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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2863/2018

ATA/935/2018 du 13.09.2018 ( EXPLOI ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2863/2018-EXPLOI

" ATA/935/2018.

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 13 septembre 2018

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Dimitri Tzortzis, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ



Attendu, en fait, que :

1. Monsieur A______, né le ______ 1979, de nationalité tunisienne, a déposé le 5 août 2016 un formulaire d'annonce d'exploitation d'un salon de massages auprès de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI) de la police genevoise.

2. Ce salon (« B______ ») a ouvert ses portes dans un appartement à la rue C______ le 1er septembre 2016.

3. Par courrier du 6 novembre 2017, l'office des autorisations de construire (ci-après : l'office) a informé M. A______ que la nouvelle affectation du logement en salon de massages pouvait constituer un changement d'affectation non autorisé, et lui a imparti un délai de dix jours pour se déterminer. Une procédure d'infraction a été ouverte.

4. Après avoir obtenu un délai pour se déterminer, M. A______ a indiqué qu'il entendait requérir une dérogation et qu'un architecte allait être mandaté en ce sens.

5. Le 28 février 2018, le département de la sécurité (ci-après : DS) a confirmé à l'office (lequel dépend du département du territoire, ci-après : DT) que le salon avait été ouvert conformément à la loi, et a sollicité la transmission du dossier.

6. Le 26 mars 2018, le DS s'est adressé à M. A______ et a exigé qu'il dépose une demande de dérogation auprès du DT, sous peine de fermeture du salon.

7. Le 24 avril 2018, une des copropriétaires de l'immeuble sis rue C______ s'est plainte au DS de l'exploitation du salon. Les personnes s'y prostituant n'étaient quasiment jamais les mêmes et changeaient toutes les semaines, si bien qu'il était probable que leur identité et leur nombre réels n'avaient pas été annoncé correctement.

8. Après prolongation du délai, M. A______ a répondu, le 26 avril 2018, qu'il ne pouvait requérir de dérogation, celle-ci devant émaner du propriétaire de l'immeuble.

9. Le 14 mai 2018, le DS a informé M. A______ que, compte tenu de l'impossibilité de régulariser l'affectation du salon, il entendait en ordonner la fermeture. Un délai de dix jours lui était imparti pour se déterminer.

10. Le 25 mai 2018, M. A______ a indiqué que selon les principes généraux du droit administratif, un particulier pouvait revendiquer l'égalité dans l'illégalité si une situation identique à la sienne était tolérée par les autorités. Or plus d'une centaine de salons à Genève étaient exploités dans des locaux d'habitation, sans faire l'objet d'un ordre de fermeture.

Il demandait donc au département de lui préciser le pourcentage de salons faisant l'objet d'une procédure de mise en conformité sur l'ensemble des salons enregistrés dans le canton, ainsi que les critères utilisés par l'État pour déterminer les salons qui font l'objet d'une procédure de fermeture et ceux qui étaient tolérés. Il demandait enfin à pouvoir déposer des observations complémentaires.

11. Le même jour, soit le 25 mai 2018, la presse locale s'est fait l'écho des démarches entreprises par divers copropriétaires de l'immeuble pour déloger le salon de M. A______. Un autre article, dans un quotidien différent, est également paru le 15 août 2018.

12. Par décision du 31 juillet 2018 déclarée exécutoire nonobstant recours, le DS a ordonné la fermeture définitive du salon « B______ » avec effet au 31 août 2018. L'occupation du logement était autorisée au-delà de cette date, mais jusqu'au 31 août2020 au plus tard, pour autant qu'aucune activité de prostitution n'y soit pratiquée.

Il n'était pas nécessaire de faire droit à la requête de M. A______ concernant les statistiques de procédures de mise en conformité, le département n'ayant jamais caché son approche en la matière, qui consistait à ne pas faire la chasse aux salons, mais à donner suite aux plaintes formelles lui étant adressées, notamment par le voisinage. Ceci tenait compte de l'intérêt public sous-jacent à ne pas voir disparaître dans la clandestinité la prostitution de salon ou souffrir un transfert de celle-ci vers la prostitution de rue. En l'espèce, des plaintes avaient été adressées tant au DS qu'au DT par les copropriétaires de l'immeuble.

Pour le surplus, il était établi que M. A______ n'avait pas obtenu et n'obtiendrait pas de préavis positif du DT au sens de l'art. 10 let. d de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49). Il savait depuis le 7 décembre 2016 qu'il devait régulariser sa situation ou se résoudre à quitter le logement, ou à tout le moins y cesser son activité. Il y avait lieu également de tenir compte des doléances du voisinage et de son agacement à voir la situation perdurer.

13. Par acte posté le 24 août 2018, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours et à la communication des renseignements déjà demandés, et principalement à ce que la nullité de la décision soit constatée, subsidiairement à ce qu'elle soit annulée.

Le DS – qui était par ailleurs allé au-delà de ses compétences en lui intimant de quitter l'appartement au plus tard en 2020, alors qu'il s'agissait là d'un pur rapport de droit privé – avait déclaré la décision attaquée exécutoire nonobstant recours, et ce à l'encontre de l'art. 18 du règlement d'exécution de la loi sur la prostitution du 14 avril 2010 (RProst - I 2 49.01). Ce dernier précisait expressément que les personnes responsables d'un salon qui s'étaient valablement annoncées et qui, suite à l'entrée en vigueur de la modification du 30 novembre 2016, ne pouvaient bénéficier du préavis positif du DT, disposaient d'un délai de deux ans pour libérer les locaux dès la notification de la décision du DS.

De plus, il n'y avait aucune urgence à voir la décision appliquée immédiatement, les plaintes du voisinage ne pouvant prendre le dessus sur l'intérêt des hôtesses à voir leur intégrité protégée et à avoir le temps de trouver un autre lieu d'exercice de leur activité.

14. Le 4 septembre 2018, le DS a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

M. A______ ne donnait qu'un seul motif pouvant justifier la restitution de l'effet suspensif, à savoir que les personnes qui travaillaient dans le salon risqueraient de se retrouver à la rue. Or la décision entreprise réservait à ces personnes le droit d'occuper les locaux, ce qui faisait qu'elles ne seraient pas jetées à la rue. Qui plus était, un tournus assez important des hôtesses était constaté dans les différents salons, de sorte que ces travailleuses exerçaient leur métier sur de courtes périodes en principe. Dès lors, il avait été tenu compte de ce tournus pour estimer qu'une durée d'un mois avant la fermeture du salon était adéquat pour laisser à ces travailleuses le temps de se retourner.

Par ailleurs, M. A______ minimisait l'intérêt privé des copropriétaires à voir la situation de leur immeuble régularisée, alors qu'il était au contraire essentiel, la situation s'étant fortement dégradée et étant susceptible de dégénérer. Leur intérêt privé prépondérant requérait dès lors de ne pas restituer l'effet suspensif, ce d'autant qu'aucun préjudice ne pesait sur les personnes œuvrant dans le salon.

15. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1. Le recourant conclut à titre principal à la nullité de la décision attaquée, laquelle doit être constatée en tout temps par toute autorité (ATF 138 II 501 consid. 3.1). Il y a toutefois lieu d'admettre qu'en l'état, un tel constat ne s'impose pas, le DS étant compétent pour prononcer la mesure principale contenue dans la décision attaquée, à savoir la fermeture d'un salon de massages (art. 14 al. 2 LProst cum 1 RProst).

2. a. Aux termes de l’art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

À teneur de l’art. 21 LPA, l’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (al. 1) ; ces mesures sont ordonnées par le président s’il s’agit d’une autorité collégiale ou d’une juridiction administrative (al. 2).

b. D’après la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/418/2018 du 3 mai 2018 consid. 4 et 5 ; ATA/306/2018 du 4 avril 2018 consid. 5). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

c. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1 ; ATA/613/2014 du 31 juillet 2014 consid. 5).

Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités ; ATA/613/2014 précité consid. 5).

3. a. En l'espèce, le recourant a annoncé en août 2016, conformément à la LProst, l'ouverture de son salon. En décembre 2016 – et donc, étrangement, avant l'adoption des normes légales formelles leur servant de fondement – sont entrées en vigueur les nouvelles dispositions du RProst concernant notamment la compatibilité de l'exploitation des salons avec la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) et la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). Ce n'est qu'un an plus tard, en novembre 2017 que le DT a informé le recourant d'un possible problème d'affectation des locaux, tandis que la décision litigieuse a été notifiée à fin juillet 2018.

b. L'art. 18 RProst, entré en vigueur le 7 décembre 2016, est une disposition transitoire qui prévoit que « les personnes responsables d'un salon ou d'une agence d'escorte qui s'étaient valablement annoncées conformément aux art. 9 et 12 [LProst] et qui, suite à l'entrée en vigueur de la modification du 30 novembre 2016, ne peuvent bénéficier du préavis positif du DT prévu aux art. 9 al. 3 et 12 al. 3 [LProst], disposent d'un délai de deux ans pour libérer les locaux dès la notification de la décision par le DS ».

Ladite modification réglementaire n'a fait l'objet d'aucun exposé des motifs publié, et ne s'est pas davantage vu expliciter par le Conseil d'État dans le communiqué diffusé lors de son adoption (communiqué du Conseil d'État du 30 novembre 2016, p. 10 – consultable sous https://www.ge.ch/document/ communique-du-conseil-etat-du-30-novembre-2016/telecharger). Il n'existe ainsi pas de travaux préparatoires permettant de savoir à quoi se réfère l'expression « libérer les locaux ».

c. L'autorité intimée a, dans la décision attaquée, prévu deux délais : l'un au 31 août 2018 pour cesser l'exploitation des locaux comme salon de massage, et l'autre au 31 août 2020 pour l'occupation du logement, pour autant qu'aucune activité de prostitution ne s'y déploie.

Or à première vue, une telle interprétation n'apparaît pas conforme à l'ordre juridique dans son ensemble. En effet, si le DS est compétent, en tant qu'autorité administrative, pour prendre les mesures prévues par la LProst, la question de savoir si un locataire peut ou non, sans exercer aucune activité de prostitution, rester dans un appartement est réglée exclusivement par le droit civil fédéral, soit plus précisément le droit possessoire (art. 919 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210) et le droit du bail à loyer (art. 253 ss de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220).

En outre, toujours prima facie, le texte de la disposition est clair sur deux autres points, à savoir qu'elle s'adresse aux tenanciers de salons de massage – a priori afin de leur permettre de trouver dans ce délai de nouveaux locaux dont l'affectation est conforme –, et que le délai de deux ans court à partir de la notification de la décision par le DS.

d. Il apparaît donc, déjà à ce stade, probable que le recourant dispose en fait, de par l'application de la disposition transitoire réglementaire, de deux ans à partir du 2 août 2018, date à laquelle la décision de fermeture du salon a été prise, pour continuer à exploiter son salon de massages tout en cherchant des locaux dont l'affectation serait conforme à cet usage.

Dans ces conditions, il n'existe aucun motif de ne pas accorder l'effet suspensif au recours, la situation tendue entre les copropriétaires de l'immeuble et le recourant ne pouvant être prise en compte au vu de ce qui précède, ainsi que du fait que les nuisances au voisinage ne constituent pas un motif retenu par la décision attaquée pour la fermeture du salon.

Les frais de la procédure seront réservés jusqu'à droit jugé sur le fond.

Vu le recours interjeté le 24 août 2018 par Monsieur A______ contre la décision du département de la sécurité du 31 juillet 2018 ;

vu les art. 21 et 66 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ;

vu l’art. 9 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 26 septembre 2017 ;

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

restitue l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Dimitri Tzortzis, avocat du recourant, ainsi qu'au département de la sécurité.

 

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :