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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/19131/2020

AARP/183/2023 du 30.05.2023 sur JTDP/1105/2022 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 30.06.2023, rendu le 26.02.2024, REJETE, 6B_891/2023, 6B_895/2023
Recours TF déposé le 30.06.2023, rendu le 26.02.2024, ADMIS/PARTIEL, 6B_895/2023, 6B_891/2023
Descripteurs : VIOLATION DU SECRET DE FONCTION(DROIT PÉNAL);FIXATION DE LA PEINE;PEINE PÉCUNIAIRE;SURSIS À L'EXÉCUTION DE LA PEINE
Normes : CP.320.al1; CP.47; CP.34; CP.42; CPP.426.al2; CPP.428.al1; CPP.430.al1.letA; CPP.429.al1.letA
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19131/2020 AARP/183/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 22 mai 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1105/2022 rendu le 5 juillet 2022 par le Tribunal de police,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 5 juillet 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de violation du secret de fonction (art. 320 ch. 1 al. 1 du Code pénal [CP]) et l'a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, à CHF 170.- l'unité, avec sursis durant quatre ans, ainsi qu'à une amende de CHF 2'040.- (peine privative de liberté de substitution : 12 jours), tout en renonçant à révoquer le sursis octroyé le 7 décembre 2016 par la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR). Les conclusions en indemnisation de A______ ont, pour le surplus, été rejetées et les frais de la procédure (CHF 2'109.-) ont été mis à sa charge.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement et à l'indemnisation de ses frais de défense, ceux de la procédure devant être mis à la charge de l'État.

b. Selon l'ordonnance pénale du Ministère public (MP) du 5 novembre 2021, les faits suivants sont reprochés à A______ :

Il a, à Genève, les 16 novembre 2018, 31 janvier 2019 et 4 février 2019, transmis, sans droit, par messages à C______, gérant de salons de massages, des informations relatives à des travailleuses du sexe qu'il avait obtenues dans le cadre de ses fonctions de policier à savoir un extrait personnel du fichier "D______" concernant E______ et F______, ainsi que des documents (n.d.l.r. mandats de conduite) de l'Office des poursuites et des faillites (OP) concernant F______, G______ et H______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. Le 14 janvier 2020, l'Inspection générale des services (IGS) a remis au MP un rapport établi suite à une enquête ouverte par ses soins après la découverte, dans le cadre de l'arrestation de C______ par la Brigade financière, que le caporal A______ avait transmis à l'intéressé, gérant de salons de massages à Genève et notamment dans le quartier I______, des extraits de fichiers "D______" et de mandats de conduite émis par l'OP concernant des travailleuses du sexe, par le biais de la messagerie WhatsApp.

L'IGS est parvenue à la conclusion que A______ n'avait pas respecté les directives internes relatives à l'utilisation des téléphones portables et des ressources informationnelles en envoyant les fichiers de police, envois qui n'avaient toutefois engendré l'obtention d'aucun avantage de part et d'autre. Le fichier "D______" était sensible et son accès très limité, dès lors qu'il était uniquement accessible aux membres de la J______, à deux cadres de la police judiciaire, à un informaticien et à l'IGS.

a.b. L'analyse des données extraites du téléphone portable (no 1______) de C______ a notamment révélé les éléments suivants :

- les trois raccordements appartenant à A______, soit les deux professionnels n2______ et no 3______ et le privé no 4______, figuraient sur la liste de contacts du téléphone portable de C______, sous l'indication "Police A______" ;

- en janvier et octobre 2018, A______ avait créé, avec son numéro de téléphone privé (no 4______), deux groupes WhatsApp dans lesquels figuraient comme seul contact C______. Le premier groupe avait été utilisé du 24 janvier 2018 au 18 décembre 2018 et comprenait 16 messages, tandis que le second groupe avait été utilisé du 29 octobre 2018 au 7 février 2019 et comprenait 232 messages ;

- les 9 août, 24 septembre, 12 et 16 novembre 2018, ainsi que les 14 janvier, 31 janvier, 4 février et 7 février 2019, A______ avait adressé plusieurs messages à C______ lui demandant s'il connaissait ou s'il avait vu certaines travailleuses du sexe notamment celles visées dans l'acte d'accusation, mais également d'autres personnes dont il lui a communiqué entre autres le nom et/ou la photographie extraite du fichier "D______". Le précité a notamment répondu à certains de ces messages les 8 octobre 2018, 16 novembre 2018, 14 janvier et 7 février 2019, indiquant notamment qu'il connaissait ou non la personne visée et, dans ce dernier cas, demandant son nom. Il n'a pas apporté de réponse particulière aux envois incriminés des 16 novembre 2018, 31 janvier 2019 et 4 février 2019 ;

- le 16 novembre 2018, à 12h06m23, A______, qui s'était vu confier la tâche d'exécuter un mandat de conduite émis par l'OP relatif à E______, avait en particulier adressé à C______ le message suivant : "C______ Tu connais ?", suivi, à 12h06m31, d'un extrait presque complet du fichier "D______" concernant cette dernière, contenant en particulier son nom, son prénom, sa date et son lieu de naissance, son origine, son adresse (dans son pays d'origine), son alias, de même que, sous l'onglet fiche prostituée, la date de son recensement, ses numéros de téléphone et des informations relatives à son titre de séjour. À 12h06m42, soit 11 secondes plus tard, A______ avait encore envoyé à C______ la photographie agrandie de la précitée extraite dudit fichier ;

- le 31 janvier 2019, entre 19h18m12 et 19h18m49, A______ avait adressé à C______ une photographie de trois mandats de conduite de l'OP, dont l'exécution lui avait été attribuée concernant F______, G______ et H______, documents qui comportaient le nom, le prénom, la date de naissance, les numéros de poursuites, respectivement le numéro de dossier d'huissier, ainsi que les adresses de ces


travailleuses du sexe en Suisse soit : pour F______, chez C______, rue 5______ no. ______, pour G______, chez K______, rue 6______ no. ______, et pour H______, chez L______ SA, rue 5______ no. ______ ;

- le 4 février 2019, à 10h34m02, A______ avait encore adressé à C______ un message concernant F______, dont la teneur était la suivante : "Elle est chez toi", suivi, à 10h34m13, d'une photographie agrandie de cette dernière, extraite du fichier "D______". À 10h34m28, il lui avait envoyé un extrait presque complet de ce fichier concernant la précitée et comportant son nom, son prénom, sa date et son lieu de naissance, son origine, son adresse (dans son pays d'origine) et son alias.

a.c. L'extraction des données des raccordements professionnels et privé de A______ a mis en exergue les éléments suivants :

- le raccordement de C______ (no 1______) apparaissait uniquement sur le téléphone portable personnel de A______ (no 4______), sous l'indication "C______ I______" ;

-A______ utilisait presque exclusivement son téléphone portable privé, y compris dans le cadre de son activité professionnelle, dès lors qu'il y avait fait dévier ses numéros de téléphone professionnels ;

- le précité avait effacé, à une date indéterminée, le contenu des conversations des groupes WhatsApp dans lesquels il échangeait avec C______.

a.d. L'IGS a notamment produit les documents suivants :

- les fichiers "D______" relatifs à E______, F______, G______ et H______ ;

- le bulletin d'information de la police n° 113 du 23 novembre 2015, mentionnant que "Tout échange d'informations de nature professionnelle via des applications de messagerie instantanée (WhatsApp, Viber, Skype, etc.) est formellement interdit" ;

- le bulletin d'information de la police n° 262 du 7 novembre 2018, rappelant l'interdiction d'utiliser des messageries instantanées à des fins professionnelles, autre que M______, et expliquant qu'une utilisation de WhatsApp par un membre de la police apparue au cours d'une enquête pouvait conduire à une procédure disciplinaire de même qu'à la constatation d'une violation du secret de fonction, notamment si une personne extérieure à la police ou non autorisée avait reçu des informations estampillées police de la part d'un membre de la police ;

- la directive de service n° DS OSI.01.04 (entrée en vigueur le 15 octobre 2008 et mise à jour le 2 août 2017) destinée à l'ensemble des services de police et régissant les types d'usage que le collaborateur est autorisé à faire des ressources informationnelles de la police.

Le point 2.5 mentionne que "les ressources informationnelles métier (N______, O______, RIPOL, etc.) sont exclusivement réservées à l'exécution des tâches métiers. Elles ne doivent être accédées que pour accomplir des tâches précises confiées au collaborateur par sa hiérarchie ou lui échéant de par son cahier des charges. Chaque accès à une ressource métier doit disposer d'une finalité métier bien précise. Aucun usage à titre privé des ressources informationnelles métier n'est toléré".

Le point 2.6. indique (sic) qu'"en dehors du cadre professionnel, sous réserve des exceptions prévues, le collaborateur ne doit ni évoquer, ni communiquer les informations dont il n'a pu avoir accès que dans le cadre de l'exercice de sa fonction, sous peine de violer le secret de fonction. [ ] Lorsque le collaborateur travaille sur des informations ou des documents de la police en dehors des locaux de la police (activité nomade), il ne doit utiliser que les moyens d'accès à distance (Accès distant, OWA, etc.) mis à sa disposition par la police (DGSI). Sauf autorisation expresse, aucun moyen ou matériel privé ne doit être utilisé pour traiter des informations estampillées police".

b. L'OP a produit les documents en lien avec les poursuites concernant F______, G______ et H______, dont il ressort notamment ce qui suit :

- s'agissant des poursuites n° 7______ et 8______, les réquisitions de poursuites, les commandements de payer et les sommations avaient été adressés à F______, domiciliée c/o C______, rue 5______ no. ______, [code postal] Genève. La précitée n'ayant pas donné suite aux convocations de l'OP, un mandat de conduite avait été délivré contre elle le 21 janvier 2019, selon la même adresse c/o C______ ;

- s'agissant des poursuites n° 9______ et 10_____, les réquisitions de poursuites, les commandements de payer, les sommations, les avis de saisie, les réquisitions de continuer la poursuite, les procès-verbaux de saisie, les actes de défaut de biens avaient été adressés à G______ domiciliée c/o K______, rue 6______ no. ______, [code postal] Genève. G______ n'ayant pas donné suite aux convocations de l'OP, tant lors de la procédure de poursuites que de saisie, deux mandats de conduite avaient été délivrés les 21 janvier et 13 juin 2019 ;

- s'agissant de la poursuite n° 11_____, la réquisition de poursuite, le commandement de payer, la réquisition de continuer la poursuite, la décision de mainlevée, l'avis de saisie, l'acte de défaut de biens, le procès-verbal de saisie, avaient été adressés à H______ domiciliée c/o L______ SA, rue 5______ no. ______, [code postal] Genève, puis c/o Q______, rue 5______ no. ______, [code postal] Genève. La précitée n'ayant pas donné suite aux convocations de l'OP, un mandat de conduite avait été délivré à son encontre le 16 janvier 2019, à l'adresse c/o L______ SA, rue 5______ no. ______, [code postal] Genève.

c. Il ressort notamment du rapport de renseignements de la Brigade financière du 11 juin 2019 versé à la procédure que C______ était le gérant du lieu-dit "R______", établissement public sis à la rue 6______ no. ______ et dédié à des activités de prostitution.

d.a. Devant l'IGS et le MP, C______ a déclaré connaître A______ depuis environ deux ou trois ans, lequel lui avait été présenté par son ami policier, S______. Il le fréquentait principalement dans le cadre professionnel. A______ prenait contact avec lui par le biais notamment de WhatsApp, afin de localiser des travailleuses du sexe et leur notifier des actes de poursuites. Il ignorait pour quelle raison ce dernier avait choisi de le contacter via cette application, si ce n'est qu'elle était pratique.

En réponse aux différents messages qu'il avait reçus de A______, il lui avait indiqué s'il connaissait les "filles" figurant sur les photographies envoyées et lui avait transmis des informations à leur propos. Il avait pu le renseigner sur la plupart d'entre elles, y compris celles qui ne travaillaient pas pour lui. Il ne connaissait que les noms des filles qui travaillaient avec lui, sinon il lui fallait leur photo. Il connaissait E______ de vue, celle-ci ne travaillant pas avec lui. Il ne connaissait pas G______, mais il connaissait sa logeuse, K______, qui habitait au no. ______ rue 6______. Il connaissait H______, qui avait travaillé pour lui, mais qui était désormais employée dans un autre salon, au no. ______ [recte : no. ______] rue 5______. F______ avait travaillé pour lui par le passé.

Il n'avait pas remarqué que, le 16 novembre 2018, A______ lui avait envoyé une partie d'un fichier contenant des informations personnelles sur des travailleuses du sexe, se contentant de regarder leur photographie. Il ne se souvenait pas que A______ lui avait envoyé des mandats de conduite de l'OP et ne s'expliquait pas pour quelle raison ce dernier lui avait adressé de tels documents, si ce n'est qu'il n'avait certainement pas les photos des personnes visées. Il ne savait plus s'il connaissait l'existence de ces poursuites avant la réception des messages envoyés par A______. L'OP l'appelait souvent lorsqu'ils recherchaient quelqu'un. Il emmenait en principe personnellement les "filles" qui travaillaient pour lui à l'OP, pour leur rendre service. Il n'avait pas de procuration signée de la part de travailleuses du sexe pour recevoir des documents ou des informations. Elles lui demandaient généralement de les accompagner à l'OP ou de traduire les documents qu'elles recevaient, car elles ne parlaient pas le français.

d.b. T______, lieutenant à la J______ de mars 2018 à fin juin 2019, a confirmé que le fichier "D______" avait des accès restreints au niveau de la police. À sa connaissance, l'enquêteur au poste de police I______ n'y avait pas accès. Il était possible que, pour les besoins du service ou d'enquêtes, des inspecteurs de la J______ aient pu transmettre des fiches personnelles des travailleuses du sexe, documents qui devaient uniquement être utilisés au sein de la police, s'agissant de données sensibles. Lors d'une demande d'informations, il était d'usage d'en connaître la raison précise. Pour sa part, il ne transmettait pas ces fiches, sauf cas exceptionnels, notamment en cas d'homicide. Dans un cas ordinaire, les fiches n'étaient pas transmises, seule l'information recherchée l'étant. Il ignorait ce qui avait été convenu avec son prédécesseur.

d.c. U______, affecté à la J______ depuis le 1er septembre 2015 et inspecteur principal adjoint depuis le 1er mars 2018, a indiqué qu'à sa connaissance, seuls les inspecteurs de la J______ avaient accès au fichier "D______". Il était possible d'en transmettre les fiches pour les besoins d'une enquête, pour autant que cela ait été validé par la hiérarchie. Avec l'accord de son supérieur, soit à l'époque V______, il avait transmis à A______ la plupart des fiches personnelles des travailleuses du sexe qu'il recherchait dans le cadre de ses enquêtes, à l'exception de certains points dont il n'avait plus le souvenir. Auparavant, A______ recevait les fiches de la part de W______. Il n'avait transmis à A______ que la partie des fiches qu'il pouvait lui envoyer, au moyen de captures d'écran. Après le départ de V______, son successeur, T______, lui avait aussi donné l'autorisation de transmettre les fiches en question à A______, sans restriction, mais en l'avertissant, par courriel, qu'il s'agissait de données confidentielles qui ne devaient en aucun cas être utilisées en dehors de ses enquêtes. Après avoir été contacté par l'IGS, il avait cessé de transmettre les fiches à A______.

e. Devant l'IGS et le MP, A______ a indiqué avoir 26 ans de service au sein de la police, être affecté depuis le mois de janvier 2013 au poste I______ et exercer la fonction de caporal depuis le 1er avril 2017.

C______ lui avait été présenté par un collègue, S______. Il était ponctuellement en contact avec lui dans le cadre de ses enquêtes dans le milieu de la prostitution, celui-ci étant son informateur. En octobre 2019, sur mandat de l'OP, il avait reçu au moins 33 enquêtes à résoudre concernant des travailleuses du sexe, dont 22 avaient pu être bouclées. Afin de les mener à bien, sachant que "ces filles" bougeaient beaucoup, il commençait d'abord par leur envoyer des convocations aux adresses connues. S'il n'avait pas de retour, il se rendait sur place pour contrôler si l'adresse était correcte. En l'absence d'adresse valable, il se tournait vers le tenancier du salon chez qui la travailleuse du sexe était enregistrée. En dernier recours, il prenait contact avec C______.

Il avait envoyé à C______ des images provenant de la J______, afin de retrouver les travailleuses du sexe faisant l'objet des mandats qui lui étaient confiés par l'OP. L'inspecteur U______ lui fournissait l'extrait personnel du fichier "D______" des travailleuses du sexe qu'il recherchait, dès lors qu'il n'y avait lui-même pas accès. Ce procédé avait été mis en place peu après son arrivée au poste I______, après discussion avec le responsable de la J______ de l'époque, W______, puis avait été maintenu avec l'accord du chef actuel de cette unité, T______. En effet, les informations dont il disposait lui-même sur ces "filles" étaient lacunaires. En dehors des services de police, il était possible d'utiliser uniquement la photographie de la personne recherchée extraite du fichier "D______", procédé utilisé depuis de nombreuses années. Il n'en faisait usage que dans des cas très spécifiques, soit seulement dans le milieu de la prostitution et avec C______.

Il savait qu'il ne devait pas utiliser la messagerie WhatsApp dans le cadre de son activité professionnelle. Cependant, il y avait eu recours par le biais de son téléphone portable privé, dans la mesure où il n'avait pas le numéro de téléphone de C______ dans son téléphone professionnel. Il avait dévié ses numéros de téléphone professionnels sur son téléphone portable privé afin d'être constamment joignable. Il avait pour habitude d'effacer régulièrement ses échanges sur WhatsApp afin de ne pas surcharger son téléphone portable, et non uniquement ses conversations avec C______.

S'agissant particulièrement des envois du 16 novembre 2018, il avait adressé, par erreur, dans la précipitation, une partie du fichier "D______" à C______. Il avait tout de suite rectifié son erreur en envoyant uniquement la photographie de la travailleuse du sexe recherchée et en supprimant le message erroné, en espérant que le destinataire ne l'avait pas déjà ouvert. C______ n'était pas intéressé par ces fichiers, mais uniquement par les photographies des personnes recherchées, afin de pouvoir les identifier.

Il avait adressé à C______ les actes de poursuites afin de gagner du temps, ce dernier pouvant accompagner les "filles" qui travaillaient pour lui à l'OP. S'il se chargeait lui-même de les accompagner, il devait leur facturer CHF 300.-. Il n'avait pas l'impression d'avoir trahi son secret de fonction, dès lors que C______ savait qu'il recherchait des "filles", lesquelles discutaient avec ce dernier et savaient faire l'objet de poursuites. Il n'agissait de la sorte qu'exceptionnellement, à savoir lorsque C______ pouvait amener les "filles" recherchées à l'OP, ce que ce dernier proposait lui-même de faire. Habituellement, il leur adressait des convocations, dans lesquelles il indiquait le motif de leur audition. C______ voyait ces convocations, dans la mesure où la plupart des "filles" ne parlaient pas français, de sorte qu'il n'avait pas l'impression de transmettre des éléments couverts par un secret.

f.a.a. En première instance, A______ a confirmé les explications de T______ selon lesquelles les informations contenues dans le fichier "D______" étaient des données sensibles, dont l'usage devait être uniquement réservé au domaine de la police. En revanche, il était possible de faire usage de la photographie de la personne recherchée en dehors des services de police. En tant qu'enquêteur, il n'avait pas besoin du fichier en question en tant que tel, mais uniquement de la photographie de la personne recherchée, afin de pouvoir la localiser. Il alimentait ce fichier avec les informations actualisées retirées de ses enquêtes, sans quoi celui-ci n'était pas souvent mis à jour. Il avait indiqué à U______ que les photographies du fichier "D______" transmises allaient être adressées à un tiers étranger aux services de police.

Dans le cadre d'un mandat de conduite, il convenait d'abord de vérifier l'adresse y figurant et, si celle-ci était erronée, de procéder à une enquête de voisinage pour localiser la personne concernée. Il sollicitait C______ exclusivement en lien avec l'accomplissement de ses tâches d'enquêteur. Ce dernier, en tant qu'informateur, l'aidait à identifier les prostituées qu'il devait contacter pour leur transmettre les mandats de conduite. Il lui indiquait le nom de la personne concernée et lui demandait si celle-ci travaillait pour lui. Si le nom ne lui disait rien, C______ lui demandait alors une photographie de la personne visée.

Il maintenait avoir communiqué un extrait du fichier "D______" à C______ de manière involontaire le 16 novembre 2018. Étant souvent sollicité dans le cadre de son travail, il avait dû être dérangé au moment où il s'adressait à ce dernier. Il avait cependant immédiatement rectifié la situation, en effaçant, dans son propre téléphone portable, le fichier en question, et en transmettant exclusivement à C______ une photographie de la travailleuse du sexe concernée. Il était tout à fait faisable d'envoyer deux messages successifs en 11 secondes, étant précisé qu'il prenait préalablement une photographie de la fiche "D______" de la personne concernée, puis l'enregistrait dans son téléphone portable personnel, avant de la recadrer pour que seule la photographie de la fille apparaisse et de l'envoyer ensuite à C______.

Confronté au fait qu'une partie des informations personnelles de E______ provenant du fichier "D______" avait été retrouvée dans le téléphone portable de C______, il a relevé qu'à l'époque, lorsqu'un message était envoyé par erreur, il était possible de l'effacer complètement seulement s'il n'avait pas été reçu par son destinataire. Si tel avait été le cas, il n'était alors possible de l'effacer que chez l'expéditeur. À présent, il était possible de supprimer entièrement les messages. Il n'avait pas vérifié auprès de C______ si ce dernier avait reçu le message envoyé par erreur, ni ne s'était adressé à lui afin qu'il le supprime, dès lors que l'intéressé savait très bien qu'il devait effacer les informations reçues, cela lui ayant été verbalisé par le passé.

S'agissant de l'envoi de la photographie de F______, suivi de l'extrait du fichier "D______" la concernant, il a fourni les mêmes explications que pour l'envoi relatif à E______. Cela étant, il a relevé que F______ travaillait pour C______ et que celui-ci était donc déjà en possession de toutes les informations contenues dans le fichier, qui étaient les mêmes que celles consignées dans le livret de travail de celle-ci. Il n'avait ainsi pas eu besoin d'effacer l'un ou l'autre de ces envois, les données y figurant n'étant, dès lors, pas sensibles.

Il avait adressé à C______ une photographie des mandats de conduite concernant F______, G______, et H______ afin de les localiser. Cela rentrait dans le cadre de ses tâches, dans la mesure où il était chargé de prendre contact avec la régie, l'employeur, les voisins, le concierge ou encore la famille de la personne concernée par un tel mandat. C______ connaissait ces personnes puisqu'il était l'employeur de la première, qu'il connaissait la logeuse de la deuxième, laquelle était injoignable, et que la troisième était domiciliée à la même adresse que celle de l'un de ses salons de massage.

Il n'avait pas précédemment indiqué avoir envoyé les actes de poursuite à C______ afin que ce dernier amène à l'OP les "filles" qui travaillaient dans ses salons. Il avait toutefois pu le lui demander et lui adresser, à cet effet, des mandats de conduite. En fait, il lui communiquait oralement les mandats en question. C'était C______ qui lui indiquait qu'il allait amener les "filles" à l'OP, afin de faciliter la traduction et de les rassurer. Il n'avait rien délégué. Les personnes, même sous mandats de conduite, étaient libres de se rendre de leur plein gré à l'OP, seules ou avec la personne de leur choix.

Il avait envoyé les photographies des mandats de conduite pour gagner du temps et ne pas avoir à retranscrire le nom des personnes concernées. Dans la mesure où il traitait à l'époque 100 à 120 procédures par mois, il s'était adapté aux moyens actuels. Il n'agissait pas de la sorte automatiquement, puisqu'il menait d'abord son enquête avant de s'adresser à C______, dont l'intervention était accessoire.

f.a.b. A______ a produit la directive de l'OP relative aux mandats de conduite (DIR_04-02_V1.3 ; v. infra consid. 2.3.3).

f.a.c. Il a conclu à l'octroi d'une indemnité pour ses frais d'avocat en première instance de CHF 6'285.10, TVA incluse, en produisant les notes d'honoraires de son conseil des 5 juillet 2021 (CHF 484.65 TTC), 22 septembre 2021 (CHF 2'946.35 TTC) et 5 juillet 2022 (CHF 2'854.08 TTC).

f.b. Entendu en qualité de témoin, X______, ______ [fonction] auprès de l'OP et chef du secteur I______ (secteur 2), intervenait au niveau de la saisie et ne s'occupait pas des notifications des mandats de conduite.

Pour procéder à la saisie, l'OP convoquait les personnes concernées afin de les entendre sur leur patrimoine. Si la personne ne se présentait pas, une enquête était menée. Celle-ci consistait à interroger les différentes banques et offices postaux, à déterminer si la personne avait un employeur, à se rendre à son domicile, à regarder si son nom figurait sur la boîte aux lettres ou sur la porte, respectivement à interroger le concierge, la régie et les voisins. En présence d'un nom sur la porte ou sur la boîte aux lettres, un avis rouge, intitulé "Avis d'ouverture", comportant le nom de la personne concernée et l'entête de l'OP, y était laissé. Ce document, qui pouvait également être déposé dans la boîte aux lettres de l'employeur ou du logeur, faisait généralement réagir la personne concernée ou son voisinage. Lorsque les ressources pour retrouver la personne visée étaient épuisées, l'OP, qui traitait un volume énorme de dossiers, recourrait aux services de la police en émettant un mandat de conduite. Dans ce cas, seul le mandat en question était transmis, à l'exclusion de toute photographie des personnes recherchées, étant précisé que l'OP n'avait pas accès aux informations du fichier "D______".

A______ avait un taux de réussite exceptionnellement élevé par rapport à d'autres de ses collègues au niveau de l'exécution des mandats de conduite. Il les exécutait comme cela devrait être normalement le cas. L'OP lui était très reconnaissant pour son travail.

C. a. Devant la CPAR, A______ a répété qu'à aucun moment il n'avait pensé enfreindre la loi. Entre les directives et la pratique, il y avait "un fossé de réalités". L'IGS lui avait demandé pourquoi il avait envoyé des messages WhatsApp au lieu de montrer concrètement un extrait du fichier D______, comme cela se pratiquait usuellement. Le MP avait reconnu une telle pratique. Dans le milieu de la prostitution, les policiers travaillaient avec les outils usuels. Dans les années 90, une cartothèque regroupait les personnes s'adonnant à la prostitution et était disponible pour tout un chacun aux postes [de] I______, de Y______ et à la Brigade des mœurs. Dans la mesure où les travailleuses du sexe étaient alors majoritairement des personnes habitant à Genève, cette cartothèque était très sensible. À l'heure actuelle, comme à la période pénale, 95% des travailleuses du sexe étaient des personnes étrangères, de passage, de sorte que la sensibilité avait changé.

En principe, avant que la police ne reçoive le mandat de conduite, l'OP avait fait une enquête en amont pour retrouver la personne recherchée, auprès de la régie, du concierge et de l'employeur. En cas d'échec, la police prenait le relai. Lorsqu'il recevait lui-même un mandat de conduite, il effectuait des démarches similaires. Il convoquait ainsi la personne, effectuait un passage à son domicile présumé et s'adressait au concierge, à la régie et au voisinage. Si cela ne donnait rien, il contactait l'employeur et, en dernier ressort, la famille. L'idée selon laquelle il souhaitait avoir de bons résultats pour se faire bien voir était un pur fantasme. Un policier minimaliste qui avait envoyé une convocation et effectué un passage pouvait "sortir" le dossier de son lot d'affaires, celui-ci étant considéré comme exécuté. Son objectif était d'aller au bout des démarches. Comme cela lui prenait plus de temps que pour un policier moins diligent, il arrivait qu'on lui reproche des retards. Les démarches étaient identiques lorsqu'elles concernaient une travailleuse du sexe, à la différence que ces dernières, contrairement à l'époque des années 90, n'étaient plus installées à Genève, mais extrêmement mobiles. Elles n'avaient pas de famille à Genève et vivaient chez un logeur. Dans le cadre d'une enquête les concernant, il se rendait ainsi à l'adresse où la travailleuse du sexe était censée se trouver, parlait à la régie, s'adressait à l'employeur ou au logeur, effectuait une enquête de voisinage et discutait avec les autres travailleuses du sexe. Celles-ci travaillant souvent avec un surnom, le seul moyen de pouvoir les identifier et les localiser était de pouvoir montrer leur photographie, raison pour laquelle il en avait adressé à C______.

S'agissant du cas de E______, il maintenait ses précédentes explications, notamment quant au fait qu'un délai de 11 secondes avait été suffisant pour effectuer les manipulations décrites. Il avait pris une photo du fichier, puis zoomé sur la photographie de la personne et pris une seconde photo, soit celle qu'il avait envoyée.

F______ travaillait au salon de C______ et était logée par ce dernier, ce qui ressortait des données de l'OCPM. Les informations qu'il avait envoyées à C______ figuraient sur le permis B de celle-ci. Dans la mesure où elle avait une sœur lui ressemblant énormément et travaillant également pour C______, il avait transmis les données incriminées à ce dernier pour qu'il comprenne de quelle sœur il parlait et puisse lui dire si elle était encore présente sur le territoire genevois et travaillait encore dans son salon. Dans le ______, il était extrêmement difficile de localiser les "filles", qui n'avaient pas leur nom sur les boîtes aux lettres, ni sur les portes des appartements. Il était donc nécessaire de s'adresser aux propriétaires de salon à cet effet, lesquels pouvaient renseigner utilement la police.

Concernant les trois mandats de conduite adressés à C______, il rappelait que F______ était domiciliée dans un appartement dont ce dernier était le propriétaire. G______ était domicilié au no. ______ rue 5______, soit dans la même allée où C______ était propriétaire de plusieurs appartements. H______ était domiciliée au no. ______ rue 6______, soit juste à côté du salon de C______. Il s'était donc dit qu'elle y travaillait potentiellement. Il avait ainsi envoyé ces mandats à C______ dans le cadre de son travail usuel d'enquêteur parce qu'il pensait que celui-ci était concerné par ces "filles".

D'une manière générale, s'il recherchait une personne pour laquelle C______ pouvait le renseigner, il le contactait d'abord téléphoniquement, avant de lui envoyer éventuellement un message. Il reconnaissait avoir été un peu laxiste en lui envoyant des captures d'écran au lieu de retranscrire les données dans un message. Pour lui, il faisait juste son travail d'investigateur. C______ avait indiqué qu'il lui arrivait d'être également contacté par l'OP au sujet de la recherche d'une personne. Il avait utilisé son téléphone privé par confort, ne souhaitant pas être en possession de deux appareils, mais il donnait son numéro professionnel aux personnes qu'il convoquait.

Interrogé quant au fait de savoir s'il comprenait la différence entre montrer une photo et l'envoyer par WhatsApp, il a répondu par l'affirmative, tout en relevant que les temps avaient changé. Si, dans les années 90, il y avait 150 dossiers par année, aujourd'hui il en traitait plus de 1000. La recherche de personnes était une activité chronophage, si on souhaitait faire les choses correctement et obtenir des résultats. En cas d'annulation d'un mandat, l'OP envoyait l'information par courriel à tous les enquêteurs, y compris lorsque cela ne concernait pas l'un de leurs dossiers, et cette pratique ne semblait choquer personne. En tout état de cause, on ne lui faisait pas de reproches par rapport aux cas où il avait envoyé des photos par message. Il contactait C______ pour obtenir des informations de sa part en raison du fait que celui-ci était un informateur de la police, contrairement aux autres patrons de salons. En fait, C______ n'était pas un informateur officiel de la police, mais une source de renseignements pour lui, qui agissait dans le même cercle fermé du D______. Ce dernier avait confirmé qu'il ne le contactait qu'en lien avec des problématiques liées à l'OP.

Le terme "filles" était utilisé entre policiers avec bienveillance et non par machisme ou paternalisme. Il avait eu à cœur d'effectuer son travail de manière consciencieuse. Lorsqu'un avis de passage était laissé, il y était mentionné qu'il s'agissait de l'OP et tout le monde comprenait qu'il y avait une problématique financière, I______ étant "un village". Il avait connaissance des règlements et n'avait jamais envisagé de commettre la moindre infraction.

b.a. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions.

Il était important de tenir compte du milieu spécifique et de la difficulté des recherches concernées. La transmission des photos n'était, en l'espèce, pas incriminée, au contraire de celle du fichier D______. Or, s'il était théoriquement interdit d'utiliser ce fichier en dehors de la police, la situation était floue sur le plan pratique. Les déclarations des policiers entendus à cet égard à l'IGS se contredisaient.

Dans le cas de E______, l'appelant avait commis une erreur. En tout état de cause, il ressortait des déclarations de C______ que celui-ci n'avait regardé que la photo, sans remarquer les coordonnées de la précitée. Or, pour violer un secret, il fallait une communication et une prise de connaissance de celui-ci. L'appelant plaidait ainsi la négligence. À défaut, il convenait de retenir, tout au plus, une tentative. F______ étant domiciliée chez C______, ce dernier était déjà en possession des données communiquées et il n'y avait donc pas eu de violation d'un secret.

Concernant la transmission des trois mandats de conduite incriminés, il y avait eu une enquête de l'OP en amont. C______ avait confirmé avoir été contacté par cet office au préalable, même s'il ne se rappelait plus de leur contact dans ces cas précis. L'huissier de l'OP l'avait, par ailleurs, confirmé, de sorte que ces informations n'étaient plus secrètes pour C______. H______ était domiciliée dans un immeuble où ce dernier avait plusieurs appartements. Les informations y avaient circulé, s'agissant d'un immeuble voué à la prostitution, où tout le monde était au courant de ce qu'il se passait. C______ avait une arcade à la rue 6______ où les informations avaient également circulé. L'avis de passage pouvait être laissé à l'adresse de l'employeur ou du logeur, de sorte que C______ avait forcément eu cette information. Il y avait bien eu une communication au sujet d'une poursuite et le fait de savoir si cela était admissible était, en définitive, une question d'ordre administratif.

Lorsque l'appelant envoyait une photo à C______, c'était parce qu'il s'agissait d'une prostituée. On ne pouvait pas lui faire grief d'avoir dévoilé ce fait, car c'était le cas aussi des personnes concernant lesquelles le MP ne lui avait formulé aucun reproche. En tout état de cause, l'appelant avait agi conformément aux intérêts de l'État. Il était choquant que le TP ait retenu une mauvaise collaboration de sa part. Les informations divulguées n'étaient pas des informations si sensibles qu'elles ne méritaient pas d'être dévoilées dans les circonstances du cas d'espèce.

b.b. A______ conclut, en appel, à une indemnité pour ses frais d'avocat correspondant à 3h d'activité au tarif horaire de CHF 300.-, plus la durée de l'audience d'appel (2h20) et la TVA, étant précisé que le Département assumait les frais de son avocat au tarif horaire précité.

c. Le MP conclut au rejet de l'appel.

À entendre l'appelant, la déontologie serait mise à mal par tout le corps de police. Il était conscient des directives, de la pratique de certains policiers et de la sienne. Que ce soit dans les années 90 ou en 2023, les informations contenues dans le fichier D______ restaient sensibles. Le fait que les travailleuses du sexe soient, à présent, davantage des personnes étrangères, et non locales, n'y changeait rien.

S'agissant du cas de E______, l'appelant avait sciemment envoyé l'extrait du fichier D______ et la photo de cette dernière. Il n'était pas crédible qu'en 11 secondes, il ait pu effacer le message, recadrer la photo et la renvoyer. Le seul fait d'être une femme inscrite dans le fichier D______ était déjà une information sensible.

Il convenait d'opérer une distinction entre un avis de passage et un mandat de conduite qui était l'étape d'après. Quand bien même le voisinage pouvait voir l'avis de passage, ils n'en savaient pas davantage sur la poursuite. En envoyant le mandat de conduite à C______, l'appelant lui transmettait l'information selon laquelle la personne en question faisait l'objet d'une poursuite pour dette. Or, il s'agissait d'une information protégée, qui ne devait pas être publique. Il ne s'agissait pas d'une information à la libre disposition de l'employeur et du logeur.

D. a. A______, ressortissant suisse, né le ______ 1970, est divorcé et sans enfant.

Il a rejoint la police le 4 janvier 1993 et a le grade de sergent-chef depuis 2018. Il a ensuite été rétrogradé au rang de caporal, puis a récupéré son grade antérieur à partir du 1er septembre 2020. Il a été affecté de 1993 à 2003 au poste de police I______, de 2003 à 2013 à celui de Z______ et, depuis 2013, à nouveau à celui [de] I______. Il est enquêteur depuis 2005 et s'occupe des enquêtes administratives et intercantonales, traitant notamment des dossiers en lien avec l'OP et les avis de recherche et d'arrestation.

Il perçoit un salaire net de CHF 7'800.- par mois. Ses charges mensuelles comprennent ses primes d'assurance maladie de CHF 800.- et CHF 1'700.- à CHF 1'800.- liés à l'amortissement et aux intérêts de sa dette hypothécaire – laquelle s'élève à CHF 1'000'000.- au taux Saron –, ainsi que les charges relatives à son logement. Il dispose en outre de trois véhicules. Il a par ailleurs des dettes liées à des crédits d'achats pour un montant total de l'ordre de CHF 60'000.-.

b. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné le 7 décembre 2016 par la CPAR, pour calomnie, à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 210.- l'unité, avec sursis durant deux ans, ainsi qu'à une amende de CHF 3'500.-.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]). La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, ce principe signifie qu'il incombe à l'accusation d'établir la culpabilité de l'accusé, et non à ce dernier de démontrer son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40). Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.2.1. La violation du secret de fonction, au sens de l'art. 320 CP, réprime le comportement de celui qui aura révélé un secret à lui confié en sa qualité de membre d’une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il avait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi. La révélation demeure punissable alors même que la charge ou l'emploi a pris fin (ch. 1 al. 1).

L'art. 320 ch. 2 CP prévoit que la révélation du secret n'est pas punissable dans la mesure où elle a été faite avec le consentement écrit de l'autorité supérieure. D'autres faits justificatifs légaux (par exemple les art. 74-75 CPP, 3c LStup, 104 LCR) ou extralégaux (consentement de la victime, sauvegarde d'intérêts légitimes) sont également susceptibles d'entrer en ligne de compte (arrêt du Tribunal fédéral 6B_572/2018 du 1er octobre 2018 consid. 3.5.1). Dans la mesure où la révélation est licite en vertu d'une loi (art. 14 CP), il n'y a plus besoin d'obtenir le consentement de l'autorité supérieure afin de révéler le secret (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 39 ad art. 320).

2.2.2. L'art. 320 CP protège principalement l'intérêt de la collectivité à la discrétion des fonctionnaires et membres des autorités nécessaires à l'accomplissement sans entrave des tâches de l'État. L'intérêt des particuliers au secret peut toutefois également être touché (ATF 142 IV 65 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1369/2016 du 20 juillet 2017 consid. 4.3.1).

2.2.3. L'infraction de violation du secret de fonction est un délit propre pur. Elle ne peut être commise que par un fonctionnaire ou par un membre d'une autorité. Sont notamment des fonctionnaires les employés d'une administration publique et de la justice (art. 110 al. 3 CP ; ATF 142 IV 65 consid. 5.1 p. 68).

Pour que l'art. 320 CP s'applique, il faut encore que le secret ait été confié à l'auteur en sa qualité de membre d'une autorité ou de fonctionnaire ou qu'il en ait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi (ATF 115 IV 233 consid. 2c aa p. 236). Ne sont dès lors pas couverts par le secret de fonction les faits touchant l'activité officielle de l'auteur que celui-ci a appris ou aurait pu apprendre, comme tout autre citoyen, en dehors de son service, ceux qu'il aurait pu apprendre sans autre à titre privé ou encore dont il aurait eu le droit d'être informé (ATF 115 IV 233 consid. 2c/bb p. 236 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_532/2017 du 28 février 2018 consid. 2.1 = SJ 2018 I 260).

2.2.4. Le secret est un fait qui n'est connu que d'un nombre restreint de personnes, que son détenteur veut maintenir secret et dont le maintien répond à un intérêt. Il se définit matériellement, de sorte qu'il n'est pas nécessaire que l'autorité concernée ait déclaré secret le fait en question. Révèle un secret celui qui le confie à un tiers non habilité à le connaître ou qui permet que ce tiers en prenne connaissance (ATF 142 IV 65 consid. 5.1). Il ne peut s'agir d'un fait ayant déjà été rendu public ou qui est accessible sans difficulté à toute personne souhaitant en prendre connaissance (ATF 114 IV 44 consid. 2). Il faut en outre qu'il existe un intérêt légitime à ce que le fait soumis au secret ne soit connu que d'un cercle déterminé de personnes, et que le détenteur du secret veuille maintenir celui-ci (ATF 142 IV 65 consid. 5.1 et 127 IV 122 consid. 1). Cet intérêt peut être celui de la collectivité publique (Confédération, canton ou commune) ou celui de particuliers. Un indice de la présence d'un intérêt légitime au maintien du secret est donné lorsqu'une loi prévoit un devoir de discrétion du fonctionnaire ou du membre d'une autorité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_105/2020 du 3 avril 2020 consid. 1.1). La volonté de tenir une information secrète peut résulter de la nature de l'information, des intérêts en jeu et de l'usage qui doit en être fait (M. DUPUIS et. al., op. cit., n. 19 ad art. 320).

Dans une affaire récente (arrêt 6B_1034/2022 du 21 avril 2023), le Tribunal fédéral a notamment confirmé le reproche fait au prévenu d'avoir révélé l'existence et le contenu de pièces à conviction versées à un dossier d'investigation policière, soit d'avoir divulgué le fait même que la police disposait au dossier d'une investigation policière de photographies d'une manifestation, respectivement de moyens de preuves susceptibles de permettre l'identification de certains manifestants (consid. 1.4.1).

La communication d'un fait négatif, tel que le fait qu'une personne n'est pas visée par une enquête ou qu'il n'y a pas de constatations policières contre une personne spécifique, constitue également un secret au sens de l'art. 320 CP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_825/2019 et 6B_845/2019 du 6 mai 2021 consid. 5.3.3).

L'art. 320 CP ne permet cependant pas à un particulier de s'opposer à une communication officielle intervenant dans l'intérêt public et conformément à la loi (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3e éd., Berne 2010, n. 14 ad art. 320).

Il n'y aura violation de la loi que si le tiers a effectivement pris connaissance du secret (M. DUPUIS et. al., op. cit., n. 1 ad art. 320).

Il n'y a pas de violation du secret si le destinataire en a déjà une connaissance fiable et complète (arrêts du Tribunal fédéral 6B_825/2019 et 6B_845/2019 du 6 mai 2021 consid. 5.4.1).

2.2.5. Au plan subjectif, l'infraction réprimée par l'art. 320 CP est intentionnelle. Le dol éventuel suffit (ATF 127 IV 122 consid. 1 p. 125 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1369/2016 du 20 juillet 2017 consid. 4.1).

La négligence n'est pas punissable d'un point de vue pénal, mais peut avoir des conséquences disciplinaires (M. DUPUIS et. al., op. cit., n. 32 ad art. 320). La négligence est l'imprévoyance coupable commise par celui qui, ne se rendant pas compte des conséquences de son acte, agit sans user des précautions commandées par les circonstances et sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP).

2.3. Selon l'art. 24 de la loi genevoise sur la police (LPol), le personnel de la police est tenu au devoir de réserve (al. 1). Il est tenu au secret pour toutes les informations dont il a connaissance dans l'exercice de ses fonctions dans la mesure où la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001, ou les instructions reçues ne lui permettent pas de les communiquer à autrui (al. 2). L'art. 73 CPP, qui fait obligation aux membres des autorités de poursuite pénale de garder le silence sur les faits qui parviennent à leur connaissance dans l'exercice de leur activité officielle, est réservé (al. 3). La violation du secret de fonction est sanctionnée par l'art. 320 CP, sans préjudice du prononcé de sanctions disciplinaires (al. 5). Le chef du département est l'autorité compétente pour lever le secret de fonction (al. 6).

2.4.1. D'après l'art. 64 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), les actes de poursuite sont notifiés au débiteur dans sa demeure ou à l'endroit où il exerce habituellement sa profession. S'il est absent, l'acte peut être remis à une personne adulte de son ménage ou à un employé (al. 1).

Lorsqu'aucune des personnes mentionnées ne peut être atteinte, l'acte est remis à un fonctionnaire communal ou à un agent de la police, à charge de le notifier au débiteur (art. 64 al. 2 LP).

2.4.2. Les offices cantonaux peuvent requérir l'intervention de la police cantonale pour la mise en œuvre d'un moyen de contrainte dans les cas prévus par la législation fédérale (art. 14A al. 1 de la loi genevoise d'application de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite [LaLP]). Dans l'exécution de leur mission, la police cantonale et les fonctionnaires communaux agissent en qualité d'auxiliaires des offices cantonaux, au sens de l'art. 5 al. 1 LP (art. 14A al. 3 LaLP).

Les offices cantonaux et l'autorité de surveillance peuvent contraindre le débiteur ou le failli à se présenter devant eux lorsqu'ils estiment sa présence nécessaire. Ils peuvent le menacer de la peine prévue à l'art. 292 CP (art. 18 al. 1 LaLP). Si le débiteur ou le failli n'obtempère pas malgré une mise en demeure, les offices cantonaux et l'autorité de surveillance peuvent requérir l'assistance de la force publique pour le contraindre à se présenter (art. 18 al. 2 LaLP).


 

2.4.3. La directive de l'OP relative aux mandats de conduite (DIR_04-02_V1.3), prise en application de l'art. 18 LaLP, contient notamment les points suivants :

"Définitions, acronymes et abréviations

Avis vert : avis déposé après un passage infructueux du notificateur au domicile du poursuivi l'invitant à contacter l'Office.

Avis jaune : avis déposé après un passage infructueux du notificateur au domicile du poursuivi l'informant que s'il ne contacte pas immédiatement l'Office, un mandat de conduite sera lancé à son encontre.

1. Objet

L'objectif de la directive est de définir les règles avant d'envoyer un mandat de conduite.

2. Champ d'application

Tout le personnel de l'office cantonal des poursuites

3.1 Pour les notificateur-trice-s externes

Préalablement au dépôt d'un avis jaune, un avis vert doit avoir été déposé à l'adresse du débiteur, au minimum deux passages de La Poste doivent avoir été effectués et le nom du débiteur doit être mentionné sur la porte et/ou sur la boîte aux lettres (exception : si le créancier a clairement indiqué que le débiteur est domicilié chez un tiers sans que son nom apparaisse à l'adresse indiquée).

L'employeur du débiteur doit, si possible, avoir été recherché, en particulier au travers des indications contenues dans les évaluations de situation établies par les huissiers.

Le dossier doit contenir un extrait du registre de l'OCPM, ainsi que le rapport de passage contenant le résultat de l'enquête auprès du concierge de l'immeuble, de la régie, des voisins, etc."

2.5. Celui qui croit pouvoir révéler un secret en raison de sa mission croit à l'existence d'un fait justificatif prévu par l'art. 14 CP et invoque en définitive une erreur sur l'illicéité (art. 21 CP) ; il faut donc qu'il ait eu des raisons suffisantes de se croire en droit d'agir, c'est-à-dire que l'on ne puisse lui reprocher de ne pas avoir correctement élucidé la question (B. CORBOZ, op. cit., n. 44 ad art. 320).

2.6.1. En l'espèce, il est établi que l'appelant, en sa qualité de policier et fonctionnaire, a envoyé alors qu'il ne bénéficiait d'aucune autorisation en ce sens à C______ les messages incriminés des 16 novembre 2018, 31 janvier 2019 et 4 février 2019, via l'application WhatsApp de son téléphone privé, sans qu'il n'y ait lieu de douter du fait que ce dernier les ait reçus et ait ainsi eu tout le loisir d'en prendre connaissance, au vu du fil de discussion entre les précités versé à la procédure. Ces messages contenaient des données personnelles sensibles relatives à des travailleuses du sexe obtenues par l'appelant dans le cadre de ses fonctions, soit un extrait personnel du fichier "D______" concernant E______ et F______, ainsi que des documents de l'OP – soit des mandats de conduite concernant cette dernière, G______ et H______.

2.6.2. Il ressort incontestablement du dossier, notamment des témoignages des policiers de la J______, et de la nature même du fichier D______, que celui-ci est hautement sensible, puisqu'il répertorie les travailleuses du sexe et contient des données personnelles au sujet de leur identité et de leur situation administrative (soit notamment leur nom, prénom, date et lieu de naissance, origine, adresse, alias, date de recensement, numéros de téléphone et informations relatives au titre de séjour). Le simple fait de figurer dans ce fichier constitue déjà, en tant que tel, une donnée personnelle sensible.

Pour cette raison, l'accès à ce fichier est très limité ce au sein même de la police étant uniquement accessible aux membres de la J______, à deux cadres de la police judiciaire, à un informaticien et à l'IGS.

L'intérêt légitime que les personnes contenues dans ce fichier ont à ce qu'il soit maintenu secret, au vu de la position vulnérable qu'elles peuvent avoir dans le cadre de leurs activités, est manifeste.

Ainsi, les données contenues dans le fichier D______ constituent manifestement un secret au sens de l'art. 320 CP.

L'appelant ne saurait être suivi lorsqu'il relativise la sensibilité du contenu de ce fichier en fonction des personnes concernées, notamment de leur origine. Le fait qu'il n'y avait lui-même pas accès librement devait constituer pour lui un indice clair et fort de la présence d'un intérêt légitime au maintien du secret des données de ce fichier et au devoir de discrétion dont il devait faire preuve en manipulant celles-ci. Au demeurant, il apparaît que cela lui avait été rappelé par les policiers de la J______ entendus.

Cela étant, dans le cas particulier de E______, il sied d'admettre, en application du principe in dubio pro reo, que, tel qu'il l'a expliqué de manière constante, l'appelant a transmis, par erreur, l'extrait du fichier D______ concernant cette personne à C______, avant de ne lui envoyer que sa photo, en date du 16 novembre 2018. Le fait qu'un délai de 11 secondes se soit écoulé entre ces deux envois n'apparaît pas propre à infirmer la thèse alléguée d'une manipulation erronée de sa part, ayant abouti à une transmission non souhaitée de l'extrait du fichier D______. Rien ne permet également de douter du fait que l'appelant ait tenté, en vain, d'effacer cet envoi avant qu'il ne soit réceptionné par C______. Par conséquent, faute d'intention délictueuse, l'appelant ne sera pas reconnu coupable de violation du secret de fonction en rapport avec ce cas.

En effet, à teneur de son acte d'accusation et du dossier, si le MP fait clairement grief à l'appelant d'avoir transmis à C______ des données personnelles de travailleuses du sexe figurant sur l'image de leur extrait personnel du fichier D______, il ne semble pas lui reprocher d'avoir soumis à son interlocuteur les photographies des travailleuses du sexe recherchées issues du fichier D______, ledit acte ne visant pas les messages où seule une telle photographie a été adressée (notamment les messages des 9 août 2018, 24 septembre 2018, 12 novembre 2018, 14 janvier 2019 et 7 février 2019 ; le ch. 1 de l'ordonnance pénale du 5 novembre 2021 ne visant pas tous les cas décrits sous le ch. 4.1.4).

En revanche, en ce qui concerne F______, l'appelant ne saurait légitimer la transmission, le 4 février 2019, de sa photo à C______, puis celle d'un extrait presque complet de sa fiche D______ (comportant son nom, son prénom, sa date et son lieu de naissance, son origine, son adresse dans son pays d'origine et son alias), par le fait que la première avait travaillé pour le second par le passé. En effet, compte tenu de la nature secrète du fichier D______ et de son contenu, un tel lien professionnel passé n'apparaît pas propre à justifier le fait que C______ soit informé, à une date ultérieure, que cette personne se trouve dans ledit fichier voire s'y trouve toujours , ainsi que de ses données personnelles actualisées. Quand bien même le fichier D______ contiendrait moins de renseignements sur F______ que ce que C______ avait pu apprendre sur elle par le passé, l'appelant ne devait, en tout état de cause, pas non plus renseigner ce dernier sur l'état des informations détenues par la police au sujet de cette personne. La communication d'un fait négatif, qui plus est s'agissant d'une base de données policières, est également constitutive d'un secret. Le cas précité de E______ démontre que l'appelant était conscient du fait qu'un extrait du fichier D______ ne pouvait être transmis sans autre à un tiers, du fait de sa sensibilité, compte tenu de l'erreur alléguée. Dès lors, l'appelant apparaît avoir agi avec conscience et volonté dans le cas de F______.

Aucun fait justificatif légal ou extra-légal n'autorisait l'appelant à révéler à C______ l'existence et le contenu du fichier D______. Compte tenu du devoir de discrétion auquel il était tenu, ce d'autant plus s'agissant des données de ce fichier, l'appelant ne pouvait se croire en droit d'agir comme il l'a fait. Quand bien même il apparaît avoir agi pour mener à bien ses enquêtes, cela ne lui donnait en aucun cas le droit de s'affranchir de son secret de fonction.

2.6.3. En ce qui concerne les transmissions incriminées de mandats de conduite de l'OP par l'appelant à C______, si de tels agissements reflètent assurément un certain laxisme de sa part dans sa manière de travailler et de manipuler des données sensibles dans le cadre de ses fonctions ce que l'appelant reconnaît lui-même à demi-mot en appel , on ne saurait retenir que, dans les cas visés par l'acte d'accusation, il avait l'intention de transmettre des données secrètes (en l'occurrence nom, prénom, date de naissance, numéros de poursuites/numéro de dossier d'huissier, et adresse des personnes visées en Suisse) à son interlocuteur.

En effet, concernant F______, il ressort du dossier que celle-ci était domiciliée chez C______, au no. ______ rue 5______. L'appelant le savait, cette information figurant notamment sur le mandat de conduite décerné le 21 janvier 2019. Aussi, il pouvait sérieusement croire qu'en sa qualité de logeur de F______, C______ avait déjà eu connaissance des données la concernant figurant sur ledit mandat et du fait que cette dernière faisait l'objet d'une poursuite, compte tenu des démarches préalables qui devaient nécessairement avoir été effectuées par l'OP.

S'agissant de H______, les actes de poursuite la concernant lui ont été notifiés c/o L______ SA, rue 5______ no. ______, soit à la même adresse que celle où C______ détenait un logement. Dès lors, l'appelant pouvait penser qu'en sa qualité à tout le moins de membre du voisinage, auquel tant l'OP que la police saisie d'un mandat de conduite pouvaient s'adresser dans le cadre de leur enquête, C______ avait déjà été avisé des données concernant H______ figurant sur ledit mandat et du fait que celle-ci faisait l'objet d'une poursuite.

De même, les actes de poursuite concernant G______ lui ont été adressés c/o K______, rue 6______ no. ______, soit à la même adresse que l'établissement "R______", dont C______ était le gérant. Ce dernier a d'ailleurs indiqué qu'il connaissait K______. L'appelant pouvait ainsi croire qu'en tant que membre du voisinage, C______ avait été précédemment avisé des données concernant G______ figurant sur le mandat de conduite et du fait que celui-ci faisait l'objet d'une poursuite.

C______ se situait en effet manifestement dans le cercle étroit des personnes pouvant être consultées à propos de ces personnes, dans le cadre des enquêtes de l'OP et de la police, tel que cela ressort notamment des déclarations du témoin X______, des directives et bases légales en matière de poursuites. À tout le moins, au vu de ces règles, l'appelant pouvait croire que son comportement, consistant à utiliser les mandats de conduite relatifs auxdites travailleuses du sexe dans le cadre de son enquête pour les localiser auprès de leur logeur ou voisin, n'était pas illicite, sans que son erreur éventuelle ne soit évitable. C______ a d'ailleurs déclaré que l'OP lui-même l'appelait souvent dans le cadre de la recherche d'une personne et le témoin X______ a confirmé que l'office menait une enquête, préalablement à l'établissement d'un mandat de conduite, notamment auprès des voisins. Les larges dimensions de l'enquête effectuée par l'OP ressortent en outre de la directive produite. À cet égard, contrairement à ce qu'a retenu le TP, on ne saurait considérer que celle-ci n'était pas applicable à l'appelant, dès lors que dans l'exécution de la mission spécifique confiée, il agissait en qualité d'auxiliaires de l'OP (art. 14A al. 3 LaLP).

Cela étant, il n'en demeure pas moins que l'appelant n'aurait pas dû envoyer à son interlocuteur les photographies de tels documents, dont il ne pouvait alors plus maîtriser la propagation, qui plus est via son téléphone privé et l'application de messagerie WhatsApp, en violation de ses directives professionnelles. Si C______ pouvait être une source à interroger pour certaines enquêtes, il n'était toutefois pas, du propre aveu de l'appelant, un informateur officiel de la police soumis formellement à un devoir de discrétion. Ces documents contenaient des données susceptibles d'être secrètes pour un autre tiers. Ce faisant, s'il doit être retenu, à tout le moins en application du principe in dubio pro reo, que l'appelant n'a pas entendu violer intentionnellement son devoir de fonction en envoyant à C______ les mandats de conduite de l'OP incriminés par messages, il sied de relever qu'il a tout de même fait preuve de négligence en agissant de la sorte, même si cela n'est, en l'occurrence, pas punissable sur le plan pénal.

Partant, l'appelant sera reconnu coupable de l'infraction de violation du secret de fonction, au sens de l'article 320 ch. 1 al. 1 CP, pour la transmission de l'extrait personnel du fichier "D______" concernant F______ à C______ et acquitté pour le surplus.

3. 3.1. Cette infraction est réprimée d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

3.2.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

3.2.2. Sauf disposition contraire, la peine pécuniaire est de trois jours-amende au moins et ne peut excéder 180 jours-amende. Le juge fixe leur nombre en fonction de la culpabilité de l’auteur (art. 34 al. 1 CP).

En règle générale, le jour-amende est de CHF 30.- au moins et de CHF 3'000.- au plus. Le juge en fixe le montant selon la situation personnelle et économique de l’auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d’assistance, en particulier familiales, et du minimum vital (art. 34 al. 2 CP).

3.3. En l'espèce, malgré l'acquittement partiel de l'appelant, sa faute n'est en aucun cas légère. Il a transmis à un tiers non autorisé, par message via son téléphone privé, des informations sensibles concernant une travailleuse exerçant une profession dans laquelle elle est particulièrement vulnérable, après avoir obtenu ses données dans le cadre de ses fonctions de policier. Ce faisant, il s'en est pris au bon fonctionnement des institutions publiques, à la confiance placée dans les autorités et à la protection de la sphère privée garantie à chaque citoyen.

Il a agi par pure convenance personnelle, dans le but de résoudre rapidement son enquête, sans se soucier des conséquences potentielles de la transmission de telles informations à un tiers, et sans aucune considération pour le droit à la protection des données de la personne concernée, ni pour la confidentialité des fichiers de police.

La situation personnelle de l'appelant ne justifie en rien son comportement. Au contraire, ses nombreuses années d'expérience dans la police, qui plus est pour la majorité d'entre elles dans un quartier sensible, auraient dû l'amener à agir conformément à ses directives professionnelles et à la loi.

Sa collaboration à la procédure n'a pas été bonne, dès lors qu'il s'est évertué à légitimer ses agissements jusqu'en appel. Bien qu'embryonnaire, sa prise de conscience apparaît toutefois quelque peu amorcée, l'appelant ayant concédé devant la CPAR un certain laxisme de sa part.

Il a un antécédent judiciaire, toutefois non spécifique.

Le prononcé d’une peine pécuniaire, assortie du sursis, est acquis à l’appelant (art. 34 et 42 al. 1 CP, art. 391 al. 2 CPP). Une quotité de 15 jours-amende, à CHF 170.- l’unité, tient adéquatement compte de sa faute et de sa situation personnelle et économique, le montant du jour-amende retenu n'ayant du reste fait l'objet d'aucun grief précis. Un délai d’épreuve de deux ans apparaît suffisant (art. 44 al. 1 CP).

La décision du premier juge de renoncer à révoquer le sursis octroyé à l'appelant le 7 décembre 2016 est superflue, ledit sursis ne pouvant de toute façon plus être révoqué (art. 46 al. 5 CP). Il n'y a ainsi pas lieu de mentionner ce point dans le dispositif.

Au surplus, la sanction prononcée permettant d'atteindre les objectifs de prévention spéciale, il sera renoncé à infliger à l'appelant une amende à titre de sanction immédiate.

Par conséquent, l'appel est partiellement admis et le dispositif sera réformé dans la mesure qui précède.

4. 4.1.1. Selon l'art. 426 CPP, le prévenu supporte les frais de procédure s'il est condamné (al. 1). Lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci (al. 2).

À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais ou le refus d'une indemnité, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement (ATF 119 Ia 332 consid. 1b p. 334).

Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête (ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 171).

Le Tribunal fédéral a confirmé la mise à la charge du tiers des frais de procédure, ainsi que le refus de toute indemnité au sens de l'art. 429 CPP à un prévenu, huissier auprès de l'OP, qui avait agi, avec conscience et volonté, hors du cadre de ses compétences, en obtenant et divulguant des données potentiellement confidentielles à un tiers. Ce comportement avait été propre à entraîner l'ouverture de l'action pénale à son encontre (afin d'élucider les circonstances entourant ledit transfert, notamment si celui-ci avait été effectué en violation du secret de fonction) et engendrer les frais y relatifs (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1034/2015 du 31 mars 2016 consid. 3.2 ; ACPR/445/2015 du 25 août 2015).

4.1.2. Selon l'art. 428 al. 1, première phrase, CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé. Selon l'al. 3, si l'autorité de recours rend elle-même une nouvelle décision, elle se prononce également sur les frais fixés par l'autorité inférieure.

Pour déterminer si une partie succombe ou obtient gain de cause, il faut examiner dans quelle mesure ses conclusions sont admises en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_369/2018 du 7 février 2019 consid. 4.1 non publié aux ATF 145 IV 90).

4.2.1. En l'espèce, le comportement adopté par l'appelant soit le fait d'avoir utilisé son téléphone privé pour transmettre à un tiers des messages contenant des données obtenues dans le cadre de ses fonctions, en violation tout d'abord de ses directives professionnelles à ce sujet a légitimement suscité de graves suspicions de la commission d'une infraction et rendu nécessaire des actes d'instruction pour faire la lumière sur leur caractère pénal.

Par conséquent, les frais de la procédure de première instance seront imputés à l'appelant.

4.2.2. En appel, il sied de considérer que l'appelant obtient partiellement gain de cause.

Partant, la moitié des frais de la procédure d'appel, comprenant un émolument de CHF 1'500.-, sera mise à sa charge, le solde étant laissé à celle de l'État.

5. 5.1.1. La question de l'indemnisation doit être tranchée après celle des frais. Dans cette mesure, la question sur les frais préjuge de celle de l’indemnisation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_262/2015 du 29 janvier 2016 consid. 1.2).

5.1.2. L'art. 429 al. 1 let. a CPP, applicable à l’appel via le renvoi de l’art. 436 al. 1 CPP, prévoit que s’il est acquitté totalement ou en partie le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'autorité pénale doit examiner, tout d'abord, si l'assistance d'un conseil était nécessaire, puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire, et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conformes au tarif pratiqué à Genève, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

5.1.3. En vertu de l'art. 430 al. 1 let. a CPP, l'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure ou la réparation du tort moral (art. 429 al. 1 CPP) lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

Cette disposition est le pendant de l'art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. Une mise à charge des frais selon l'art. 426 al. 1 et 2 CPP exclut en principe le droit à une indemnisation (arrêts du Tribunal fédéral 6B_548/2018 du 18 juillet 2018 consid. 1.1.2 ; 6B_385/2017 du 5 décembre 2017 consid. 2.1).

5.2.1. Compte tenu de l'imputation des frais de première instance à l'appelant, du fait qu'il a provoqué fautivement l'ouverture de la présente procédure à son encontre (supra, ch. 4.2.1), aucune indemnité pour ses frais d'avocat en première instance ne lui sera allouée.

5.2.2. S'agissant de l'indemnité sollicitée par l'appelant pour ses frais d'avocat en appel, il convient de considérer que l’assistance d'un avocat était, sur le principe, nécessaire. Eu égard à la quotité, dans la mesure où l'appelant doit assumer la moitié des frais de la procédure d'appel (supra, ch. 4.2.2), il sera fait droit à une telle indemnité dans la même mesure, pour autant que les prestations facturées soient admissibles.

À cet égard, l'appelant sollicite une indemnité pour ses frais d'avocat correspondant à 3h d'activité au tarif horaire de CHF 300.-, plus la durée de l'audience d'appel (2h20) et la TVA (soit 5h20 x CHF 300.- [CHF 1'600.-] + la TVA [CHF 123.20]), ce qui apparaît adéquat. En conséquence, l'indemnité allouée à l'appelant pour ses frais de défense sera arrêtée à CHF 861.60 (1'723.20/2), TVA incluse.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1105/2022 rendu le 5 juillet 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/19131/2020.

L'admet partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable de violation du secret de fonction (art. 320 ch. 1 al. 1 CP).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 15 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 170.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à deux ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Condamne A______ aux frais de la procédure de première instance, qui s'élèvent à CHF 2'109.-, y compris un émolument de jugement de CHF 500.- (art. 426 al. 2 CPP), ainsi qu'à la moitié des frais de la procédure d'appel, qui s'élèvent à CHF 1'705.-, y compris un émolument de jugement de CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP).

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ relatives à la procédure de première instance (art. 430 al. 1 let. a CPP).

Alloue à A______ un montant de CHF 861.60, TVA incluse, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure d'appel (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

Le président :

Gregory ORCI

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 


 

 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

2'109.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

40.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

90.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'705.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'814.00