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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/715/2014

ATA/840/2014 du 28.10.2014 ( AIDSO ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/715/2014-AIDSO ATA/840/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 octobre 2014

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

 

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1982, a obtenu un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC) de gestionnaire de vente en 2004.

2) Entre 2005 et août 2012, il a exercé son activité professionnelle auprès de différents employeurs.

3) En août 2012, M. A______ a repris ses études dans l'optique de passer des examens d'entrée pour la maturité professionnelle.

4) Il a sollicité une bourse d'études auprès du service des bourses et prêts d’études (ci-après : SBPE) et une aide financière de l'Hospice général (ci-après : l'hospice).

5) Par décision du 31 juillet 2013, l'hospice lui a refusé l'octroi de l'aide financière exceptionnelle en faveur des étudiants et personnes en formation.

6) L'intéressé a commencé une maturité professionnelle artistique auprès de l'école de commerce Nicolas-Bouvier en août 2013.

7) Par décision du 25 septembre 2013, le SBPE a octroyé une bourse à l’étudiant pour l'année scolaire 2013-2014.

8) L'hospice a confirmé son refus par décision sur opposition du
8 octobre 2013. L'intéressé était déjà au bénéfice d'une première formation complète dans le domaine de la vente qui lui permettait de trouver un emploi. L'aide financière exceptionnelle n'avait pas pour but de permettre à une personne de commencer de nouvelles études.

9) Le 15 janvier 2014, M. A______ a déposé une nouvelle demande de prestations d'aide sociale financières auprès de l'hospice.

10) Le 17 janvier 2014, l'hospice a refusé de verser des prestations à l’intéressé.

11) M. A______ a fait opposition le 28 janvier 2014. Il n'obtiendrait la deuxième tranche de sa bourse qu'à fin mai 2014. Il n'avait pas les moyens de vivre entre temps. Au cours des cinq dernières années, il n'avait pas trouvé d'emploi à temps partiel. Il était célibataire, vivait seul et tentait de se réinsérer professionnellement.

12) Le 13 février 2014, l'hospice a rejeté l'opposition de l'intéressé. Il persistait dans les termes de sa décision.

13) Le 7 mars 2014, M. A______ a interjeté recours contre ladite décision devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Il a conclu à l'annulation de la décision litigieuse et à l'octroi de l'aide financière avec effet à la date de sa demande, soit le 15 janvier 2014.

Au terme de son apprentissage, il avait obtenu son CFC de gestionnaire de vente. Il n'avait pas trouvé de travail dans sa branche et avait fait de nombreuses autres activités (aide-comptable, barman, bagagiste, agent de loge de sécurité et assistant administratif). Depuis cinq ans, il n'avait plus trouvé d'emploi, même à temps partiel. Il avait décidé d'entreprendre une formation pour obtenir une maturité professionnelle dans le domaine artistique. Cette démarche lui avait fait perdre son droit au revenu minimum. Il avait toutefois obtenu une bourse. Le premier versement était intervenu en octobre 2013 et le deuxième devait être versé en mai 2014. Il ne disposait d'aucune autre source de revenus et avait besoin d'une aide financière jusqu'en mai 2014. Il remplissait les conditions légales pour l'octroi de l’aide exceptionnelle aux étudiants dès lors qu'il s'agissait de surmonter des difficultés passagères et de terminer sa formation en cours. Il s'agissait de sa première demande d'aide financière de ce genre, de surcroît limitée dans le temps. Contrairement à ce qu'indiquait l'hospice, il ne commençait pas une nouvelle formation ou une seconde, mais arrivait au terme de sa maturité qu'il devait obtenir en 2015. Il espérait terminer cette formation, pouvoir trouver rapidement une place de travail et ne plus dépendre d'aucune aide. Il était prêt à rembourser le montant accordé par l’hospice, une fois que sa situation le lui permettrait.

14) Par réponse du 24 avril 2014, l'hospice a persisté dans les termes de sa décision. Le droit à l'aide sociale était soumis au principe de la subsidiarité. L'aide n'était accordée que si elle représentait le seul moyen d'éliminer la situation d'indigence. Elle n'avait pas pour vocation de financer une formation ou des études. L'aide financière exceptionnelle pour étudiants ne pouvait intervenir en faveur d'une personne qui, ayant acquis une première formation, pouvait trouver un travail lui procurant un salaire. Elle ne pouvait donc pas être accordée à une personne qui suivait une seconde formation. L'étudiant devait compter sur ses propres moyens, notamment en réalisant un revenu par un travail accessoire, éventuellement complété par une bourse ou un prêt d'études et non par l'aide sociale. Le financement de la formation incombait aux parents ou aux tiers qui y étaient légalement tenus (conjoint marié ou partenaire enregistré) et aux personnes en formation elles-mêmes. En l'espèce, M. A______ ne remplissait pas la première condition d'une aide financière exceptionnelle pour étudiants, à savoir accomplir une première formation. De surcroît, il n'était pas confronté à des difficultés passagères, mais à un problème d'absence totale et continue de financement de ses études en complément de sa bourse. Enfin, il n'était pas à la fin de ses études. La maturité professionnelle ne sanctionnait pas l’aboutissement d'une formation, mais était la clé d'accès à une haute école supérieure dont le cycle bachelor durait en principe trois ans et le cycle master deux ans. M. A______ était parfaitement informé qu'il n'obtiendrait pas d'aide financière avant d'entreprendre sa maturité professionnelle. Un refus lui avait d'ailleurs déjà été signifié en juillet 2013.

15) M. A______ a répliqué le 3 mai 2014. Il a produit différentes reconnaissances de dettes attestant des emprunts qu'il avait dû faire dans son entourage. Il avait fait appel à une fondation qui avait pu l'aider ponctuellement. Il ne prétendait pas vouloir absolument continuer ses études par la suite. Sa capacité de s'insérer professionnellement serait améliorée grâce à l'obtention de son certificat de maturité professionnelle. Il avait comme projet d'être embauché pour le 1er septembre 2014 comme pilote de locomotive auprès des chemins de fers fédéraux. Le recourant a produit un certificat médical du 21 mai 2014 du Docteur B______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, lequel certifiait suivre le recourant depuis plusieurs années. Le Dr B______ l'avait encouragé à reprendre des études, niveau maturité. Le patient n'était pas en mesure de travailler en parallèle de ses études.

16) Le 5 juin 2014, l'hospice a indiqué n'avoir aucune requête ou observations complémentaires à formuler.

17) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine
(art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 -
Cst. - RS 101). Le droit constitutionnel fédéral ne garantit toutefois que le principe du droit à des conditions minimales d’existence ; il appartient ainsi au législateur fédéral, cantonal et communal d’adopter des règles en matière de sécurité sociale qui ne descendent pas en dessous du seuil minimum découlant de l’art. 12 Cst. mais qui peuvent aller au-delà (arrêts du Tribunal fédéral
2P.318/2004 du 18 mars 2005 consid. 3 ; 2P.115/2001 du 11 septembre 2001 consid. 2a ; ATA/724/2013 du 29 octobre 2013). L'art. 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) - reprend ce principe : « toute personne a droit à la couverture de ses besoins vitaux afin de favoriser son intégration sociale et professionnelle ».

3) En droit genevois, la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) et le règlement d'exécution de la LIASI du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) mettent en œuvre ce principe constitutionnel.

4) La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI).

Les prestations d’aide financière sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI). Le bénéficiaire doit faire valoir sans délai ses droits auxquels l’aide financière est subsidiaire et doit mettre tout en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière (art. 9 al. 2 LIASI). La personne dans le besoin doit avoir épuisé les possibilités d’auto-prise en charge, les engagements de tiers et les prestations volontaires de tiers (ATA/227/2014 du 8 avril 2014 ; Félix WOLFFERS, Fondement du droit de l’aide sociale, 1995, p. 77). Le Tribunal fédéral a rappelé dans un arrêt 8C_56/2012 du 11 décembre 2012 que l'art. 9 al. 1 LIASI correspond aux principes dégagés par la Conférence suisse des institutions d'action sociale (ci-après : CSIAS).

5) Les étudiants et les personnes en formation n'ont pas droit aux prestations financières ordinaires (art. 11 al. 4 LIASI a contrario). Néanmoins, le Conseil d’État fixe par règlement les conditions d’une aide financière exceptionnelle pour cette catégorie de personnes (art. 11 al. 4 let. a LIASI).

Peut être mis au bénéfice d'une aide financière exceptionnelle, l'étudiant ou la personne en formation qui remplit les conditions cumulatives suivantes : être au bénéfice d'allocations ou prêts d'études (art. 13 al. 1 let. a RIASI) et ne pas faire ménage commun avec son père et/ou sa mère (art. 13 al. 1 let. b RIASI).

En outre, l’aide financière doit permettre de surmonter des difficultés passagères et de terminer la formation en cours. Elle est limitée à six mois. A titre exceptionnel, elle peut être reconduite (art. 13 al. 2 RIASI).

Dans un arrêt récent (ATA/559/2014 du 17 juillet 2014 ; concernant un couple d’avocats sud-américains, réfugiés en Suisse et commençant, chacun, une seconde formation), la chambre administrative a tranché qu’en précisant que l'aide financière aux personnes en formation n'était accordée que dans le but de terminer des études et à titre exceptionnel, l'art. 13 al. 2 RIASI dépassait le cadre de la délégation législative circonscrite par l'art. 11 al. 4 let. a LIASI.

L'ajout d'une précision complémentaire quant à la nécessité que l'aide soit uniquement octroyée dans le but de terminer ses études allait au-delà de ce que proposait l'art. 11 al. 4 let. a LIASI. En effet, le caractère exceptionnel était assuré par les autres conditions, notamment par la limitation dans le temps de l'aide. Certes, l'art. 11 al. 4 let. a LIASI décrivait des « personnes en formation », cependant, la volonté du législateur n'était pas d'exclure a priori des personnes entamant des études, mais de ne pas transformer l'aide sociale en aide à la formation. L'obligation d'aboutissement des études créait une inégalité de traitement, non justifiée par la loi, entre des personnes se trouvant au début d'un cycle de formation et des personnes le terminant. La situation était également peu claire quant à la définition du moment à partir duquel une formation pouvait être terminée. Le critère primordial demeurait le caractère exceptionnel de l'aide pour faire face à des difficultés passagères. Le fait de discriminer le moment de survenance de ces difficultés n'entrait pas dans le champ de l'art. 11 al. 4 let. a LIASI, mais ajoutait une condition supplémentaire (ATA/559/2014 précité).

6) Une nouvelle jurisprudence est en principe applicable à toutes les procédures pendantes qui ne sont pas encore entrées en force au moment du changement de pratique (arrêt du Tribunal fédéral 2A.471/2005 du 10 novembre 2006 consid. 3.7). Pour la sécurité du droit, il ne saurait être question d’application rétroactive aux décisions entrées en force. La jurisprudence doit s’appliquer immédiatement et aux affaires pendantes au moment où elle est adoptée (ATF 135 II 78 consid. 3.2 p. 85 ; 132 II 153 consid. 5.1 p. 159 ; 122 I 57 consid. 3c/bb p. 59 ss).

7) En l’espèce, le recourant remplit les deux conditions de l’art. 13 al. 1 RIASI ce que l’intimé ne conteste pas. Seul était litigieux, l’al. 2 de la même disposition à savoir que la maturité professionnelle en cours était la seconde formation de l’intéressé. Au vu de la nouvelle jurisprudence de la chambre administrative, le refus de l’intimé n’est pas fondé. Bien que s’agissant d’une seconde formation, l’étudiant doit pouvoir, de façon limitée dans le temps, bénéficier d’une aide financière pour faire face à ses difficultés passagères.

Le recours sera admis et la décision litigieuse annulée. Le dossier sera renvoyé à l’hospice pour calculer le droit de l’intéressé et prononcer une nouvelle décision dans le sens des considérants.

8) Vu la nature et l'issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument
(art. 87 al. 1 LPA et art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

Il n’est pas alloué d’indemnité de procédure (art 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 mars 2014 par Monsieur A______ contre la décision sur opposition de l’Hospice général du 13 février 2014 ;

au fond :

admet le recours ;

annule la décision de l’Hospice général du 13 février 2014 ;

renvoie le dossier à l’Hospice général pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeants : M. Verniory, président, Mmes Junod et Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :