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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/4169/2021

AARP/164/2023 du 12.05.2023 sur JTDP/878/2022 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 14.06.2023, 6B_819/2023
Descripteurs : PERMIS DE CONDUIRE;PÉREMPTION;CONDUITE SANS AUTORISATION;CAS BÉNIN
Normes : LCR.95.al1.lete; LCR.100.al2.ch1
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4169/2021 AARP/164/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 9 mai 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Sylvain SAVOLAINEN, avocat, SAVOLAINEN AVOCATS, boulevard des Philosophes 18, 1205 Genève,

appelant,

intimé sur appel joint,

 

contre le jugement JTDP/878/2022 rendu le 18 juillet 2022 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé,

appelant sur appel joint.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 18 juillet 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de mise à disposition d'un véhicule à une personne non titulaire du permis de conduire requis (art. 95 al. 1 let. e de la loi fédérale sur la circulation routière [LCR]) et l’a exempté de toute peine.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement complet, avec suite de frais et indemnisation.

b. Dans le délai légal, le Ministère public (MP) forme un appel joint, concluant au prononcé d’une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 150.-, assortie d’un sursis et d’un délai d’épreuve de trois ans ainsi que d’une amende de CHF 1'350.-, à titre de sanction immédiate, assortie d’une peine privative de liberté de substitution.

c. Selon l'ordonnance pénale du 16 avril 2021, il est reproché ce qui suit à A______  : à Genève, à réitérées reprises depuis le 4 décembre 2020 et la dernière fois le 21 janvier 2021, il a mis le véhicule automobile de marque B______ immatriculé GE 1______ à disposition de C______ alors que ce dernier n'était pas titulaire du permis de conduire requis, ce qu'il savait ou aurait dû savoir s'il avait prêté toute l'attention commandée par les circonstances.

B. Les faits de la cause ne sont pas contestés par l’appelant et peuvent être résumés comme suit, étant pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du code de procédure pénale suisse [CPP]).

a. C______ a été interpellé par la police, le 21 janvier 2021, pour n'avoir pas respecté un feu de signalisation qui était en phase rouge, alors qu'il conduisait le véhicule immatriculé GE 1______, dont le détenteur est l'entreprise D______. Les agents de police ont constaté que son permis de conduire espagnol n’était valable que jusqu’au 3 décembre 2020, et qu'il était ainsi échu.

b. C______ a affirmé avoir ignoré que son permis de conduire était échu. Par ordonnance pénale du 16 avril 2021, depuis lors définitive et exécutoire, il a été reconnu coupable de violations simples des règles de la circulation routière ainsi que de conduite sans permis de conduire.

c. A______ avait engagé C______ en tant que concierge avec contrat fixe dès le 1er juillet 2019 et lui avait donné accès à un véhicule. Avant de l'engager, il lui avait demandé de fournir une copie de son permis de conduire. C______ n'avait rien déclaré de spécial au sujet de son document, contrôlé par A______. Ce dernier n'était pas au courant qu'il pouvait y avoir une date d'échéance sur un permis de conduire et ignorait l’échéance du permis de conduire espagnol de C______. D______ était une entreprise familiale, au sein de laquelle régnait un climat de confiance. La plupart des employés travaillaient là depuis plus de dix ans et les véhicules leur étaient confiés entre 12h et 14h, ainsi que le soir pour regagner leur domicile. Il n'était ainsi pas possible de contrôler tous les matins que chaque employé disposait encore d'un permis de conduire valable. Par ailleurs, cette société n'était pas une entreprise de transport. Elle possédait 12 ou 13 véhicules, de type véhicule de livraison ou fourgonnette, et une douzaine de collaborateurs étaient amenés à les conduire.

d. Selon l’extrait du registre du commerce de D______, A______ a le statut d'associé avec signature collective à deux.

C. a. Aux débats d’appel, A______ a confirmé ses précédentes déclarations. Il n’avait pas personnellement remis le véhicule en cause à C______ : un autre collaborateur de l’entreprise, qui avait formé ce dernier, lui avait ensuite remis les clés du véhicule en 2019, alors que le permis de conduire était encore valable. C______ avait depuis lors conservé la voiture en permanence. L’entreprise en acquittait les frais et charges.

b. Le MP persiste dans les termes de son appel joint. L’appelant avait fait preuve d’une négligence ; sa faute était légère mais pas de très peu de gravité au sens de l’art. 100 ch. 1, 2ème phrase, LCR, et une exemption de peine n’entrait pas en ligne de compte.

c. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions. La procédure avait démontré qu’il avait bien vérifié le permis de conduire de son collaborateur, lequel était valable au moment de son engagement. Il n’avait pas personnellement confié le véhicule à C______ ; le MP avait d’ailleurs mandaté la police pour identifier qui avait remis le véhicule à un détenteur de permis échu. Or, lorsque les clés en avaient été remises à son collaborateur, le permis était valable. Il n’y avait plus eu de mise à disposition par la suite, et les faits décrits dans l’acte d’accusation n’étaient donc pas réalisés. Le but de l’art. 95 LCR était d’éviter que des conducteurs inexpérimentés ne puissent circuler ; or, son collaborateur était un conducteur expérimenté. Lors de l’adoption de la LCR, le législateur avait d’ailleurs supprimé l’échéance automatique des permis de conduire, considérant que le renouvellement purement formel n’offrait aucune garantie et aucun bénéfice pour la sécurité routière, qui était le bien protégé par l’art. 95 LCR. Sanctionner un détenteur pour avoir remis un véhicule à un conducteur dont le permis était échu était étranger au but de cette norme.

Le condamner reviendrait à violer la maxime d’accusation (art. 9 CPP) et à commettre un arbitraire. Cela contreviendrait également au principe in dubio pro reo, dans la mesure où l’appelant n’avait pas confié le véhicule à son employé, puisque la remise était le fait d’un collaborateur de l’entreprise.

À titre subsidiaire, l’appelant conclut à ce qu’il soit exempté de toute peine, les frais devant en tout état de cause être laissés à la charge de l’État.

D. A______, né le ______ 1978, est de nationalité suisse. Il est marié et père d'un enfant de six ans. Il est associé et co-directeur de la société D______, depuis une quinzaine d'années. Il gagne environ CHF 100'000.- nets par an, impôts déjà déduits. Sa prime d'assurance maladie s'élève à environ CHF 750.- par mois. Il est propriétaire de biens immobiliers qui sont hypothéqués.

Il n'a aucun antécédent inscrit à son casier judiciaire.

EN DROIT :

1. L’appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

Il en va de même de l'appel joint (art. 400 al. 3 let. b et 401 CPP).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. L'art. 9 CPP consacre la maxime d'accusation, laquelle découle également des art. 29 al. 2 Cst. (droit d'être entendu), 32 al. 2 Cst. (droit d'être informé, dans les plus brefs délais et de manière détaillée, des accusations portées contre soi) et 6 par. 3 let. a CEDH (droit d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation).

Selon ce principe, l'acte d'accusation définit l'objet du procès (fonction de délimitation). Une infraction ne peut faire l'objet d'un jugement que si le ministère public a déposé auprès du tribunal compétent un acte d'accusation dirigé contre une personne déterminée sur la base de faits précisément décrits. Il doit décrire les infractions qui sont imputées au prévenu de façon suffisamment précise pour lui permettre d'apprécier, sur les plans subjectif et objectif, les reproches qui lui sont faits (cf. art. 325 CPP). En effet, le prévenu doit connaître exactement les faits qui lui sont imputés et quelles sont les peines et mesures auxquelles il est exposé, afin qu'il puisse s'expliquer et préparer efficacement sa défense (fonction de délimitation et d'information ; ATF 143 IV 63 consid. 2.2 p. 65 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_834/2018 du 5 février 2019 consid. 1.1).

S'agissant d'infractions commises par négligence, l'acte d'accusation doit notamment indiquer l'ensemble des circonstances faisant apparaître en quoi l'auteur a manqué de diligence dans son comportement, ainsi que le caractère prévisible et évitable de l'acte (ATF 120 IV 348 consid. 3c p. 356; 116 Ia 455 consid. 3cc p. 458; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1452/2019 du 25 septembre 2020 consid. 1.2 et 6B_670/2020 du 14 décembre 2020 consid. 1.4).

2.2. Selon l'art. 325 al. 1 CPP, l'acte d'accusation désigne notamment les actes reprochés au prévenu, le lieu, la date et l'heure de leur commission ainsi que leurs conséquences et le mode de procéder de l'auteur ainsi que les infractions réalisées et les dispositions légales applicables de l'avis du ministère public. Des imprécisions relatives au lieu ou à la date sont sans portée, dans la mesure où le prévenu ne peut avoir de doute sur le comportement qui lui est reproché (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1185/2018 du 14 janvier 2019 consid. 2.1). Lorsque par la voie de l'opposition, l'affaire est transmise au tribunal de première instance, l'ordonnance pénale tient lieu d'acte d'accusation (art. 356 al. 1 CPP).

Le tribunal est lié par l'état de fait décrit dans l'acte d'accusation (immutabilité de l'acte d'accusation) mais peut s'écarter de l'appréciation juridique qu'en fait le ministère public (art. 350 al. 1 CPP), à condition d'en informer les parties présentes et de les inviter à se prononcer (art. 344 CPP). Il peut toutefois retenir dans son jugement des faits ou des circonstances complémentaires, lorsque ceux-ci sont secondaires et n'ont aucune influence sur l'appréciation juridique (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1023/2017 du 25 avril 2018 consid. 1.1, non publié in ATF 144 IV 189 ; 6B_947/2015 du 29 juin 2017 consid. 7.1 et les références).

2.3. À teneur de l’art. 95 al. 1 let. e LCR, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque met un véhicule automobile à la disposition d’un conducteur dont il sait ou devrait savoir s’il avait prêté toute l’attention commandée par les circonstances qu’il n’est pas titulaire du permis requis. Conformément à l’art. 100 al. 1 LCR, sauf disposition expresse et contraire de la loi, la négligence est aussi punissable.

Dans toutes les hypothèses visées à l'art. 95 al. 1 LCR, la règle de l'art. 100 al. 1 première phrase LCR s'applique sans restriction, de sorte que la négligence, comme l'intention, sont réprimées (Y. JEANNERET, Les dispositions pénales de la Loi sur la circulation routière (LCR), Berne 2007, n. 43 ad art. 95).

2.4. La négligence se traduit quant à elle par une conscience erronée portant sur le contenu du permis de conduire d'un tiers. L'auteur a une obligation générale de se renseigner activement. L'obligation de contrôler le contenu du permis de conduire sera très stricte lorsque l'auteur ne connaît pas le conducteur. L'erreur dans laquelle se trouve l'auteur est toujours évitable, et partant l'infraction punissable par négligence, lorsqu'il n'a pas satisfait à son devoir de vérification du permis du tiers alors qu'il était exigible compte tenu des circonstances (Y. JEANNERET, op. cit., n. 48 ad art. 95).

2.5. Les exigences de contrôle auxquelles est soumis le détenteur du véhicule ne doivent pas être exagérées : lorsqu'un ami digne de confiance assure être en possession d'un permis de conduire valable, il n'est pas nécessaire de procéder à un contrôle minutieux de son permis (H. GIGER, SVG Kommentar Strassenverkehrsgesetz mit weiteren Erlassen, Zürich 2014, n. 9 ad art. 95).

2.6.1. En l'espèce, l'appelant se prévaut d’une violation de la maxime d’accusation.

L’ordonnance pénale tenant lieu d’acte d’accusation lui reproche expressément d’avoir, à réitérées reprises entre le 4 décembre 2020 et le 21 janvier 2021 mis le véhicule automobile B______ à disposition de son employé alors que ce dernier n'était pas titulaire du permis de conduire requis, ce qu'il savait ou aurait dû savoir s'il avait prêté toute l'attention commandée par les circonstances. Ces faits sont parfaitement circonscrits.

En l’occurrence, il est établi que l’appelant a engagé son employé, lui a confié un travail et a délégué à un autre employé l’exécution des détails de cet engagement, ce qui impliquait notamment la mise à disposition d’un véhicule automobile. Ces opérations sont intervenues avant la période pénale et alors que l’employé était titulaire d’un permis de conduire en cours de validité. Cela étant, tout au long de l’emploi de son collaborateur, l’appelant a perpétué la situation ainsi mise en place, en poursuivant la relation de travail aux mêmes conditions. C’est donc bien lui qui a continué à confier le véhicule à son employé, en continuant d’ailleurs à assumer les charges en lien avec ce véhicule. Le fait que cette mise à disposition ait été matériellement effectuée avant la période pénale par un tiers agissant sur son instruction est sans pertinence pour la description des faits. La mise à disposition en l’occurrence est réalisée par le simple fait d’avoir maintenu le statu quo ante en laissant le véhicule de l’entreprise à disposition du collaborateur.

L’appelant a d’ailleurs parfaitement compris ce qui lui était reproché et l’acte d’accusation remplit ainsi sa fonction de délimitation et d'information.

2.6.2. L’appelant conteste la réalisation des conditions de l’art. 95 al. 1 let. e LCR, au motif que lorsqu’il a procédé à la vérification du permis de conduire de son employé, celui-ci était valable.

Dans le cadre de relations professionnelles, il incombe à l’employeur de s’assurer que son employé est bien titulaire d’un permis de conduire valable aussi longtemps qu’il circule au volant d’un véhicule de l’entreprise. Or, tel n’a pas été le cas.

L’appelant avait vérifié ledit permis au moment de l’engagement de son collaborateur, sans toutefois prendre garde à sa date de validité, et se prévaut de la durée illimitée des permis de conduire suisses. Or, il n’est pas incongru qu’un permis soit limité dans le temps, puisque même en Suisse certains permis de conduire sont soumis à de telles restrictions (cf. art. 15a et suivants LCR, art. 24a de l’ordonnance réglant l’admission des personnes et des véhicules à la circulation routière [OAC]). Les motivations exposées par le législateur (de 1958 !) pour supprimer la limitation générale de durée des permis de conduire suisses sont sans pertinence sur l’appréciation de la situation actuelle. C’est également en vain que l’appelant se réfère aux travaux du législateur de 2010 (FF 2010 3579). Cette modification de l’art. 95 LCR a inclus, au nombre des faits qualifiés délit, la conduite d’un véhicule par une personne n’ayant jamais été titulaire d’un permis, qui était auparavant sanctionnée uniquement par une contravention (cf. art. 95 ch. 1 aLCR). Elle ne concerne donc pas la présente situation.

Dans un contexte professionnel, lors duquel l’employeur confie régulièrement des véhicules à son employé, la vérification de la durée de validité du permis de conduire de celui-ci doit être la règle. Or, lorsque le permis de conduire de son employé est venu à échéance, ce que l’appelant aurait pu savoir s’il avait vérifié avec plus de soin le permis de celui-ci, il devait s’assurer du renouvellement de ce document, ce qu’il n’a pas fait, faute d’avoir pris garde à cette limitation. Il n’a pas non plus mis en place un système permettant la vérification régulière de la titularité et de la validité des permis de ses employés. Il a ainsi laissé perdurer la situation par laquelle cet employé détenait et continuait à utiliser un véhicule de l’entreprise, sans égard pour l’échéance de son permis de conduire. Les conditions du renouvellement dépendant du droit étranger, le fait de ne pas y avoir procédé ne peut être considéré comme une simple omission administrative sans conséquence.

L'appelant ne se prévaut pas d'avoir agi sous l'emprise d'une erreur, à raison. L’information omise était facilement vérifiable, puisque la date d’échéance figurait sur le permis que l’appelant a eu en mains. Il a manqué d’attention tout comme le conducteur concerné qui n’a lui-même pas pris garde à la péremption de son permis de conduire. Ces éléments ne font que confirmer que l’appelant a agi par négligence, pour s’être à tort appuyé sur ses vérifications incomplètes et n’avoir pas procédé au contrôle complet du permis de conduire de son collaborateur.

L'appelant doit par conséquent être reconnu coupable.

2.6.3. L’appelant se prévaut du principe in dubio pro reo, au motif que ce n’est pas lui mais un tiers qui a confié le véhicule à son collaborateur. Il existerait ainsi un scénario alternatif aussi probable et devant conduire à son acquittement.

Cet argument – qui se confond avec le grief tiré de l’art. 9 CPP – ne résiste pas à l’examen. Le tiers qui a confié le véhicule au collaborateur en 2019 a ensuite pris sa retraite et l’appelant a maintenu la situation existante. C’est d’ailleurs dès le départ lui-même qui a engagé son nouveau collaborateur et procédé aux vérifications sur son permis. C’est donc bien lui qui a confié, par l’entremise d’un tiers et en laissant la situation perdurer, le véhicule à un conducteur dépourvu de permis valable.

L'appel sera donc rejeté et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

3. 3.1. Selon l'art. 47 du code pénal (CP), le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

L'infraction à l’art. 95 al. 1 let. e LCR est passible d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

3.2. Les principes de l'art. 47 CP valent aussi pour le choix entre plusieurs sanctions possibles, et non seulement pour la détermination de la durée de celle qui est prononcée. Que ce soit par son genre ou sa quotité, la peine doit être adaptée à la culpabilité de l'auteur. Le type de peine, comme la durée de celle qui est choisie, doivent être arrêtés en tenant compte de ses effets sur l'auteur, sur sa situation personnelle et sociale ainsi que sur son avenir. L'efficacité de la sanction à prononcer est autant décisive pour la détermination de celle-ci que pour en fixer la durée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_611/2014 du 9 mars 2015 consid. 4.2).

La peine pécuniaire constitue la sanction principale dans le domaine de la petite et moyenne criminalité, les peines privatives de liberté ne devant être prononcées que lorsque l'État ne peut garantir d'une autre manière la sécurité publique. Le choix de la sanction doit être opéré en tenant compte au premier chef de l'adéquation de la peine, de ses effets sur l'auteur et sur sa situation sociale ainsi que de son efficacité du point de vue de la prévention (ATF 134 IV 97 consid. 4.2 p. 100 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1249/2014 du 7 septembre 2015 consid. 1.2).

3.3. Selon l'art. 42 al. 4 CP, le juge peut prononcer, en plus du sursis, une amende selon l'art. 106 CP. Celle-ci entre en ligne de compte en matière de délinquance de masse (Massendelinquenz), lorsque le juge souhaite prononcer une peine privative de liberté ou pécuniaire avec sursis, mais qu'une sanction soit néanmoins perceptible pour le condamné, dans un but de prévention spéciale (ATF 135 IV 188 consid. 3.3 p. 189 ; 134 IV 60 consid. 7.3.1 p. 74). La sanction ferme accompagnant la sanction avec sursis doit contribuer, dans l'optique de la prévention tant générale que spéciale, à renforcer le potentiel coercitif de la peine avec sursis. Cette forme d'admonestation adressée au condamné - ainsi qu'à tous - doit attirer son attention sur le sérieux de la situation en le sensibilisant à ce qui l'attend s'il ne s'amende pas. La combinaison prévue à l'art. 42 al. 4 CP constitue un "sursis qualitativement partiel" (ATF 134 IV 60 consid. 7.3.1 p. 74 s ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_835/2018 du 8 novembre 2018 consid. 3.2).

La peine prononcée avec sursis reste prépondérante, alors que l'amende est d'importance secondaire (ATF 134 IV 1 consid. 4.5.2 p. 8). Cette combinaison de peines ne doit pas conduire à une aggravation de la peine globale ou permettre une peine supplémentaire. Les peines combinées, dans leur somme totale, doivent être adaptées à la faute. L'adéquation entre la culpabilité et la sanction peut justifier d'adapter la peine principale en considération de la peine accessoire (ATF 134 IV 53 consid. 5.2 p. 55 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_952/2016 du 29 août 2017 consid. 3.1).

Pour tenir compte du caractère accessoire des peines cumulées, il se justifie en principe d'en fixer la limite supérieure à un cinquième, respectivement à 20%, de la peine principale. Des exceptions sont cependant possibles en cas de peines de faible importance, pour éviter que la peine cumulée n'ait qu'une portée symbolique (ATF 135 IV 188 consid. 3.4.4 p. 191).

Lorsqu’une amende est prononcée en application de l’art. 42 al. 4 CP, le montant du jour-amende est utilisé comme taux de conversion et l'amende additionnelle est donc divisée par ce montant (ATF 134 IV 60 consid. 7.3.3 p. 76).

3.4.1. À teneur de l'art. 100 ch. 1 al. 2 LCR, dans les cas de très peu de gravité, le prévenu sera exempté de toute peine.

3.4.2. Il est admis que l'exemption de peine est possible pour toutes les infractions de la législation routière, c'est-à-dire la LCR et ses ordonnances d'exécution, à l'exclusion des infractions du CP, comme les art. 117 et 125 CP, qui pourraient être consécutives à une violation des règles de la circulation ; par ailleurs, l'infraction pourra être un délit ou une contravention, étant cependant précisé qu'en présence d'un délit, il y aura lieu d'en faire un usage plus restrictif.

Enfin, l'art. 100 ch. 1 al. 2 LCR pourra entrer en considération, que l'infraction soit commise intentionnellement ou par négligence (Y. JEANNERET, op. cit., n. 13-14 ad art. 100).

3.4.3. Savoir si le cas est de très peu de gravité dépend de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives pertinentes pour l'appréciation de la faute (ATF 124 IV 184 consid. 3a).

3.4.4. Il n'y a lieu de renoncer au prononcé d'une amende que si une sanction aussi minime apparaît choquante au regard de la faute de l'auteur. La jurisprudence subordonne ainsi l'admission d'un cas de très peu de gravité à des exigences élevées. Toute négligence ne peut, en particulier, être appréciée comme particulièrement légère (ATF 117 IV 302 consid. 3b/cc).

3.4.5. Lorsque les conditions d'application de l'art. 100 ch. 1 al. 2 LCR sont remplies, le juge prononce un verdict de culpabilité, mais renonce à infliger une peine et peut aussi condamner l'auteur de l'infraction aux frais de la procédure (Y. JEANNERET, op. cit., n. 23 ad art. 100).

3.5. En l'espèce, la faute de l'appelant est certes légère. Elle ne dénote pas un mépris caractérisé des règles de la circulation routière, mais bien de la négligence. Il a agi de bonne foi, se fiant à un contrôle insuffisant effectué lors de l’engagement de son collaborateur.

Cela étant, et quand bien même le conducteur concerné savait conduire un véhicule, il n’est pas anodin qu’un employeur s’abstienne de procéder à une vérification complète du permis de conduire de son employé au moment de son engagement, et ne réitère jamais ce contrôle, alors qu’il envisage de lui confier régulièrement un véhicule. L’erreur a par ailleurs été découverte à l’occasion d’une infraction aux règles de la circulation routière qui, si elle n’est bien sûr pas imputable à l’employeur du conducteur, n’a pu survenir que parce qu’un véhicule avait été, à tort, mis à disposition de l’intéressé.

L’indication de la date de validité du permis de conduire figurait tant sur le recto que sur le verso de celui-ci, ce qu’un examen plus attentif du document aurait permis de constater. L’erreur était facilement évitable et pouvait de surcroît conduire au renouvellement du document et donc palier le défaut de permis de conduire valable. Dans l’ensemble, compte tenu du contexte professionnel (et non amical) ainsi que de la régularité de la remise d’un véhicule, la négligence commise n’est ainsi pas minime.

Dès lors, il ne peut pas être retenu qu’il s'agirait pas d'un cas de très peu de gravité au sens de l'art. 100 ch. 1 al. 2 LCR, dont l’application doit donc être écartée.

L’appel joint du MP doit ainsi être admis dans son principe.

3.6. Comme déjà relevé, la faute commise est légère. L’appelant a agi par négligence et légèreté, en procédant à un contrôle insuffisant lors de l’engagement de son collaborateur. Sa prise de conscience est médiocre, dans la mesure où il a cherché à minimiser la gravité des faits et à déporter la responsabilité de l’infraction sur un tiers, vraisemblablement plus pour des motifs de stratégie de défense que par volonté de se soustraire à ses responsabilités.

L’absence d’antécédents a un effet neutre sur la peine. L’appelant remplit les conditions du sursis et le prononcé d’une peine pécuniaire apparaît adéquat. Compte tenu du revenu de l’appelant le montant du jour-amende sera arrêté à CHF 150.- ; la sanction sera arrêtée à dix jours-amende.

Cette sanction suffit à réprimer la négligence commise et une amende à titre de sanction immédiate est ainsi superflue.

4. L'appel joint ayant été essentiellement admis, seule la peine prononcée étant inférieure à celle requise par le MP, l'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure envers l'État (art. 428 CPP).

Pour le même motif, il sera condamné au paiement de l’intégralité des frais de première instance, que le premier juge avait arrêté à un montant inférieur au montant total des frais exposés (art. 428 al. 3 CPP).

5. 5.1. La question de l'indemnisation du prévenu (art. 429 CPP) doit être traitée en relation avec celle des frais (art. 426 CPP). Si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue (ATF 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357 ; arrêt 6B_187/2015 du 28 avril 2015 consid. 6.1.2).

En l’espèce, l’appelant succombe intégralement, étant relevé que la quotité de la peine requise par le MP n’a eu aucune influence sur ses frais de défense. Il sera partant intégralement débouté de ses conclusions en indemnisation.


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Reçoit l'appel formé par A______ et l'appel joint formé par le Ministère public contre le jugement JTDP/878/2022 rendu le 18 juillet 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/4169/2021.

Rejette l’appel principal et admet partiellement l’appel joint.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable de mise à disposition d'un véhicule à une personne non titulaire du permis de conduire requis (art. 95 al. 1 let. e LCR).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de dix jours-amende.

Fixe le montant du jour-amende à CHF 150.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à deux ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et les peines suspendues exécutées, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).

Condamne A______ aux frais de la procédure de première instance, arrêtés à CHF 729.- (art. 426 al. 1 CPP).

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, arrêtés à CHF 1'685.-, y-compris un émolument de jugement de CHF 1'500.-.

 

 

 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et au Service cantonal des véhicules.

 

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

729.00

 

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

60.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

50.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'685.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

2'414.00