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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3014/2012

ATA/121/2013 du 26.02.2013 ( ELEVOT ) , ADMIS

Descripteurs : ; LIBERTÉ D'ÉTABLISSEMENT ; ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL ; INTÉRÊT PUBLIC ; CONSEIL D'ADMINISTRATION ; DOMICILE ; APPEL EN CAUSE
Normes : LSIG.7; Cst.24; Cst.36; 71.LPA
Parties : COSANDIER Martial / CONSEIL D'ETAT, MAURY André
Résumé : Un arrêté du Conseil d'Etat déclarant qu'un élu du personnel au conseil d'administration des Services industriels de Genève, de nationalité suisse, est inéligible au motif qu'il n'est pas domicilié dans le canton de Genève, mais dans le canton de Vaud, viole sa liberté d'établissement ; aucun intérêt public ne permet de justifier cette atteinte à la liberté d'établissement.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3014/2012-ELEVOT ATA/121/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 février 201 3

 

dans la cause

 

Monsieur Martial COSANDIER
représenté par Me David Lachat, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT

et

Monsieur André MAURY, appelé en cause



EN FAIT

1) Monsieur Martial Cosandier, de nationalité suisse, est employé des Services industriels de Genève (ci-après : SIG) depuis 1988. Il est domicilié à Gland, dans le canton de Vaud, depuis le 1er février 2002.

2) Par arrêté du 29 novembre 2006, le Conseil d’Etat a constaté les résultats de l’élection de 4 membres du personnel du conseil d’administration des SIG (ci-après : le conseil d’administration). M. Cosandier, candidat sur la liste du syndicat d’employés d’administration (ci-après : SEA), non élu, avait obtenu 123 suffrages.

3) Par arrêté du 21 septembre 2009, le Conseil d’Etat a désigné M. Cosandier membre du conseil d’administration, pour la période du 1er octobre 2009 au 31 décembre 2010, en remplacement de Monsieur Jean-Marc Styner, démissionnaire.

4) Le 25 juillet 2012, le Conseil d’Etat a, par arrêté, fixé au 4 septembre 2012 la date de l’élection par le personnel de 4 membres du conseil d’administration.

5) Par arrêté du 19 septembre 2012, le Conseil d’Etat a constaté les résultats de l’élection du 4 septembre 2012. M. Cosandier avait été élu sur la liste du SEA. Le délai de recours à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) était de six jours dès le lendemain de la publication de cet arrêté dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO).

6) Le 26 septembre 2012, Monsieur Bernard Taschini, secrétaire général adjoint au département de la sécurité (ci-après : le département), s’est entretenu avec M. Cosandier. Selon le procès-verbal signé par l’un et par l’autre, M. Taschini a informé M. Cosandier qu’il avait été élu au conseil d’administration alors qu’il avait son domicile effectif dans le canton de Vaud. De ce fait, il ne remplissait pas une des deux conditions cumulatives prévues par l’art. 7 de la loi sur l'organisation des SIG du 5 octobre 1973 (LSIG - L 2 35) qui prévoit que les membres du conseil d’administration doivent être de nationalité suisse et avoir leur domicile effectif dans le canton de Genève. Son élection ne pouvait pas être validée par le Conseil d’Etat.

M. Cosandier a confirmé qu’il habitait dans le canton de Vaud depuis dix ans. Dans l’immédiat, il n’avait pas l’intention de prendre domicile à Genève. L’art. 7 LSIG avait pour but de s’assurer que les personnes élues au conseil d’administration connaissaient bien le tissu économique genevois et tel était son cas. Le refus du Conseil d’Etat l’étonnait car Monsieur Jean-Pierre Bouvier et lui-même avaient déjà siégé au conseil d’administration alors qu’ils n’avaient pas leur domicile dans le canton de Genève. Il existait une contradiction entre le statut du personnel des SIG, qui permettait aux collaborateurs de résider hors du canton, et l’art. 7 LSIG. Il s’agissait d’une restriction inadmissible à la liberté syndicale.

7) Dans une note non datée remise à M. Taschini, M. Cosandier a retracé son parcours professionnel au sein des SIG depuis 1988. En 2006, il s’était vu confier la responsabilité d’un secteur qui lui avait permis de tisser des liens avec les directeurs, responsables de services et magistrats de la Ville de Genève. Depuis 2011, il était responsable des collectivités, secteur qui regroupait l’ensemble des communes, régies publiques et organisations internationales. Il participait à de nombreux projets d’aménagement du territoire. Il avait ainsi acquis une bonne connaissance du tissu économique genevois. Il représentait par ailleurs le personnel au conseil d’administration depuis le 1er octobre 2009, alors qu’à cette date il était déjà domicilié dans le canton de Vaud. De plus, il était membre du conseil communal de la ville de Gland.

8) Par arrêté du 3 octobre 2012, le Conseil d’Etat a validé l’élection du 4 septembre 2012 pour 3 élus seulement. M. Cosandier n’en faisait pas partie. La validation de l’élection du quatrième représentant du personnel devait faire l’objet d’un arrêté de validation complémentaire.

9) Par arrêté immédiatement exécutoire nonobstant recours, également daté du 3 octobre 2012, le Conseil d’Etat a déclaré M. Cosandier inéligible et nommé le premier des viennent ensuite sur la liste du SEA, Monsieur André Maury, membre du conseil d’administration.

Le Conseil d’Etat était lié par le principe de légalité. L’art. 7 LSIG stipulait que les membres du conseil d’administration devaient être de nationalité suisse et domiciliés dans le canton de Genève, condition que ne remplissait pas M. Cosandier.

M. Cosandier avait été entendu par le département. Il avait soulevé deux griefs : l’atteinte à la liberté syndicale et la protection de la bonne foi.

S’agissant du premier grief, l’art. 7 LSIG constituait une base légale suffisante pour restreindre la liberté syndicale. L’obligation de domicile, qui se justifiait par l’intérêt public de la connaissance des institutions genevoises et par la similitude du rôle d’administrateur avec une fonction élective, respectait le principe de proportionnalité puisqu’elle ne visait que les membres du conseil d’administration et non tous les collaborateurs des SIG.

Quant au second grief, le Conseil d’Etat, autorité de nomination, n’avait fait aucune promesse à M. Cosandier. Le statut du personnel des SIG n’avait pas d’impact sur les conditions légales d’éligibilité des membres du conseil d’administration puisque ledit statut était d’un niveau juridique inférieur à la loi. M. Cosandier n’avait pris aucune disposition qui lui occasionnerait un préjudice. Il n’existait aucun droit à être nommé administrateur et le fait d’avoir été nommé en 2009 malgré le texte clair de la loi, probablement du fait que les vérifications d’usage n’avaient pas été faites avec le soin requis, ne lui conférait pas un droit à bénéficier une nouvelle fois d’une élection contraire à l’art. 7 LSIG.

10) Par acte déposé le 9 octobre 2012, M. Cosandier a recouru auprès de la chambre administrative contre l’arrêté du 3 octobre 2012, en concluant, « sous suite de dépens », à ce que celle-ci :

-               restitue l’effet suspensif au recours et l’autorise à siéger, provisoirement et jusqu'à droit jugé, au conseil d’administration comme représentant du personnel ;

-               annule l’arrêté du Conseil d’Etat du 3 octobre 2012 et le déclare éligible et élu membre du conseil d’administration.

a. Il avait vécu dans le canton de Genève jusqu’au 31 janvier 2002. Il connaissait bien le tissu économique de ce canton. Ni sa candidature, ni son élection au conseil d’administration des SIG en 2009 n’avaient suscité la moindre remarque de la part du Conseil d’Etat. Il avait siégé au conseil d’administration des SIG entre 2009 et 2012 à la satisfaction générale. L’arrêté du 25 juillet 2012 fixant la date des élections au 4 septembre 2012 ne posait ni ne rappelait aucune condition en lien avec le domicile. Il en était allé de même lorsque M. Bouvier, pourtant domicilié en France, avait posé sa candidature en 2002 et en 2011. Son élection cette année-là avait été validée. Sur 1'641 collaborateurs réguliers des SIG, 456 résidaient hors du canton.

b. L’art. 7 LSIG était incohérent et désuet, de nombreuses lois ou règlements n’imposant pas ou plus aux administrateurs un domicile à Genève. Le règlement concernant l’élection de 4 membres du conseil d’administration des SIG par le personnel de cet établissement du 14 octobre 1998 (RCASIP - L 2 35.03) n’exigeait pas que les élus du personnel soient domiciliés dans le canton. Le statut du personnel des SIG, qui reprenait la règle posée par la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) modifiée en 2006, n’imposait pas non plus une résidence dans le canton de Genève, sauf si l’intérêt de l’entreprise le commandait et si l’éloignement du domicile portait préjudice à l’accomplissement des devoirs de service. Dans le cas présent, les SIG avaient admis le domicile vaudois de M. Cosandier. Le Grand Conseil, lorsqu’il avait modifié la LPAC en 2006 pour la mettre en conformité avec l’exigence constitutionnelle de la liberté d’établissement notamment, n’avait pas songé à modifier l’art. 7 LSIG, pas plus que la loi sur les transports publics genevois du 21 novembre 1975 (LTPG - H 1 55) qui obligeait également les administrateurs de cette institution à être domiciliés à Genève. Les administrateurs des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), de l’Aéroport international de Genève (ci-après : AIG) et de l’Hospice général (ci-après : HG) n’avaient pour leur part pas cette obligation. En 2007, dans le cadre plus large de la révision de la gouvernance des établissements de droit public, le Grand Conseil avait modifié l’art. 7 LSIG et la LTPG, en supprimant notamment l’obligation de domicile des administrateurs. En votation, suite au dépôt d’un référendum, le peuple avait refusé les nouvelles lois adoptées par le législateur cantonal de sorte qu’elles n’étaient pas entrées en vigueur.

c. L’art. 7 LSIG violait la liberté d’établissement. Il n’existait aucun intérêt public qui s’opposait à sa présence au conseil d’administration. L’intérêt public commandait au contraire la suppression de cette clause de domicile. La restriction à la liberté d’établissement qu’instaurait l’art. 7 LSIG était en outre disproportionnée, car rien ne justifiait une distinction entre l’ensemble des collaborateurs des SIG et ceux siégeant au conseil d’administration. L’exigence de domiciliation imposée à ces derniers ne garantissait pas une meilleure connaissance du tissu économique genevois. Enfin, la fonction de représentant du personnel au sein du conseil d’administration ne pouvait être assimilée à une fonction élective dans un exécutif ou un législatif cantonal ou communal, les SIG étant soumis à la surveillance du Conseil d’Etat et du Grand Conseil.

d. L’art. 7 LSIG violait la liberté syndicale. En effet, si elle était appliquée, cette disposition empêcherait 27 % du personnel des SIG de siéger au conseil d’administration. Les sièges réservés au personnel au sein du conseil d’administration constituaient une concrétisation de la participation des travailleurs à la gouvernance des SIG. Ne pas lui permettre, alors qu’il avait été élu par le personnel, d’exercer sa fonction était une atteinte à sa liberté syndicale. Cette atteinte ne reposait sur aucun intérêt public et était disproportionnée.

e. En modifiant sans motif suffisant sa pratique, le Conseil d’Etat avait violé le principe de la bonne foi. D’une part, il n’avait jamais attiré l’attention des candidats aux élections sur leur obligation d’avoir un domicile à Genève, d’autre part, il avait accepté que M. Bouvier et lui-même siègent précédemment au conseil d’administration. Enfin, le Conseil d’Etat n’avait pas repris cette règle lorsqu’il avait adopté le RCASIP en 1998. Dans les faits, le Conseil d’Etat avait donc estimé que la règle posée par l’art. 7 LSIG était tombée en désuétude et les précédentes élections de M. Bouvier et de lui-même n’étaient pas le fruit d’une erreur ou d’une omission mais le résultat d’une volonté délibérée. Ainsi, le Conseil d’Etat lui avait implicitement fait la promesse qu’il pourrait être réélu nonobstant son domicile à Gland.

11) Le 16 octobre 2012, le département s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif.

12) Par décision du 17 octobre 2012, la présidente de la chambre administrative a rejeté la demande d’effet suspensif au recours du 9 octobre 2012 et réservé le sort des frais de procédure jusqu’à droit jugé au fond.

13) Le 24 octobre 2012, le Conseil d’Etat, soit pour lui le département, a conclu au rejet du recours.

La liberté d’établissement de M. Cosandier était mise en cause, mais les griefs qu’il soulevait ne résistaient pas à l’examen. Il mentionnait lui-même la base légale autorisant la restriction à la liberté dont il se prévalait. Cette base légale conservait sa validité en droit positif. Les considérations du recourant sur le fait que le législateur n’avait pas songé à modifier la LSIG dans la foulée de la LPAC n’y changeaient rien. Le conseil d’administration était l’autorité supérieure des SIG, lesquels exerçaient un monopole public. Les options politiques prises par le conseil d’administration avaient des effets non négligeables sur les habitants du canton. Imposer aux administrateurs de vivre dans le canton où ces options déployaient leurs effets participait de la confiance que le citoyen pouvait mettre dans les institutions. Cette obligation n’étant imposée qu’aux membres de l’autorité supérieure, la restriction était proportionnée.

Ses griefs sur la violation de la liberté syndicale devaient être rejetés. M. Cosandier confondait ses activités syndicales, nullement remises en cause, et une fonction d’administrateur au service des seuls SIG et de leur bonne gestion. Il n’avait pas qualité pour agir au nom d’un syndicat ou de personnes syndiquées.

Le Conseil d’Etat n’avait fait aucune promesse à M. Cosandier. Par inadvertance, lors d’élections précédentes, l’exécutif cantonal n’avait pas effectué les contrôles nécessaires et pris les mesures qui s’imposaient face à des situations qui ne respectaient pas l’art. 7 LSIG.

14) Le 26 octobre 2012, la chambre administrative a fixé à M. Cosandier un délai au 15 novembre 2012 pour formuler d’éventuelles observations.

15) Le 15 novembre 2012, M. Cosandier a persisté dans ses écritures et conclusions.

Le Conseil d’Etat avait admis en l’espèce que la liberté d’établissement de M. Cosandier était en cause, prétendant que les conditions nécessaires à la restriction étaient réunies.

L’exigence de la base légale ne faisait pas de doute. Il n’y avait par contre aucun intérêt public à obliger les représentants du personnel au sein du conseil d’administration d’être domiciliés à Genève. Le Tribunal fédéral n’avait admis une obligation de résidence que dans quelques cas. En l’espèce, la fonction de représentant du personnel au conseil d’administration n’engendrait pas un intense besoin de proximité avec la population et la collectivité, le représentant du personnel n’exerçant pas une fonction de nature politique. Le principe de la proportionnalité était également violé. Imposer un domicile dans le canton aux membres du personnel siégeant au conseil d’administration n’était pas une mesure apte à garantir une bonne connaissance des institutions genevoises. D’autres mesures, comme l’obligation d’avoir travaillé à plein temps pendant quelques années au sein des SIG, permettaient d’assurer le respect des intérêts publics invoqués par le Conseil d’Etat. L’art. 7 LSIG violait la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), car il ne prévoyait aucune dérogation à l’obligation d’avoir un domicile effectif dans le canton de Genève et privait le Conseil d’Etat de la possibilité de procéder à une pesée des intérêts privés et publics opposés.

16) Le 11 février 2013, le juge délégué a ordonné l’appel en cause de M. Maury. Un délai au 28 février 2013 lui a été imparti pour présenter ses observations et produire son dossier. M. Cosandier et le Conseil d’Etat ont été informés de cette décision.

17) Le 13 février 2013, M. Maury a informé le juge délégué qu’il n’avait en l’état aucune observation à formuler ni aucune pièce à produire, et qu’il se plierait « de facto à la décision du Tribunal ».

18) Ce courrier a été transmis pour information aux parties et la cause gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La situation juridique de M. Maury étant susceptible d’être affectée par l’issue du litige, le juge délégué l’a appelé en cause d’office, en application de l’art. 71 LPA.

3) Le recourant met en cause la constitutionnalité de la LSIG. Il allègue que l’art. 7 LSIG viole sa liberté d’établissement et sa liberté syndicale. Il soutient également que le Conseil d’Etat n’a pas respecté le principe de la bonne foi.

4) De jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l’occasion de l’examen d’un cas concret, la conformité des normes de droit cantonal au droit fédéral (ATA/841/2001 du 18 décembre 2001 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. 1, 2ème éd., 1994, p. 98 n. 2.2.3 ; R. ZIMMERMANN, L’évolution récente du contrôle préjudiciel de la constitutionnalité des lois en droit genevois, RDAF 1988 p. 1 ss). Cette compétence découle du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit des cantons, ancré à l’art. 49 al. 1 Cst. (ATA/532/2007 du 16 octobre 2007 et les arrêts cités). D’une manière générale, les lois cantonales ne doivent rien contenir de contraire à la Cst., aux lois et ordonnances du droit fédéral (ATF 127 I 185 consid. 2 p. 187 ; ATA/500/2005 du 19 juillet 2005 ; ATA/572/2003 du 23 juillet 2003 ; A. AUER / G. MALINVERNI / M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 1, 2006, p. 794 n. 2280 ss). Le contrôle préjudiciel permet de déceler et de sanctionner la violation par une loi ou une ordonnance cantonales des droits garantis aux citoyens par le droit supérieur. Toutefois, dans le cadre d'un contrôle concret, seule la décision d'application de la norme viciée peut être annulée (P. MOOR, op.cit., p. 102 n. 2.2.4.2).

5) Selon l'art. 24 Cst., tout Suisse peut s'établir en un lieu quelconque du pays. La liberté d'établissement enjoint la Confédération, les cantons et les communes de permettre à tout Suisse de s'établir sur leur territoire, soit pour y constituer un domicile, soit pour y séjourner. Cette liberté a pour but de promouvoir et de garantir la libre circulation des personnes sur l’ensemble du territoire national (ATA 147/2004 du 10 février 2004 ; ATA 151/2002 du 26 novembre 2002 ; A. AUER / G. MALINVERNI / M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 2ème éd., 2006, p. 361 n. 752).

6) Comme les autres libertés, la liberté d’établissement peut être restreinte en respectant les conditions de l’art. 36 Cst. La restriction doit être fondée sur une base légale, être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et respecter le principe de la proportionnalité (ATF 128 I 280 = JdT 2004 p. 2).

7) En l’espèce, M. Cosandier, domicilié à Gland dans le canton de Vaud, prétend siéger au conseil d’administration des SIG. Il en est empêché,
l’art. 7 LSIG lui imposant d’avoir un domicile effectif à Genève pour exercer cette fonction. Partant, cette disposition porte atteinte à la liberté d’établissement du recourant, même s’il ne s’agit que d’une atteinte de faible intensité. Cette solution est conforme à celle retenue dans l’ATF 128 I 280 déjà cité, arrêt dans lequel le Tribunal fédéral a estimé que le gouvernement du canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures touchait la liberté d’établissement d’un avocat domicilié hors de ce canton en l’empêchant d’y exercer une activité de puissance publique au motif qu’il n’y habitait pas.

8) L’art. 7 LSIG, prévoyant que les membres du conseil d’administration doivent être de nationalité suisse et avoir leur domicile effectif dans le canton de Genève, constitue la base légale nécessaire à la restriction de la liberté d’établissement. Il en va autrement de l’intérêt public.

9) a. Selon le Conseil d’Etat, l’intérêt public résiderait en l’espèce dans les similitudes entre la fonction de membre élu par le personnel au conseil d’administration et une fonction élective, ainsi que dans le besoin de proximité entre ce membre du conseil d’administration et la population ou la collectivité.

b. Le Conseil d’Etat ne précise pas à quelle fonction élective il se réfère. S’il est vrai que pour nombre de ces fonctions la législation pose une exigence de domiciliation dans le canton, tel n’est pas toujours le cas. Les membres élus ou désignés par le personnel au conseil d’administration d’autres établissements de droit public du même type que les SIG ne sont pas soumis à cette obligation. Tel n’est ainsi pas le cas aux HUG (art. 6 et 20 de la loi sur les établissements publics médicaux du 19 septembre 1980 - LEPM  - K 2 05), aux cliniques genevoises de Joli-Mont et de Montana (art. 34 LEPM), à l’AIG (art. 7 de la loi sur l’aéroport international de Genève du 10 juin 1993 - LAIG - H 3 25) ou à l’HG (art. 9 de la loi sur l’hospice général du 17 mars 2006 - LHG - J 4 07). Au vu de ces nombreux exemples, l’argument du Conseil d’Etat est insuffisant pour fonder un intérêt public.

10) a. S’agissant du besoin de proximité, la même conclusion s’impose. On ne voit en effet pas en quoi le fait d’avoir son domicile à Genève garantirait un lien de proximité pour les membres élus par le personnel au conseil d’administration des SIG alors que cette exigence n’est pas requise dans les autres établissements de droit public. S’il siégeait au conseil d’administration des HUG ou de l’HG, M. Cosandier serait amené à traiter de questions aussi importantes que la santé ou l’assistance publique. Il y prendrait des décisions qui auraient, ni plus ni moins qu’aux SIG, des effets sur la population du canton.

Les employés des SIG ont en outre la liberté de s’installer où ils le souhaitent, sauf si l’intérêt de l’entreprise le commande et que l’éloignement de leur domicile porte préjudice à l’accomplissement de leur devoir de service (art. 67 du statut du personnel des SIG). Cette exception n’étant pas réalisée en ce qui le concerne, le recourant a ainsi pu s’établir à Gland.

b. Pour étayer sa démonstration, le Conseil d’Etat cite l’ATF 128 I 280 mentionné plus haut, rendu par le Tribunal fédéral en 2002. Or, la notion d’intérêt public varie dans le temps, en ce sens que ce qui hier encore justifiait une restriction aux libertés ne constitue peut-être plus un motif légitime aujourd’hui. Dans un Etat fédéral, la notion d’intérêt public peut en outre varier d’un canton à l’autre (A. AUER /G. MALINVERNI / M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 2ème éd., 2006, p. 100 n. 214).

c. Le libellé de l’art. 7 LSIG est le même depuis l’adoption de cette loi par le Grand Conseil le 5 octobre 1973. Selon l’exposé des motifs, il a été rédigé de cette manière car « il correspond[ait] à un principe d’application constante et se trouve[ait] explicitement exprimé dans les statuts d’autres institutions cantonales » (MGC 1969/III D/3 2582). Il en va de même de l’art. 10 LTPG qui impose aux membres du conseil d’administration d’habiter à Genève. Cette disposition a été introduite dans cette loi lors de son adoption le 21 novembre 1975.

d. Les lois instituant les conseils d’administration des HUG et des cliniques genevoises de Joli-Mont et de Montana, de l’AIG et de l’HG sont toutes plus récentes. Elles n’imposent plus une obligation de domicile.

e. En 2005, le Grand Conseil a été saisi de projets de lois déposés par quelques députés (PL 9627 à 9630). Ces projets visaient à réformer les conseils d’administration de plusieurs établissements de droit public, dont les TPG et les SIG. Ils ne contenaient aucune disposition relative à une quelconque obligation de domicile dans le canton. Soumis à votation populaire le 1er juin 2008, ces projets de lois ont été refusés, sans que la question du domicile ne fasse toutefois débat.

f. Le 15 juin 2010, le Conseil d’Etat lui-même a saisi le Grand Conseil d’un projet de loi prévoyant une réforme des conseils d’administration des établissements de droit public (PL 10679). Ce projet supprimait l’obligation faite aux membres des conseils d’administration des SIG et des TPG d’avoir leur domicile à Genève. L’art. 7 LSIG était abrogé. Cette question n’a fait l’objet d’aucun commentaire particulier au cours des travaux du parlement cantonal (disponibles sur http://www.ge.ch/grandconseil/data/texte/PL10679.pdf. Ce projet de loi a été rejeté en votation populaire le 17 juin 2012 mais pour d’autres motifs que l’abrogation de l’art. 7 LSIG. Ce dernier subsiste donc tel quel.

g. Au vu de ce qui précède, force est de constater qu’il n’existe plus aujourd’hui aucun intérêt public justifiant qu’il soit porté atteinte à la liberté d’établissement de M. Cosandier, au motif qu’il devrait habiter à Genève. Cette conclusion se trouve renforcée par le profil personnel de M. Cosandier. Ses compétences, son parcours au sein des SIG, son expérience professionnelle et les nombreux contacts qu’il a pu établir avec les clients, parmi lesquels l’Etat de Genève, la Ville de Genève ou encore les communes, lui permettent de se prévaloir d’une bonne connaissance du fonctionnement de l’établissement et des enjeux auxquels il est confronté. De plus, il a déjà siégé pendant quelques années au conseil d’administration sans que cela ne pose le moindre problème.

11) L’art. 7 LSIG violant la liberté d’établissement de M. Cosandier, le recours sera admis et la décision du Conseil d’Etat du 3 octobre 2012 annulée. Aucun émolument ne sera infligé au Conseil d’Etat ni mis à la charge de M. Cosandier, qui obtient gain de cause (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- lui sera allouée, à la charge de l’Etat de Genève.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 octobre 2012 par Monsieur Martial Cosandier contre la décision du Conseil d'Etat du 3 octobre 2012 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du Conseil d’Etat du 3 octobre 2012 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur Martial Cosandier une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me David Lachat, avocat du recourant, au Conseil d'Etat, ainsi qu’à Monsieur André Maury, appelé en cause.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :