte la quasi-intégralité des frais de la procédure de première instance et 90% des frais de la procédure d'appel. À cela s'ajoute que les huit heures d'activité indiquées par son conseil pour la procédure d'appel apparaissent excessives dans un dossier connu pour avoir déjà été plaidé en première instance. De plus, et surtout, ce n'est pas l'associé, mais le collaborateur qui a assisté l'appelante aux débats de première instance ; seules les initiales de celui-ci apparaissent sur le décompte fourni et c'est celui-ci qui a rédigé le mémoire d'appel (même si son nom n'apparaît pas, l'écriture étant signée "Excusant, AL [initiales]") ; l'indemnité allouée doit dès lors l'être au tarif collaborateur, quand bien même un tarif d'associé a été facturé. Enfin, au-delà des conclusions de son mémoire d'appel, ce conseil ne consacre aucune ligne au seul point sur lequel l'appelante a obtenu gain de cause.

Dans ces circonstances, l'activité de l'avocat n'a pour ainsi dire pas porté sur le seul point annulé du jugement de première instance. Dès lors, une indemnité fixée ex aequo et bono à CHF 200.- sera allouée à l'appelante, uniquement pour ses frais de défense en appel.

Au vu des conclusions prises par la partie plaignante, il n'y a pas lieu de mettre cette indemnité à sa charge.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/829/2024 rendu le 28 juin 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/6283/2022.

L'admet très partiellement.

Annule ce jugement en ce qui la concerne.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable d'injure (art. 177 al. 1 CP) et d'enregistrement non autorisé de conversations (art. 179ter al. 1 CP).

Acquitte A______ de diffamation (art. 173 ch. 1 CP).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 30 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 30.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à deux ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que si elle devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Constate que C______ n'a pas pris de conclusions civiles à l'encontre de A______ et dit que le montant de CHF 500.- qui lui a été alloué par le Tribunal de police au titre de réparation du tort moral n'est pas dû solidairement par A______.

Alloue à A______ CHF 200.- au titre de juste indemnité pour les frais occasionnés par la procédure d'appel (art. 429 CPP) et la déboute pour le surplus de ses conclusions en indemnisation.

Condamne A______ au paiement de CHF 970.50, correspondant à la moitié des frais de la procédure de première instance et à 90% de l'émolument complémentaire de jugement (art. 426 al. 1 CPP).

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'275.-, comprenant un émolument de jugement de CHF 1'000.-.

Met 90% de ces frais, soit CHF 1'147.50 à la charge de A______ et laisse le solde de ces frais à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Isabelle MERE

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète
(art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

2'041.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

200.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'275.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'316.00