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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/169/2015

ATA/809/2018 du 07.08.2018 sur JTAPI/928/2016 ( ICC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/169/2015-ICC ATA/809/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 août 2018

4ème section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 septembre 2016 (JTAPI/928/2016)


EN FAIT

1) Madame A______ est actionnaire et administratrice de la B______ SA (ci-après : la société), sise à Genève, dont le but est « travaux de mandats d’architecture construction, expertise et recherche dans le domaine de l’immobilier en général ». Le capital-actions de la société est constitué de 100 actions nominatives, d’une valeur nominale de CHF 1'000.- dont Mme A______ détient la moitié et Monsieur C______, administrateur et président, l’autre. La société emploie plusieurs salariés.

2) Dans sa déclaration fiscale 2011, adressée à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) le 20 août 2012, la contribuable a mentionné sa participation dans la société pour une valeur imposable de CHF 187'250.-.

3) Le 13 mai 2013, l’AFC-GE a communiqué à la société son estimation de la valeur fiscale de ses actions au 31 décembre 2010, calculée sur la base d’éléments des trois derniers exercices. La valeur fiscale brute déterminante d’une action était fixée à CHF 30'232.-. La société a contesté en vain cette évaluation.

4) Le 18 août 2014, l’AFC-GE a adressé à la contribuable un bordereau de taxation pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) 2011 dans lequel elle retenait un montant de CHF 1'511'600.- au titre de la valeur imposable de sa participation dans la société, soit un montant de CHF 30'232.- par action.

5) Le 17 septembre 2014, la contribuable a déposé une réclamation auprès de l’AFC-GE contre le bordereau ICC 2011.

Le montant de l’action de la société était surévalué. La gestion des affaires était assurée par les deux actionnaires. La société reposait uniquement sur l’activité déployée par ces derniers. Elle n’avait aucune valeur, excepté ses fonds propres. En cas de vente, personne n’accepterait de payer le prix découlant de l’évaluation fiscale.

6) Par décision du 16 décembre 2014, l’AFC-GE a rejeté la réclamation et maintenu le bordereau litigieux. La valorisation de la société tenait compte de la valeur de rendement et pas uniquement de la valeur substantielle. Il n’était pas possible de déroger à la circulaire no 28 de la conférence suisse des impôts (ci-après : CSI), sur les instructions concernant l’estimation des titres non côtés en vue de l’impôt sur la fortune (ci-après : circulaire no 28).

7) Par acte du 16 janvier 2015, la contribuable a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision susmentionnée, concluant à son annulation et à la fixation de la valeur fiscale de l’action à CHF 10'113.12, correspondant à la valeur des fonds propres nets.

La valeur de rendement ne pouvait pas être appliquée à un bureau d’architectes, compte tenu de l’incertitude des revenus futurs.

8) Le 20 avril 2015, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours. La société employait plusieurs salariés non actionnaires, la masse salariale globale était supérieure à CHF 2'000'000.-. L’évaluation de l’action de la société avait été faite conformément à la circulaire no 28. La recourante n’apportait pas d’éléments susceptibles de justifier une exception. L’argument relatif à la variabilité et à l’incertitude des revenus ne pouvait être retenu, dès lors que la valeur de rendement retenue en tenait compte en prenant pour base les résultats de trois exercices commerciaux.

9) Par jugement du 14 décembre 2015, le TAPI a déclaré le recours de la contribuable irrecevable au motif qu’il était tardif.

10) Par arrêt du 24 mai 2016, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), statuant sur recours de la contribuable, a annulé le jugement précité et renvoyé la cause au TAPI, pour examen des autres conditions de recevabilité et, cas échéant, du fond du litige.

11) Par jugement du 12 septembre 2016, le TAPI a rejeté le recours de la contribuable. L’AFC-GE avait correctement appliqué les principes contenus dans la circulaire no 28.

12) Par acte du 21 octobre 2016, la contribuable a recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement susmentionné, concluant à son annulation et à la fixation de la valeur fiscale de l’action de la société à CHF 10'113.12.

13) Le 27 octobre 2016, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d’observations.

14) Le 21 novembre 2016, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

15) La contribuable n’a pas donné suite à l’invite de la chambre administrative à exercer son droit à la réplique.

16) Le 22 mars 2017, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2) Dans un arrêt récent (ATA/460/2018 du 8 mai 2018), la chambre de céans a examiné la question de la détermination de la valeur des actions d’une société et a retenu ce qui suit :

a. Réglé aux art. 13 et 14 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), l’impôt sur la fortune des personnes physiques a pour objet l’ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 LHID), qui se détermine selon les règles d’évaluation prévues à l’art. 14 LHID. Selon l’art. 14 al. 1 LHID, la fortune est estimée à la valeur vénale. Toutefois, la valeur de rendement peut être prise en considération de façon appropriée. La LHID ne prescrit pas au législateur cantonal une méthode d’évaluation précise pour déterminer cette valeur. Les cantons disposent donc en la matière d’une marge de manœuvre importante pour élaborer et appliquer leur réglementation, aussi bien dans le choix de la méthode de calcul applicable que pour déterminer, vu le caractère potestatif de l’art. 14 al. 1, 2ème phr., LHID, dans quelle mesure le rendement doit être pris en considération dans l’estimation (ATF 134 II 207 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_826/2015 du 5 janvier 2017 consid. 4.1 non publié in ATF 143 I 73).

b. À Genève, l’art. 46 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) prévoit que l’impôt sur la fortune a pour objet l’ensemble de la fortune nette, après déductions sociales. Sont notamment soumis à l’impôt sur la fortune les actions, les obligations et les valeurs mobilières de toute nature (art. 47 let. b LIPP). Selon l’art. 49 LIPP, l’état de la fortune mobilière et immobilière est établi au 31 décembre de l’année pour laquelle l’impôt est dû (al. 1). La fortune est estimée en général à la valeur vénale (al. 2). Par valeur vénale, on entend le prix que l’on peut obtenir d’un bien dans des circonstances normales (ATA/1518/2017 du 21 novembre 2017 et les références citées).

3) a. Édictée par la CSI, qui regroupe les administrations fiscales cantonales et l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH), la circulaire no 28, qui porte sur l’estimation des titres non cotés en vue de l’impôt sur la fortune, a fait l’objet de plusieurs éditions depuis les années 1940, dont la dernière date du 28 août 2008, laquelle est ainsi applicable à la période fiscale 2010 faisant l’objet du présent litige. La CSI édite annuellement un commentaire à la circulaire no 28, la dernière version datant de 2016 (ci-après : commentaire).

La circulaire no 28 a pour objectif l’estimation uniforme en Suisse, pour l’impôt sur la fortune, des titres nationaux et étrangers qui ne sont négociés dans aucune bourse, et sert à l’harmonisation fiscale intercantonale (ch. 1 § 1 de la circulaire no 28).

b. L’activité effective d’une société détermine son mode d’estimation (ch. 6 de la circulaire no 28). Pour les sociétés commerciales, industrielles et de services, la valeur de l’entreprise résulte de la moyenne pondérée entre la valeur de rendement qui est doublée, d’une part, et la valeur substantielle déterminée selon le principe de continuation de l’exploitation, d’autre part (ch. 34 de la circulaire no 28), étant précisé que, même si elles se révèlent importantes, des fluctuations de rendement ne justifient pas de déroger à ce principe, dès lors que des oscillations conjoncturelles sont à considérer comme immanentes au système économique (commentaire ad ch. 34 p. 45). Cette méthode est généralement appelée « méthode des praticiens » (arrêts du Tribunal fédéral 2C_583/2013 du 23 décembre 2013 consid. 3.1.2 ; 2C_309/2013 du 18 septembre 2013 consid. 3.6).

c. Les principes d’estimation doivent être choisis de telle manière que le résultat se rapproche au mieux de la réalité économique, la circulaire no 28 contenant des instructions à cet égard, auxquelles il peut être dérogé pour des motifs d’égalité de traitement lorsque leur application se révélerait contraire au droit ou si la valeur vénale d’un titre peut être mieux évaluée (commentaire ad ch. 1 p. 2). Les instructions reposent toutefois sur la constatation empirique que la valeur vénale dépend du rendement passé et à venir sous la forme de dividendes et autres participations au bénéfice, ainsi que de la rentabilité de la société, et qu’elle est influencée par d’autres facteurs comme par exemple la fortune, les liquidités, la stabilité de la marche des affaires, etc. (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1082/2013 du 14 janvier 2015 consid. 5.5 ; ATA/975/2015 du 22 septembre 2015).

d. Si elle est effectuée sur la base de la circulaire no 28, il convient alors de supposer que l’estimation aboutit à une valeur vénale correcte et que, par ce calcul, le fisc a apporté une preuve suffisante. Si un contribuable est d’un avis contraire, il lui appartient dès lors d’apporter ses propres preuves (commentaire ad ch. 5 p. 10 ; ATA/1418/2017 précité).

e. Si, dans des cas exceptionnels, une entreprise ne peut être aliénée ou est difficilement aliénable à la valeur de rendement, en particulier si son rendement repose exclusivement ou presque sur la performance d’une personne unique détenant la totalité ou la majorité des droits de participation de celle-ci et que la création de valeur de l’entreprise est obtenue uniquement par le détenteur d’une participation majoritaire et si l’entreprise n’emploie pas d’autres personnes hormis quelques-unes occupées à des tâches d’administration et de logistique, l’autorité d’estimation peut, sur demande de l’entreprise, prendre en considération cette situation par une pondération simple de la valeur de rendement, c’est-à-dire non doublée, et de la valeur substantielle. Le requérant doit, chaque année, prouver que les conditions pour une telle estimation sont remplies et il lui appartient d’apporter les justificatifs et documents nécessaires (commentaire ad ch. 5 p. 9).

La jurisprudence a par exemple retenu dans le cas d’une société de gestion, courtage et conseil en immobilier, dont le contribuable était l’administrateur et actionnaire unique, qui employait deux salariées, dont l’épouse du contribuable assumait la fonction de secrétaire ainsi qu’une assistante, que le rendement de la société reposait presque exclusivement sur la performance de l’actionnaire et qu’il se justifiait de s’écarter de la méthode d’estimation générale (ATA/595/2015 du 9 juin 2015).

f. La méthode générale d’estimation contenue dans la circulaire no 28 a rencontré l’aval du Tribunal fédéral. Dans sa jurisprudence concernant des affaires antérieures à l’entrée en vigueur de la LHID, il a constaté que cette méthode prenait en compte les éléments pertinents pour estimer la valeur vénale des titres non cotés et non régulièrement négociés (arrêt du Tribunal fédéral 2A.213/1994 du 8 octobre 1996 consid. 4). Après l’entrée en vigueur de la LHID, il a souligné qu’en prévoyant des règles unifiées d’estimation des titres non cotés en vue de leur imposition sur la fortune dans un domaine où les cantons jouissent d’un large pouvoir d’appréciation, la circulaire no 28 poursuivait un but d’harmonisation fiscale horizontale et concrétisait ainsi l’art. 14 al. 1 LHID (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1082/2013 précité consid 5.3.1 ; 2C_583/2013 précité consid. 3.1.3 ; 2C_800/2008 du 12 juin 2009 consid. 5.2 ; 2C_952/2010 du 29 mars 2011 consid. 2.1). Sur le fond, il a considéré que la circulaire no 28 prenait en compte les éléments déterminants pour l’évaluation des titres non cotés et qu’elle était appropriée et fiable pour l’estimation des sociétés en vue de l’imposition sur la fortune des actionnaires (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1082/2013 précité consid. 5.3.1 ; 2C_583/2013 précité consid. 3.1.3 ; 2C_504/2009 du 15 avril 2010 consid. 3.3), sans pour autant exclure que d’autres méthodes d’évaluation reconnues puissent, isolément, s’avérer appropriées (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1168/2013 du 30 juin 2014 consid. 3.6 ; 2C_309/2013 précité consid. 3.6 ; ATA/779/2015 précité ; ATA/595/2015 précité).

En effet, en tant que directive, la circulaire no 28 ne constitue pas du droit et ne lie pas le juge (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1082/2013 précité consid. 5.3.1 ; 2C_1168/2013 précité consid. 3.6 ; 2C_504/2009 précité consid. 3.3), faisant partie des ordonnances administratives, qui s’adressent aux administrations fiscales cantonales afin d’unifier et de rationaliser la pratique, d’assurer l’égalité de traitement, le bon fonctionnement de l’administration et la sécurité juridique ; celles-ci ne s’en écartent que dans la mesure où elles contreviennent au sens et au but de la loi (ATF 136 I 129 consid. 6.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_95/2011 du 11 octobre 2011 consid. 2.3 ; 2C_103/2009 du 10 juillet 2009 consid. 2.2 ; ATA/779/2015 précité ; ATA/764/2014 du 30 septembre 2014).

4) En l’espèce, la recourante a allégué tout au long de la procédure que l’AFC-GE aurait dû retenir la valeur substantielle de la société et sa valeur de rendement au motif que le rendement de la société dépendait exclusivement de l’activité déployée par elle-même et son associé. Elle n’apporte toutefois aucun élément probant à l’appui de cette allégation, alors qu’il ressort du dossier que la société emploie plusieurs salariés dont il n’est pas contesté que l’activité concoure au rendement de cette dernière. La recourante n’apporte pas davantage de démonstration que la problématique de la variabilité des revenus présenterait des caractéristiques spécifiques à la situation de la société.

La recourante n’étant pas parvenue à établir les faits lui permettant de bénéficier d’une exception aux principes posés par la circulaire no 28, le TAPI a considéré à juste titre que l’AFC-GE en avait fait un usage correct.

5) En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

6) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 octobre 2016 par Madame  A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 septembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Cofida SA, mandataire de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Junod, présidente, Mme Krauskopf et M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :