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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3213/2016

ATA/635/2018 du 19.06.2018 sur JTAPI/145/2017 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS ; CONSTRUCTION ET INSTALLATION ; PERMIS DE CONSTRUIRE ; ZONE À PROTÉGER ; PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ ; CONFORMITÉ À LA ZONE ; POUVOIR D'APPRÉCIATION ; PROTECTION DE LA SITUATION ACQUISE ; INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : Cst.29.al2; LPA.61; LAT.22; LCI.1.al1; LCI.3.al3; LaLAT.17; LaLAT.12.al5; LaLAT.28; LaLAT.29.al1; LCI.94; LCI.96; LCI.103.al1.letb
Parties : SCHLAEPFER Jean-Daniel / COMMUNE DE CAROUGE, DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC
Résumé : Si la démolition d'un couvert à bois, construit de manière illicite il y a plus de trente ans, au sein d'un îlot historique sis en zone protégée, ne peut être ordonnée, son réaménagement, tendant à en changer l'affectation, peut en revanche être refusé. La liste des mesures énoncée à l'art. 103 al. 1 LCI n'étant pas exhaustive, les autorités peuvent n'admettre qu'un aménagement limité de la construction en question. Compte tenu de l'acquisition de la prescription trentenaire in casu et des préavis obligatoires des instances spécialisées, l'intimé n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation en refusant de délivrer l'autorisation de construire sollicitée. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3213/2016-LCI ATA/635/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 juin 2018

3ème section

 

dans la cause

 

Monsieur Jean-Daniel SCHLAEPFER

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC
et
COMMUNE DE CAROUGE, partie intervenante

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 février 2017 (JTAPI/145/2017)


EN FAIT

1) Monsieur Jean-Daniel SCHLAEPFER est propriétaire de la parcelle n° 2'921, feuille 10 de la commune de Carouge, d’une superficie de 677 m2, sise rue du Pont-Neuf 7, dans le périmètre du plan de site du Vieux-Carouge (n° 27'383), adopté par le Conseil d’État le 21 juillet 1982, en zone 4A.

Selon l’extrait du Registre foncier, trois constructions, soit un atelier de 175 m2 (A397), un dépôt de 95 m2 (A398) et une cheminée de 1 m2 (A402), sont cadastrées sur cette parcelle. Un « hangar » ou « couvert en bois » (selon la définition divergente des parties), non cadastré, y est également érigé.

2) Le fils de M. SCHLAEPFER, prénommé Nathanaël SCHLAEPFER, est propriétaire de la parcelle voisine n° 71, directement adjacente à l’Est, sur laquelle il exploite un parking.

3) Le 29 octobre 2015, par l’intermédiaire de son mandataire, Monsieur Christophe RICQ, architecte, M. SCHLAEPFER a déposé auprès du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie, devenu le département du territoire (ci-après : DT) une demande définitive d’autorisation de construire, complétée le 25 novembre 2015, portant sur la parcelle n° 2'921, soit la « rénovation d’un hangar, surfaces d’activités, aménagements extérieurs, cases de parking », enregistrée sous la référence DD 108'528 (ci-après : demande DD 108'528). Un dossier photographique des lieux était joint.

Cette demande était liée à celle déposée en parallèle concernant les immeubles A397 et A398. Le propriétaire manifestant un intérêt particulier pour la commune de Carouge et la sauvegarde de son patrimoine bâti, le projet visait à préserver la morphologie – avec cour intérieure arborisée – de cette parcelle en tant que « fragment topique du tissu urbain sarde », rénover les surfaces d’activités en gardant à l’identique le gabarit des bâtiments existants sans extension ni élévation, moyennant une isolation périmétrique autour de la structure en bois existante du hangar, et favoriser une destination artisanale et/ou tertiaire.

En substance, le projet impliquait :

-                 « dénoyautage de la cour avec démolition de l’atelier et de la guérite bâtis
après-guerre ;

-                 conservation et maintien intégral des deux platanes centenaires ;

-                 conservation et maintien intégral des anciens murs en boulet de l’Arve formant la trame mitoyenne ;

-                 conservation et maintien intégral des toitures et des magnifiques charpentes des trois bâtiments ;

-                 conservation et maintien de la cheminée préindustrielle en guise de clin d’œil du passé ;

-                 aucune création de jours en toiture à l’exception de deux tabatières pour l’accès toit réglementaire ».

Pour accomplir cette rénovation en respectant les normes Minergie, les façades des bâtiments seraient reconstruites en briques isolantes de type Monomur ou similaires et appareillées avec des fenêtres et volets coulissants en bois. Le toit d’origine demeurerait porté par une charpente froide. Des capteurs photovoltaïques seraient installés sur la face est du toit du hangar et du mur côté parking extérieur. Il s’agissait d’adopter un concept de rénovation le plus économique possible afin de pouvoir favoriser un prix de location à la portée d’artisans ou de start-up para-industrielles. Les cases de parking étaient celles existantes sur la parcelle n° 71.

4) Le même jour, la demande d’autorisation de construire portant sur la « rénovation et [la] transformation d’un atelier et d’un dépôt en bâtiment d’activités – aménagements extérieurs – places de stationnement dans un parking existant » relatives aux bâtiments A397 et A398, visant à la fois les parcelles n° 2'921 et n° 71 a été déposée et enregistrée sous la référence DD 108'530
(ci-après : demande DD 108'530).

5) a. Dans le cadre de l’instruction de la demande DD 108'528, aux mois de décembre 2015 et janvier 2016, l’inspection de la construction, la direction de la mensuration officielle, l’office cantonal de l’énergie (ci-après : OCEN), la direction générale des transport (ci-après : DGT), la police du feu, la direction générale de la nature et du paysage, devenue depuis lors la direction générale de l’agriculture et de la nature (ci-après : DGAN), la direction de la planification directrice cantonale et régionale (ci-après : DPDCR), ainsi que la direction générale de l’eau (ci-après : DGEau) ont préavisé favorablement le projet, sous conditions ou sans observations. Pour la DGAN en particulier, il fallait prendre toutes les précautions utiles afin de conserver valablement les platanes centenaires situés à proximité des travaux. « Aucun décaissement ne dev[ait] être effectué dans le domaine vital des arbres ».

b. Le 20 janvier 2016, la commune de Carouge a également délivré un préavis favorable sous deux conditions. D’une part, la transformation du couvert impliquait que des travaux de grande importance auraient lieu à proximité des troncs des platanes centenaires en réduisant ainsi leurs chances de survie. Sous cet angle, son préavis était conditionné à celui de la DGAN. D’autre part, un soin particulier devait être apporté à une exécution respectueuse du patrimoine, en parfaite concertation avec l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) et le choix des matériaux et couleurs de finition des façades proposé devait être concerté avec la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) et les services de la commune. Son préavis était ainsi également conditionné à celui de l’OPS.

c. À la même date, Le Boulet, Association pour la protection de Carouge, a fait part au DT de son désaccord avec les demandes DD 108'530 et DD 108'528.

d. À la suite d’une visite sur place le 2 février 2016, en présence de M. SCHLAEPFER et son architecte, la CMNS, soit pour elle la sous-commission monuments et antiquités (ci-après : SCMA), a émis un préavis défavorable le 10 février 2016.

Sur la base d’un reportage photographique effectué à cette occasion et des premiers éléments de recherche en vue de l’élaboration d’une notice historique, il apparaissait que les dépendances A397 et A398, construites entre 1812 et 1830, avaient abrité une tannerie durant tout le XIXème siècle, avant d’être réhabilités en menuiserie. Le couvert en bois A396 (nomenclature ayant disparu ultérieurement), adjacent aux deux platanes centenaires au centre de la cour, était apparu ultérieurement, avec la seconde activité déployée sur ce site. En 1951, ce couvert jouxtait trois autres appentis (A392, A394 et A395), démolis en 1968, date à laquelle il avait été agrandi. Compte tenu de ce statut de « couvert » et de la proximité immédiate des deux platanes centenaires, dont la partie supérieure des troncs venait s’ancrer dans la toiture dudit couvert, ainsi qu’en référence au plan de site et à l’art. 103 al. 1 let. b de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), le bâtiment concerné non cadastré devait être maintenu en tant que « couvert ». L’aménagement d’une surface très réduite, détachée de la charpente, pour l’installation de locaux techniques/sanitaires en lien avec les aménagements prévus sur les bâtiments A397 et A398 (demande
DD 108’530) pouvait cependant être admis.

6) Par courrier du 30 mai 2016 adressé au DT, l’architecte a fait savoir que M. SCHLAEPFER n’entendait pas modifier son projet pour répondre aux attentes de la CMNS, estimant le préavis de celle-ci « infondé historiquement et légalement ». En particulier, les mesures prévues par la loi ne correspondaient pas à celles proposées par la CMNS, soit « le refus de transformation, le refus de cadastration, l’imposition d’une liaison de deux autorisations de construire par des nouveaux locaux sanitaires/locaux techniques entre deux bâtiments, la suppression de surfaces d’activités, etc ». Considérant que son projet respectait les dispositions légales applicables, il requérait la délivrance de l’autorisation de construire DD 108'528.

7) Le 18 juillet 2016, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS), confirmant le préavis défavorable de la CMNS, a précisé la position de celle-ci en proposant une alternative : soit la cour était assainie au sens de l’art. 103 al. 1
let. b LCI et le couvert entièrement supprimé ; soit le couvert était conservé dans son affectation, à l’exception de « l’aménagement d’une surface très réduite, détachée de la charpente, pour l’installation de locaux techniques/sanitaire en lien avec les aménagements prévus sur les bâtiments A397 et A398 (DD 108'530) ».

8) Par décision du 23 août 2016, le DT a refusé de délivrer l’autorisation de construire DD 108'528-1, vu le préavis de la CMNS, considérant que la transformation proposée n’était pas acceptable et que le bâtiment concerné par la demande devait être – au mieux – maintenu en couvert, une transformation en locaux administratifs venant contredire le but prescrit par l’art. 103 LCI.

9) Par acte du 21 septembre 2016, M. SCHLAEPFER a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, en concluant, préalablement, à la constatation qu’« aucun motif ne s’oppos[ait] à ce que le cadastre restitue le n° A396 qui [avait] été supprimé sans motif à un immeuble réalisé il y a plus de cent ans », et principalement, à son annulation et à ce que le DT soit invité à lui délivrer l’autorisation de construire sollicitée.

Lorsqu’il avait acquis la parcelle en 2008, le dernier locataire du hangar litigieux l’utilisait pour son activité de menuisier. Il l’avait quitté en 2009 après avoir fait faillite. Lui-même n’avait pu occuper les lieux qu’en 2015. Le hangar en question ne pouvant pas être utilisé comme habitation, vu son orientation plein nord, une demande d’autorisation de construire avait été déposée en vue d’y réaliser un local à destination de surfaces d’activités, lesquelles seraient destinées à l’activité professionnelle de son fils, dans le domaine électronique. Ce dernier était à l’étroit dans les locaux qu’il occupait.

Le bâtiment concerné avait été qualifié à tort de « couvert » par la CMNS. Il avait d’ailleurs servi à l’activité d’une menuiserie et d’un dépôt de bois jusqu’en 2009. Il était disproportionné de modifier ces surfaces en locaux sanitaires et techniques, ce qui reviendrait « insidieusement à supprimer toutes surfaces d’activités salariales ou indépendantes dans cet immeuble », à les transformer en « surfaces secondaires et inexistantes parce que non chauffées, à diminuer la surface d’activités par une surface très réduite mais sans fondement légal et ainsi faire subir au propriétaire une expropriation dissimulée ». Le préavis de la CMNS ne se basait pas sur une étude historique, mais sur des présupposés. Elle avait décidé qu’il s’agissait d’un « simple couvert », alors que son architecte avait déposé un dossier photographique exhaustif démontrant « l’état actuel de local artisanal du bâtiment ». La demande DD 108'528 visait une réfection – nécessaire – complète du bâtiment, en conservant le volume existant et assurant le maintien des deux platanes centenaires existants, ainsi que celui des « anciens murs en boulet de l’Arve formant la trame mitoyenne ». La charpente existante était également maintenue, en revêtant le toit d’éléments photovoltaïques. Ce projet avait donc pour « seul but de redonner à une construction ancienne aujourd’hui vétuste et décrépie le regard du temps présent avec un chauffage et la construction de deux façades adéquates », étant relevé que le bâtiment était protégé, mais pas classé. L’ensemble des bâtiments édifiés sur la parcelle – à l’exception d’une cabine de peinture vraisemblablement installée dans les années 1960 qui serait détruite dans son projet – avaient été construits depuis près de deux cents ans et constituaient un îlot typiquement urbain, qu’il n’y avait aucune raison de détruire.

La CMNS se fondait à tort sur l’art. 103 LCI, aux conditions duquel la transformation du bâtiment projetée répondait en proposant un aménagement rationnel. La sauvegarde de deux platanes centenaires, l’interdiction automobile dans la cour, le captage photovoltaïque en toiture et le maintien de la cheminée témoin des vieilles tanneries du passé étaient autant de mesure destinées à préserver et bonifier la cour et le jardin. Le projet favorisait l’aménagement des lieux. Aucune des mesures telles que le remaniement parcellaire ou la cession fiduciaire des droits à l’État, ainsi que la démolition partielle ou totale de bâtiments, l’exécution de terrassements ou la suppression de murs de clôture, de dépôts ou de parcs à voitures ne se justifiaient. Pour le surplus, les autres conditions posées par les art. 94ss LCI étaient remplies.

10) Le 24 octobre 2016, la commune de Carouge a adressé ses observations.

Vu le type de construction lourd envisagée, elle avait émis des doutes quant à la possibilité de maintenir les arbres, ce qu’elle préconisait. Cela étant, elle était favorable au maintien d’une activité. Une construction légère en bois pouvait ainsi s’avérer être une solution de compromis, permettant à la fois le maintien des arbres et une meilleure intégration architecturale dans le contexte du
Vieux-Carouge.

11) a. Dans sa réponse du 25 novembre 2016, le DT a conclu au rejet du recours.

Le hangar litigieux était une construction très légère et simple, datant vraisemblablement de 1930-1936, ne pouvant être assimilée à un bâtiment. Dès le départ, il avait été affecté au stockage du bois nécessaire à l’exercice de l’activité de menuiserie développée sur cette parcelle jusqu’en 2006. Bien qu’il n’ait jamais été autorisé, sa présence sur la parcelle depuis plus de trente ans empêchait d’imposer sa démolition. Ainsi, sa décision était fondée à juste titre sur l’art. 103 al. 1 let. b LCI et il n’avait aucunement violé son pouvoir d’appréciation en suivant le préavis défavorable et prépondérant de la CMNS.

b. Outre son dossier, il produisait un rapport historique du 15 novembre 2016 de Madame Babina CHAILLOT CALAME, historienne de l’art, déléguée
CMNS-SCMA, sur mandat de l’OPS, concernant les demandes DD 108'528 et DD 108'530.

En résumé, les bâtiments A397 et A398 apparaissaient déjà – sous d’autres références – sur le cadastre Dufour levé en 1843 et étaient inscrits au registre d’assurances incendie depuis 1831. Il pouvait être déduit des recherches historiques que les ateliers sis rue du Pont-neuf 7, la maison d’habitation sise rue du Pont-Neuf 5, la chambre à lessive, le passage couvert et le dispositif d’entrée de la cour étaient contemporains et avaient été construits en 1830-1831. Bien que la cheminée n’apparaissait pas sur les relevés de cadastre anciens ni sur des photographies, plusieurs éléments indiquaient qu’elle était caractéristique des manufactures du XIXème siècle. Le premier relevé des couverts en bois datait de 1951. Celui concerné in casu avait été construit entre 1930 et 1936 sans autorisation, raison pour laquelle il n’avait alors pas été cadastré. D’après le relevé cadastral de 1968, plusieurs petites annexes au nord de la parcelle avaient été démolies, le « grand couvert en bois » visé dans cette procédure, avait alors été modifié et augmenté d’un tiers côté nord.

Il ressortait des cadastres d’archives une grande constance dans la dénomination des bâtiments, en particulier le A397 en « dépendance » ou « atelier » et le A398 en «  hangar » ou « dépendance », tous deux en maçonnerie et bois, ainsi que le A396 en « couvert en bois ». Les affectations en atelier n’avaient donc pas été modifiées et la structure des bâtiments avait été conservée. En 1812, la cour était désignée comme « jardin » jusqu’au milieu du XXème siècle, période à laquelle la partie nord avait été goudronnée et le jardin au sud abandonné. L’installation du parking sur la parcelle n° 71 et certaines modifications dans la cour semblaient concomitantes avec d’autres modifications du quartier et s’étaient étalées entre 1930 et 1960. Concernant l’occupation des ateliers, plusieurs documents rapportaient l’activité d’une « fabrique de tannerie et corroyerie » à partir de 1836, puis de ferblanterie en sus. À partir de 1922, les ateliers avaient été principalement dédiés à la menuiserie. C’était le premier menuisier qui avait fait construire le couvert en bois le long du mur est dans les années 1930 afin de stocker le bois qu’il devait rapatrier de la parcelle n° 71. Le dernier locataire avait repris l’exploitation de la menuiserie à partir de 1972.

Actuellement, les deux ateliers étaient disposés perpendiculairement l’un par rapport à l’autre, présentant deux façades allongées donnant sur une cour. Un haut mur de pierre contre lequel était adossé un couvert en bois délimitait la parcelle sur le flanc est. La structure des deux façades était identique. Leur mode de construction semblait dater de l’origine du bâtiment et pouvait être associé à l’architecture industrielle du début du XIXème siècle. L’atelier de menuiserie, dont la mécanisation s’était opérée dès 1925, se trouvait dans le bâtiment A397. Le bâtiment A398 aurait servi de lieu de stockage. Quant au couvert en bois, la structure de bois était apparente et ouverte côté cour tandis qu’au nord et à l’est, elle était fermée par une palissade de planches qui surplombait le mur et se prolongeait jusqu’au bâtiment A398. Un local, « sous forme de boîte en bois », avait été monté sous la partie nord du couvert. Le toit était en deux parties, à deux pans, recouverts de tuiles mécaniques au sud, et un pan dans le sens inverse recouvert de tôles ondulées au nord. Côté cour, deux platanes centenaires venaient s’imbriquer dans la toiture. « La construction de ce couvert [était] très légère et simple, tandis que la partie fermée, largement bricolée, ne [pouvait] pas être assimilée à un bâtiment ». La cour, fermée par un portail en bois, était souvent occupée par des véhicules en stationnement.

Édifié en 1830 et inséré dans un tissu urbain constitué entre 1792 et 1811, ce site avait traversé deux siècles avec une permanence exceptionnelle, tant au niveau de la famille propriétaire que de celui de l’affectation et du maintien des bâtiments. Sa préservation était d’autant plus remarquable qu’elle se situait dans un lieu historique de Carouge qui avait subi de grands chamboulements au milieu du XXème siècle. L’îlot méritait toute l’attention d’un site historique particulièrement bien préservé qui était un véritable témoignage du passé industriel de Carouge. Sa restauration indispensable et sa réhabilitation dans le secteur tertiaire devaient se faire avec le plus grand respect de son expression architecturale ; soit, le maintien des bâtiments dans leur gabarit, la conservation et la restauration des structures porteuses, du système constructif des façades et des charpentes. La cour, encombrée de cabanes en bois et de véhicules en stationnement, méritait également une revalorisation à la hauteur de la qualité de cet espace.

12) Par jugement du 8 février 2017, le TAPI a rejeté le recours.

La conclusion de M. SCHLAEPFER tendant à la constatation qu’« aucun motif ne s’oppos[ait] à ce que le cadastre restitue le numéro A396 qui [avait] été supprimé sans motif à un immeuble réalisé il y a plus de cent ans » était irrecevable, la compétence ressortissant aux autorités civiles.

Compte tenu du préavis réservé de la commune de Carouge, de l’absence de compétence des autres autorités consultées sur les questions patrimoniales soulevées et des démarches entreprises par la CMNS, le préavis obligatoire de cette dernière, auquel la jurisprudence attachait un poids prépondérant, apparaissait déterminant. M. SCHLAEPFER ne pouvait déduire de la situation actuelle un droit lui permettant de transformer et d’exploiter à sa guise la structure en bois concernée, étant rappelé que celle-ci n’était pas répertoriée au cadastre et que, dès son édification illicite, elle avait seulement été vouée à un usage de dépôt. Le refus du DT s’imposait vu que M. SCHLAEPFER n’avait pas entendu modifier son projet de façon à tenir compte des mesures souhaitées par la CMNS sur la base de l’art. 103 al. 1 let. b LCI. Au surplus, la question de savoir si la décision querellée équivalait à une expropriation matérielle n’avait pas à être examinée, dans la mesure où, en toute hypothèse, elle excédait l’objet du litige, qui n’avait trait qu’au caractère fondé ou non du refus que le DT avait opposé à M. SCHLAEPFER.

13) Par acte du 9 mars 2017, M. SCHLAEPFER a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, en concluant à son annulation et à ce que le DT soit invité à lui délivrer l’autorisation de construire DD n° 108'528-1.

Contrairement aux faits retenus par le DT, le bâtiment litigieux servait aux activités de la menuiserie du dernier locataire jusqu’en 2009. La tenue d’une audience de comparution personnelle des parties et un transport sur place aurait permis de constater que le local en question ne constituait pas qu’un couvert en bois selon les avis de la CMNS et du DT, mais était occupé par une « installation électrique avec courant fort » destinée à la menuiserie jusqu’en 2009. Les photographies versées à la procédure en attestaient. Il avait découvert le rapport du 15 novembre 2016 à la lecture du jugement attaqué, lequel faisait état du cadastre du bâtiment A396, la date de la suppression de cette référence n’étant pas indiquée bien que ce local demeurât. Les preuves dont se prévalait le DT étaient postérieures à son refus de délivrer l’autorisation de construire requise. Son droit d’être entendu n’avait ainsi pas été respecté.

À l’exception de celui de la CMNS, tous les préavis sollicités étaient favorables. La « construction de pacotille » constituait en réalité un atelier de menuiserie occupant la moitié de la surface du bâtiment concerné, qui avait été utilisé comme tel depuis 1992 jusqu’en 2009. Vu le principe de proportionnalité, l’intérêt public devait dans son cas céder devant son intérêt privé quant à la destination et à l’affectation des locaux, la garantie de la propriété et la protection de la situation acquise depuis plus de trente ans. L’état délabré du bâtiment concerné aurait dû amener la CMNS à considérer « un entretien nécessaire à court terme ». En rendant un préavis défavorable, celle-ci avait « gravement nui à l’îlot et au projet que le propriétaire souhait[ait] rénover en gardant exactement les mêmes volumes, le même gabarit et la même toiture ». Il était erroné de retenir que la transformation en locaux administratifs contredisait l’art. 103 al. 1
let. b LCI, puisque son projet prévoyait des locaux artisanaux en conformité avec ceux existants. Le DT refusait donc de délivrer une autorisation de construire sans changement d’affectation, en prétextant une application de l’art. 103 LCI à des locaux administratifs. Or, le local en question était destiné à être occupé par son fils pour en faire un atelier d’électronique. Le bâtiment existant avait d’ailleurs été répertorié en tant qu’atelier, ce dont pouvait attester l'inspecteur du DT retraité, ayant effectué ce relevé.

À l’appui de ses écritures, M. SCHLAEPFER produisait un document indiquant qu’en 2009-2010, le dernier locataire avait régulièrement payé son loyer, soit CHF 10'824.- et qu’en 2010, l’office des faillites lui avait versé un solde de CHF 7'353.90, ainsi que deux copies de relevés cadastraux de 1906 et 1968, le second mentionnant que les annexes A392, A394 et A395 avaient été démolies, tandis que le « couvert en bois » A396 avait été modifié.

14) Le 15 mars 2017, le TAPI a transmis son dossier, sans formuler d’observations.

15) Dans ses écritures responsives du 18 avril 2017, le DT a conclu au rejet du recours, en persistant dans ses précédents développements et ceux du TAPI.

De par sa structure, il apparaissait évident que la construction était un couvert à bois. L’étude historique révélait d’ailleurs que l’édification de ladite construction s’était, en son temps, avérée nécessaire pour stocker le bois, ce qui attestait de son affectation. Si le local sous forme de boîte en bois installé sous la partie nord avait pu être utilisé pour travailler le bois par son locataire, cela ne constituait qu’une petite partie du couvert et n’en faisait pas pour autant une construction assimilée à un bâtiment d’activités vu son inadaptation à un tel usage dans sa globalité et sa structure légère et simple. La construction en question était qualifiée de hangar par M. SCHLAEPFER lui-même dans sa demande d’autorisation de construire, laquelle portait également sur le changement d’affectation de celui-ci en surfaces d’activités. L’étude historique avait été mentionnée dans le préavis de la CMNS et produite à l’appui de sa détermination du 25 novembre 2016, de sorte que M. SCHLAEPFER avait eu la possibilité de la consulter auprès du TAPI.

Le TAPI disposait ainsi de tous les éléments nécessaires à l’instruction du dossier et notamment des photographies représentant les lieux, des plans, un extrait cadastral et l’étude historique du 15 novembre 2016, sur lesquels il s’était fondé. Rien ne permettait de considérer que la construction avait été affectée depuis plus de trente ans en tant qu’atelier de menuiserie, d’autant moins qu’elle n’était pas cadastrée. Dans tous les cas, même si M. SCHLAEPFER était parvenu à prouver une telle utilisation, il y aurait tout de même un changement d’affectation avec sa transformation en bureaux pour l’activité électronique de son fils.

Au surplus, M. SCHLAPEFER se bornait à substituer sa propre appréciation à celle de la CMNS, alors que celle-ci avait effectué un examen circonstancié et complet, de sorte que son préavis apparaissait pleinement pertinent vu l’importance du site en question. En ces circonstances, l’intérêt public à l’assainissement ou du moins au maintien du couvert dans son affectation était évident. Cette position était en outre conforme à la situation initiale existante, puisque cette construction avait été érigée de manière illégale plus de trente ans auparavant.

16) Le 24 novembre 2017, a eu lieu un transport sur place, au cours duquel des photographies des lieux et bâtiments, en particulier du couvert ou hangar, ont été prises.

a. M. RICQ a précisé que la demande DD 108'528 portait sur la cour qui serait engazonnée, sur la démolition du petit cabanon pour la peinture et sur la transformation du couvert. Le matériau de la toiture ne serait pas changé, mais les tuiles seraient rénovées et des panneaux photovoltaïques seraient installés. Les parois de ce bâtiment seraient en brique, recouverte de crépis, dont la couleur serait à déterminer ultérieurement. De l’autre côté, le mur en pierres resterait, mais la paroi verticale de planches en bois serait remplacée par de la brique, ainsi que des panneaux photovoltaïques. Concernant le cabanon, la partie en bois serait enlevée et il y aurait un chemin pour piéton à l’endroit où il y avait déjà un passage entre le mur du bâtiment A398 et le mur de pierre.

b. Madame Maria-Isabel PUIGVERT, représentant la commune de Carouge, a confirmé que cette dernière avait souhaité intervenir dans le cadre de cette procédure. L’objectif était d’assainir la cour de la parcelle n° 2'191 et celle de la parcelle n° 71. Il était aussi très important que les deux arbres à côté du couvert soient maintenus. À cette condition, elle ne s’opposait pas à l’affectation artisanale du couvert demandée par M. SCHLAEPFER.

c. M. SCHLAEPFER a précisé que la demande DD 108’530 avait également été refusée par le DT, refus confirmé par le TAPI dont le jugement faisait l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative (A/606/2017). Le « dossier photographique état existant » daté du 16 octobre 2015 consistait en des photographies prises en 2009 après la faillite du dernier locataire. Souhaitant qu’il soit statué rapidement dans cette procédure, il n’était pas favorable à ce que
celle-ci soit liée à celle portant sur la demande DD 108’530. Il a alors produit une copie du contrat de bail à loyer du 12 novembre 1973 conclu avec le menuisier en question portant sur l’exploitation d’un atelier de charpente, menuiserie et ébénisterie à partir du 1er janvier 1974, ainsi qu’un courrier du 8 août 2007 de la régie gérante rappelant les conditions de celui-ci et une photographie.

d. Selon Mme CHAILLOT-CALAME, le couvert en bois litigieux n’était indiqué sous la référence A396 qu’à partir de 1951. Il ne figurait pas sur plan de site du Vieux-Carouge car celui-ci ne montrait que les bâtiments sur rue et non sur cour. Les assainissements ne visaient pas des bâtiments historiques, mais des petits bâtiments artisanaux érigés durant le XXème siècle. En l’occurrence, le couvert litigieux n’avait rien d’historique, raison pour laquelle son sort avait été distingué de celui des bâtiments A397 et A398. La possibilité de conserver le couvert comme local servant les bâtiments A397 et A398 aurait permis de décharger l’intérieur de ceux-ci et de mieux préserver leur valeur patrimoniale.

e. Madame Sabine PLANCHOT, collaboratrice au SMS, également secrétaire de la CMNS, a expliqué que lorsque cette dernière avait rendu son préavis le 10 février 2016, elle avait tous les éléments cadastraux à sa disposition, de même que les photographies prises lors du transport sur place du 2 février 2016. Les éléments historiques mentionnés dans le préavis du 10 février 2016, l’étaient également dans le rapport historique. Du point de vue de la CMNS, ce couvert n’avait aucun intérêt patrimonial. Par le biais du plan de site, le but de la commune de Carouge et du DT était de dénoyauter les cours du
Vieux-Carouge pour les assainir. Le terme « assainir » au sens de l’art. 103 LCI signifiait enlever tout ou partie de bâtiment existant dans les cours. L’objectif de la CMNS n’était pas nécessairement de détruire le couvert concerné mais d’éviter qu’il soit pérennisé. Vu sa taille par rapport aux arbres, il était souhaitable qu’il soit réduit. Conscient de la perte potentielle engendrée par rapport au projet foncier de M. SCHLAEPFER, le SMS suggérait d’adopter une vision englobant les parcelles voisines, en particulier celle du fils, afin d’envisager d’autres solutions.

17) a. Dans le délai imparti au 31 janvier 2018 pour donner suite au procès-verbal du transport sur place, M. SCHLAEPFER a persisté dans ses conclusions, en produisant deux photographies de l’état de l’atelier de menuiserie avant la vente des machines par l’office des faillites. Cet atelier servait aujourd’hui de lieu de séchage pour son bois de chauffage.

b. Le DT a également persisté dans ses conclusions, en apportant des précisions concernant le procès-verbal susmentionné.

Sur demande du juge délégué, il remettait les plans d’ensemble pour les années 1961, 1972 et 2017, lesquels attestaient que certains bâtiments existants dans cet îlot avaient depuis lors été démolis. Des copies de l’arrêté du 21 juillet 1982 approuvant le plan de site du Vieux-Carouge (n° 27'383), du plan de site et du règlement de celui-ci (ci-après : règlement Vieux-Carouge) étaient également remis.

18) Les parties n’ayant pas formulé d’observations dans le délai imparti, elles ont été informées le 16 avril 2018 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 149 LCI).

2) a. Préalablement, le recourant a fait valoir qu’un transport sur place et la tenue d’une audience de comparution personnelle étaient nécessaires à l’établissement des faits, notamment en raison des perceptions divergentes des parties quant à la nature du bâtiment concerné.

In casu, un transport sur place a eu lieu le 24 novembre 2017, au cours duquel des photographies des lieux et bâtiments ont été prises et les parties ont pu s’exprimer. Elles ont derechef pu adresser des observations et confirmer leurs conclusions subséquemment. Dans la mesure où il a été donné suite à ces requêtes d’instruction, au cours de la procédure, et où la chambre administrative a le même pouvoir d’examen que le TAPI, celles-ci sont désormais sans objet. Le dossier contient ainsi tous les éléments permettant à la chambre de céans de trancher le litige.

b. Le recourant se plaint également de ne pas avoir eu connaissance du rapport historique du 15 novembre 2015, l’intimé ne pouvant fonder sa décision sur des éléments postérieurs.

Le droit d’être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 41 LPA, comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d’avoir accès au dossier, celui de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos. En tant que droit de participation, le droit d’être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu’elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2 et les références citées).

En l’occurrence, dans son préavis du 10 février 2016, la CMNS a déjà évoqué les éléments historiques principaux relatifs à l’îlot concerné. Le DT en avait donc connaissance lors de la prise de sa décision. Il a ensuite joint le rapport finalisé en question à sa détermination du 25 novembre 2016, ce document ne faisant que détailler les aspects historiques retenus précédemment dans le préavis précité. Bien que le TAPI ait informé le recourant que le dossier était à sa disposition pour consultation auprès de son greffe, celui-là ne s’est pas manifesté. Ainsi, force est de constater que, contrairement aux griefs du recourant, son droit d’être entendu a été respecté, sa prétendue ignorance ne pouvant que lui être imputable.

3) Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont pas la compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée dans le cas d’espèce.

4) Le litige porte désormais uniquement sur le refus de l’intimé de délivrer l’autorisation de construire DD 108'528-1 au recourant, les parties divergeant sur la question de savoir si le bâtiment concerné doit être considéré comme un couvert ou un immeuble aménageable et dans lequel une activité peut être exercée, détermination conditionnant l’application de l’art. 103 al. 1 let. b LCI.

5) a. Aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l’autorité compétente (art. 22 al. 1 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700).

b. L’art. 22 LAT soumet l’octroi d’une autorisation de construire aux conditions que la construction ou l’installation soit conforme à l’affectation de la zone et que le terrain soit équipé (al. 2), et réserve les autres conditions posées par le droit fédéral et le droit cantonal (al. 3).

6) a. En vertu de l’art. 1 al. 1 LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, notamment, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (let. a), modifier même partiellement le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation (let. b), démolir, supprimer ou rebâtir une construction ou une installation (let. c), modifier la configuration du terrain (let. d).

b. Les demandes d’autorisation sont adressées au département
(art. 2 al. 1 LCI), qui les soumet, à titre consultatif, au préavis des communes, des départements et des organismes intéressés. L’autorité de décision n’est pas liée par ces préavis (art. 3 al. 3 LCI).

7) a. En matière d’aménagement, les zones à protéger comprennent les localités typiques, les lieux historiques et les monuments naturels ou culturels (art. 17 al. 1 let. c de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700).

Les zones protégées constituent des périmètres délimités à l’intérieur d’une zone à bâtir ordinaire ou de développement et qui ont pour but la protection de l’aménagement et du caractère architectural des quartiers et localités considérés (art. 12 al. 5 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30).

Dans le canton de Genève, les zones de la Vieille-Ville et du secteur sud des anciennes fortifications, du vieux Carouge, les ensembles du XIXème et du début du XXème siècle, le secteur Rôtisserie-Pélisserie, ainsi que les villages protégés font l’objet de dispositions particulières incluses dans la LCI (art. 28 LaLAT).

Est désignée comme zone à protéger au sens de l’art. 17 LAT, la zone du vieux Carouge, selon les articles 94 à 104 LCI (art. 29 al. 1 let. e LaLAT).

b. L’aménagement et le caractère architectural historique du centre de la ville de Carouge (vieux Carouge) doivent être préservés. Les dispositions de la loi sur l’énergie du 18 septembre 1986 (LEn - L 2 30) demeurent réservées (art. 94
al. 1 LCI). L’architecture, notamment le volume, l’échelle, les matériaux et la couleur des constructions doivent s’harmoniser avec le caractère du vieux Carouge (art. 94 al. 2 LCI). Il en est de même des enseignes, attributs de commerce, panneaux, réclames, vitrines mobiles et autres objets soumis à la vue du public (art. 94 al. 3 LCI).

c. Les demandes d’autorisation, à l’exception de celles instruites en procédure accélérée, sont soumises aux préavis de la commune de Carouge et de la CMNS (art. 96 al. 1 LCI). Les préavis sont motivés (art. 96 al. 3 LCI).

La CMNS est compétente pour donner son avis sur des projets régis par la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) ou situés dans des zones protégées (art. 83 et ss LCI ; MGC 2005-2006/V A 3505 ; ATA/61/2015 du 13 janvier 2015 consid. 3f).

d. Les art. 97 et ss LCI prévoient en outre des dispositions spéciales applicables pour la zone du vieux Carouge.

À teneur de l’art. 103 al. 1 LCI, en vue de permettre un aménagement rationnel (let. a), d’assainir un îlot (let. b), d’améliorer l’aménagement de cours et de jardins (let. c), le département peut, sur préavis de la CMNS, subordonner la délivrance d’une autorisation de construire ou de transformer à certaines mesures, telles que le remaniement parcellaire ou la cession fiduciaire des droits à l’État, ainsi que la démolition partielle ou totale de bâtiments, l’exécution de terrassements ou la suppression de murs de clôture, de dépôts ou de parcs à voitures.

8) a. Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Ils n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur (ATA/51/2013 du 21 janvier 2013 novembre 2011 et les références citées). Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/417/2009 précité).

b. Lorsque la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours (ATA/1214/2015 du 10 novembre 2015). La CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d’associations d’importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/1214/2015 précité).

c. Selon une jurisprudence bien établie, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l’autorité inférieure suive l’avis de
celles-ci (ATA/373/2016 du 3 mai 2016 consid. 9d et les références citées). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/373/2016 précité). De même, s’agissant des jugements rendus par le TAPI, la chambre administrative exerce son pouvoir d’examen avec retenue car celui-ci se compose pour partie de personnes possédant des compétences techniques spécifiques (ATA/373/2016 précité).

9) a. Selon la jurisprudence, le rétablissement d’une situation conforme au droit ne peut pas être ordonné si un délai de plus de trente ans s’est écoulé depuis l’exécution des travaux non autorisés (ATF 107 Ia 121 = JdT 1983 I 299 consid. 1). Il serait en effet choquant et contraire à la sécurité du droit que l’autorité puisse contraindre un propriétaire, après plus de trente ans, à éliminer une situation contraire au droit. Une telle solution doit aussi être écartée pour des raisons pratiques, vu la difficulté extraordinaire pour élucider les circonstances de fait et de droit existant plus de trente ans auparavant. Une dérogation à ce principe peut être admise lorsque le rétablissement d’une situation conforme au droit s’impose pour des motifs de police au sens étroit (ATF 107 Ia 121 précité).

b. La jurisprudence susmentionnée vise uniquement la question du rétablissement d’une situation conforme au droit. Selon le Tribunal fédéral, le fait qu’une affectation illégale perdure depuis plus de trente ans sans intervention des autorités communales et cantonales – et donc le fait que la prescription trentenaire soit acquise – n’a pas pour effet de la rendre licite, mais s’oppose tout au plus à une remise en état des lieux (arrêt du Tribunal fédéral 1A.42/2004 du 16 août 2004 consid. 3.2 confirmant l’ATA/67/2004 du 20 janvier 2004).

c. Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Un ordre de démolir une construction ou un ouvrage édifié sans permis de construire et pour lequel une autorisation ne pouvait être accordée, n’est pas contraire au principe de la proportionnalité. Celui qui place l’autorité devant un fait accompli doit s’attendre à ce qu’elle se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit, que des inconvénients qui en découlent pour le constructeur (ATF 108 Ia 216 consid. 4 ; ATA/1411/2017 du 17 octobre 2017).

d. L’autorité renonce à un ordre de démolition si les dérogations à la règle sont mineures, si l’intérêt public lésé n’est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l’ouvrage ou encore s’il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit qui aurait changé dans l’intervalle. Même un constructeur qui n’est pas de bonne foi peut invoquer le principe de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 1C_114/2011 du 8 juin 2011 consid. 4.1 et les références citées ; ATA/1411/2017 précité).

10) La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Le juge ne se fonde cependant sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 137 IV 180 consid. 3.4). En revanche, lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause, il y a lieu de déroger au sens littéral d’un texte clair (ATF 137 I 257 consid. 4.1) ; il en va de même lorsque le texte conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice et le principe de l’égalité de traitement (ATF 135 IV 113 consid. 2.4.2). De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi (ATF 135 II 78 consid. 2.2). Si le texte n’est ainsi pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1). Le juge ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (ATF 139 IV 270 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_839/2015 du 26 mai 2016 consid. 3.4.1).

11) En l’espèce, il n’est pas contesté que la parcelle concernée par le projet litigieux se situe dans la zone protégée du vieux Carouge, de sorte que les dispositions spécifiques des art. 94 ss LCI lui sont applicables.

Tirant argument du fait que tous les préavis demandés étaient favorables, à l’exception de celui de la CMNS, le recourant fait valoir que le bâtiment litigieux ne saurait être considéré comme une « construction de pacotille ». L’art. 103
al. 1 LCI serait appliqué à tort, faute de changement d’affectation puisqu’il s’agirait d’y prévoir un atelier d’électronique pour son fils et non pas des locaux administratifs. Vu le principe de la proportionnalité, l’intérêt public devrait céder le pas devant son intérêt privé quant à la destination et à l’affectation des locaux, la garantie de la propriété et la protection de la situation acquise depuis plus de trente ans.

Il est vrai qu’hormis la CMNS, toutes les instances appelées à préaviser le projet litigieux s’y sont montrées favorables. Plusieurs d’entre elles, dont en particulier la DGAN et la commune de Carouge, ont cependant posé des conditions précises à leur aval. Tout d’abord, toutes deux s’accordent sur le fait que des travaux de grande importance ne peuvent pas avoir lieu à proximité immédiate des platanes centenaires, sous peine de risquer de porter atteinte à leur survie. Cette approche exclut d’emblée certains types d’aménagements pouvant nécessiter des fondations plus importantes que celles soutenant la structure actuelle. Puis, la commune de Carouge a expressément conditionné son accord à celui de l’OPS, une exécution respectueuse du patrimoine, en concertation avec celui-ci et la CMNS étant requise. Ainsi, faute de préavis favorables de ces deux instances, l’aval de la commune de Carouge ne saurait être considéré comme pleinement accordé.

En se fondant sur les éléments constatés sur place le 2 février 2016, en présence du recourant et de son architecte, ainsi que sur l’évolution historique de cet îlot, la CMNS, appelée à se prononcer obligatoirement, est parvenue à la conclusion que la construction litigieuse devait être considérée comme un « couvert », appellation reçue depuis son édification illicite, sa seule vocation étant alors de protéger le bois utilisé pour l’activité de la menuiserie. Sur la base de l’art. 103 al. 1 LCI, il devait donc être maintenu en tant que tel, cette approche étant également justifiée par la proximité immédiate des deux platanes centenaires à préserver. Compte tenu de la garantie de la situation acquise, un aménagement d’une surface très réduite, détachée de la charpente, pour l’installation de locaux techniques/sanitaires en lien avec les aménagements prévus sur les bâtiments A397 et A398 (demande DD 108'530) était admissible. Cette position défavorable au projet du recourant tel que soumis a ensuite été confirmée par le SMS. Ce dernier a précisé la situation en exposant l’alternative suivante : soit la cour était assainie au sens de l’art. 103 al. 1 let. b LCI et le couvert entièrement supprimé ; soit le couvert était conservé dans son affectation, à l’exception de l’aménagement autorisé par la CMNS. Cette seconde possibilité tient précisément compte de la durée de l’existence de la construction en cause, en dépit de son illicéité originelle, laquelle n’est pas contestée. En effet, si la démolition de celle-ci ne pouvait pas être ordonnée, son réaménagement pouvait en revanche être refusé. La prescription trentenaire ne permettait pas au propriétaire d’aller au-delà de la simple absence de démolition car la construction et/ou son affectation étaient illicites puisque non-autorisées. Ainsi, les instances spécialisées en matière de protection du patrimoine ne se sont à juste titre pas limitées à une démolition du couvert. Par ailleurs, force est de constater que la demande d’autorisation de construire DD 108'528 ne vise pas une simple rénovation du bâtiment concerné, mais une profonde modification de celui-ci.

Concernant l’application de l’art. 103 al. 1 LCI, il ressort clairement du texte même de cette disposition, soit notamment des termes « à certaines mesures, telles que », que le législateur n’a pas entendu établir une liste exhaustive des moyens à disposition de l’intimé ou de la CMNS, mais en fournir des exemples. De plus, la prise de telles mesures ne dépend pas d’un maintien ou d’un changement d’affectation. Par conséquent, les autorités précitées avaient bel et bien la compétence d’admettre un aménagement limité impliquant le maintien de l’affectation du bâtiment visé. Au demeurant, le recourant considérant désormais qu’il n’y aurait effectivement pas de changement à cet égard dans la mesure où son fils continuerait à utiliser cet emplacement comme atelier d’électronique, il n’apparaît pas non plus que la position de la CMNS soit inadaptée sous cet angle.

Au vu de ce qui précède, force est de constater que les premiers juges ont à bon droit retenu qu’en se fondant sur les préavis obligatoires, revêtant un caractère déterminant, de la CMNS et du SMS, seules instances à même de se prononcer sur les questions d’ordre patrimonial, et compte tenu du fait que l’acquisition de la prescription trentenaire concernant une construction illicite ne permet pas en tant que telle un changement ou une intensification de l’affectation, ni une nouvelle construction différente de celle existante, l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir d’appréciation.

12) En tout point infondé, le recours doit être rejeté.

13) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), et il ne lui sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 mars 2017 par Monsieur Jean-Daniel SCHLAEPFER contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 février 2017 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur Jean-Daniel SCHLAEPFER un émolument de
CHF 1'500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur Jean-Daniel SCHLAEPFER, au département du territoire - OAC, à la Commune de Carouge, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :