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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1967/2016

ATA/684/2016 du 16.08.2016 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1967/2016-PRISON ATA/684/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 août 2016

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ DE CURABILIS

 



EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______1994, ressortissant de Somalie, est détenu au sein de l’établissement fermé de Curabilis (ci-après : Curabilis) sur mandat du service de l’application des peines et mesures du canton du Valais, à la suite du prononcé d’une mesure d’internement au sens de l’art. 59 al. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) par le Tribunal d’arrondissement pour le district de Sierre le 29 avril 2014 suite à la commission de différentes infractions pénales contre le patrimoine, l’intégrité corporelle ou les moeurs. À la suite de cette condamnation, il a fait l’objet, le 3 septembre 2014, d’une nouvelle condamnation pour incendie intentionnel prononcée par le procureur auprès de l’office régional du Bas-Valais.

2. Le 7 mai 2016 à 20h56, il a été constaté un départ d’incendie dans la cellule 1.24 qu’il occupait au sein de Curabilis. Selon le rapport établi par une agente de détention, le sinistre avait été causé par M. A______ qui avait mis le feu à son matelas, voire à la literie et aux rideaux de la cellule. Vu les dégagements de fumée, l’intéressé et les détenus voisins avaient dû être évacués.

3. M. A______ a été placé en cellule forte. Il a été entendu le 8 mai 2016 par un gardien sous-chef. Selon le procès-verbal d’audition, il a indiqué vouloir mourir par les flammes. Selon le même rapport, il avait placé ses affaires personnelles dans le « coin toilettes » de sa cellule avant de mettre le feu, pour qu’elles puissent être données à ses parents.

4. Le 8 juin 2016, M. A______, après son audition, s’est vu signifier par le directeur adjoint de Curabilis une sanction de dix jours d’arrêts sans sursis pour avoir provoqué volontairement un incendie. La sanction était exécutoire nonobstant recours.

5. Avant son audition, sur consultation, le médecin de l’unité a indiqué que l’intéressé était entièrement responsable et apte à la faute d’un point de vue disciplinaire.

La sanction a été notifiée à M. A______ le 8 juin 2016 à 10h40.

6. Par acte posté le 8 juin 2016, M. A______ a interjeté un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de sanction précitée. L’acte de recours a été reçu le 13 juin 2016. L’intéressé contestait la commission d’un incendie volontaire. Selon lui, il était involontaire et dû au fait qu’il avait dormi avec une cigarette. Il ne supportait pas l’enfermement. Il était suicidaire et claustrophobe. Il n’était pas fou, contrairement à la plupart des personnes placées au sein de Curabilis.

7. Le 5 juillet 2016, le directeur de Curabilis a conclu au rejet du recours. Les faits pour lesquels la sanction avait été prononcée étaient établis par le rapport d’incident du 8 mai 2016. Le caractère intentionnel de l’incendie résultait du fait que l’intéressé avait, avant de bouter le feu à son matelas, pris le soin de placer ses affaires dans le « coin toilettes » de la cellule pour les préserver. Les photographies démontraient qu’il avait mis le feu à son matelas, à ses oreillers, à son duvet ainsi qu’aux rideaux.

La sanction disciplinaire était justifiée. Pour fixer sa quotité, il avait été tenu compte de l’ensemble des circonstances personnelles et notamment du fait que l’intéressé était responsable de ses actes, ainsi que l’avait constaté le médecin de l’unité. Les faits étant graves, il méritait la sanction infligée.

8. Par avis du 8 juillet 2016, le juge a accordé aux parties un délai au 3 août 2016 pour formuler toute requête complémentaire ou exercer le droit à la réplique, s’agissant du recourant. Passé ce délai, la cause serait gardée à juger.

9. Aucune des parties ne s’est manifestée dans le délai imparti.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012 ; ATA/188/2011 du 22 mars 2011 ; ATA/146/2009 du 24 mars 2009).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3 ; Hansjörg SEILER, Handkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], 2007, n. 33 ad art. 89 LTF p. 365 ; Karl SPUHLER/Annette DOLGE/Dominik VOCK, Kurzkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], 2006, n. 5 ad art. 89 LTF p. 167). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 ; 118 Ib 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009).

e. En l’espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité de la sanction doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisqu’elle a déjà été exécutée, dans la mesure où une situation susceptible d’une sanction disciplinaire pourrait encore se présenter (ATA/183/2013 du 19 mars 2013 et la jurisprudence citée).

Le recours est donc recevable de ce point de vue également.

3. a. Le 10 avril 2006, les cantons de Fribourg, Vaud, Valais, Neuchâtel, Genève, Jura et Tessin ont conclu le concordat sur l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures concernant les adultes et les jeunes adultes dans les cantons latins (concordat latin sur la détention pénale des adultes du 10 avril 2006 - CLDPA - E 4 55). La Conférence latine des autorités cantonales compétentes en matière d'exécution des peines et des mesures (ci-après : la conférence) est l’un des organes de la CLDPA (art. 2 let. a CLDPA). Elle a notamment pour attribution d’arrêter dans un règlement la liste des établissements destinés à l'exécution des peines et des mesures relevant du CLDPA et les règles minima.

b. Curabilis relève du concordat conformément au règlement du 29 octobre 2010 listant les établissements pour l'exécution des privations de liberté à caractère pénal.

c. Les personnes détenues placées dans un établissement concordataire sont soumises aux prescriptions légales et réglementaires du canton où l’établissement a son siège, notamment en matière disciplinaire (art. 19 CLDPA).

4. a. Le 19 mars 2014, le Conseil d’État a édicté le règlement de l’établissement de Curabilis, entré en vigueur le 26 mars 2014 (RCurabilis - F 1 50.15).

b. Selon ce texte, sont notamment interdits les atteintes à l’intégrité des différents personnels de l’établissement ou des personnes codétenues (art. 69 al. 1 let. c RCurabilis), les mises en danger d’autrui ou de l’institution (art. 69 al. 1 let. e RCurabilis), les atteintes illicites au patrimoine d’autrui (art. 69 al. 1 let. g RCurabilis), d’une manière générale, le fait d’adopter un comportement contraire au but de Curabilis (art. 69 al. 1 let. n RCurabilis).

Si une personne détenue enfreint le RCurabilis ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée. Il est tenu compte de l’état de santé de la personne détenue au moment de l’infraction disciplinaire. Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 1 à 3 RCurabilis).

5. a. Selon l’art. 70 al. 4 RCurabilis, les sanctions sont :

a) l'avertissement écrit ;

b) la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières ;

c) l'amende jusqu'à CHF 1'000.- ;

d) les arrêts pour une durée maximale de dix jours.

b. Les sanctions prévues à l'al. 4 peuvent être cumulées. L'exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum. Le sursis à l'exécution peut être révoqué lorsque la personne détenue fait l'objet d'une nouvelle sanction durant le délai d'épreuve.

c. Le directeur de Curabilis est compétent pour prononcer les sanctions. Lorsqu'il existe un cas de récusation au sens de l'art. 15 LPA, le directeur général de l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD) est compétent (art. 71 RCurabilis).

d. En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b ; ATA/946/2014 du 2 décembre 2014 consid. 16 ; ATA/267/2013 du 30 avril 2013 et les références citées).

6. En l’espèce, le droit d'être entendu du recourant a été respecté, dans la mesure où ce dernier a été auditionné, avec tenue d'un procès-verbal, avant le prononcé de la sanction.

7. Le recourant ne conteste pas être à l’origine du feu qui a éclaté dans sa cellule. Il conteste cependant le caractère volontaire de ses actes. Cependant, les dispositions qu’il a prises avant le départ du feu, de placer ses effets personnels à l’abri, confirment le caractère intentionnel de ses actes. Ces derniers ont causé une grave mise en danger de la sécurité du personnel de l’établissement ou des codétenus du recourant. L’incendie a causé d’importants dommages aux locaux de Curabilis. Ayant mis le feu à divers éléments de l’agencement de sa cellule, le recourant a contrevenu aux art. 69 al. 1 let. c et g RCurabilis. Sa responsabilité disciplinaire est engagée eu égard à sa capacité de discernement. En le sanctionnant de dix jours d’arrêts, soit de la sanction maximale prévue à l’art. 70 al. 4 RCurabilis, la direction de l’établissement a opté, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu, pour une sanction dont le genre et la quotité, vu la gravité des atteintes à la sécurité causées par l’acte, est conforme au droit, et respecte notamment le principe de la proportionnalité. Cette sanction ne peut dès lors qu’être confirmée.

8. Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Vu la nature du litige et son issue, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juin 2016 par Monsieur A______ contre la décision de l’établissement fermé de Curabilis du 8 juin 2016 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas prélevé d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'à l’établissement fermé de Curabilis.

Siégeants : Mme Junod, présidente, M. Dumartheray et Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :