Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2111/2020

ATA/534/2021 du 18.05.2021 sur JTAPI/74/2021 ( LCI ) , ADMIS

Parties : SOCIÉTÉ ANONYME LES ALPES BELLEVUE G / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2111/2020-LCI ATA/534/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 mai 2021

3ème section

 

dans la cause

 

SOCIÉTÉ ANONYME LES ALPES BELLEVUE G
représentée par Me Mark Muller, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 janvier 2021 (JTAPI/74/2021)


EN FAIT

1) Société Anonyme Les Alpes Bellevue G (ci-après: la société) est propriétaire de la parcelle n° 155 de la commune de Genève - Petit-Saconnex, sur laquelle est érigé un immeuble de logements et activités au 91, rue de Lausanne.

2) Par courrier du 16 mars 2020, le département du territoire, soit pour lui l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC), s'est adressé à la société en indiquant qu'il avait été constaté que les fenêtres d'origine de l'immeuble en question avaient été remplacées par des fenêtres en PVC blanc et ce, sans autorisation de construire. La société était invitée à se prononcer sur les infractions légales que cette situation était susceptible de constituer.

3) Par courrier du 30 avril 2020, la régie en charge de l'immeuble a répondu au nom et pour le compte de la société en indiquant que les fenêtres avaient été remplacées plus de vingt ans auparavant et qu'aucun document pouvant attester d'une quelconque autorisation de construire n'avait été retrouvé.

4) Par décision du 11 juin 2020, l'OAC, tout en prenant note des explications fournies par la société, a ordonné le rétablissement d'une situation conforme au droit, soit le remplacement des fenêtres existantes par des menuiseries en bois sur le modèle de celles d'origine, comportant répartition des fenêtres d'origine et dont les règles se basaient sur le principe FEN.b (https://www.ge.ch/document/guide-bonnes-pratiques-assainissement-fenetres-batiments-proteges/telecharger).

Le délai d'exécution de ces travaux était fixé au 30 septembre 2020. Les détails d'exécution devraient être soumis à l'office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) pour approbation avant la commande des travaux. Une sanction administrative demeurait réservée.

5) Par acte du 13 juillet 2020, la société a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant à son annulation et, préalablement, à la production du dossier de l'OAC et à un transport sur place.

Dans les années 1990, il était apparu que les fenêtres de l'immeuble étaient vétustes et qu'elles n'étaient plus adaptées aux nouvelles normes énergétiques. En automne 2001, elles avaient été remplacées par des fenêtres en PVC conformes aux standards énergétiques. Elle produisait à cet égard un courrier daté par erreur du 24 juin 2020, adressé à l'une des locataires de l'immeuble en cause. Se référant « aux travaux concernant la pose de nouvelles fenêtres ayant lieu en l'immeuble précité », ce courrier indiquait à la locataire que l'entreprise en charge des travaux n'avait pas pu la joindre et l'invitait à prendre contact avec celle-ci au plus tard le 15 octobre 2001 en vue de convenir d'un « rendez-vous très urgent. En effet, la pose ayant été effectuée dans les autres appartements, les travaux devraient prendre fin à cette date ».

Lorsque ces travaux avaient eu lieu, l'immeuble ne faisait l'objet d'aucune mesure de protection particulière. Il ne figurait notamment pas sur la liste des ensembles protégés. Ce n'était qu'en 2014 et 2017 que, dans le cadre de sa campagne de recensement du patrimoine, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) avait répertorié l'immeuble et l'avait intégré à l'ensemble n° MS-e106. Les fenêtres ne faisaient au demeurant pas partie des éléments visés par de telles mesures de protection.

Par ailleurs, la décision litigieuse violait le principe de la proportionnalité : le coût de remplacement des fenêtres serait vraisemblablement très élevé, alors que les travaux litigieux dataient de près de vingt ans.

6) Le département a conclu au rejet du recours.

Le problème n'était pas l'absence de demande d'autorisation de construire avant d'entreprendre les travaux litigieux, mais celui d'avoir porté atteinte à l'unité architecturale de l'ensemble. La date à laquelle l'immeuble en cause avait été identifié en tant qu'élément d'un tel ensemble n'importait pas, puisque la liste prévue à cet égard par la loi n'était qu'indicative.

La société n'avait pas démontré que l'ordre de remise en état constituerait pour elle un préjudice financier difficile à supporter.

7) La société a produit en annexe à sa réplique du 5 novembre 2020 un devis de l'entreprise de menuiserie Norba du 7 octobre 2020, chiffrant la pose de nouvelles fenêtres en chêne, avec un vantail ou deux vantaux suivant les situations, ainsi que des croisillons, à un coût total de plus de CHF 395'000.-, ne comprenant pas les installations de chantier.

