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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3056/2013

ATA/685/2013 du 14.10.2013 sur JTAPI/1017/2013 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3056/2013-MC ATA/685/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 octobre 2013

en section

 

dans la cause

 

Monsieur B______
représenté par Me Edmond Tavernier, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 septembre 2013 (JTAPI/1017/2013)


EN FAIT

Monsieur B______, ressortissant algérien, né en 1967, est à Genève depuis 1995 au moins, sans être au bénéfice d’une autorisation de séjour et sans que son domicile ne soit connu.

Dix-huit ordonnances de condamnation et ordonnances pénales ont été prononcées à son encontre par les autorités pénales genevoises compétentes, entre le 1er novembre 1995 et le 26 mars 2013, notamment pour vol au sens de l'art. 139 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), soit au total quarante-quatre mois d’incarcération.

Le 20 mai 2000, l'office fédéral des migrations (ci-après : ODM) a interdit à M. B______ d'entrer en Suisse pour une durée indéterminée. Cette décision est définitive.

Le 8 juillet 2009, l'office cantonal de la population (ci-après : OCP) a ordonné le renvoi de Suisse de M. B______. Cette décision, fondée sur l'art. 64 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20), est aussi définitive.

Le 24 mars 2013, M. B______ a été, par ordre de l'officier de police, placé en détention administrative pour quarante-huit heures, afin d'assurer l'exécution de son renvoi de Suisse. A la demande de l'ODM, un laisser-passer lui avait été délivré par l'ambassade algérienne à Berne.

Le 27 mars 2013, l’officier de police a prononcé à l’encontre de l’intéressé un ordre de mise en détention administrative pour une durée de deux mois afin d’assurer l’exécution de son renvoi. Il avait été condamné à réitérées reprises pour vol, soit pour un crime. Le 25 mars 2013, il s’était opposé physiquement à son renvoi lors de la tentative de refoulement.

Cette décision a été confirmée par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le 28 mars 2013 (JTAPI/374/2013), puis, sur recours, par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 18 avril 2013 (ATA/248/2013).

Le 16 mai 2013, l’officier de police a placé M. B______ en détention administrative pour insoumission pour une durée d’un mois. L'intéressé avait refusé de prendre place sur un vol de ligne avec escorte policière à destination de l’Algérie.

Cette décision a été confirmée par le TAPI le lendemain (JTAPI/578/2013) puis, le 4 juin 2013, par la chambre administrative (ATA/349/2013).

Le 11 juin 2013, la détention administrative de M. B______ a été prolongée par le TAPI pour une durée de deux mois, à la demande de l'OCP.

Le 29 juillet 2013, la détention administrative a été interrompue afin de permettre à l'intéressé d'exécuter, à la prison de la Brenaz, une peine privative de liberté de trente jours infligée par ordonnance pénale du Ministère public du 26 mars 2013.

Le 26 août 2013, l’officier de police a mis M. B______ en détention administrative pour insoumission pour une durée d’un mois, décision confirmée par le TAPI le 29 août 2013 (JTAPI/578/2013). La chambre administrative a rejeté le recours formé par l'intéressé contre ce jugement par arrêt du 11 septembre 2013 (ATA/604/2013).

En substance, M. B______ avait été condamné pour des crimes. Une décision de renvoi définitive et exécutoire avait été prononcée à son encontre. Loin de collaborer à l'exécution de son renvoi - qui ne pouvait être réalisée qu'à destination de son pays d'origine - il s'y était opposé même physiquement.

Ce n'était pas parce que M. B______ annonçait qu'il persisterait dans son refus que la mesure devenait illégale; il s'agissait d'une condition nécessaire à la mise en détention pour insoumission. La détention administrative respectait le principe de la proportionnalité.

Entendu par la police le 19 septembre 2013, M. B______ a déclaré qu'il refusait de rentrer dans son pays, l'Algérie.

Le 20 septembre 2013, l'OCP a sollicité du TAPI la prolongation de la détention administrative pour insoumission de l'intéressé pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 26 novembre 2013. Il était seul responsable de la durée de sa détention, cette dernière constituant l'unique moyen de mener à terme son rapatriement en Algérie.

a. Entendu par le TAPI le 24 septembre 2013, M. B______ a indiqué qu'il était opposé à retourner en Algérie, où il n'avait aucune attache. Il suivait un traitement contre sa toxicomanie, qu'il souhaitait poursuivre.

L'OCP a souligné que les autorités algériennes avaient déjà délivré un laissez- passer à l'intéressé, sa nationalité algérienne étant établie.

b. Par jugement du 24 septembre 2013 (JTAPI 1017/2013), le TAPI a prolongé la détention administrative pour insoumission de l'intéressé pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 26 novembre 2013. M. B______ refusait de coopérer. Le délai maximal de la détention était loin d'être atteint. Aucune mesure moins incisive ne permettrait d'atteindre le but visé.

Le 4 octobre 2013, M. B______ a saisi la chambre administrative d'un recours contre le jugement précité.

Un traitement médical complexe lui était administré, qui ne pourrait probablement pas être suivi en Algérie et qui ne pouvait être interrompu brusquement.

Il était le père d'un enfant né en Suisse, mais ne pouvait prouver ce fait car il désirait protéger la mère et l'enfant des procédures judiciaires menées à son encontre. Il ne désirait d'autre part pas que son enfant sache qu'il suivait un traitement médical contre la toxicomanie.

Il n'avait plus d'attache en Algérie, qu'il avait quittée il y a plus de 25 ans.

La détention pour insoumission était vaine et inopportune, dès lors qu'il n'accepterait jamais de rentrer dans son pays d'origine, ce d'autant qu'il était habitué au système carcéral.

Au vu de sa situation personnelle, de sa situation de santé et de sa situation familiale, le jugement litigieux violait le principe de la proportionnalité. Dès lors qu'il ne souhaitait pas mettre fin au traitement médical lourd qu'il suivait, un arrêt brutal et un renvoi en Algérie seraient dommageables pour sa santé. De plus, son état anxieux et angoissé était renforcé par la détention et le serait encore plus par un renvoi en Algérie. L'exécution de la décision de renvoi ne pouvait être raisonnablement exigée.

Au recours était notamment annexé un courrier du Docteur L______, psychiatre consultant à la prison administrative de LMC Frambois. Un diagnostic de troubles mentaux et du comportement lié à l'utilisation d’opiacés, syndrome de dépendance mais abstinent dans un milieu protégé et sous traitement de substitution, avec un épisode dépressif modéré, avait été retenu. La symptomatologie était restée stable avec des moments paroxystiques de colère et d'irritabilité en lien avec l'incarcération. Le patient n'était pas demandeur d'un sevrage progressif du traitement de substitution. Il était nécessaire de prendre des précautions avec l'un des médicaments, le Temesta, qui nécessitait une diminution progressive lors de son sevrage afin d'éviter toute nouvelle complication de type crise d'épilepsie. L'arrêt brusque de la méthadone provoquerait des symptômes de sevrage désagréables, mais sans risque vital. Les autres médicaments pouvaient être interrompus sans risque. La symptomatologie était aggravée par le contexte d'incarcération et la complexité médicamenteuse ne serait probablement pas nécessaire dans un milieu social et dans un contexte personnel moins angoissant.

Le 4 octobre 2013, le TAPI a transmis son dossier, sans émettre d'observations.

Le 9 octobre 2013, l'OCP a conclu au rejet du recours. M. B______ n’avait jamais collaboré et refusait de le faire. Il était prématuré de considérer que la détention pour insoumission serait inapte à l'amener à modifier son comportement.

Le 9 octobre 2013 encore, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

Selon l’art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10) la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 4 octobre 2013 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

a. Aux termes de l’art. 78 al. 1 LEtr, si l’étranger n’a pas obtempéré à l’injonction de quitter la Suisse dans le délai prescrit et que la décision exécutoire de renvoi ou l’expulsion ne peut être exécutée en raison de son comportement, il peut être placé en détention pour insoumission afin de garantir qu’il quittera effectivement le pays, pour autant que les conditions de sa détention en vue du renvoi ou de l’expulsion ne soient pas remplies et qu’il n’existe pas d’autre mesure moins contraignante susceptible de conduire à l’objectif visé.

b. La détention peut être ordonnée pour une période d’un mois et prolongée de deux mois en deux mois (art. 78 al. 2 LEtr). Elle doit être levée notamment lorsqu’un départ de Suisse volontaire et dans le délai prescrit n’est pas possible malgré la collaboration de l’intéressé (art. 78 al. 6 let. a LEtr ; ATA/581/2011 du 7 septembre 2011).

c. Selon la jurisprudence rendue en la matière, le but de la détention pour insoumission est de pousser un étranger tenu de quitter la Suisse à changer de comportement, lorsqu’à l’échéance du délai de départ, l’exécution de la décision de renvoi entrée en force ne peut être assurée sans la coopération de celui-ci malgré les efforts des autorités (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 p. 106 et la jurisprudence citée ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_1089/2012 du 22 novembre 2012, consid. 2.2). La détention pour insoumission constitue une ultima ratio, dans la mesure où il n’existe plus d’autres mesures permettant d’aboutir à ce que l’étranger se trouvant illégalement en Suisse puisse être renvoyé dans son pays. La prise d’une telle mesure doit respecter le principe de la proportionnalité, ce qui suppose d’examiner l’ensemble des circonstances pour déterminer si elle apparaît appropriée et nécessaire. Le seul refus explicite de collaborer de la personne concernée ne constitue qu’un indice parmi d’autres éléments à prendre en considération dans cette appréciation (ATF 135 II 105 et la jurisprudence citée ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_538/2010 précité ; ATA/512/2011 du 16 août 2011, confirmé par Arrêt du Tribunal fédéral 2C_624/2011 du 12 septembre 2011).

d. Selon l'art. 79 al. 1 LEtr, la détention en phase préparatoire et la détention en vue du renvoi ou de l’expulsion visées aux art. 75 à 77 LEtr ainsi que la détention pour insoumission visée à l’art. 78 LEtr ne peuvent excéder six mois au total. Cette durée peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEtr). L'art. 79 al. 2 LEtr n'instaure pas un nouveau régime de détention dont les conditions s'apprécieraient distinctement de celles de l'art. 79 al. 1 LEtr. Il s'agit de la simple extension de la durée maximale possible de la mesure, notamment lorsque la personne concernée ne collabore pas.

En l’espèce, M. B______ fait l’objet d’une décision de renvoi de Suisse prise le 8 juillet 2009, définitive et exécutoire. Il s’est opposé à deux reprises à son renvoi en Algérie sur un vol de ligne les 25 mars et 16 mai 2013, organisé pour le deuxième avec escorte policière. Tout au long de la procédure, il n’a pas collaboré avec les autorités et s'est limité à affirmer son refus de retourner en Algérie.

En l’état des accords liant la Suisse et l’Algérie, le retour dans ce pays par vol spécial est exclu. Il en résulte que la collaboration du recourant est nécessaire, même pour un vol avec escorte policière. L’intéressé pouvant rapidement être mis au bénéfice d’un laissez-passer, son renvoi serait possible si, par son seul refus, il n'en empêchait l’exécution. Les conditions d’une mise en détention pour insoumission sont ainsi satisfaites, ainsi que la chambre de céans l’a déjà jugé les 4 juin et 11 septembre 2013, la situation ne s’étant à cet égard pas modifiée.

Conformément à l’art. 78 LEtr, la prolongation de ladite détention a été ordonnée pour deux mois, jusqu’au 26 novembre 2013. À cette date, elle atteindra un peu plus de sept mois, ce qui est inférieur à la durée maximale fixée par l’art. 79 al. 2 LEtr (ATA/20/2013 précité et les jurisprudences citées).

Le recourant met en avant divers éléments qui, selon lui, interdiraient l'exécution du renvoi ou rendraient la mise en détention inopportune :

- son état de santé et le traitement médicamenteux auquel il était astreint et qu'il souhaitait continuer. La lecture du certificat médical du Dr L______ indique que la prise de l'un des médicaments prescrit, le Temesta, ne peut être interrompue brusquement. Cet élément devra certes être pris en compte par le recourant s'il se décide à repartir dans son pays, mais ne saurait empêcher l'exécution du renvoi et justifier la levée de la mesure litigieuse, dès lors que, sans qu'il soit nécessaire de savoir si le Temesta est disponible en Algérie, une interruption de la prise de ce médicament est possible. Il en va de même pour la méthadone, les conséquences d'un arrêt brusque de ce traitement étant sans conteste désagréables mais sans risque vital ;

- il était le père d'un enfant né en Suisse. Cette affirmation n'a jamais été prouvée ou démontrée, et le recourant indique qu'il n'entend pas transmettre plus de précisions à ce sujet ;

- il n'accepterait jamais de rentrer volontairement dans son pays d'origine. Cet élément n'est pas déterminant, dès lors que la détention pour insoumission vise précisément à obtenir une modification de refus, lequel en est une condition.

La durée de la détention et le principe même de celle-ci respectent le principe de proportionnalité, eu égard à sa durée, comme indiqué ci-dessus d’une part, mais également eu égard au respect du principe de célérité, les autorités ayant tout tenté à ce jour, malgré l’opposition de l’intéressé, pour le renvoyer.

En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) et art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue de celui-ci, aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 octobre 2013 par Monsieur B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 septembre 2013 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Edmond Tavernier, avocat du recourant, au Tribunal administratif de première instance, à l’office cantonal de la population, à l'office fédéral des migrations, ainsi qu'au centre Frambois LMC, pour information.

Siégeants : M. Thélin, président, M. Verniory et Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :