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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3601/2010

ATA/576/2011 du 06.09.2011 sur JTAPI/16/2011 ( LCR ) , REJETE

Descripteurs : ; NE BIS IN IDEM ; RETRAIT DE PERMIS ; CONDAMNATION ; SANCTION ADMINISTRATIVE
Normes : CEDH.4.ch1.protocole7 ; CPP.11.al1 ; Cst.8.al1
Résumé : Une mesure administrative telle qu'un retrait de permis de conduire cumulée à une condamnation pénale pour les mêmes faits ne viole pas le principe ne bis in idem, ces deux sanctions ayant des finalités différentes.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3601/2010-LCR ATA/576/2011

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 septembre 2011

 

 

dans la cause

 

Monsieur S______
représenté par Me Marc Joory, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DES AUTOMOBILES ET DE LA NAVIGATION

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 février 2011 (JTAPI/16/2011)


EN FAIT

1. Selon un rapport de renseignements établi par la brigade du trafic le 1er septembre 2010, Monsieur S______, né en 1965, circulait le 26 août 2010 à 19h07 au guidon de son motocycle, immatriculé plaques GE ______, à la vitesse de 112 km/h sur la route de Thonon en direction de Vésenaz. La vitesse prescrite à cet endroit étant de 60 km/h, l’excès de vitesse était de 46 km/h, après déduction de la marge de sécurité de 6 km/h.

L’intéressé a été entendu par la police le 31 août 2010 au sujet de ces faits. Il travaillait à la rue de la T______ au centre-ville de Genève et habitait au chemin des C______, à Anières. Il reconnaissait l’excès de vitesse. La signalisation était conforme et bien visible sur le tronçon emprunté. Le jour en question vers 18h30, sa future épouse l’avait téléphoné au bureau. Elle était paniquée et en pleurs car elle avait fait une chute dans les escaliers. Comme elle était enceinte de quatre mois et demi, il avait éteint son ordinateur et s’était rendu le plus rapidement possible à son chevet. Il ressort du rapport de police qu’à la question de savoir si au moment de l’infraction, M. S______ circulait pour des raisons professionnelles ou privées, M. S______ a répondu que c’était pour des raisons professionnelles.

2. Le 7 septembre 2010, l’office cantonal des automobiles et de la navigation (ci-après : OCAN) a invité M. S______ à lui communiquer ses observations quant au prononcé d’une éventuelle mesure administrative, compte tenu des informations ressortant du rapport précité.

3. Le 20 septembre 2010, M. S______ a répondu à l’OCAN que son excès de vitesse était inexcusable mais qu’il avait dû effectuer ce jour-là une course d’urgence. Le lieu où il avait commis l’excès de vitesse était complètement dégagé, il faisait beau, et la chaussée était sèche. Il sollicitait la clémence de l’OCAN.

4. Par décision du 24 septembre 2010, l’OCAN a retiré le permis de conduire de M. S______ en application de l’art. 16c de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01) pour une durée de douze mois.

Il ne pouvait se prévaloir d’une bonne réputation de conducteur: il avait déjà fait l’objet le 17 mai 2006 d’un retrait de permis de conduire d’une durée de trois mois pour avoir commis, le 3 novembre 2005, un excès de vitesse de 32 km/h, constitutif d’une infraction grave aux règles de la circulation routière. Ce retrait ayant été prononcé au cours des cinq années précédant la nouvelle infraction, la durée minimale du retrait s’élevait à douze mois en application de l’art. 16c al. 2 let. c LCR.

Selon la jurisprudence fédérale, pour qu’une course d’urgence puisse être prise en considération, l’intéressé devait établir existence d’un danger grave et imminent pour la vie d’une personne et qu’aucune autre possibilité que la commission d’un excès de vitesse n’ait existé pour écarter ce risque. M. S______ ne faisait était d’aucun besoin professionnel au sens de la jurisprudence.

5. Par ordonnance du 4 octobre 2010, le Procureur général de la République et canton de Genève a reconnu M. S______ coupable de violations graves des règles de la circulation routière au sens de l’art. 90 ch. 2 LCR et l’a condamné à une peine pécuniaire de 45 jours-amende avec sursis, ainsi qu’à une amende de CHF 2'580.-.

6. M. S______ n’a pas fait opposition à cette ordonnance de condamnation.

7. Par acte du 25 octobre 2010, M. S______ a recouru contre la décision de l’OCAN auprès de la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission), devenue depuis le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI). Il concluait à l’annulation de la décision, subsidiairement à la réduction de la durée du retrait de permis à trois mois, dès janvier 2011 au plus tôt.

La mesure était excessive et disproportionnée. Son excès de vitesse avait été ponctuel, intermittent et n’avait duré que le temps du démarrage après un feu rouge. Il était dû à une très vive émotion. Il venait d’apprendre que sa femme avait fait une grave chute et était très angoissé pour elle et la vie de leur futur enfant. Il était courtier sur le marché international des devises, ce qui exigeait de lui une grande flexibilité d’horaires et la possibilité de se rendre rapidement de son domicile à son lieu de travail en cas de besoin. Le marché des devises était très volatile et il devait impérativement éviter tout retard lorsqu’il se rendait à son lieu de travail, afin de passer des ordres d’achats ou de ventes. 11 km séparaient son domicile à Anières de son lieu de travail au centre-ville de Genève. La durée du trajet en transports publics était de 45 minutes au lieu de 18 minutes en voiture, selon une estimation du Touring Club Suisse. Il reconnaissait son erreur et la regrettait profondément.

Le 4 octobre 2010, il avait fait l’objet d’une ordonnance de condamnation du Procureur général. Le retrait du permis de conduire avait également un caractère pénal. De ce fait, il faisait l’objet de sanctions de nature pénale prononcées par des autorités différentes à raison des mêmes faits. La question du cumul de ces deux sanctions devait se résoudre à la lumière du principe ne bis in idem consacré par l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (Protocole 7 CEDH - RS 0.101.07) et de la récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rendue en la matière, notamment l’arrêt Zolotoukhine contre Russie (ACEDH Zolotoukhine c. Russie - requête no 14939/03 - du 10 février 2009).

8. Le 5 février 2011, M. S______ a été entendu par le TAPI en audience de comparution personnelle, au cours de laquelle il a repris pour l’essentiel les explications fournies lors de son audition par la police. La représentante de l’OCAN a pour sa part observé que s’agissant de l’urgence, M. S______ aurait pu appeler une ambulance ou un médecin et les envoyer directement sur les lieux. Selon M. S______, il ne lui paraissait pas justifié d’appeler une ambulance.

9. Le 17 février 2011, le TAPI a rejeté le recours.

M. S______ ne contestait pas avoir commis un excès de vitesse de 46 km/h, marge de sécurité déduite, hors localité, ce qui constituait objectivement un cas grave au sens de l’art. 16c LCR. De plus, le permis de conduire de l’intéressé avait déjà été retiré pour une durée de trois mois pour un excès de vitesse de 32 km/h hors localité. Compte tenu de cet antécédent, l’OCAN avait à juste titre fait application de l’art. 16c al. 2 let. d LCR [recte : let. c] et prononcé le retrait de son permis pour une durée de douze mois, ce qui correspondait au minimum légal.

Aucun élément ne permettait de s’écarter des durées minimales légales d’un retrait de permis de conduire que l’art. 16 al. 3 LCR rendait incompressibles. Aucun état de nécessité excusable n’était reconnu, l’intéressé ayant lui-même estimé qu’il n’était pas nécessaire d’appeler une ambulance. Le fait que tant M. S______ que son épouse aient « paniqué » ne constituait pas une circonstance établissant un danger imminent.

M. S______ n’était en outre pas fondé à invoquer le principe « ne bis in idem » qui ne s’opposait pas à ce qu’une mesure administrative et une sanction pénale soient prononcés cumulativement à raison d’un même fait.

10. Le 23 mars 2011, M. S______ a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la section administrative de la Cour de Justice (ci-après : la chambre administrative). Il conclut à l’annulation de celui-ci et à celle de la décision de l’OCAN du 24 septembre 2010.

Les faits tels qu’établis par le TAPI n’étaient pas contestés. Cependant, le principe ne bis in idem avait été violé dès lors qu’il avait fait l’objet de deux procédures distinctes portant sur une « accusation en matière pénale » au sens de l’art. 6 CEDH, menées par deux autorités distinctes, soit le Procureur général et l’OCAN, et ayant conduit au prononcé de deux sanctions à raison des mêmes faits.

11. Le 11 avril 2011, l’OCAN a transmis son dossier et persisté dans sa décision du 24 septembre 2010.

12. Par courrier reçu le 9 mai 2011 par la chambre de céans, M. S______ a indiqué n’avoir aucune requête complémentaire à formuler.

13. Le 11 mai 2011, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d’observations.

14. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le recourant soutient qu’en prononçant une décision de retrait de permis alors qu’il avait déjà été sanctionné pour les mêmes faits par ordonnance de condamnation, l’OCAN aurait violé l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 CEDH et rendu une décision contraire à la jurisprudence « Zolotoukhine » de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : la Cour) relative au principe ne bis in idem (ACEDH Zolotoukhine c. Russie - requête no 14939/03 - du 10 février 2009).

Le principe ne bis in idem appartient, selon la jurisprudence constante, au droit pénal fédéral. Il est ancré dans la Constitution fédérale (art. 8 al. 1 Cst. ; M. HOTTELIER, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, n. 1 ad art. 11 CPP) ainsi qu’à l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 CEDH et à l’art. 14 al. 7 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (RS 0.103.2). Il figure également depuis le 1er janvier 2011, à l’art. 11 al. 1 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0).

Ce principe, qui est un corollaire de l’autorité de la chose jugée, interdit qu’une personne soit pénalement poursuivie deux fois pour les mêmes faits. Le premier jugement exclut ainsi que la personne soit poursuivie une seconde fois par une juridiction pénale, même sous une qualification juridique différente. Il s’agit en effet d’adopter une approche fondée strictement sur l’identité des faits matériels et de ne pas retenir la qualification juridique de ces faits comme critère pertinent (ACEDH Zolotoukhine c. Russie - requête no 14939/03 - du 10 février 2009, § 79 ss ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1029/2010 du 18 avril 2011, consid. 1.1). Outre l’identité des faits, l’autorité de la chose jugée et le principe ne bis in idem supposent également qu’il y ait identité d’objet de la procédure et de la personne visée (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1029/2010 du 18 avril 2011, consid. 1.1 et la jurisprudence citée).

3. Dans l’arrêt Zolotoukhine contre Russie cité par le recourant, M. Zolotoukhine a été condamné à une peine de trois jours de détention administrative pour avoir injurié dans un poste de police une employée et le chef du service de la circulation routière, ce qui était constitutif de l’infraction administrative d’ « actes perturbateurs mineurs ». Par la suite, alors que le jugement administratif était devenu définitif, il a été inculpé pour les mêmes faits, qualifiés pénalement d’ « actes perturbateurs », ainsi que pour d’autres infractions qu’il avait commises ultérieurement durant la même journée. A l’issue de la procédure pénale, M. Zolotoukhine a été relaxé du chef d’inculpation d’ « actes perturbateurs » et reconnu coupable des autres infractions pénales. Selon la Cour, l’accusation pénale d’ «actes perturbateurs» englobait dans sa totalité les faits de l’infraction administrative d’ «actes perturbateurs mineurs» pour laquelle il avait déjà été condamné. Inversement, l’infraction administrative ne renfermait aucun élément qui ne fût englobé dans l’infraction pénale. La Cour a donc estimé que les faits considérés étaient en substance les mêmes et qu’il y avait répétition des poursuites dès lors que le jugement administratif était devenu définitif lorsque la procédure pénale avait commencé ce qui, en définitive, constituait une violation de l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 CEDH (ACEDH Zolotoukhine c. Russie - requête no 14939/03 - du 10 février 2009, § 97, 109 à 111, pp. 27 et 30).

4. Les mesures administratives ont pour but d’empêcher qu’une situation irrégulière se produise (ou se reproduise à l’avenir), contrairement aux mesures d’exécution forcée qui ont pour objectif de restituer un état conforme au droit. Elles se fondent le plus souvent sur des faits passés, qui font apparaître comme très vraisemblable le risque futur d’une violation de l’ordre légal. Il se trouve fréquemment que l’élément déterminant soit une faute de l’administré visé. La mesure a alors aussi un aspect répressif qui n’est pas sans présenter quelque analogie avec le droit pénal. Toutes les mesures administratives, qu’elles aient un caractère de sanction ou non, visent en même temps, dans leur principe, à assurer l’effectivité de l’application d’une réglementation (P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 133 et 134 et la jurisprudence citée).

Le retrait du permis de conduire constitue typiquement une mesure administrative, comme cela ressort clairement du message du Conseil fédéral: « La révision du droit régissant les mesures administratives vise à sanctionner de manière plus uniforme et plus rigoureuse les infractions graves et répétées aux prescriptions sur la circulation routière servant à renforcer la sécurité et, partant, à épargner des vies humaines et des blessés. En effet, il est notoire qu’en parallèle à une bonne formation (de base et complémentaire), le retrait du permis de conduire constitue l’une des mesures les plus efficaces pour inciter les usagers de la route à circuler de manière sûre et en faisant preuve d’égards envers autrui. Le renforcement des mesures administratives n’aura aucune conséquence pour les personnes qui observent les prescriptions importantes du droit routier (…). Selon l’al. 3 [de l’art. 16 LCR], la durée de retrait sera fonction, comme jusqu’à présent, des circonstances du cas d’espèce, à savoir, notamment, de la mise en danger du trafic, de la gravité de la faute, des antécédents de l’intéressé en tant que conducteur, ainsi que de la nécessité professionnelle de conduire un véhicule automobile. Contrairement à la jurisprudence que le Tribunal fédéral a établie par l’ATF 120 Ib 504, il ne sera plus permis de réduire la durée minimale prescrite, car cela ferait échec à l’application uniforme visée par la révision (…). » (Message du Conseil Fédéral du 31 mars 1999 in FF 1999 pp. 4130-4131). S’agissant du retrait de permis pour infraction grave des règles de la circulation routière au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR, l’application de cette disposition est « subordonnée à la double gravité de la faute commise et de la mise en danger objective. Si la faute est grave et la mise en danger bénigne ou, inversement, si la faute est légère et la mise en danger grave, il s’agira d’une infraction moyennement grave [art. 16b LCR] (…). » (Message du Conseil Fédéral du 31 mars 1999 in FF 1999 p. 4134).

La mesure administrative que constitue le retrait du permis de conduire implique un retrait d’avantage dès lors que l’exercice de l’activité visée est soumis à une décision administrative préalable qu’est l’octroi du permis de conduire. Il est qualifié de « retrait de sécurité » si le but est d’écarter de la conduite les conducteurs qui y sont inaptes (maladie, infirmité, alcoolisme, toxicomanie ; art. 16 al. 1 LCR) ou de « retrait d’admonestation » (art. 16 al. 2 et 3 LCR) lorsqu’il est ordonné pour sanctionner un comportement fautif et éviter les récidives, revêtant ainsi également un aspect pénal (ATF 134 II 39 consid. 3 p. 43 et jurisprudence citée ; P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 137-138 et la jurisprudence citée).

Ni les mesures administratives, ni les mesures d’exécution forcée ne permettent cependant d’assurer toujours le respect de la législation administrative. Il ne reste alors que la punition au travers des sanctions pénales, étant précisé que le cumul d’une mesure administrative et d’une pénalité n’est pas exclu, étant donné leurs finalités différentes. Selon le Tribunal fédéral, le fait que dans une procédure administrative, une mesure de retrait de permis de conduire soit prononcée, en application de l’art. 16 LCR, sur la base du même état de fait sur lequel repose la condamnation pénale prononcée au regard de l’art. 90 LCR, ne viole pas la règle « ne bis in idem », dès lors que le juge pénal n’est pas habilité à ordonner le retrait du permis de conduire, mesure qui incombe à l’autorité administrative, soumis au contrôle du juge administratif. Seul le concours des deux autorités permet d’examiner l’état de fait sous tous ses aspects juridiques (ATF 125 II 405 consid. 1b pp. 404 et 405 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_495/2008 du 28 octobre 2008 ; Arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois du 28 janvier 2011 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 153-154 et la jurisprudence citée). Il est en outre admis par la doctrine et la jurisprudence que la mesure administrative que constitue le retrait d’admonestation du permis de conduire découle de manière directe et prévisible de la condamnation pénale fondée sur les art. 90 ss LCR dont elle ne constitue que la conséquence. En raison de l’étroite connexion entre la condamnation pénale et le retrait d’admonestation, celui-ci apparaît comme une peine complémentaire à laquelle le principe « ne bis in idem » n’est pas applicable (Arrêt de la Cour administrative du Tribunal cantonal jurassien du 10 juin 2011, consid. 4 p. 5 et la doctrine citée).

5. L’arrêt Zolotoukhine contre Russie ne porte pas sur le cumul d’une condamnation pénale et d’un retrait de permis de conduire. Il se distingue du présent litige dans la mesure où M. Zolotoukhine a été condamné une première fois sur le plan administratif à trois jours de détention. Par la suite, alors que cette décision était définitive, il a fait l’objet d’une poursuite pénale portant sur les mêmes faits, dont la condamnation pénale qu’il encourrait aurait eu sensiblement la même finalité que la détention administrative déjà subie.

M. S______ a quant à lui fait l’objet le 24 septembre 2010 d’une décision de retrait du permis de conduire de l’OCAN. Le 4 octobre 2010, soit durant le délai de recours contre cette décision, le Procureur général a rendu à son encontre une ordonnance de condamnation contre laquelle il n’a pas fait opposition. Il est également avéré que tant l’ordonnance de condamnation que le retrait du permis de conduire se fondent sur les mêmes faits, établis par le rapport de police du 1er septembre 2010. Toutefois, au regard de la jurisprudence précitée, le cumul de ces sanctions n’est pas incompatible avec l’art. 4 ch. 1 du protocole 7 CEDH. La mesure de retrait de permis n’a en effet pas la même finalité que la condamnation pénale ; elle a pour but d’empêcher que la situation irrégulière constatée, c’est-à-dire l’excès de vitesse, ne se reproduise. Or, le juge pénal n’est pas habilité à ordonner le retrait du permis de conduire et seul le concours de l’autorité administrative permet d’atteindre le but recherché. Enfin, cette mesure n’est que le retrait de l’avantage accordé par l’autorité au recourant, soit la délivrance du permis de conduire.

Au vu de ce qui précède, la chambre administrative n’a pas de raison de s’écarter de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral. Partant, ce grief sera écarté.

6. Selon la jurisprudence, les autorités administratives appelées à prononcer un retrait du permis de conduire ne peuvent en principe pas s’écarter des constatations de fait d’un jugement pénal entré en force. La sécurité du droit commande en effet d’éviter que l’indépendance du juge pénal et du juge administratif ne conduise à des jugements opposés, rendus sur la base des mêmes faits (ATF 109 Ib 203 consid. 1 p. 204 ; 96 I 766 consid. 4 p. 774). L’autorité administrative ne peut s’écarter du jugement pénal que si elle est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de fait inconnues du juge pénal ou qu’il n’a pas prises en considération, s’il existe des preuves nouvelles dont l’appréciation conduit à un autre résultat, si l’appréciation à laquelle s’est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés, ou si le juge pénal n’a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 123 II 97 consid. 3c/aa p. 104 ; 119 Ib 158 consid. 3c/aa p. 164 ; 105 Ib 18 consid. 1a p. 19 ; 101 Ib 270 consid. 1b p. 273 s. ; 96 I 766 consid. 5 p. 774 s ; ATA/363/2011 du 7 juin 2011 ; ATA/547/2008 du 28 octobre 2008).

Le champ d’application de ce principe a progressivement été entendu, la jurisprudence ayant considéré qu’il pouvait s’appliquer non seulement lorsque le jugement pénal a été rendu au terme d’une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés, mais également, à certaines conditions, lorsque la décision a été rendue à l’issue d’une procédure sommaire, même si la décision pénale se fondait uniquement sur le rapport de police. Il en va notamment ainsi lorsque la personne impliquée savait ou aurait dû prévoir, en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés, qu’il y aurait également une procédure de retrait de permis. Dans cette situation, la personne impliquée est tenue, en vertu des règles de la bonne foi, de faire valoir ses moyens dans le cadre de la procédure pénale sommaire, le cas échéant en épuisant les voies de recours à sa disposition. Elle ne peut pas attendre la procédure administrative pour exposer ses arguments (ATF 123 II 97 consid. 3c/aa p. 104 ; 121 II 214 consid. 3a p. 217 s. ; ATA 363/2011 du 7 juin 2011).

En l’espèce, l’OCAN ne s’est nullement écarté des considérations retenues par le Procureur général, lui-même s’étant fondé sur le rapport de renseignements établi par la police pour rendre son ordonnance de condamnation.

Par conséquent, il n’y a pas lieu de remettre en question la constatation des faits qu’a retenue l’OCAN pour rendre sa décision de retrait de permis. Le recourant ne le fait pas non plus d’ailleurs.

7. La décision querellée est fondée sur la constatation de la réalisation d’une infraction grave aux règles de la circulation routière.

Depuis le 1er janvier 2005, les infractions à la LCR ont été réparties en fonction de leur gravité en trois catégories distinctes, assorties de mesures administratives minimales. Les nouveaux principes relatifs aux retraits de permis de conduire d’admonestation sont, beaucoup plus que sous l’ancien droit, fonction de la mise en danger créée par l’infraction ; l’atteinte à la sécurité routière étant désormais expressément codifiée à l’art. 16 al. 3 LCR.

Chacun doit respecter les marques et les signaux, en particulier ceux fixant une vitesse maximale (art. 27 al. 1 LCR ; art. 16 et 22 de l’ordonnance sur la signalisation routière du 5 septembre 1979 - OSR - RS 741.21 ; ATF 108 IV 62).

Tout conducteur a l’obligation de toujours adapter sa vitesse aux circonstances, en particulier aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité (art. 32 al. 1 LCR). Il doit se comporter dans la circulation de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies (art. 26 al. 1 LCR).

Selon l’art. 16 al. 2 LCR, une infraction aux prescriptions sur la circulation routière entraîne le retrait du permis d’élève-conducteur ou du permis de conduire ou un avertissement lorsque la procédure prévue par la loi fédérale du 24 juin 1970 sur les amendes d’ordre n’est pas applicable.

La loi établit une distinction selon que l’infraction doit être qualifiée de légère (art. 16a al. 1 let. a et b LCR), de moyennement grave (art. 16b al. 1 let. a à d LCR), ou de grave (art. 16c al. 1 let. a à f LCR).

Objectivement, l’application de l’art. 16c al. 1 let. a LCR requiert que l’auteur ait commis une violation grossière d’une règle fondamentale de la circulation routière et mis sérieusement en danger la sécurité du trafic. Il y a création d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui non seulement en cas de mise en danger concrète, mais déjà en cas de mise en danger abstraite accrue (ATF 131 IV 133 consid. 3.2 = JdT 2005 I 466 ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_720/2007 du 29 mars 2008, consid. 4.1).

Dans le domaine des excès de vitesse, la jurisprudence fédérale a été amenée à fixer des règles précises afin d’assurer l’égalité de traitement entre conducteurs. Ainsi, le cas est objectivement grave, c’est-à-dire sans égard aux circonstances concrètes ou encore à la bonne réputation du conducteur, en présence d’un dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l’intérieur des localités, de 30 km/h ou plus hors des localités et sur les semi-autoroutes, et de 35 km/h ou plus sur les autoroutes (ATF 132 II 234 consid. 3.2 p. 238 ; ATF 128 II 131 consid. 2a p. 132 ; 124 II 259 consid. 2b p. 262 ; Arrêt du Tribunal fédéral 6A_114/2001 du 5 décembre 2001 consid. 2b). Il est en revanche de moyenne gravité lorsque le dépassement de la vitesse autorisée est, respectivement, de 21 à 24 km/h (ATF 126 II 196 consid. 2a p. 199), de 26 à 29 km/h et de 31 à 34 km/h (ATF 128 II 131 consid. 2a p. 132). Un arrêt a confirmé ce système de seuils schématiques arrêtés par la jurisprudence en matière d’excès de vitesse (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_83/2008 du 16 octobre 2008 consid. 2).

8. D’après l’art. 16 al. 3 LCR, les circonstances doivent être prises en considération pour fixer la durée du retrait du permis, ainsi que la nécessité professionnelle de conduire un véhicule automobile.

D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’état de nécessité prévu aux art. 17 et 18 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) est applicable par analogie aux mesures administratives (Arrêt du Tribunal fédéral 1C.44/2007 du 11 juillet 2007 consid. 3.2). Il suppose notamment que l’auteur agisse aux fins d’écarter un danger imminent, soit un danger non seulement actuel, mais encore concret et que l’infraction commise constitue un moyen approprié pour parvenir au résultat espéré. En matière de circulation automobile, le Tribunal fédéral a considéré que le fait de conduire en état d’ébriété ou de dépasser les limites de vitesse de manière importante ne pouvait être considéré comme un acte commis en état de nécessité dès lors que les biens juridiques protégés par la réglementation sur la circulation routière sont importants comme la vie, l’intégrité corporelle ou la santé d’êtres humains (ATF 118 IV 190 consid. 2d p. 191 ; 116 IV 364 consid. 1a p. 366 ; 113 Ib 143 consid. 3 pp. 146-147 ; 106 IV 1 consid. 2c p. 4) ; ATA/65/1998 du 17 mars 1998). Au surplus, l’auteur de l’acte illicite doit le limiter dans toute la mesure du possible et l’acte en question doit être nécessaire et adéquat (Arrêt du Tribunal fédéral 6A.28/2003 du 11 juillet 2002, consid. 2.2 ; TRECHSEL, op. cit. ch. 10 ad art. 34 et la jurisprudence citée).

9. Selon l’art. 16 al. 3 in fine LCR, la durée minimale du retrait du permis de conduire ne peut être réduite. Le Tribunal fédéral a encore rappelé récemment qu’une telle règle s’imposait aux tribunaux sans dérogation possible, même pour tenir compte de besoins professionnels particuliers du conducteur (ATF 132 II 234 consid. 2 p. 235 ss ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_585/2008 du 14 mai 2009, consid. 2.1 in fine et la jurisprudence citée). Cette durée minimale est de douze mois en cas d’infraction grave, si au cours des cinq années précédentes le permis a été retiré une fois en raison d’une infraction grave ou à deux reprises en raisons d’infractions moyennement graves (art. 16c al. 2 let. c LCR).

10. En l’espèce, le recourant a commis un excès de vitesse de 46 km/h hors localité, ce qu’il ne conteste pas. En application des règles jurisprudentielles précitées, un tel dépassement est constitutif d’infraction grave au sens de l’art. 16c al. 1 LCR.

S’agissant de l’état de nécessité, il ressort du dossier que les conditions strictes des art. 17 et 18 CP ne sont pas remplies. Le recourant a expliqué avoir commis l’excès de vitesse pour se rendre le plus vite possible au chevet de son épouse qui, enceinte, venait de chuter dans les escaliers. Il avait craint que quelque chose de grave lui soit arrivé mais avait estimé qu’il n’était pas justifié de faire appel à une ambulance. En tout état, le recourant n’a produit aucun certificat médical relatif à la chute de son épouse démontrant à satisfaction de droit que celle-ci se trouvait réellement dans une situation d’urgence vitale. Parallèlement aux explications données par le recourant, il ressort du rapport de police que celui-ci a déclaré qu’il circulait pour des raisons professionnelles au moment de l’infraction. Au vu de ces éléments, la chambre administrative retiendra que le recourant n’était pas confronté à un danger imminent et impossible à détourner autrement, et qu’il ne peut se prévaloir d’un état de nécessité pour échapper à toute mesure administrative.

De plus, aucun besoin professionnel ne peut entrer en considération pour réduire la durée du retrait : M. S______ a déjà fait l’objet le 3 novembre 2005 d’un retrait de permis en raison d’une infraction grave, soit un excès de vitesse de 32 km/h hors localité, marge de sécurité déduite. Ce retrait de permis ayant eu lieu dans les cinq années précédentes, la durée minimale du retrait du permis de conduire doit être de douze mois, conformément à l’art. 16 c al. 2 let. c LCR. Dès lors que l’OCAN a prononcé un retrait de permis qui s’en tient au minimum légal de douze mois, le besoin professionnel qu’invoque le recourant ne lui est d’aucun secours.

11. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté. Un émolument de procédure de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant qui succombe. Aucune indemnité ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 mars 2011 par Monsieur S______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 février 2011 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 400.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

 communique le présent arrêt à Me Marc Joory, avocat du recourant, au Tribunal administratif de première instance, à l’office cantonal des automobiles et de la navigation ainsi qu’à l’office fédéral des routes à Berne.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, M. Dumartheray, juges, M. Bellanger, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

C. Derpich

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :