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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/84/2012

ATA/846/2012 du 18.12.2012 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; RÉPARATION DU VICE DE PROCÉDURE ; POUVOIR D'EXAMEN ; DÉLAI FIXÉ PAR LE JUGE ; RETARD ; ORDRE PUBLIC(EN GÉNÉRAL) ; EXPLOITANT ; DANCING ; VOISIN ; PROPORTIONNALITÉ ; INTÉRÊT PUBLIC
Normes : Cst.29.al2; CEDH.6§1; LPA.41; LPA.62.al1.leta; LRDBH.2.al1; LRDBH.16.al1.letf; LRDBH.21.al3; LRDBH.22.al1; LRDBH.29.al2; LRDBH.49.al1.letb; LRDBH.69.al2; RRDBH.1.al2
Résumé : Le Service du commerce (Scom) viole le droit d'être entendu de l'exploitant d'un dancing lorsqu'il ne lui permet pas de faire valoir son point de vue avant d'ordonner la fermeture immédiate de l'établissement. Cette violation est réparée en l'espèce, la chambre administrative, compétente en cas de violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ayant procédé aux actes d'instruction nécessaires. Le délai fixé au Scom par le juge délégué pour produire ses observations n'est qu'un délai d'ordre. Le dépôt des observations avec un jour de retard est sans conséquence, d'autant que le recourant a pu se déterminer sur cette écriture. La décision du Scom d'ordonner la fermeture immédiate du dancing est en l'espèce disproportionnée. Un avertissement est une mesure suffisante et adéquate, l'exploitant ayant pris des mesures pour faire cesser les troubles causés au voisinage. Dès lors que ces mesures ont permis de faire baisser les atteintes à la sécurité et à la tranquillité publiques, l'intérêt public ne prime pas les importantes atteintes aux intérêts privés de l'exploitant, notamment sous l'angle financier.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/84/2012-EXPLOI ATA/846/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 décembre 2012

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur Y______
représenté par Me Pascal Erard, avocat

contre

SERVICE DU COMMERCE

 



EN FAIT

1) F______ S.A. (ci-après : la société) est propriétaire du dancing à l’enseigne « T______ » (ci-après : le dancing) sis au Carrefour de B______ à P______.

2) Le 20 mai 2008, le service du commerce (ci-après : Scom) a autorisé Monsieur Y______ à exploiter le dancing.

3) Par décision exécutoire nonobstant recours du 13 janvier 2012, le Scom a ordonné la fermeture immédiate du dancing pour une durée de trois semaines, du
13 janvier 2012 au 3 février 2012, pour cause de perturbation de l’ordre public.

Par rapport de police, daté du 21 mars 2011, le Scom avait appris que le dancing avait fait l’objet, entre le 31 janvier 2010 et le 13 mars 2011, de plusieurs interventions de la police suite à des faits d’une particulière gravité. D’autres rapports de police avaient dénoncé des faits graves survenus entre le 12 mars et le
13 novembre 2011.

La situation était particulièrement préoccupante. La police avait constaté à maintes reprises que le dancing était exploité de manière à engendrer des inconvénients pour le voisinage et qu’il causait de graves problèmes de sécurité publique : incidents et bagarres entre individus fortement avinés, service de boissons alcooliques à des personnes en état d’ébriété, présence de mineurs présentant un fort taux d’alcoolémie, nuisances sonores et service de sécurité largement dépassé. La police relevait que M. Y______ n’avait pas veillé au maintien de l’ordre dans son établissement, qu’il n’avait pas pris toutes les mesures utiles à cette fin et qu’il n’avait pas fait appel à elle alors que l’ordre public était sérieusement troublé ou menaçait de l’être. I______, propriétaire de l’immeuble sis ______, route des U______, avait également informé le Scom des inconvénients graves pour le voisinage engendrés par l’exploitation du dancing qui se trouvait à proximité.

4) Par acte déposé le 16 janvier 2012, M. Y______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant, « sous suite de dépens », préalablement à l’octroi de l’effet suspensif et principalement à l’annulation de la décision attaquée.

Les intérêts du recourant et ceux de nombreux tiers étaient gravement menacés par la fermeture abrupte du dancing entre le 13 janvier et le 3 février 2012 car celle-ci occasionnerait une perte de CHF 210'764.-. La société, au capital de CHF 250'000.-, avait réalisé en 2010 un chiffre d’affaires de CHF 3'131'362.-. Elle risquait l’insolvabilité manifeste et la faillite, avec pour conséquences la mise au chômage immédiate d’une trentaine de personnes et des pertes importantes pour les partenaires commerciaux. Les griefs reprochés au dancing s’étaient répétés pendant plusieurs années. Si un intérêt public ou privé prépondérant avait été menacé, comme dans le cas d’un trafic de stupéfiants, les autorités compétentes auraient prononcé des sanctions immédiates depuis longtemps. Il n’y avait pas d’urgence et l’effet suspensif devait être restitué.

La fermeture même momentanée du dancing constituait une atteinte grave à sa liberté économique. Toute restriction à cette liberté devait être fondée sur une base légale, justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et proportionnée au but visé. Les cas d’ivresses et de heurts relevés par le Scom étaient des cas isolés et aucun problème majeur ou aucun trafic de drogue n’avait été constaté. L’exploitation du dancing ne menaçait pas gravement l’ordre public ni la moralité.

Le principe de la proportionnalité n’avait pas été respecté. En se basant uniquement sur des rapports de police, sans envisager une mesure moins incisive que la fermeture provisoire, le Scom allait au-delà du but visé par la loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21). Cette fermeture immédiate était susceptible d’avoir les mêmes effets qu’une fermeture définitive, la société risquant la faillite. Le but visé aurait pu être atteint en lui intimant l’ordre de prendre immédiatement des mesures susceptibles de faire cesser les troubles constatés dans le passé.

Son droit d’être entendu avait été violé. Il n’avait pas pu faire valoir son point de vue et malgré les nombreuses interventions de la police, presque toujours à sa demande, il n’avait pas été interpellé pour les griefs soulevés. Il n’avait pas été averti de la sanction qui le menaçait. La notification de la décision du
13 janvier 2012 par la police de P______ avait fait suite à une convocation reçue le 11 janvier 2012 par SMS.

5) Le 16 janvier 2012, la chambre administrative a fixé au Scom un délai au
18 janvier 2012 à 16h00 pour lui faire parvenir son dossier et ses observations sur effet suspensif. Un délai au 15 février 2012 lui a été imparti pour faire parvenir ses observations sur le fond du litige.

6) Le 18 janvier 2012, le Scom s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif, reprenant en grande partie l’argumentaire développé dans sa décision du
13 janvier 2012.

7) Par décision sur effet suspensif du 19 janvier 2012, la chambre administrative a admis la demande de restitution de l’effet suspensif au recours interjeté le 16 janvier 2012 et réservé le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.

8) Le 16 février 2012, la chambre administrative a prolongé au 22 février 2012 le délai fixé au Scom pour produire son écriture.

9) Le Scom a déposé ses observations le 23 février 2012 concluant au rejet du recours et à la confirmation de sa décision du 13 janvier 2012. Il a largement repris les arguments développés dans sa décision du 13 janvier 2012 et dans son écriture du 18 janvier 2012.

M. Y______ avait été entendu par la police le 21 mars 2011 à propos d’événements survenus dans la nuit du 6 mars 2011 et la police lui avait demandé à plusieurs reprises de mieux former ses agents de sécurité. Il ne pouvait donc ignorer la situation. En l’espèce, la violation du droit d’être entendu était réparable devant la chambre administrative.

Les faits retenus avaient été établis dans les nombreux rapports de police de janvier 2010 à novembre 2011 et il n’était pas contestable que l’exploitation du dancing perturbait ou menaçait gravement l’ordre public. Du fait des difficultés liées à l’exploitation d’un dancing, M. Y______ devait redoubler de prudence et de vigilance. Les locataires de l’immeuble sis ______, route des U______ se plaignaient régulièrement de saletés ou de dégradations de leurs véhicules.

10) Le 24 février 2012, le juge délégué a ordonné une comparution personnelle des parties pour le 26 mars 2012.

11) Par courrier du 1er mars 2012, M. Y______ a soulevé une « question préjudicielle » relative à l’irrecevabilité de la réponse du Scom déposée le 23 février 2012, du fait de sa tardiveté.

12) Le 19 mars 2012, le Scom a déposé des observations supplémentaires, concluant une nouvelle fois au rejet du recours et à la confirmation de la décision du 13 janvier 2012.

M. Y______ avait admis des mineurs dans son établissement en violation de la LRDBH.

13) Le 23 mars 2012, M. Y______ a écrit à la chambre administrative. Les observations supplémentaires du Scom, déposées hors délai pour des faits antérieurs à la décision, étaient irrecevables.

14) Le 26 mars 2012, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a. M. Y______ a confirmé les termes de son recours. Les écritures du Scom, déposées tardivement, devaient être écartées.

Le dancing, qui pouvait accueillir entre 850 et 900 personnes, fonctionnait bien. La collaboration avec la police était bonne et elle était régulièrement sollicitée en cas de problème. Sept personnes, d’une société tierce, étaient chargées de la sécurité pendant les soirées. Les pièces d’identité étaient systématiquement contrôlées à l’entrée. Les barmen, bien formés, refusaient de servir de l’alcool aux clients saouls. Il était en revanche plus difficile de contrôler la quantité d’alcool consommée aux tables.

Il avait été convoqué une fois par le Scom, en 2006 ou 2007, pour un problème de mention sur la carte des boissons. Il avait par ailleurs reçu une amende due à la présence d’un mineur, amende qu’il n’avait pas contestée. Il n’avait pas souvenir d’avoir reçu un avertissement ou une mise en garde.

Depuis la décision du 13 janvier 2012, certains dispositifs de sécurité et la politique de prévention avaient été renforcés. Depuis novembre 2011, il y avait moins de problèmes importants.

Plusieurs fois, la police l’avait contacté pour des clients avinés à des centaines de mètres du dancing alors qu’il n’était pas certain que ces personnes en venaient.

b. La représentante du Scom a déclaré que la sanction avait été exécutée immédiatement au vu du nombre de rapports et d’infractions accumulés au cours des années précédentes. Il était regrettable que le Scom n’ait pas agi plus tôt.

Deux amendes avaient été infligées au dancing en 2010 et 2011 du fait de la présence de mineurs. Ces amendes n’avaient pas été contestées.

Le dancing aurait dû agir pour renforcer la sécurité extérieure, mieux filtrer les clients, en particulier les mineurs, et mieux contrôler la consommation d’alcool.

c. M. Y______ n’a pas sollicité d’acte d’instruction. La représentante du Scom a suggéré l’audition d’un fonctionnaire de police.

15) Le 30 mars 2012, le Scom a déposé les copies des amendes du
8 décembre 2010 et du 18 février 2011 infligées à M. Y______, ainsi que la liste des rapports de dénonciation à la LRDBH concernant deux autres clubs dont les activités étaient semblables à celles du dancing.

16) Le 7 mai 2012, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties et d’enquêtes. Il a accordé à M. Y______ un délai au
11 juin 2012 pour produire d’ultimes écritures, le Scom ne le sollicitant pas, ensuite de quoi la cause serait gardée à juger.

a. Monsieur X______, îlotier LRDBH du secteur de P______ depuis septembre 2010, a déclaré que le dancing, le plus grand établissement de ce style dans son secteur, était celui qui avait nécessité le plus d’interventions en 2011. Les autres établissements, même en tenant compte de leur plus petite taille, créaient moins de problèmes. L’équipe de sécurité du dancing posait des problèmes de violence. Elle n’arrivait pas à gérer les clients indésirables et demandait à la police d’intervenir. Des cas récurrents de mineurs consommant de l’alcool à l’intérieur du dancing étaient constatés. L’équipe de sécurité avait changé en juillet 2011. Depuis le début de l’année 2012, la situation s’était globalement améliorée. Un premier effort avait été fait fin 2011, mais les progrès les plus manifestes étaient intervenus après la fermeture des 13 et 14 janvier 2012. La majorité des difficultés avait lieu à la porte du dancing. Outre des contrôles LRDBH, la police n’était jamais intervenue à l’intérieur du dancing. Ce dernier avait prévu des dispositifs que d’autres établissements avaient déjà mis en place depuis longtemps. Entre le 1er janvier et le mois de mai 2011, la police était intervenue 21 fois contre 5 fois seulement pour la même période en 2012. Un récent contrôle LRDBH n’avait pas révélé de problèmes de fumée ou de présence de mineurs dans le dancing, ce qui représentait un grand changement par rapport à 2011. A sa connaissance, il n’y avait eu aucun cas de consommation ou de vente de stupéfiants à l’intérieur du dancing. Tous les problèmes relevés avaient été signalés au dancing au moment des faits.

b La représentante du Scom a signalé avoir transmis à la chambre administrative, la liste de rapports de dénonciation à la LRDBH concernant deux autres clubs.

c. M. Y______ a insisté sur le fait qu’il était à disposition du Scom et de la police si nécessaire. Il a versé à la procédure la copie d’un courrier de la Fondation des parkings, bailleur du dancing, attestant de ses bonnes relations avec lui.

17) M. Y______ a déposé des observations le 11 juin 2012, concluant, « sous suite de dépens », à l’annulation de la décision du 13 janvier 2012.

Le Scom n’avait pas respecté le principe de la proportionnalité. Il n’avait pas recherché des mesures propres à atteindre l’objectif visé, à savoir le respect de la LRDBH. Le Scom aurait ainsi pu l’interpeller ou l’admonester avant de prononcer une fermeture immédiate. La décision du 13 janvier 2012 se fondait sur des faits qui s’étaient produits en 2010 et 2011. Or, l’îlotier entendu le 7 mai 2012 avait relevé que la situation s’était améliorée depuis le début de l’année, un effort ayant été fait fin 2011 déjà.

Il n’y avait aucune urgence à ordonner une fermeture immédiate du dancing, l’îlotier ayant précisé qu’il n’y avait pas d'infraction en lien avec le trafic de stupéfiants.

Si la chambre administrative devait considérer que le Scom n’avait pas violé son droit d’être entendu, elle devait se souvenir qu’il avait déjà subi le tiers de la sanction. La fermeture du vendredi 13 et du samedi 14 janvier 2012 avait failli porter un coup fatal au dancing, le manque à gagner s’élevant à CHF 250'000.-. Compte tenu des efforts consentis, une nouvelle fermeture serait totalement injustifiée, la situation s’étant améliorée.

18) Sur quoi, la cause a été gardée à juger le 12 juin 2012.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. M. Y______ fait grief au Scom d’avoir violé son droit d’être entendu, la décision du 13 janvier 2012 ayant été rendue sans qu’il puisse faire valoir son point de vue. Il invoque le même grief à l'égard de la chambre administrative, laquelle a admis la réponse du Scom déposée le 23 février 2012 et les observations déposées le 19 mars 2012.

a. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 p. 197 ; ATA/276/2012 du 8 mai 2012 consid. 2 et arrêts cités). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) qui s’appliquent (art. 29 al. 2 Cst. ; Arrêt du Tribunal fédéral 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.1 ; T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, Genève-Zurich-Bâle 2011, p. 509 n. 1526 ; A. AUER/ G. MALINVERNI/ M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 2ème éd., 2006, p. 603 n. 1315 ss). Quant à l'art. 6 § 1 CEDH, il n'accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (Arrêts du Tribunal fédéral 6B_24/2010 du 20 mai 2010 consid. 1 ; 4P.206/2005 du 11 novembre 2005 consid. 2.1 et arrêts cités).

La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2
p. 197 s. ; ATA/435/2010 du 22 juin 2010 consid. 2 ; P. MOOR/E. POLTIER, Droit administratif,  vol. 2, 3ème éd., 2011, ch. 2.2.7.4 p. 322 et 2.3.3.1 p. 362 ; T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 516s, n. 1553s). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72 et la jurisprudence citée) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 133 I 201 consid. 2.2 p. 204). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/301/2012 du 15 mai 2012).

Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 135 II 286 consid. 5.1.
p. 293 ; ATA/276/2012 du 8 mai 2012 consid. 2 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, il est établi que le Scom n’a pas permis au recourant de faire valoir son point de vue avant de prendre sa décision du 13 janvier 2012, pas plus qu’il ne lui a offert la possibilité de participer à l’administration des preuves ou donné accès au dossier. Il a ainsi violé le droit d’être entendu de M. Y______.

c. Cette violation a toutefois été réparée, la chambre administrative, qui est compétente en cas de violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art 62 al. 1 let. a LPA), ayant procédé aux actes d’instruction nécessaires et pris connaissance de l’ensemble du dossier, ainsi que de l’argumentation du recourant.

d. La chambre administrative a prolongé au 22 février 2012 le délai fixé au Scom pour lui faire parvenir ses observations. L’intimé a toutefois déposé son écriture avec un jour de retard.

Le délai fixé par la chambre de céans n’est en l’espèce qu’un délai d’ordre, la loi ne prévoyant aucune conséquence en cas de non respect de ce délai. Le recourant a en outre pu, pendant la procédure devant la chambre administrative, prendre connaissance puis se déterminer sur les observations déposées le  23 février 2012, d’abord oralement lors des audiences de comparution personnelle des parties et d’enquêtes, puis par écrit, le juge délégué lui ayant offert cette opportunité. La violation du droit d’être entendu de M. Y______ a ainsi été réparée.

e. Le recourant ayant, selon les mêmes modalités, pu prendre connaissance et faire valoir ses arguments sur les observations déposées par le Scom le
19 mars 2012, son droit d’être entendu a également été sauvegardé sur ce point.

3. a. La LRDBH a pour but d’assurer qu’aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l’ordre public, en particulier la tranquillité, la santé et la moralité publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu’en raison de sa construction, de son aménagement, de son implantation
(art. 2 al. 1 LRDBH). Un dancing est un établissement soumis à la LRDBH
(art. 16 al. 1 let. f LRDBH)

L’exploitant répond du comportement adopté par les personnes participant à l’exploitation et à l’animation de l’établissement dans l’accomplissement de leur travail (art. 21 al. 3 LRDBH). Il doit veiller au maintien de l’ordre dans son établissement et prendre toutes les mesures utiles à cette fin. Il doit exploiter l’établissement de manière à ne pas engendrer d’inconvénients graves pour le voisinage (art. 22 al. 1 et 2 LRDBH). Il ne peut admettre des mineurs ou servir des boissons alcooliques à des personnes en état d’ébriété (art. 29 al. 2 et 49 al. 1
let. b LRDBH).

b. En l’espèce, les rapports établis par la police attestent des nombreuses violations à la LRDBH commises par M. Y______ entre janvier 2010 et novembre 2011. Ces dernières, notamment les violents conflits entre le service de sécurité et des clients ivres servis par les employés de l'établissement, sont à l’évidence de nature à troubler l’ordre public.

4. a. Le Scom a la compétence de procéder à la fermeture, avec apposition de scellés, pour une durée maximale de quatre mois, de tout établissement dont l’exploitation perturbe ou menace gravement l’ordre public, notamment la sécurité, la moralité et la tranquillité publiques, ou, en dépit d’un avertissement, en cas de violation répétée des prescriptions (art. 69 al. 2 LRDBH ; art. 1 al. 2 du règlement d’exécution de la LRDBH du 31 août 1988 - RRDBH - I 2 21.01).

b. Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 7.1).

c. La décision de fermeture immédiate et pendant trois semaines du dancing du 13 janvier 2012 n’a été précédée d’aucune sanction, à l’exception de deux amendes infligées par le Scom au recourant en décembre 2010 et février 2011. L’intimé n’a jamais averti M. Y______ de son intention de prendre une telle mesure, ni laissé ne serait-ce qu’un bref délai au recourant pour corriger la situation. Le Scom n’allègue aucune urgence qui puisse justifier une intervention aussi abrupte et restrictive que la fermeture immédiate. L’instruction de la cause par la chambre administrative met au contraire en évidence une amélioration de la situation au début de l’année 2012, des progrès étant observés dès la fin de l’année 2011. L’intimé n’a pas jugé utile d’intervenir entre les mois de mars et de novembre 2011, période pendant laquelle il a reçu de nombreux rapports de police ; dès lors, une fermeture immédiate n’était pas justifiée au moment où la situation commençait à s’améliorer. Compte tenu des importantes atteintes aux intérêts privés de M. Y______, notamment sous l’angle financier, il n’apparaît pas non plus que l’intérêt public prime, les atteintes à la sécurité et à la tranquillité publiques constatées entre janvier 2010 et novembre 2011 tendant à diminuer.

19) Au vu de ce qui précède, la sanction infligée par le Scom du 13 janvier 2012, disproportionnée, sera annulée.

Elle sera remplacée par un avertissement à M. Y______. Cet avertissement, nécessaire au vu des nombreux manquements dénoncés à la LRDBH, est une mesure suffisante et adéquate compte tenu des progrès réalisés depuis la fin de l’année 2011. Ces progrès semblent se confirmer, le Scom n’ayant pas signalé à la chambre administrative de nouveaux troubles à l’ordre public causés par une mauvaise gestion du dancing.

20. L’avertissement adressé à M. Y______ par la chambre de céans ne portant pas atteinte à sa liberté économique, ce grief devient sans objet.

21. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis.

22. Aucun émolument ne sera infligé au Scom en raison de la nouvelle teneur de l’art. 87 al. 1 LPA en vigueur depuis le 27 septembre 2011. M. Y______ obtenant très largement gain de cause, aucun émolument ne sera mis à sa charge. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- lui sera allouée, à la charge de l’Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 janvier 2012 par Monsieur Y______ contre le jugement du service du commerce du 13 janvier 2012 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision du service du commerce du 13 janvier 2012 en ce qu’elle ordonne la fermeture de l’établissement exploité par Monsieur Y______ pour une durée de trois semaines ;

adresse en lieu et place un avertissement à Monsieur Y______ ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur Y______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal Erard, avocat du recourant, ainsi qu'au service du commerce.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Hurni, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :