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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/404/2013

ATA/781/2013 du 26.11.2013 sur JTAPI/269/2013 ( LCI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/404/2013-LCI ATA/781/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 novembre 2013

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur O______
représenté par Me Olivier Wehrli, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'URBANISME

et

DÉPARTEMENT DE L'INTÉRIEUR, DE LA MOBILITÉ ET DE L'ENVIRONNEMENT

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 mars 2013 (JTAPI/269/2013)


EN FAIT

1) Le 11 mai 2012, le département de l'intérieur et de la mobilité (ci-après : DIM, devenu depuis lors le département de l'intérieur, de la mobilité et de l'environnement, ci-après : DIME), soit pour lui la capitainerie cantonale, a rendu une décision concernant Monsieur O______, propriétaire de la parcelle n° ______ de la commune de Cologny, sise au ______, route de T______.

2) Le même jour, le département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : DCTI, devenu depuis lors le département de l'urbanisme, ci-après : DU) a également rendu une décision concernant M. O______, pour un problème connexe.

3) Par deux actes déposés le 13 juin 2012, M. O______, comparant par avocat, a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant notamment à leur annulation et, « en tout état de cause », à ce que le TAPI « [dise] que les frais et dépens seront mis à la charge du [département] ».

4) Le 8 décembre 2012, le TAPI a prononcé la jonction des deux causes (sous le numéro A/1870/2012) et accepté sa compétence.

5) Par jugement du 20 décembre 2012, le TAPI a admis le recours et a renvoyé le dossier au DIME et au DU pour nouvelle décision au sens des considérants. Il a mis à la charge de l'Etat de Genève un émolument de CHF 700.- et a restitué à M. O______ son avance de frais, d'un montant de CHF 1'400.-.

Ce jugement n'a fait l'objet d'aucun recours.

6) Par acte du 4 février 2013, M. O______ a formé réclamation contre le jugement précité auprès du TAPI. Cette juridiction ne lui avait pas octroyé d'indemnité pour les frais indispensables causés par le recours. Un déni de justice commis à ses dépens avait été constaté par le TAPI, si bien qu'il se justifiait de lui allouer une indemnité de CHF 2'000.-.

7) Le 5 mars 2013, le DU et le DIME ont conclu au rejet de la réclamation.

8) Ces écritures ont été transmises le 7 mars à M. O______, qui a répliqué spontanément par un courrier daté du 8 mars 2013, dans lequel il indiquait avoir expressément conclu à l'allocation de frais et dépens dans ses actes de recours du 13 juin 2012.

9) Par jugement du 8 mars 2013, le TAPI a rejeté la réclamation sur indemnité.

L'octroi d'une indemnité de procédure présupposait d'une part que la partie ait obtenu totalement ou partiellement gain de cause, et d'autre part qu'elle y ait conclu. En l'espèce, M. O______ n'avait pas conclu à l'octroi d'une indemnité pour les frais indispensables causés par le recours.

10) Par acte déposé le 20 mars 2013, M. O______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation, à l'octroi d'une indemnité de procédure de CHF 2'000.- dans la procédure A/1870/2012, et à la condamnation de « tout opposant en tous les frais et dépens lesquels comprendront une indemnité pour les frais indispensables causés par le présent recours ».

Le TAPI avait violé son droit d'être entendu, car il n'avait pas pris connaissance de sa réplique aux observations des départements, ayant rendu son jugement le jour où il avait produit ses écritures, soit le 8 mars 2013.

Les dépens, qualifiés d'indemnité de procédure en droit administratif genevois, constituaient une indemnisation de tous les frais indispensables occasionnés par le recours. Les actes de recours du 13 juin 2012 contenaient une conclusion expresse en allocation de frais et de dépens. Bien que le recours parle de dépens et non d'indemnité de procédure, la pratique genevoise assimilait ces deux termes et il ne pouvait subsister aucun doute à ce propos.

11) Le 25 mars 2013, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observations.

12) Le 16 avril 2013, le DU a conclu au rejet du recours.

Le TAPI s'était fondé sur un dossier complet et n'avait pas violé le droit d'être entendu de M. O______.

C'était à juste titre qu'il avait retenu que M. O______ n'avait pas conclu à l'octroi d'une indemnité de procédure, et qu'il était donc forclos.

13) Le 23 avril 2013, le DIME a également conclu au rejet du recours.

Sauf à donner aux mots un sens qu'ils n'avaient pas, une conclusion en condamnation de la partie adverse aux frais et dépens n'équivalait pas à solliciter en sa faveur une indemnité de procédure. On ne pouvait assimiler indemnité de procédure et dépens, ces derniers n'étant prévus par la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) que pour les témoins défaillants.

14) Le 26 avril 2013, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 24 mai 2013 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

15) Tant le DU, le 2 mai 2013, que le DIME, le 21 mai 2013, ont indiqué qu'ils n'avaient plus ni requêtes ni observations complémentaires à faire valoir.

16) M. O______ ne s'est quant à lui pas manifesté.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La question de la violation du droit d'être entendu du recourant souffrira de rester ouverte au vu de ce qui suit.

3) Il y a formalisme excessif (au sens de l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 135 I 6 consid. 2.1 ; 134 II 244 consid. 2.4.2 ; 130 V 177 consid. 5.4.1 ; 128 II 139 consid. 2a ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_734/2012 du 25 mars 2013 consid. 3.1 ; 2C_133/2009 du 24 juillet 2009 consid. 2.1 = SJ 2010 I 25 ; ATA/653/2013 du 1er octobre 2013 consid. 3).

4) La juridiction administrative qui rend la décision statue sur les frais de procédure et émoluments (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Elle peut, sur requête, allouer à la partie ayant eu entièrement ou partiellement gain de cause une indemnité pour les frais indispensables causés par le recours (art. 87 al. 2 LPA).

Ces questions peuvent faire l’objet d’une réclamation dans le délai de trente jours dès la notification de la décision (art. 87 al. 4 LPA).

5) Il ressort des travaux préparatoires de la LPA que dans le projet soumis au Grand Conseil, l'art. 83 – dont l'al. 2 avait une teneur semblable à l'actuel art. 87 al. 2 LPA – était intitulé « frais, dépens et émoluments » (MGC 1984 14/I 1506). Cette disposition reprenait, selon l'exposé des motifs, la teneur du code de procédure administrative alors en vigueur (MGC 1984 14/I 1630). Le terme « dépens » a été supprimé en commission parlementaire ; le rapport de commission indique à cet égard que cette dernière avait « tout d'abord supprimé la référence à la notion de dépens à laquelle elle a préféré celle plus spécifique [sic] de "frais de procédure" » (MGC 1985 36/III 4391).

6) L'art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), intitulé « indemnité », prévoit que la juridiction peut allouer à une partie, pour les frais indispensables occasionnés par la procédure, y compris les honoraires éventuels d’un mandataire, une indemnité de CHF 200.- à CHF 10'000.-.

7) a. En droit positif suisse, il n'est plus question de dépens dans le domaine de la procédure pénale, le Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) ne parlant plus que d'indemnités (art. 429 ss CPP).

b. En revanche, l'art. 95 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) prévoit que les frais comprennent les frais judiciaires et les dépens (art. 95 al. 1 CPC), et que les dépens (en allemand : Parteientschädigung, en italien : spese ripetibili) comprennent les débours nécessaires et le défraiement d'un représentant professionnel ou, lorsqu'une partie n'a pas de représentant professionnel, une indemnité équitable pour les démarches effectuées au cas où cela se justifie.

La doctrine définit les dépens de procédure civile comme « une indemnité de procédure mise à la charge d'un plaideur en faveur de l'autre pour le dédommager des dépenses ou du manque à gagner que lui a occasionné le procès » (D. TAPPY, in F. BOHNET et al. [éd.], Code de procédure civile commenté, 2011, n. 21 ad art. 95 CPC).

c. La loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) parle elle aussi de dépens, y compris pour les recours relevant du droit public. Selon l'art. 68 al. 2 LTF, intitulé « dépens », en règle générale, la partie qui succombe est tenue de rembourser à la partie qui a obtenu gain de cause, selon le tarif du Tribunal fédéral, tous les frais nécessaires causés par le litige. Les dépens comprennent les frais d'avocat et les autres frais indispensables causés par le litige (art. 1er du règlement sur les dépens alloués à la partie adverse et sur l'indemnité pour la représentation d'office dans les causes portées devant le Tribunal fédéral, du 31 mars 2006 – RS 173.110.210.3 ; Y. DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral – commentaire, 2008, n. 1930).

d. Enfin, des dépens sont également prévus en procédure administrative fédérale. Selon l'art. 64 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021), intitulé « dépens », l'autorité de recours peut allouer, d'office ou sur requête, à la partie ayant entièrement ou partiellement gain de cause une indemnité pour les frais indispensables et relativement élevés qui lui ont été occasionnés (art. 64 al. 1 PA). Les dépens comprennent les frais d'avocat et les éventuels autres frais de la partie (art. 8 al. 1 du règlement
concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral, du 21 février 2008 – FITAF – RS 173.320.2 ; principe valable devant toutes les juridictions soumises à la PA, M. MAILLARD, in B. WALDMANN/P. WEISSENBERGER [éd.], VwVG – Praxiskommentar, 2009, n. 32 s. ad art. 64 PA). L'art. 64 al. 1 PA prévoit l'octroi d'office, si bien qu'une conclusion formelle « sous suite de frais et dépens » n'est pas nécessaire, bien qu'usuelle (M. BEUSCH, in C. AUER/M. MÜLLER/ B. SCHINDLER [éd.], Kommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, 2008, n. 17 [note 19] ad art. 64 PA).

8) Comme on le constate, la lecture de ces différentes dispositions ne permet guère de différencier indemnité de procédure et dépens. Cette dernière notion étant historiquement liée à la procédure civile de langue française, elle peut être mieux comprise en se référant à l'ancienne loi de procédure civile genevoise, dite loi Bellot, ou encore au droit français.

Ainsi, selon l'art. 121 de la loi Bellot, les dépens comprenaient divers frais et débours, mais pas les honoraires d'avocat, qui n'étaient pris en considération que « lorsqu'il y aura lieu d'adjuger des dommages-intérêts » (P.-F. BELLOT, Loi sur la procédure civile du canton de Genève suivie de l'exposé des motifs, 2e éd., 1837, p. 107). Il en va de même selon les art. 695 et 700 du code de procédure civile français, cette dernière disposition permettant notamment au juge de faire supporter à la partie débitrice des dépens tout ou partie des honoraires d'avocat de sa partie adverse dans les cas où le ministère d'un tel conseil n'est pas obligatoire (S. GUINCHARD/F. FERRAND/C. CHAINAIS, Procédure civile : droit interne et droit communautaire, 29e éd., 2009, n. 1863 ss). Selon une terminologie encore courante en langue italienne, mais désuète en français, les dépens correspondent ainsi aux frais répétibles, tandis que les frais d'avocat se classent parmi les frais (en principe) irrépétibles.

9) L'indemnité de procédure prévue par la LPA se distingue donc des dépens, du moins au sens historique du terme, en ce qu'il s'agit d'une réparation forfaitaire – et partielle – de tous les types de frais encourus par la partie victorieuse, et ce uniquement lorsque cette dernière est un privé, ou une entité publique pas assez importante pour être réputée pouvoir se défendre par elle-même.

Cela étant, la notion de dépens est, comme on l'a vu, quasiment identique à celle d'indemnité de procédure en droit positif suisse. La juridiction de céans a en outre déjà eu l'occasion de préciser qu'une conclusion en allocation de dépens, même si elle procède d'une terminologie impropre, doit être comprise comme tendant à l'octroi d'une indemnité de procédure (ATA/554/2009 du 3 novembre 2009 consid. 7). Enfin, de pratique constante, la chambre administrative reçoit les conclusions en allocation de dépens, ou les mentions de type « sous suite de frais et dépens », comme des conclusions en octroi d'une indemnité de procédure, malgré leur formulation incorrecte, souvent du reste signalée typographiquement par l'emploi de guillemets (ATA/727/2013 du 29 octobre 2013 consid. 12 en fait et 8 en droit ; ATA/725/2013 du 29 octobre 2013 consid. 13 et 25 en fait et 6 en droit ; ATA/710/2013 du 29 octobre 2013 consid. 24 en fait et 13 en droit ; ATA/689/2013 du 15 octobre 2013 consid. 34 en fait et 9 en droit ; ATA/667/2013 du 8 octobre 2013 consid. 13 en fait et 10 en droit ; ATA/121/2013 du 26 février 2013 consid. 10 en fait et 11 en droit ; ATA/51/2013 du 29 janvier 2013 consid. 21 en fait et 11 en droit ; ATA/7/2013 du 8 janvier 2013 consid. 13a en fait et 3 en droit ; ATA/846/2012 du 18 décembre 2012 consid. 4 et 17 en fait et 22 en droit).

La solution contraire, retenue par le TAPI, doit être tenue pour constitutive d'un formalisme excessif, si bien que le recours sera admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée au TAPI pour nouvelle décision sur indemnité, afin de déterminer si les autres conditions d'octroi sont remplies et, le cas échéant, d'en fixer la quotité.

10) Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Le recourant y ayant conclu, et ayant exposé des frais pour sa défense, une indemnité de procédure de CHF 500.- lui sera allouée, à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 mars 2013 par Monsieur O______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 mars 2013 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 mars 2013 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour nouveau jugement au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à M. O______ une indemnité de CHF 500.-, à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Olivier Wehrli, avocat du recourant, au département de l'urbanisme, au département de l'intérieur, de la mobilité et de l'environnement ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Payot Zen-Ruffinen, et M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :