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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2116/2022

ATA/807/2022 du 16.08.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2116/2022-FPUBL ATA/807/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 16 août 2022

sur effet suspensif

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE



Attendu, en fait, que :

1) Madame A______, née le ______ 1970, a été engagée le 1er novembre 2018 en qualité de directrice générale de B______ (ci-après : B______) du département de l’instruction publique, de la formation et la jeunesse
(ci-après : DIP).

2) Elle a acquis le statut de fonctionnaire le 1er novembre 2020.

3) Par courrier du 3 décembre 2021, le DIP a convoqué Mme A______ à un entretien de service dans le but de l’entendre au sujet d’une éventuelle insuffisance des prestations fournies et d’une inaptitude à remplir les exigences du poste.

Il lui était notamment reproché de n’avoir pas été en mesure d’analyser les causes des problèmes rencontrés par l’B______, de définir et de planifier les actions réalistes pour y remédier, de n’avoir pas conclu des liens de collaboration avec les partenaires internes, de n’avoir pas réalisé les objectifs fixés par le DIP dans le cadre de sa lettre de mission, de n’avoir pas su gérer adéquatement la crise au foyer C______, d’avoir continué à solliciter des travaux auprès de la direction générale pour agrandir et rénover le foyer C______, de n’avoir pas tenu son budget pour préparer la rentrée 2021-2022, de n’être pas parvenue à apaiser les tensions et à nouer un dialogue constructif avec les collaborateurs et de n’avoir pas pris en compte les difficultés exprimées. Le DIP avait également relevé un manque de distance émotionnelle et d’analyse stratégique et politique.

S’ils étaient avérés, ces faits étaient susceptibles de constituer une violation de l’art. 20 du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01).

Mme A______ était libérée provisoirement de l’obligation de travailler jusqu’à la prise d’une décision sujette à recours.

4) Par courrier du 10 janvier 2022, Mme A______ a contesté l’intégralité des faits reprochés par le DIP.

5) L’entretien de service a eu lieu le 26 janvier 2022.

Mme A______ a notamment précisé entretenir de très bonnes relations tant avec ses collègues qu’avec les entités subventionnées et les associations de parents. Elle avait même contribué à améliorer la qualité de la relation entre l’B______ et l’ensemble des partenaires. La collaboration avec le mandataire externe avait été très problématique en raison de son comportement inadéquat. Les missions de l’office avaient été validées. La crise sanitaire et l’organisation de la rentrée 2021-2022 ne lui avaient pas permis d’avancer sur les travaux relatifs à la vision de l’B______ avant l’automne 2021.

6) Le 21 février 2022, Mme A______ a formulé des observations complémentaires.

Son attitude professionnelle devait être reconnue et, plus particulièrement, en relation avec la crise C______ ainsi qu’en attestaient des échanges de courriels produits avec ses observations.

7) Par décision du 13 juin 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, la Conseillère d’État en charge du DIP a ouvert une procédure de reclassement à l’endroit de Mme A______.

Les éléments constitutifs d’un motif fondé de résiliation des rapports de service, à savoir l’insuffisance de prestations, étaient réalisés.

Malgré les soutiens de sa hiérarchie pour l’accompagner dans son rôle de directrice générale, le coaching externe et les indications données par le DIP quant aux orientations stratégiques à mettre en place pour gérer l’B______, la gestion de cet office ne s’était pas améliorée de manière satisfaisante.

Les griefs relatifs au foyer C______ faisaient partie de l’un des quatre axes de reproches formulés par la hiérarchie. Il était en particulier regrettable que Mme A______ avait toujours minimisé la situation dans les informations relayées au DIP, en relativisant les difficultés par des messages indiquant que tout était sous contrôle. Elle n’avait, par ailleurs, pas informé le secrétariat général de manière circonstanciée de la gravité de la situation avant sa note du 29 mars 2021, alors qu’elle avait pris connaissance au mois de juillet 2020 de la dénonciation faite par des remplaçants en avril 2019. Enfin, elle avait utilisé des méthodes qui avaient mis le DIP en difficulté dans le traitement des situations au niveau des ressources humaines.

Les relations avec la hiérarchie s’étaient également tendues, conduisant le DIP à la libérer provisoirement de son obligation de travailler. Le Conseil d’État se prononcerait prochainement à ce sujet.

La direction des ressources humaines du DIP procéderait à la recherche d’un poste disponible répondant à ses capacités au sein de l’administration et ce durant un délai de deux mois. Un bilan définitif serait dressé au terme des deux mois au cours d’un entretien de service.

8) Par arrêté du Conseil d’État du 15 juin 2022, Mme A______ a été libérée de son obligation de travailler à compter de la réception de l’arrêté. La mesure était sans incidence sur son droit au traitement, l’intéressée étant toutefois tenue de rester à la disposition de sa hiérarchie, tout en veillant à prendre son solde de vacances.

Le recours formé par Mme A______ contre cet arrêté a été enregistré sous le numéro de procédure A/2131/2022.

9) Par acte du 24 juin 2022, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du 13 juin 2022, concluant à son annulation. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué.

S’agissant de la restitution de l’effet suspensif, elle avait déjà fait l’objet d’une mesure de libération de son obligation de travailler par son supérieur hiérarchique, de sorte qu’il n’y avait aucune urgence à procéder à son reclassement.

Les démarches que l’autorité intimée indiquait vouloir entreprendre en exécution de la décision querellée lui causeraient un préjudice irréparable, ne serait-ce que par la publicité qu’impliquerait le fait pour l’autorité de s’adresser à différents services de l’État en vue de son reclassement.

La décision querellée ne contenait aucune motivation quant à la dérogation au principe général de l’effet suspensif du recours et aucune circonstance ne justifiait son exécution immédiate.

10) Le 15 juillet 2022, le DIP a conclu au rejet de la demande en restitution de l’effet suspensif.

L’existence d’un motif fondé de résiliation des rapports de service, permettant l’ouverture de la procédure de reclassement, était attestée par l’ensemble des pièces au dossier.

Restituer l’effet suspensif au recours reviendrait à accorder à Mme A______ ses conclusions au fond avant même qu’un jugement ne soit prononcé.

En sa qualité de directrice générale, Mme A______ n’avait pas su gérer la transformation nécessaire de l’B______. Cet office faisait face à de nombreux défis qui nécessitaient des orientations stratégiques importantes, ce que l’intéressée n’avait jamais su faire, se cantonnant dans une dimension opérationnelle qui ne relevait pas de sa compétence. Son intérêt privé à conserver son activité professionnelle devait céder le pas à l’intérêt public à la poursuite de la procédure de reclassement.

L’arrêté du Conseil d’État du 15 juin 2022 la libérant de l’obligation de travailler ne justifiait aucune urgence à suspendre la procédure de reclassement.

Les démarches entreprises pour son reclassement demeureraient confidentielles dès lors que tous les membres du personnel de l’État étaient soumis au secret de fonction. La procédure avait tout juste démarré puisque le premier entretien avait été fixé au 24 août 2022.

11) Mme A______ a répliqué le 8 août 2022 et persisté dans ses conclusions.

12) Le 12 août 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Le recours est interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par le vice-président, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

3) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 
253-420, p. 265).

L’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; du 18 septembre 2018).

5) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

6) Selon l’art 21 al. 3 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), l'autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé ; elle motive sa décision ; elle est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressé. Les modalités sont fixées à l’art. 46A RPAC.

Selon l’art. 22 LPAC, il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de : l'insuffisance des prestations (let. a), l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. b) et la disparition durable d'un motif d'engagement (let. c).

7) La recourante sollicite la restitution de l’effet suspensif à son recours contre l’ouverture de la procédure de reclassement. Elle conteste l’urgence à procéder à son reclassement compte tenu de l’arrêté du Conseil d’État du 15 juin 2022 la libérant de son obligation de travailler.

Or, conformément la jurisprudence précitée, la question n’est pas de savoir si l’exécution immédiate de la décision est justifiée par l’urgence, mais de déterminer si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution.

En l’occurrence, l’intérêt public à la poursuite de la procédure de reclassement en cours apparaît important, ce d’autant que la libération de l’obligation de travailler de l’intéressée dure depuis le mois de décembre 2021.

De son côté, la recourante se prévaut de l’atteinte à sa réputation que causerait la diffusion du reclassement. La chambre de céans a toutefois déjà jugé qu'une décision finale favorable au recourant permet de réparer une telle atteinte (ATA/1559/2019 du 21 octobre 2019 ; ATA/1013/2018 du 1er octobre 2018). L’intéressée ne saurait dès lors se prévaloir d’un intérêt privé supérieur à ce titre.

Pour le reste, la recourante n’expose pas quelle urgence imposerait l’adoption de mesures conservatoires, la simple perspective de devoir accepter un poste au terme de la procédure de reclassement ne constituant qu’une hypothèse et ne conférant pas de caractère urgent à la situation.

Il n’existe ainsi aucun intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme.

À cela s’ajoute qu’admettre la restitution de l’effet suspensif reviendrait à figer la procédure de reclassement jusqu’à l’examen des griefs contre le bien-fondé de la résiliation des rapports de service, ce qui irait à l’encontre de la ratio legis de la LPAC et de la pratique de la chambre de céans (ATA/1033/2020 du 13 octobre 2020 consid. 8 et 9 ; ATA/818/2020 du 27 août 2020).

Quant aux chances de succès du recours contre la décision incidente que constitue l’ouverture de la procédure de reclassement, elles n’apparaissent pas, à ce stade de la procédure et sans préjuger du fond, à ce point manifestes qu’elles justifieraient à elles seules la restitution de l’effet suspensif.

8) En conséquence, prima facie, l’intérêt public de pouvoir procéder à la procédure de reclassement apparaît plus important que l’intérêt privé allégué par la recourante.

Au vu de ce qui précède, la restitution de l’effet suspensif sera refusée.

9) Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours de Madame A______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 13 juin 2022 ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Romain Jordan, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

 

Le vice-président :

C. Mascotto

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :