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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2857/2015

ATA/646/2016 du 26.07.2016 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2857/2015-PRISON ATA/646/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 juillet 2016

1ère section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Claude Aberle, avocat

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1. Par lettre de son conseil du 30 juillet 2015, M. A______, détenu à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison), a remercié le directeur de celle-ci (ci-après : le directeur) d’être intervenu, suite à la surchauffe des cellules dont il se plaignait, et d’avoir veillé à ce que le système de ventilation puisse être amélioré.

En date du 26 juillet 2015, il avait sollicité, par commande spéciale (rose), l’acquisition d’un thermomètre, qui lui avait cependant été refusée.

Il souhaitait connaître les raisons de ce refus, et sur quelles dispositions réglementaires il était fondé.

2. Par lettre du 3 août 2015, le directeur a répondu que le refus opposé à sa demande était fondé sur une application sécuritaire de l’art. 41 al. 1 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du
30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04).

3. Par acte signé par son avocat et déposé le 27 août 2015 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a formé recours contre le refus de commande d’un thermomètre prise par la prison, concluant, « avec suite de frais et dépens », à ce que la chambre administrative annule cette décision, l’autorise à recevoir et détenir pour son usage propre un thermomètre analogique et condamne la prison à lui livrer sans délai un thermomètre analogique avec pile.

Il présentait diverses pathologies médicales.

Il a produit deux listes des produits autorisés établies le 4 septembre 2013 et publiées sur le site internet de la prison. Étaient écrits à la fin de chacune de ces listes : « Tous les produits non inscrits sur cette liste sont refusés (NDR : phrase soulignée). Cette liste est valable pour tous les produits apportés et reçus de l’extérieur. P.S. Cette liste n’est pas exhaustive et peut être modifiée à tout moment sans préavis ». Il n’y était pas mentionné de thermomètre.

Le recourant ne voyait pas en quoi un thermomètre représenterait un danger quelconque et plus grand que d’autres produits, autorisés dans lesdites listes.

4. Dans sa réponse du 30 septembre 2015, la prison a conclu à l’irrecevabilité du recours faute d’acte attaquable et subsidiairement à son rejet avec suite de frais.

Les personnes détenues pouvaient acheter les produits qui figuraient dans le catalogue de l’épicerie de la prison – qui était produit –, conformément aux modalités décrites.

Des articles qui ne figuraient pas dans ce catalogue pouvaient faire l’objet d’une commande spéciale sur papier rose – dont un exemplaire non rempli était annexé –, qui devait être validée par la hiérarchie.

Les visiteurs pouvaient également déposer au service des huissiers les produits qui figuraient sur les listes des produits autorisés mentionnées plus haut.

En l’espèce, le refus de commande d’un thermomètre et par extension l’impossibilité de garder cet objet en cellule était justifié par des impératifs sécuritaires visant à protéger tant les détenus que le personnel pénitentiaire d’une éventuelle agression physique et d’allégations de vols. La prison ne pouvait assurer un haut niveau de sécurité de ses occupants qu’en maintenant un contrôle systématique et rigoureux des objets et autres marchandises introduites dans la prison et en refusant, en principe, toute demande excessivement individualisée, telle celle commandant un thermomètre.

Le recourant ne subissait aucune atteinte particulière, dès lors que le service médical à la prison pouvait, en cas de besoin, assurer le contrôle de sa température corporelle.

5. Par courrier de son conseil du 6 octobre 2015, avec copie adressée à la chambre administrative, M. A______ a précisé au directeur, afin de dissiper toute méprise, que sa demande visait non un thermomètre destiné à mesurer la température corporelle, mais un thermomètre permettant la mesure de la température ambiante.

6. Dans ses observations du 3 novembre 2015, la prison a maintenu sa position, l’argumentaire présenté dans le cadre de sa réponse valant également pour un thermomètre mesurant la température ambiante, à l’exclusion du volet concernant l’intervention du service médical.

Afin de disposer de mesures suffisamment fiables pour améliorer la gestion opérationnelle en lien avec de fortes températures – problématique existant aussi par temps froid –, le service technique spécialisé interne avait procédé, pendant l’été, à la mesure, fréquente et régulière, selon une méthodologie précise, des températures. Même si la présence d’un thermomètre dans une cellule pouvait paraître anodine, en l’absence d’une gestion et d’une information globale de la problématique liée aux températures par la direction de l’établissement, le risque de propager un mécontentement injustifié et par conséquent des problématiques sécuritaires accrues demeurait élevé.

7. Dans ses observations du 4 novembre 2015, M. A______ a persisté dans les conclusions de son recours.

8. Le 16 décembre 2015, M. A______ a répliqué.

Il souffrait principalement de problèmes de santé d’ordre psychologique (anxiété entre autres). Dans ce cadre notamment, le fait pour lui de connaître la température ambiante n’avait pas pour vocation de lui permettre d’exercer le prétendu rôle de fer de lance de mutinerie, qu’il contestait et qui tomberait sous le coup de l’art. 47 RRIP.

9. Par lettre du 18 décembre 2015, la chambre administrative a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

10. Pour le reste, les arguments des parties seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1. En vertu de l’art. 60 RRIP, un recours peut être formé auprès de la chambre administrative contre toute sanction prononcée par le directeur général de l'office cantonal de la détention ou le directeur de la prison.

En l’occurrence, aucune sanction n’étant contestée, cette disposition réglementaire n’est pas applicable.

2. a. Aux termes de l’art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du
26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), loi entrée en vigueur le 1er janvier 2011, la chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative ; les compétences de la chambre constitutionnelle et de la chambre des assurances sociales sont réservées (al. 1) ; le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6, al. 1, let. a et e, et 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ; sont réservées les exceptions prévues par la loi (al. 2) ; la chambre administrative connaît en instance cantonale unique des actions fondées sur le droit public qui ne peuvent pas faire l’objet d’une décision au sens de l’al. 2 et qui découlent d’un contrat de droit public : les dispositions de la LPA en matière de recours s’appliquent par analogie à ces actions (al. 3).

b. Selon l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c). Quant aux décisions fondées sur l’art. 4A LPA, elles portent sur des actes illicites de l’autorité compétente, qui sont fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et qui touchent les droits ou obligations d’une personne ayant un intérêt digne de protection.

En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 -
PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l’adoption n’ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral
8C_220/2011 du 2 mars 2012 ; 8C_191/2010 du 12 octobre 2010 consid. 6.1 ; 1C_408/2008 du 16 juillet 2009 consid. 2 ; ATA/238/2013 du 16 avril 2013 consid. 3a ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 2011, pp. 179 ss n. 2.1.2.1 ss et 245 n. 2.2.3.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 783 ss). Ces dernières peuvent constituer des cas limites et revêtir la qualité de décisions susceptibles de recours, lorsqu'elles apparaissent comme des sanctions conditionnant ultérieurement l'adoption d'une mesure plus restrictive à l'égard du destinataire. Lorsque la mise en demeure ou l'avertissement ne possède pas un tel caractère, il n'est pas sujet à recours (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 180, n. 2.1. 2.1 ; Alfred KÖLZ/Isabelle HÄNER/Martin BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 3ème éd., 2013, p. 310 ; ATA/715/2014 du
9 septembre 2014 consid. 3 ; ATA/537/2014 du 17 juillet 2014 consid. 2 ; ATA/104/2013 du 19 février 2013 consid. 2).

De même, ne sont pas des décisions les actes internes ou d'organisation, qui visent les situations à l'intérieur de l'administration ; il peut y avoir des effets juridiques, mais ce n'en est pas l'objet. C'est pourquoi ils ne sont en règle générale pas susceptibles de recours (ATF 136 I 323 consid. 4.4 ; 8C_191/2010 du
12 octobre 2010 consid. 6.1 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 164
n. 2.1.2.3).

3. Selon la prison, la question litigieuse entre dans le cadre des mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement prises par le directeur conformément à l’art. 2 al. 1 let. b du règlement sur l'organisation et le personnel de la prison du 30 septembre 1985 (ROPP - F 1 50.01), et constitue une mesure organisationnelle de sécurité, voire une simple communication, et non pas une décision au sens de l’art. 4 LPA.

Le recourant le conteste en faisant valoir que le refus litigieux affecte manifestement sa situation juridique et tant qu’il viole ses libertés.

4. a. Aux termes de l’art. 41 RRIP, les détenus peuvent acheter ou recevoir sous contrôle les produits et objets autorisés par la direction (al. 1) ; les colis doivent être remis ou adressés à l’établissement avec l’indication de l’expéditeur, sous peine d’être refusés (al. 2).

Dans le canton de Genève, les lois et règlements ne contiennent pas de dispositions plus précises concernant la situation des détenus qui demandent d’acquérir ou de recevoir des objets.

b. Cela étant, comme établi en droit disciplinaire, les détenus sont des personnes qui sont soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, sont l'objet d'une surveillance spéciale (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 142 n. 1.4.3.4).

c. Dans ces conditions, au regard aussi de l’art. 2 al. 1 let. b ROPP, la question de savoir si le refus de permettre au recourant l’acquisition d’un thermomètre, confirmé par lettre du directeur du 3 août 2015, est ou non un acte attaquable peut souffrir de demeurer indécise, et il doit en tout état de cause être relevé que la direction de l’établissement dispose en la matière d’un très large pouvoir d’appréciation, puisque notamment c’est elle qui décide quels objets sont autorisés.

Ainsi, dans l’hypothèse où le recours serait recevable, le pouvoir de la chambre de céans serait en tout état de cause extrêmement restreint et celle-ci ferait preuve de retenue (en matière d’examen, par analogie, ATA/476/2016 du
7 juin 2016 consid. 5b).

5. Aux termes de l’art. 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale ; les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al. 1) ; toute restriction d'un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) ; toute restriction d'un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3) ; l'essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).

Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées). Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/295/2015 du 24 mars 2015 consid. 7 ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

6. En l’espèce, l’intimée est en tout état de cause légitimée à se prévaloir de l’intérêt public consistant dans la sécurité, dont le maintien optimal est garanti par des contrôles efficaces pour lesquels doivent être évités, dans la mesure du possible, des objets uniques que seul un détenu détiendrait. Au demeurant, un contrôle efficace serait compliqué par l’entrée dans la prison d’un thermomètre, même permettant seulement de mesurer la température ambiante, dans la mesure où ses composants devraient être vérifiés.

Au surplus, à teneur du Commentaire de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, la protection des objets appartenant aux détenus (argent, objets de valeur et autres effets) peut être en pratique source de problèmes en raisons des risques de vol. La règle 31 de ladite Recommandation définit en détail les procédures à suivre dès l’admission afin de prévenir ces risques. Cette règle prévoit également, sous certaines conditions restrictives, que les détenus peuvent acheter ou se procurer des biens qui leur seraient nécessaires en prison.

De son côté, le recourant ne démontre pas avoir un besoin particulier et une nécessité objective (par exemple pour sa santé) de posséder un thermomètre. En outre, une éventuelle atteinte à sa liberté personnelle, compte tenu notamment de son statut de personne détenue, ne pourrait qu’être faible. Au demeurant, la prison n’est pas insensible aux demandes du recourant, puisqu’elle a autorisé la remise à celui-ci d’une calculatrice, ce en relation avec des besoins précis découlant d’une formation suivie au sein de la prison.

Vu ces circonstances, la prison n’a en tout état de cause pas excédé ou abusé de son très large pouvoir d’appréciation en refusant l’acquisition par l’intéressé d’un thermomètre.

7. En définitive, le recours sera rejeté en tant qu’il est recevable.

Vu notamment les particularités du cas, aucun émolument ne sera perçu
(art. 87 al. 1 LPA) et, vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 27 août 2015 par M. A______ contre la lettre du directeur de la prison de Champ-Dollon du
3 août 2015 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Claude Aberle, avocat du recourant, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeants : M. Verniory, président, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :