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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/6282/2021

AARP/139/2024 du 17.04.2024 sur JTDP/1131/2023 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : ABUS DE LA DÉTRESSE
Normes : CP.193
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6282/2021 AARP/139/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 17 avril 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me B______, avocate,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1131/2023 rendu le 4 septembre 2023 par le Tribunal de police,

 

et

 

C______, partie plaignante, comparant par Me D______, avocate,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 4 septembre 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable d'abus de la détresse (art. 193 du Code pénal suisse [CP]) et condamné à une peine privative de liberté de huit mois, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans), ainsi qu'à payer à C______ CHF 2'000.- au titre d'indemnité pour tort moral. Les frais de la procédure ont été mis à sa charge.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement.

b. Selon l'acte d'accusation du 27 mars 2023, il est reproché à A______, assistant socio-éducatif au sein de la Fondation E______ (ci-après : la Fondation), d'avoir incité C______, suivie par la Fondation pour plusieurs troubles psychiques, à nouer une relation intime avec lui. Dans ce contexte, il l'a déterminée à entretenir des rapports sexuels, entre décembre 2018 et début juillet 2020, à raison de deux à trois fois par semaine, soit des pénétrations, vaginales la plupart du temps, mais également anale à une reprise, ainsi que d'autres actes d'ordre sexuel (fellations, cunnilingus). Du fait de sa position d'assistant socio-éducatif, il a profité de l'état de vulnérabilité et de détresse émotionnelle, ainsi que du lien de dépendance, dans lequel C______ se trouvait et qui réduisait sa liberté de décision. De la sorte, elle était incapable de s'opposer à lui et son consentement était altéré. Le lien de confiance avec A______ était fort et ce dernier lui faisait croire que de tels actes étaient normaux, alors qu'il avait parfaitement connaissance des troubles dont elle souffrait.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure.

a.a. C______ est née en 1998 en Érythrée. Elle est arrivée à Genève en décembre 2007. Elle a intégré la Fondation en novembre 2017 et disposait d'une chambre au sein de l'un de ses foyers (ci-après : le foyer).

La Fondation prend en charge des personnes souffrant de troubles psychiques, notamment en leur offrant un lieu de vie, ainsi que des logements, avec un accompagnement socio-éducatif. Au sein du foyer, un référent, soit un assistant socio-éducatif, est attribué à chaque résident. Les référents ont un rôle d'accompagnement. Ils ont des entretiens réguliers avec les résidents qui leur sont assignés et participent aux réseaux en place avec les curateurs, psychologues et médecins. La référente de C______ était F______ depuis son arrivée jusqu'en janvier 2021. Au quotidien, les assistants socio-éducatifs sont amenés à prendre en charge tous les résidents.

Depuis son adolescence, C______ a tenté à plusieurs reprises de se suicider, dont la dernière fois alors qu'elle séjournait déjà dans le foyer de la Fondation, en juin 2018. Les troubles dont la jeune femme souffrait pendant la période pénale seront discutés infra sous consid. B.f.

Elle a été sous curatelle de représentation et de gestion de 2016 à 2020.

a.b. A______ est né en 1977. Après l'école de culture générale, il a obtenu, en 2005, un CFC d'assistant socio-éducatif. Il a travaillé en cette qualité au sein de la Fondation entre 2012 et juillet 2020, date à laquelle il a été licencié suite aux faits à l'origine de la présente procédure. Auparavant, il était employé par la Fondation G______ (2002 à 2009). A______ est père de trois enfants, nés en 2005, 2006 et 2013.

Il avait accès et connaissance du dossier médical et administratif de C______.

Dans sa fonction d'assistant socio-éducatif, A______ a été décrit par C______ comme un homme intelligent, à l'écoute et s'occupant des résidents de manière moins formelle que les autres assistants socio-éducatifs. Il avait une manière de parler qui mettait en confiance. Il était très apprécié par les résidents et le personnel. A______ était l'éducateur le plus proche de tous les résidents. "Il était plus cool et moins rigide […]. On pouvait parler de plus de choses, notamment de la sexualité. Il parlait comme un jeune" (PV MP du 18 novembre 2021, pièce C 2).

F______ a dépeint A______ comme un "très bon professionnel", doté de charisme et d'énergie, se livrant à des analyses intéressantes sur les résidents (PV police du 26 janvier 2021, pièce B 22).

b. Relations avant le premier acte d'ordre sexuel

b.a. C______ s'est décrite comme renfermée et sur la défensive à son arrivée à la Fondation. Avec A______, elle avait réussi à créer un lien de confiance, lequel avait mis plusieurs mois à s'établir. Durant l'année qui avait suivi leur rencontre, elle s'était ouverte à lui, en lui parlant de sa vie, de ses peurs, du fait qu'elle était vierge, qu'elle ne faisait pas confiance aux hommes ni aux humains de manière générale et de sa santé, en particulier de son suivi psychologique pour, notamment, des troubles bipolaires avec des traits borderline (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1). Sans être son référent, il avait fait beaucoup de démarches pour elle et l'aidait dans ses tâches administratives. Il savait davantage de choses sur elle que sa propre référente. Elle le sollicitait "tout le temps" (PV MP du 18 novembre 2021, pièce C 2). A______ était "comme [s]on psy. Il connaissait toute [s]a vie. Il [lui] avait expliqué qu'il avait lu un livre sur le borderline et qu'il voulait [la] comprendre. Il connaissait plus qu'[elle]-même le déroulement de [s]es crises et comment cela allait se passer" (PV MP du 13 juillet 2022, pièce C 33).

A______ s'était également confié à elle, en lui disant qu'il était marié avec trois enfants. Il lui avait parlé des "histoires de fesses" qu'il avait eues par le passé. Fin novembre-début décembre 2018, A______ lui avait dit que son épouse et lui faisaient chambre à part (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1).

b.b. Lors de son audition par la police, A______ a expliqué avoir su que C______ avait eu une "histoire de vie très compliquée, notamment avec sa famille". Elle avait de la peine à gérer ses émotions et était borderline. Ils s'entendaient bien, parlaient beaucoup, notamment de lecture, musique et films, et avaient plusieurs points en commun (PV police du 11 mars 2021, pièce B 9). Ils s'étaient "petit à petit rapprochés". Quand elle avait besoin de quelque chose, elle le sollicitait plutôt que les autres professionnels. Des collègues l'avaient relevé en riant, ce qui l'avait mis mal à l'aise. Une proximité s'était ensuite développée entre eux.

Les nouveaux résidents faisaient l'objet d'une présentation aux professionnels du foyer et un texte factuel était inscrit dans le système informatique "sur la personne et les conditions de son arrivée". Le dossier de C______ contenait l'inscription "bipolaire ou borderline" (PV MP du 16 février 2022, pièce C 17).

Après leur premier baiser, ils avaient lu ensemble des articles sur les troubles bipolaires et borderline, ce qui lui avait permis de faire la différence entre ces deux pathologies (PV MP du 13 juillet 2022, pièce C 33).

c. Premier acte d'ordre sexuel

c.a. C______ a expliqué qu'un soir, alors qu'elle se trouvait seule dans le salon du foyer, A______ était venu la voir pour discuter. Il lui avait dit qu'il avait envie de l'embrasser. Elle s'était alors approchée de lui, puis ils avaient échangé un baiser sur la bouche. Cela s'était fait naturellement (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1). Elle l'avait fait car elle le portait dans son cœur, "pas comme un amoureux, mais parce qu'il [l']avait beaucoup aidée". Elle avait une très bonne image de lui et l'idéalisait comme un homme parfait (PV MP du 18 novembre 2021, pièce C 2).

Cela l'avait mise dans "tous [s]es états", elle était "choquée", "anxieuse", avait des "palpitations". Elle lui avait expliqué qu'elle avait besoin de "digérer" ce qu'il venait de se passer (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1).

Le lendemain soir, alors qu'il lui avait apporté des petites attentions, elle lui avait indiqué qu'elle ne souhaitait pas continuer cette relation et que ce n'était pas un jeu pour elle (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1).

c.b. A______ a expliqué lui avoir déclaré ce soir-là que cela "faisait un petit moment qu'[il] rêvai[t] de l'embrasser, après lui avoir dit qu'elle [lui] plaisait". C______ s'était alors approchée de lui. Il n'y avait pas eu de discussion le soir du premier baiser et ils étaient les deux gênés que cela soit arrivé (PV MP du 16 février 2022, pièce C 17).

d. Premier rapport sexuel et début d'une relation

d.a. C______ a indiqué qu'environ une semaine plus tard, A______ avait commencé à lui écrire régulièrement des messages. Puis, lors d'une soirée en lien avec la Fondation, il lui avait téléphoné pour lui dire qu'elle était une personne qui l'avait beaucoup touché et qu'il se sentait bien avec elle. Il lui avait proposé de lui envoyer un taxi pour qu'elle vienne le retrouver. Elle avait refusé, "car la situation [l]'angoissait" (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1).

Elle avait ensuite réfléchi et s'était dit que A______ était peut-être sincère dans sa démarche. Il pouvait être l'homme avec lequel elle souhaitait perdre sa virginité. (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1). Elle ressentait le fait d'être vierge comme un poids par rapport à ses amies (PV MP du 18 novembre 2021, pièce C 2).

Le 9 décembre 2018, A______ l'avait rejointe alors qu'elle était en discothèque avec une amie. Il lui avait proposé de passer la nuit à l'hôtel H______. Ils avaient eu une relation sexuelle complète. Elle avait eu mal et n'avait pas été à l'aise, mais il n'y avait pas eu de contrainte. Le lendemain, ils avaient eu un second rapport sexuel consenti (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1).

Suite à cela, ils avaient continué à se fréquenter durant plusieurs mois et avaient entretenu, en moyenne, deux à trois relations sexuelles par semaine dans le bureau de la Fondation. Il s'agissait de relations sexuelles "classiques" et de fellations à la demande de A______ ou spontanément. Il n'y avait jamais eu de contrainte, mais il n'avait pas respecté certains "non". Comme elle était "amoureuse", "[elle] se laissai[t] faire". "C'était [s]on devoir". "Elle ne prenait pas de plaisir et il le savait. Il était gentil. Il essayait de [lui] donner du plaisir. Il [lui avait] acheté un vibreur" à cet effet. Quelques mois après le début de leur relation, il lui avait dit qu'il aimait bien la sodomie. Il avait alors "constamment essayé" et y était parvenu à une ou deux reprises (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1 ; PV MP du 18 novembre 2021, pièce C 2).

Plus les semaines avançaient, plus il lui disait qu'il était en train de se séparer de son épouse. Il lui faisait comprendre qu'il voulait entamer une histoire d'amour avec elle (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1). Elle estimait qu'ils avaient formé un couple pendant environ trois à cinq mois. Ils étaient alors sortis quelques fois, puis plus du tout.

En avril 2019 (elle a ensuite parlé de mi-mai 2019), elle avait voulu mettre un terme à leur relation. Elle avait menacé de dénoncer le prévenu à son employeur s'il ne quittait pas la Fondation, mais n'en avait jamais eu la force. Il lui avait dit qu'il l'aimait et qu'il voulait qu'elle soit sa maîtresse. Au début, elle avait tenté de passer à autre chose, mais sans succès. Elle lui avait demandé de la laisser tranquille, de la quitter et même de démissionner. Chaque fois qu'il revenait, elle ne parvenait pas à garder ses distances et à mettre un terme définitif à cette relation. "Il était tendre avec [elle]. Il [avait] toujours été très gentil […] et très diplomate, adhér[ant] à sa souffrance émotionnelle". Elle était "accro". "Il était toujours là. [Elle] ne pouvait pas prendre du recul". "Il revenait à la charge". Elle "savai[t] qu'[elle] étai[t] son passe-temps". Leur dernier rapport sexuel datait de mi-juin 2020 (lui parle de fin décembre 2019 ou janvier 2020). Elle avait exprimé à A______ que leur relation la faisait souffrir et qu'elle souhaitait tourner la page au moins une vingtaine de fois. "Il était très diplomate et très à l'écoute". Elle avait "l'impression qu'il était impassible et du coup c'est [elle] qui allai[t] [s']excuser de lui faire vivre cette relation car [elle] estimai[t] que c'était lui la victime" (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1 ; PV MP du 18 novembre 2021, pièce C 2 ; PV MP du 13 juillet 2022, pièce C 33).

Début juillet 2020, elle avait reçu un appel de l'épouse de A______, laquelle avait découvert des messages téléphoniques. Cela avait mis un terme à leur relation. Elle avait alors raconté son histoire à F______, ainsi qu'à la directrice des hébergements de la Fondation, en précisant qu'il s'agissait d'une relation consentie, qu'il ne l'avait jamais maltraitée, mais qu'il avait eu une grande emprise sur elle. Elle ne lui en voulait pas, mais souhaitait qu'il arrête de travailler avec des personnes vulnérables. Selon elle, elle n'était ni la première, ni la dernière. C______ a expliqué que lorsqu'elle s'était ouverte auprès de sa référente, consciente de ce que A______ allait perdre son travail, elle lui avait demandé qu'il ne soit pas "sanctionné" dans son certificat de travail. Elle n'avait pas donné beaucoup de détails sur la relation, étant "dans la culpabilité de l'avoir dénoncé" (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1 ; PV MP du 18 novembre 2021, pièce C 2 ; PV MP du 13 juillet 2022, pièce C 33).

A posteriori, elle estimait qu'elle n'aurait pas accepté cette relation si elle n'avait pas eu ses troubles psychiatriques, car elle aurait immédiatement remarqué à quoi il jouait. Il ne lui avait jamais dit que cela n'était pas professionnel d'entretenir une relation avec elle, mais lui avait demandé de ne rien dire, "car il risquait d'être pénalisé et d'avoir un mauvais certificat de travail" (plainte pénale du 3 décembre 2020, pièce A 1).

d.b. A______ a déclaré qu'en décembre 2018, après que la plaignante lui ait dit qu'elle ne voulait pas que le baiser se reproduise, il lui avait téléphoné puis avait commencé à lui envoyer des "messages tendres. Peut-être sentimentaux" (PV MP du 16 février 2022, pièce C 17).

La première fois avait eu lieu à l'hôtel, en décembre 2018, après qu'elle l'ait invité à la rejoindre en discothèque. L'hôtel était son idée à lui. Au cours de cette nuit, ils avaient eu deux rapports complets. Il avait entretenu une relation amoureuse avec C______ pendant un à deux mois. Ils fonctionnaient comme un couple, sortaient parfois ensemble, mais étaient restés discrets et ne l'avaient pas communiqué au sein de la Fondation (PV police du 11 mars 2021, pièce B 9). Ils avaient eu des relations sexuelles à chaque fois qu'il travaillait de nuit à la Fondation, soit deux à trois fois par semaine. Puis, il y avait eu des tensions et, s'ils se voyaient toujours à la même fréquence, il n'y avait pas systématiquement un acte sexuel (PV MP du 16 février 2022, pièce C 17). Les relations sexuelles avaient cessé plusieurs mois avant la fin de leur relation, soit probablement en hiver 2020 (PV première instance).

Lors de la première séparation, elle avait invoqué son refus de prendre un appartement avec elle. Par la suite, elle était revenue vers lui et lui avait proposé une relation "amis-câlins". Il avait alors pris conscience de l'erreur qu'il avait faite "professionnellement parlant". Suite à cela, il y avait eu de nombreux rapprochements puis ruptures entre eux en 2019 et 2020 (PV police du 11 mars 2021, pièce B 9).

C______ "jouait avec [s]es peurs" disant qu'elle allait tout révéler à sa femme et à la Fondation. Il avait voulu couper tout contact avec elle, mais il n'avait pas osé de crainte qu'elle le dénonce et de perdre alors son travail et ses enfants. "Juste avant le Covid", il avait demandé à être déplacé dans un autre foyer. Elle lui avait rétorqué qu'elle préférait qu'il reste près d'elle, même s'ils n'étaient plus en couple. Il "ne savai[t] plus quoi penser". Cela ne s'était finalement pas fait (PV police du 11 mars 2021, pièce B 9). Devant le MP, il a nuancé ce dernier propos indiquant qu'elle lui avait aussi demandé de quitter la Fondation (PV MP du 13 juillet 2022, pièce C 33). "Par moment, [il] étai[t] son ami et à d'autres moment, [il] étai[t] un enfoiré qu'elle allait dénoncer […]. Cela a duré un an comme ça" (PV police du 11 mars 2021, pièce B 9). Elle décidait seule s'ils étaient ensemble ou si elle le quittait, s'ils s'embrassaient, s'ils entretenaient des rapports sexuels, si elle lui parlait ou non. "Elle décidait tout. [Il] avai[t] peur qu'[elle] le dénonce. C'est par lâcheté". C______ lui avait bien dit souffrir de cette relation, "du fait qu'[ils] n'étai[ent] pas tout à fait ensemble". Selon lui, leur relation était "symétrique". Il avait eu un coup de foudre, mais comprenait que cela soit "désagréable pour elle" compte tenu du fait qu'il était marié et père (PV MP du 13 juillet 2022, pièce C 33). Il n'avait jamais envisagé de former un couple sur le long terme ou de quitter sa famille. Cela était très clair dans ses propos (PV MP du 16 février 2022, pièce C 17).

Il "savai[t] que ce n'était pas éthique, mais [il] ne savai[t] pas que ça pourrait éventuellement être un délit pénal". Il n'avait pas profité d'elle ni ne l'avait forcée "à coucher avec [lui]" (PV police du 11 mars 2021, pièce B 9).

e. F______ a expliqué que, le 3 juillet 2020, C______ avait demandé à lui parler, disant que "c'était maintenant ou plus jamais". Elle lui avait expliqué avoir entretenu une relation avec A______ depuis décembre 2018, de manière très régulière jusqu'en juin 2019, puis avec des coupures. Elle avait voulu le quitter mais c'était difficile. L'élément déclencheur de la rupture avait été un téléphone de l'épouse de A______ qui l'avait confrontée après la découverte de messages échangés entre A______ et elle (PV police du 26 janvier 2021, pièce B 22).

C______ lui avait déclaré avoir perdu sa virginité avec le prévenu. Les relations sexuelles se passaient dans le bureau de la Fondation.

Elle avait "senti" que C______ était influencée par A______ pour qu'elle lui donne du plaisir, même quand elle lui indiquait qu'elle n'en avait pas envie. Selon elle, "le sexe n'était pas [la] grande passion [de C______]. Elle avait besoin d'être dans les bras de quelqu'un et d'avoir confiance". "Elle était amoureuse de lui" (PV police du 26 janvier 2021, pièce B 22).

Ses collègues étaient informés des troubles dont souffrait C______ puisque tous avaient accès à son dossier et que les situations des résidents étaient discutées entre eux "très régulièrement". Des colloques étaient organisés tous les 15 jours et leur travail consistait principalement à observer les résidents (PV MP du 18 janvier 2023, pièce C 46).

f. Situation médicale

f.a. C______ a expliqué avoir été diagnostiquée bipolaire à l'âge de 17 ans. Le diagnostic avait ensuite "passablement évolué. Les médecins de l'unité psychiatrique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) avaient évalué un trouble de la personnalité limite en 2018. Puis, un trouble du stress post-traumatique avait également été discuté avec sa psychiatre.

f.b. La Dre I______, psychiatre en charge de son suivi depuis le 1er juillet 2020, a déclaré, à propos de la "position de vulnérabilité" de sa patiente, que celle-ci était extrêmement méfiante et avait beaucoup de difficulté à créer un lien de confiance. Sa capacité de discernement en matière sexuelle était altérée "en ce sens que le fait de se trouver dans une relation de confiance l'amenait à avoir plus de difficultés à pouvoir mettre des limites et pouvoir se déterminer dans une relation affective et de confiance que par rapport à quelqu'un qui n'aurait pas de telles difficultés". C______ cherchait davantage un soutien affectif que de la sexualité. La psychiatre n'avait pas senti de velléités de vengeance de la part de la jeune femme, mais des sentiments de trahison, de douleur et de pensées obsessionnelles (PV MP du 18 janvier 2023, pièce C 46).

f.c. Selon le Dr J______, psychiatre de C______ de décembre 2019 à juin 2020, la jeune femme avait entamé un suivi avec lui pour traiter des troubles de déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH). Le TDAH dont elle souffrait n'avait pas pu altérer sa capacité de discernement pour se déterminer en toute connaissance de cause au moment de s'adonner à des actes d'ordre sexuel (PV MP du 20 mars 2023, pièce C 277).

f.d. Le Dr K______, médecin ______ [statut] au sein du service de spécialités psychiatriques des HUG, lequel avait suivi la jeune femme de début 2020 à 2021 en raison d'un trouble de la personnalité borderline, a exposé que ce trouble impliquait une altération de la personnalité, par laquelle la patiente avait tendance à idéaliser l'autre. Il pouvait arriver que la personne souffrant d'un tel trouble investisse la relation sexuelle dans le but de se rassurer sur le plan affectif. Cela pouvait aussi l'amener à accepter certaines pratiques sexuelles qu'elle n'accepterait pas si elle était sécurisée. "Sa capacité de discernement [pouvait] être altérée dans un contexte d'insécurité affective" (PV MP du 20 mars 2023, pièce C 277).

f.e. Les pièces suivantes ont été versées à la procédure par C______ :

-        une attestation médicale du 19 novembre 2020 de la Dre I______, selon laquelle elle présentait une modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe et une phobie sociale. À la fin du cycle d'orientation, elle n'avait pas pu s'inscrire dans une formation professionnelle en raison de l'intensité de ses angoisses. Elle avait alors été engagée à 50% par le restaurant de la Fondation. Elle se trouvait dans une position de vulnérabilité quant aux relations sociales et affectives et avait des difficultés à définir des repères relationnels et à mettre des limites lorsqu'elle se sentait dans une relation de confiance. La fin de la relation avec A______ et la "découverte de l'asymétrie relationnelle dans laquelle elle se trouvait avec cet éducateur [avait] eu un fort retentissement affectif" chez elle ;

-        une attestation médicale du 1er décembre 2020 du Dr K______, selon laquelle elle avait été suivie dans son unité entre juillet 2018 et novembre 2019 (il sera relevé qu'entendu devant le MP, le médecin a indiqué avoir suivi la jeune femme de début 2020 à 2021) en raison d'un trouble de la personnalité borderline. Elle était une personne fragile, vivant les vulnérabilités émotionnelles caractéristiques de son trouble, spécifiquement la tendance à l'idéalisation de l'autre.

g. Des captures d'écran de messages échangés entre A______ et la plaignante figurent au dossier, notamment :

-        3 juin 2019 : A______ écrit des messages érotiques à C______ ;

-        15 juillet 2019 : C______ envoie à A______, "tu ma vraiment brisé le cœur". Il répond "je suis désolé. Tu sais que ce n'est pas mon but. Je t'aime [cœur] pour moi je ressens toujours les mêmes sentiments pour toi" ;

-        28 janvier 2020 : A______ écrit à C______, "tu me manque trop. J'ai trop envie de te serrer dans mes [sic] et te câliner" ;

-        9 mars 2020 : A______ envoie à C______, "tu me fais un massage stp". Le lendemain, elle écrit "j'ai laissé mon huile de coco ds le bureau" ;

-        4 avril 2020 : A______ écrit à C______, des émoticônes clin d'œil avec un cœur et un couple avec un cœur. Elle répond "bonne matinée doudou" ;

-        entre le 4 et le 13 avril 2020 : A______ envoie à C______, "tu as bien bougé et c'est toi qui m'excite. J'ai envie de toi", "de plus tu as mis la petite tenu que j'aime", "je t'aime". Elle répond "moi aussi je t'aime" ;

-        9 juin 2020 : A______ écrit à C______, "gros bisous ma chérie d'amour ma princesse je t'embrasse fort", "love you". Elle répond "trop chou, trop de tendresse dans ton message".

h. Le dossier individuel physique et informatique de C______, tenu par la Fondation et accessible à A______, a été versé à la procédure. Y figurent les observations consignées par les professionnels de la Fondation, les compte-rendu d'entretiens, les documents en lien avec les prestations d'hébergement et professionnels et des documents administratifs.

i. Au cours de son engagement au sein de E______, A______ a suivi différentes formations continues, dont une en 2013 abordant la thématique de la psychopathologie pratique (pièce C 298).

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b. Selon son mémoire d'appel et sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions. Il renonce à déposer des conclusions en indemnisation au sens de l'art. 429 CPP.

c.a. Le conseil de C______ n'a pas déposé de mémoire de réponse dans le délai de 20 jours imparti. Dans le nouveau délai fixé suite à sa demande de restitution motivée par l'hospitalisation de son avocate, puis dans sa duplique, C______ conclut à la confirmation du jugement entrepris et au rejet de l'appel.

c.b. L'appelant soulève un incident d'irrecevabilité du mémoire de réponse de la partie plaignante.

d. Le MP conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

e. Les arguments plaidés seront discutés, dans la mesure de leur pertinence, au fil des considérants qui suivent.

D. a. Me B______, défenseure d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 12h30 d'activité de cheffe d'étude, dont 0h35 pour la rédaction de la déclaration d'appel.

b. Me D______, conseil juridique gratuit de C______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 8h00 d'activité de cheffe d'étude, dont 1h30 effectuée en 2023.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1.1. La restitution de délai suppose que la partie ou son mandataire aient été empêchés d'agir sans faute dans le délai fixé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_110/2016 du 27 juillet 2016 consid. 2.2 non publié in ATF 142 IV 286).

Hormis les cas de grossière erreur de l'avocat, en particulier lors d'une défense obligatoire, le comportement fautif de l'avocat est imputable à son client
(ATF 143 I 284 consid. 1.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_673/2015 du 19 octobre 2016 consid. 2.1.2 ; 6B_1074/2015 du 19 novembre 2015 consid. 3.2). Il appartient en effet au mandataire professionnel de s'organiser de telle manière qu'un délai puisse être respecté indépendamment d'un éventuel empêchement de sa part (ATF 119 II 86 consid. 2a). De manière générale, une défaillance dans l'organisation interne de l'avocat (problèmes informatiques, auxiliaire en charge du recours, absence du mandataire principal) ne constitue pas un empêchement non fautif justifiant une restitution du délai (ATF 143 I 284 consid. 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_673/2015 du 19 octobre 2016 consid. 2.1.2).

2.1.2. En l'espèce, il est douteux que les conditions d'une restitution étaient réalisées. L'hospitalisation du conseil de l'intimée ne constitue a priori pas un empêchement non fautif au sens de l'art. 94 CPP, dont les conditions sont très strictes. À tout le moins, une demande de prolongation aurait vraisemblablement pu intervenir avant l'échéance du délai.

Cela étant, de la même manière que la faute grossière de l'avocat ne doit pas prétériter le prévenu dans un cas de défense obligatoire, le droit d'être entendue de la victime doit prévaloir ici, dite jurisprudence devant s'appliquer mutatis mutandis à la victime, d'autant plus atteinte dans ses facultés (cf. infra consid. 3.3.2 sur la fragilité psychologique de la plaignante).

Partant, l'incident d'irrecevabilité du mémoire de réponse de l'intimée est rejeté.

3. 3.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large.

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3 ; ATF 138 V 74 consid. 7).

Les déclarations de la victime constituent un élément de preuve. Le juge doit, dans l'évaluation globale de l'ensemble des éléments probatoires rassemblés au dossier, les apprécier librement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_219/2020 du 4 août 2020 consid. 2.1 et 6B_332/2020 du 9 juin 2020 consid. 3.2). Les cas de "déclarations contre déclarations", dans lesquels les déclarations de la victime en tant que principal élément à charge et les déclarations contradictoires de la personne accusée s'opposent, ne doivent pas nécessairement, sur la base du principe in dubio pro reo, conduire à un acquittement (ATF 137 IV 122 consid. 3.3).

3.2.1. Aux termes de l'art. 193 al. 1 CP, sera puni celui qui, profitant de la détresse où se trouve la victime ou d'un lien de dépendance fondé sur des rapports de travail ou d'un lien de dépendance de toute autre nature, aura déterminé celle-ci à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel.

Cette disposition protège la libre détermination en matière sexuelle. L'infraction suppose que la victime se trouve dans une situation de détresse ou de dépendance par rapport à l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1).

La question de savoir s'il existe un état de détresse ou un lien de dépendance au sens de l'art. 193 CP et si la capacité de la victime de se déterminer était gravement limitée doit être examinée à la lumière des circonstances du cas d'espèce
(ATF 131 IV 114 consid. 1). La situation de détresse ou de dépendance doit être appréciée selon la représentation que s'en font les intéressés (ATF 99 IV 161 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1).

3.2.2. La victime est dépendante au sens de cette disposition lorsque, en raison d'une des circonstances mentionnées par la loi, elle n'est pas libre et qu'elle est par conséquent objectivement, voire même seulement subjectivement, à la merci de l'auteur de l'infraction. Pour qu'il y ait un lien de dépendance, il faut que la liberté de décision soit considérablement limitée. Pour déterminer l'intensité du lien de dépendance, il faut se pencher sur les circonstances du cas particulier. À la base d'un lien de dépendance, il y a, en règle générale, un rapport de confiance particulier et toujours une forte emprise de l'auteur sur la victime (ATF 133 IV 49 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1076/2015 du 13 avril 2016 consid. 2.1). L'existence d'un lien de confiance profond ne suffit pas encore à admettre un lien de dépendance, il faut encore un fort ascendant de l'auteur sur la victime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1313/2021 du 8 août 2022 consid. 4.6.2).

Un lien de dépendance peut découler de toute situation où une personne assume une position de mentor, notamment pour des occupations de temps libre (arrêt du Tribunal fédéral 6S.117/2006 du 9 juin 2006, consid. 3.1 ; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2010, n. 13 ad art. 188 CP et n. 5 ad art. 193 CP).

3.2.3. L'art. 193 CP est réservé aux cas où on discerne un consentement. Il faut que ce consentement apparaisse motivé par la situation de détresse ou de dépendance dans laquelle se trouve sa victime. Il doit exister une certaine entrave au libre arbitre. L'art. 193 CP envisage donc une situation qui se situe entre l'absence de consentement et le libre consentement qui exclut toute infraction. On vise un consentement altéré par une situation de détresse ou de dépendance dont l'auteur profite. Les limites ne sont pas toujours faciles à tracer. L'infraction doit permettre de réprimer celui qui profite de façon éhontée d'une situation de détresse ou de dépendance, dans un cas où la victime n'aurait manifestement pas consenti sans cette situation particulière (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1 ; 6S.117/2006 du 9 juin 2006 consid. 3.1).

3.2.4. Outre l'existence de la détresse ou d'un lien de dépendance, l'art. 193 CP exige que l'auteur de l'infraction, usant de son emprise sur la victime, ait déterminé cette dernière à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel. L'auteur doit avoir utilisé consciemment cette diminution de la capacité de décider ou de se défendre de la victime et la docilité de celle-ci pour l'amener à faire preuve de complaisance en matière sexuelle. L'art. 193 CP présuppose que la personne concernée accepte de commettre ou de subir les actes d'ordre sexuel en question. Si elle est sous l'emprise de l'auteur, cette décision d'accepter ou de refuser les actes d'ordre sexuel n'est pas entièrement libre. Dans ces circonstances, si elle accepte des actes d'ordre sexuel, donne son accord exprès ou apporte sa participation, l'auteur est punissable pénalement lorsque la dépendance de cette personne l'a rendue consentante. Il importe donc de savoir si la personne concernée a accepté l'acte sexuel en raison du lien de dépendance existant ou si elle l'a accepté librement indépendamment de ce lien. Il doit par conséquent exister un lien de causalité entre le lien de dépendance et l'acceptation par la victime d'une relation de nature sexuelle avec l'auteur
(ATF 131 IV 114 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1 ; 6B_1076/2015 du 13 avril 2016 consid. 2.1).

La question de savoir s'il y a eu exploitation d'une dépendance au sens de l'art. 193 CP ne s'analyse pas en fonction du ressenti ultérieur de la personne concernée, ni d'appréciations objectives sur le sens ou les conséquences d'une relation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1313/2021 du 8 août 2022 consid. 4.6.5).

3.2.5. Du point de vue subjectif, il faut que l'acte soit intentionnel, à tout le moins par dol éventuel. L'auteur doit savoir ou tout au moins supposer que la personne concernée n'accepte les actes d'ordre sexuel en question qu'en raison du lien de dépendance existant (ATF 131 IV 114 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1 in fine ; 6B_1076/2015 du 13 avril 2016 consid. 2.1).

3.3.1. Il n'est pas contesté que les parties ont entretenu des actes d'ordre sexuel pendant plusieurs mois, à raison de deux à trois fois par semaine. Toutes deux indiquent également avoir formé un couple, divergeant sur sa durée, pendant un à deux mois (lui), trois à cinq mois (elle).

Il est établi que le prévenu est à l'origine du premier acte d'ordre sexuel intervenu entre les protagonistes. Il a admis avoir exprimé à la plaignante son désir de l'embrasser et son attirance pour elle. Elle s'est approchée et ils ont partagé un premier baiser. Immédiatement après le baiser, elle a expliqué avoir ressenti des émotions contradictoires, de l'anxiété et un certain état de choc. Le lendemain, elle lui a expressément indiqué qu'elle ne souhaitait pas que cela se reproduise. N'en tenant pas compte, le prévenu a commencé à lui envoyer des messages qu'il a lui-même qualifiés de "tendres, peut-être sentimentaux", et à lui téléphoner, la sollicitant sur le plan émotionnel. Début décembre 2018, A______ l'a rejointe dans une discothèque et lui a proposé de partager une chambre dans un hôtel proche à la fin de la soirée. Ils ont alors entretenu leur premier rapport sexuel complet.

Après quelques mois qualifiés de relation de couple par les parties, la situation s'est compliquée. Il ressort des déclarations à la procédure que tous deux ont voulu prendre des chemins différents. La jeune femme aurait souhaité vivre une relation au plein jour, officielle, alors que pour le prévenu, il n'était pas question de mettre en péril sa famille et son travail.

3.3.2. La fragilité psychologique dans laquelle se trouvait l'intimée à son arrivée au foyer et pendant toute la durée de la période pénale est indéniable. Elle souffrait de troubles psychologiques depuis l'adolescence et était, au moment des faits, suivie par les HUG pour un trouble de la personnalité avec des traits borderline. Elle avait intégré un foyer de la Fondation ne parvenant pas à s'assumer seule et ayant besoin d'un cadre et d'un soutien administratif et psychologique. Elle faisait d'ailleurs l'objet d'une curatelle de gestion et de représentation, n'étant pas à même de gérer ses affaires courantes. Elle avait tenté de mettre fin à ses jours à plusieurs reprises, dont la dernière fois au sein du foyer, quelques mois à peine avant le premier baiser.

Avant la sexualisation de leur relation, l'appelant avait pleinement connaissance de l'état de santé de l'intimée. Elle résidait depuis près d'une année dans le foyer et y côtoyait le prévenu presque tous les jours. Ils avaient eu de nombreuses discussions au cours desquelles la jeune femme avait abordé sa santé psychologique. Elle s'était largement confiée à lui, en lui parlant de ses peurs, de son manque de confiance en les autres, de ses troubles, etc. Si lui a davantage placé leurs discussions autour de points communs (musique, film, lecture), aucun élément au dossier n'infirme les propos de l'intimée, d'autant plus que, lors de sa première audition, l'appelant a dépeint l'état psychologique fragile de l'intimée (cf. supra consid. B.b.b). Il avait également connaissance de son dossier médical et administratif, tenu par la Fondation, et auquel il avait accès. Les diagnostics médicaux établis y figuraient. Les assistants socio-éducatifs en étaient informés lors de l'arrivée d'un résident et les discutaient au sein des colloques régulièrement organisés.

3.4.1. L'appelant ne conteste pas qu'un lien fort s'est créé entre eux. La jeune femme le sollicitait pour chercher de l'aide, et non sa référente ou les autres assistants socio-éducatifs. Cela avait d'ailleurs été relevé par ses collègues. Il a laissé cette proximité s'installer et l'a entretenue, s'ouvrant également sur des points de sa vie passée et de ses précédentes relations. Il a parlé à l'intimée des difficultés qu'il rencontrait avec son épouse, allant jusqu'à lui faire part de ce qu'ils ne faisaient plus lit commun. En quelques mois, il a représenté pour l'intimée un repère très important, acquérant une double position auprès d'elle, celle d'assistant socio-éducatif et celle de confident.

Il est partant établi qu'un lien de confiance profond s'est noué entre eux, allant au-delà du lien usuel et professionnel entre un résident et un assistant socio-éducatif du foyer.

3.4.2. Conformément à la jurisprudence, un rapport de confiance profond ne suffit pas pour retenir l'existence d'un lien de dépendance au sens de l'art. 193 CP. Il faut, en plus, une forte emprise de l'auteur sur la victime. Dite emprise ne saurait découler automatiquement de la responsabilité morale et professionnelle qui incombait au prévenu au sein du foyer. Tel n'est d'ailleurs pas le cas en l'espèce.

En effet, de manière générale, les résidents avaient un rapport différent avec l'appelant d'avec les autres assistants et se confiaient davantage à lui ou osaient aborder des thématiques plus intimes, comme la sexualité. Il en allait ainsi pour l'intimée qui s'est largement confiée à lui. Ce nonobstant, l'appelant n'était pas son référent au sein du foyer. Elle n'avait pas de devoir ou d'obligation de se confier à lui et était libre dans ses décisions de se rapprocher de lui.

Certes, les professionnels chargés d'encadrer les résidents d'un foyer ont une responsabilité morale évidente dans la gestion de leurs liens avec eux. Cela étant, à la lecture de la procédure, le lien de confiance entre les parties paraît s'être tissé en raison de la proximité créée par la vie au foyer (repas partagés, soirées, etc.) et des affinités de caractère, et non en lien avec un encadrement ou une assistance spécifique à l'intimée. Il n'apparaît pas que la jeune femme se soit sentie en confiance en raison de l'ascendant de l'appelant, mais plutôt des suites d'une construction de rapport d'égal à égal entre deux adultes. Elle l'a d'ailleurs décrit en ces termes : "il était plus cool et moins rigide […]. On pouvait parler de plus de choses, notamment de la sexualité. Il parlait comme un jeune", étant précisé que rien n'indique que le prévenu aurait délibérément joué un rôle "cool et moins rigide" dans le but d'entretenir des rapports sexuels avec l'intimée.

Partant, la fonction d'assistant socio-éducatif de l'appelant n'a pas créé, en l'espèce, de lien de dépendance ou d'emprise sur la jeune femme.

3.5. L'évolution de la relation, ainsi que sa durée – plus de 18 mois – plaident également pour l'absence d'un lien de dépendance. Les parties ont estimé avoir eu une relation, puis l'intimée a quitté l'appelant à plusieurs reprises. À teneur des déclarations de la jeune femme, elle est revenue vers lui en raison de la gentillesse et de la compréhension émotionnelle qu'il lui témoignait. Aucun élément du dossier ne permet d'établir que le prévenu aurait insisté à ce moment, faisant usage de sa position professionnelle ou du lien de confiance qui les unissait. Les multiples ruptures font plutôt écho à la difficulté, fréquente, due à l'absence de perspectives futures, alors que des sentiments amoureux subsistaient, encore accrue par la proximité créée par le foyer et l'impossibilité de mettre une distance physique entre les parties. Les messages versés à la procédure en témoignent : "je suis désolé. Tu sais que ce n'est pas mon but. Je t'aime [cœur] pour moi je ressens toujours les mêmes sentiments pour toi" (message du prévenu du 15 juillet 2019).

Certes, l'intimée a estimé, a posteriori, avoir été utilisée par le prévenu et qu'il aurait profité de la confiance qu'elle lui portait pour satisfaire ses désirs sexuels. Il apparaît très vraisemblable qu'il a activement entretenu la confusion de la jeune femme et rendu plus difficile une rupture complète, se montrant toujours disponible, affectueux et tendre, présent physiquement et virtuellement (cf. messages envoyés), mais un tel comportement est fréquent dans une relation de couple et ne paraît pas fonder une emprise particulière ou un lien de dépendance au sens de l'art. 193 CP, d'autant plus que les éléments à la procédure plaident pour l'absence de lien entre la fonction d'assistant socio-éducatif et les rapports de confiance qui se sont noués entre les protagonistes.

3.6.1. Les motifs avancés par l'intimée pour expliquer qu'elle a accepté un premier rapport sexuel avec le prévenu, revenant sur son refus initial après leur premier baiser, sont personnels. Elle a déclaré s'être convaincue qu'il s'agissait d'une bonne "opportunité" pour un premier rapport sexuel et, ainsi, de l'occasion de mettre un terme à sa virginité – qu'elle ressentait alors comme un poids – avec une personne en qui elle avait pleinement confiance. Les sollicitations de l'appelant, ainsi que la proximité inévitable au foyer ont certainement joué un rôle dans sa décision, mais elles étaient au second plan.

L'objectif de la partie plaignante de perdre sa virginité ne soutient pas la thèse d'un ascendant du prévenu ou d'une forte emprise qu'il aurait exercé sur la jeune femme pour la déterminer à entretenir des rapports sexuels avec lui.

3.6.2. Les éléments apportés par les professionnels en charge de la santé mentale de la jeune femme ne conduisent pas à une autre conclusion.

Certes, deux des médecins de l'intimée ont considéré que les troubles dont l'intimée souffrait pouvaient altérer sa capacité de discernement en matière sexuelle. Dits troubles avaient en effet comme conséquence une vulnérabilité émotionnelle et l'idéalisation de l'autre, partant un éventuel investissement de la relation sexuelle pour se rassurer. Le troisième, lequel a concentré sa thérapie sur le traitement de son TDAH, a en revanche nié toute altération de sa capacité de discernement due à ce trouble.

Les rapports de confiance réciproques et intimes qui se sont construits entre l'intimée et l'appelant ont certainement rendu la jeune femme plus vulnérable sur les plans émotionnel et sexuel, ce que le prévenu savait. Cela étant, il convient de relever que, dans les circonstances du cas d'espèce, considérer que la jeune femme ne disposait pas de sa capacité de discernement en matière sexuelle, reviendrait indirectement à la priver de sa liberté de décision en la matière et de toute sexualité consentie. Or, si sa fragilité est indéniable, il apparaît qu'elle était pleinement en possession de ses capacités de se déterminer sur ses désirs en matière sexuelle. Cela se confirme déjà par son choix réfléchi de perdre sa virginité avec une personne de confiance (cf. supra consid. 3.6.1).

Aussi, on ne saurait considérer ici que le consentement de l'intimée était vicié.

3.7. Au vu de ce qui précède, il ressort du dossier que les parties se sont éprises l'une de l'autre, malgré leur différence d'âge et dans un contexte où l'un était un travailleur social employé par le foyer dans lequel l'autre était domiciliée pour un suivi administratif en raison d'un état psychologique fragile. Le comportement de l'appelant est loin d'être éthique et conforme à ses obligations professionnelles.

Les éléments au dossier ne permettent néanmoins pas de retenir que l'appelant disposait d'une forte emprise sur l'intimée ou d'un ascendant, dont un lien de dépendance aurait résulté au sens de l'art. 193 CP. Les conditions objectives de l'infraction d'abus de la détresse font ainsi défaut.

Subjectivement, le lien de dépendance n'étant pas démontré, on ne saurait retenir que le prévenu savait ou à tout le moins supposait que l'intimée n'acceptait les actes d'ordre sexuel qu'en raison de celui-ci et que leur liaison était, partant, pénalement répréhensible, quand bien même il avait conscience que son comportement était inadéquat, tant professionnellement qu'éthiquement, puisqu'il a demandé à la jeune femme de taire leur relation et qu'il craignait pour son poste de travail et pour son couple.

Partant, le prévenu sera acquitté d'abus de la détresse au sens de l'art. 193 CP.

4. L'acquittement du prévenu conduit au rejet des conclusions en indemnisation pour tort moral de la partie plaignante.

5. L'appel ayant été admis, les frais relatifs à la procédure préliminaire, de première instance et d'appel seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 1 et 3 CPP).

6. 6.1. L'état de frais produit par Me B______, défenseure d'office de l'appelant, satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale, excepté le temps consacré à la rédaction de la déclaration d'appel, laquelle est comprise dans le forfait (ordonnance de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2014.51 du 21 novembre 2014 consid. 2.1 ; décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2013.165 du 24 janvier 2014 consid. 4.1.3 et BB.2013.127 du 4 décembre 2013 consid. 4.2).

En conclusion, sa rémunération sera arrêtée à CHF 2'823.55 correspondant à 11h55 d'activité au tarif de CHF 200.-/heure (CHF 2'383.35), plus la majoration forfaitaire de 10% (CHF 238.35) et la TVA au taux de 7.7% (CHF 201.85).

6.2. Considéré globalement, l'état de frais déposé par Me D______ est conforme aux exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale.

Partant, sa rémunération sera arrêtée à CHF 1'888.40 correspondant à 8h00 d'activité au tarif de CHF 200.-/heure (CHF 1'600.-), plus la majoration forfaitaire de 10% (CHF 160.-) et la TVA (CHF 128.40, soit 6h30 [CHF 1'300.-] au taux de 8.1% [= CHF 105.30] et 1h30 [CHF 300.-] au taux de 7.7% [= CHF 23.10]).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1131/2023 rendu le 4 septembre 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/6282/2021.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ d'abus de la détresse (art. 193 CP).

Laisse les frais de la procédure préliminaire, de première instance et d'appel à la charge de l'État.

Rejette les conclusions civiles de C______.

Prend acte de ce que le Tribunal de police a arrêté à CHF 11'565.45 l'indemnité de procédure due à Me B______, défenseure d'office de A______, pour ses diligences durant la procédure préliminaire et de première instance, et fixe à CHF 2'823.55, TVA comprise, le montant de son indemnité pour la procédure d'appel.

Prend acte de ce que le Tribunal de police a arrêté à CHF 9'669.65 l'indemnité de procédure due à Me D______, conseil juridique gratuit de C______, pour ses diligences durant la procédure préliminaire et de première instance, et fixe à CHF 1'888.40, TVA comprise, le montant de son indemnité pour la procédure d'appel.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.