Elle a réitéré sa demande de transport sur place et demandé à ce que l'OAC soit acheminé à produire les dossiers relatifs à ses interventions auprès des propriétaires des immeubles sis 85 et 87, rue de Lausanne.

Lesdits immeubles étaient en effet en tous points similaires au sien et faisaient partie de la même barre d'immeubles. Les propriétaires de ces trois bâtiments avaient été interpellés par l'OAC en mars 2020 en lien avec le remplacement des fenêtres, lesquels lui avaient tous trois répondu qu'elles avaient été remplacées une vingtaine d'années auparavant, sans qu'aucune autorisation n'ait été nécessaire. Or, la recourante avait été la seule à se voir notifier un ordre de remise en état. Ce faisant, le département avait injustement traité de manière différente des situations en tous points semblables et en conséquence violé le principe de l'égalité de traitement, ce qui serait démontré par la production de l'échange de correspondances sur ce point entre le département et les propriétaires des immeuble sis 85 et 87, rue de Lausanne.

Son état locatif était de CHF 522'108.- au 30 septembre 2020 de sorte que le coût de remise en état était excessivement élevé et difficilement supportable pour la recourante.

8) Le département a répondu que le coût des travaux n'était pas tel qu'il pouvait mettre en péril la situation financière de la société compte tenu de l'état locatif de l'immeuble.

9) Par jugement rendu le 28 janvier 2021 et notifié le 1er février suivant dans la présente cause, le TAPI a partiellement admis le recours de la société.

L'immeuble méritait en soi une protection conforme aux art. 89 et ss de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) en raison de ses qualités intrinsèques, sans qu'il importât qu'il ait été formellement identifié comme immeuble protégé à une date ultérieure aux travaux litigieux de 2001. Par ailleurs, les embrasures de façades et les menuiseries extérieures n'étaient en principe pas des éléments mineurs parmi ceux donnant à un immeuble de la fin du XIXème ou début de XXème siècle une valeur patrimoniale. Il n'apparaissait cependant pas nécessaire de motiver davantage ces points, dans la mesure où le recours devait de toute manière être partiellement admis.

En effet, certes l'intérêt public à la préservation patrimoniale de l'immeuble était important. Cependant, à la différence de l'affaire qui avait donné lieu au JTAPI/956/2020 susmentionné, la pose des fenêtres litigieuses avait intégralement eu lieu de sorte que leur remplacement concernerait également leur totalité, pour un coût qui s'avérait très important. L'intérêt privé de la société à ne pas se voir imposer l'obligation de remplacer les fenêtres était donc lui aussi important, contrairement à ce que soutenait l'autorité intimée s'agissant d'une prétendue absence de danger qu'entraînerait le coût des travaux pour la société. La disproportion entre une obligation légale et le coût qu'elle entraînait pour un administré pouvait en effet apparaître bien avant que la stabilité financière de ce dernier ne soit mise en péril.

Par ailleurs, les fenêtres litigieuses avaient été posées près de vingt ans plus tôt. La durée de vie de fenêtres en PVC pouvant être estimée à une trentaine d'année, environ dix ans pourraient s'écouler avant de devoir les remplacer. Dans ces conditions, dès lors que la société serait à terme de toute manière exposée aux coûts de remplacement des fenêtres de l'immeuble, il paraissait plus proportionné de lui permettre de continuer à amortir les fenêtres actuelles durant les dix prochaines années, tout en la maintenant dans l'obligation de les remplacer à cette échéance par des fenêtres conformes aux exigences en matière de protection du patrimoine.

La solution permettant de joindre les intérêts public et privé en présence consistait donc à maintenir la décision litigieuse sur le principe, tout en fixant le délai d'exécution des travaux au 31 décembre 2031. Le département devrait veiller à l'inscription de cette obligation au Registre foncier, de sorte qu'elle soit opposable à tout propriétaire futur de l'immeuble.

10) Il ressort de l'état de fait de ce jugement du 28 janvier 2021 (ch. 11) que le TAPI, dans une autre cause, avait, par jugement du 5 novembre 2020, confirmé l'ordre de remise en état de l'un des immeubles du voisinage, sur la parcelle n° 142 (JTAPI/956/2020). Ce dernier avait fait l'objet en 2016 d'un ordre d'arrêt de chantier en raison du remplacement de ses fenêtres par des fenêtres en PVC imitation chêne. Les enquêtes avaient permis d'établir que « l'ensemble des fenêtres qui n'avaient pas encore été posées au moment de l'arrêt du chantier n'ont pas supporté leur entreposage durant plusieurs années et qu'elles sont devenues inutilisables. De la sorte, la recourante va être contrainte quoi qu'il en soit de procéder à une nouvelle commande, laquelle entraînera des frais importants. La recourante aura à les subir indépendamment de l'issue du présent litige. Quant aux frais de pose des fenêtres qui n'ont pas encore été remplacées, ils seront à peu près identiques dans le cas de fenêtres en PVC ou en chêne. Ainsi, le dommage qu'aurait à subir la recourante si l'ordre de remise en état était confirmé serait limité au remplacement et à la pose des fenêtres qui ont déjà été installées lors du chantier de 2016. Même si ces frais ne sont certainement pas négligeables, ils ne concernent pas tout l'immeuble et, dans cette mesure, il apparaît que la sauvegarde de l'intérêt public susmentionné doit l'emporter sur l'intérêt privé de la recourante ».

11) La société a formé recours par acte expédié le 3 mars 2021 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant préalablement à ce qu'il soit demandé à l'OAC de produire les dossiers relatifs à ses interventions auprès de propriétaires des immeubles sis 85 à 95 (numéros impairs) de la rue de Lausanne et à un transport sur place. Au fond, elle a conclu à l'annulation du jugement du TAPI du 28 janvier 2020, de même que de la décision de l'OAC du 11 juin 2020.

Les faits tels que retenus par le TAPI n'étaient globalement pas contestés.

Son droit d'être entendue avait été violé, ce qui devait conduire à l'annulation du jugement entrepris, dans la mesure où le TAPI n'avait pas examiné ses griefs qu'étaient l'absence en 2001 d'inscription de son immeuble dans la liste des ensembles protégés, respectivement que les fenêtres n'étaient pas des éléments patrimoniaux dignes de protection. Le TAPI s'était borné à renvoyer à la motivation de l'un de ses jugements dont la société n'avait pas connaissance, portant sur des faits différents et ne traitant pas des mêmes griefs que ceux présentement invoqués. La motivation en cause ne pouvait ainsi pas être appliquée à sa situation. En outre, l'admission partielle de son recours ne permettait pas au TAPI de se passer de motiver le rejet de ses deux premiers griefs. Le TAPI n'avait de plus absolument pas traité du grief d'une violation du principe d'égalité de traitement.

Le TAPI ne s'était pas prononcé sur ses demandes d'actes d'instruction, alors que ses offres de preuve, articulées à nouveau devant la chambre administrative, avaient pour but de démontrer que les fenêtres des immeubles du périmètre étaient disparates, ce qui était important dans l'analyse de ses griefs, en particulier de celui d'une violation du principe de l'égalité de traitement. La production des dossiers des autres immeubles permettrait de constater que les mesures prises par le département n'étaient pas identiques pour tous, dont les fenêtres de certains semblaient avoir été remplacées par des éléments en PVC.

La société a notamment produit douze photos au format A4, en couleur, des façades côté impair de la rue de Lausanne, du n° 75 au n° 95, portant chacune une légende manuscrite quant à la typicité des fenêtres y apparaissant.

Les travaux de l'immeuble concerné par le jugement JTAPI/956/2020 précité avaient commencé en 2016, soit quinze ans plus tard que ceux portant sur son immeuble. En outre, lorsque le chantier avait été arrêté par l'autorité, toutes les fenêtres n'avaient pas encore été changées, alors que les fenêtre en PVC de son immeuble n'avaient attiré l'attention du département que vingt ans après les travaux. En conséquence, le grief de la société selon lequel les travaux de remplacement de ses fenêtres en 2001 n'était pas soumis à autorisation devait être examiné et ce au regard du droit applicable à cette date où son immeuble ne faisait l'objet d'aucune protection.

Selon l'art. 1 al. 1 LCI a contrario, le remplacement de fenêtres, à l'exclusion de plus amples travaux, n'était pas soumis à autorisation. Si l'assujettissement d'un immeuble à une mesure de protection du patrimoine avait pour effet d'assujettir tous type de travaux à l'obligation de requérir une autorisation de construire, tel n'était pas le cas en l'espèce, puisque son immeuble ne faisait pas partie d'un ensemble protégé.

Lors des travaux préparatoires des art. 89 ss LCI, dite loi Blondel, le législateur avait souhaité protéger un nombre limité d'ensembles du XIXème et du début du XXème siècle, au nombre de huit selon la liste établie lors des débats en commission. Il avait ensuite été question que s'y ajoutent tout au plus deux ou trois ensembles. Or, la liste publiée en 1989 en contenait déjà quarante-six, mais pas l'ensemble dont faisait partie l'immeuble de la société. Admettre que tel serait aujourd'hui le cas violait clairement la volonté du législateur de 1983. Au demeurant, ce n'était qu'en juin 2016 que le Conseil d'État avait approuvé le plan de site n° 29'872-221 comprenant son immeuble. En 2006, soit postérieurement aux travaux litigieux, l'OPS lui-même, lors de l'instruction de l'autorisation de construire ayant fait l'objet de l'arrêt ATA/495/2009 du 6 octobre 2009, ne considérait pas que ledit immeuble faisait partie d'un ensemble protégé. La société était partant en droit de procéder au remplacement des fenêtres sans être au bénéfice d'une autorisation du département.

Si les travaux litigieux avaient, en 2001, fait l'objet d'une autorisation de construire, au demeurant non nécessaire, nul doute qu'elle aurait été accordée.

Quand bien même il devait être admis que son immeuble était soumis aux art. 89 ss LCI, force serait de constater que cela ne suffirait pas à admettre que les travaux en cause auraient dû faire l'objet d'une autorisation de construire. La loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) ne prévoyait en effet rien de tel pour les immeubles faisant partie d'un ensemble, pas plus qu'une quelconque autre base légale.

Les fenêtres ne jouissaient pas d'une protection particulière, le législateur en adoptant les art. 89 ss LCI, n'ayant pas eu pour but de tout protéger, mais seulement « les éléments particulièrement dignes de protection » (art. 90 al. 1 LCI). En l'espèce, les fenêtres en cause n'avaient pas été identifiées parmi les éléments dignes de protection dans le projet du recensement RAIM-VdG-0118 dès 2014. Les nouvelles fenêtres étaient visibles sur la photographie jointe au projet de fiche du recensement, ce qui démontrait qu'elles étaient bien intégrées dans la façade de l'immeuble et ne juraient pas avec son esthétique. La valeur patrimoniale des fenêtres n'avait, outre dans le cadre de ce recensement, nullement été mentionnée lors de l'instruction de la demande d'autorisation de construire en 2006 et 2007 ayant fait l'objet de l'arrêt ATA/495/2009 précité, ou encore de l'adoption du plan de site dès 2008 et ce nonobstant les divers reportages photographiques exécutés à ces occasions. De plus, les fenêtres des immeubles voisins n'étaient pas uniformes alors que lesdits immeubles formaient aujourd'hui un ensemble.

Il apparaissait ainsi que la protection devait porter sur les immeubles du quartier en tant que tels et non sur des éléments mineurs tels que leurs fenêtres, au demeurant totalement disparates, étant rappelé que les éléments particulièrement dignes de protection devaient être identifiés de manière restrictive. Par ailleurs, rien ne démontrait que les fenêtres en PVC dénaturaient irrémédiablement la façade de l'immeuble. Il avait au contraire fallu attendre dix-neuf ans pour que la CMNS s'y intéresse.

Ainsi, les art. 89 ss LCI ne permettaient pas à l'OAC d'ordonner leur remise en état.

La situation des six immeuble sis 85, 87, 89, 91, 93 et 95 de la rue de Lausanne était identique et dès lors comparable, puisque lesdits immeubles faisaient partie du même plan de site et de la même barre d'immeubles. Il semblait que les fenêtre d'origine avaient toutes été remplacées par des fenêtres PVC, et, plus spécifiquement, s'agissant des immeubles sis 85 et 87 rue de Lausanne, il y avait une vingtaine d'années, apparemment, aux dires de leurs propriétaires, sans qu'aucune autorisation ait été nécessaire. Or, seule la société s'était vue notifier un ordre de remise en état. Le département avait en conséquence traité injustement de manière différente des situations en tous points semblables, ce en violation du principe de l'égalité de traitement.

L'ordre de remise en état et la solution retenue par le TAPI violaient également le principe de proportionnalité. Le coût de la remise en état était excessivement élevé et financièrement parlant difficilement supportable pour la société puisqu'il représentait près de 76 % de l'état locatif de l'immeuble. La réfection des fenêtres avec des matériaux d'origine, même décalée dans le temps, représenterait toujours un coût important et manifestement plus élevé qu'une restauration des fenêtres avec du PVC. En outre, leur détérioration ne pouvait être précisément établie de sorte qu'il était possible que dans dix ans ces fenêtres, répondant aux standards énergétiques édictés par le département, soient encore en bon état et ne nécessitent donc pas de réfection. En remplaçant les fenêtres actuelles par des fenêtres semblables à celles d'origine, les pertes énergétiques seraient, selon toute vraisemblance, grandement augmentées. Il s'agirait partant d'un retour en arrière énergétique cumulé à une perte de confort thermique des logements.

12) Le département a conclu le 6 avril 2021 au rejet du recours.

L'immeuble en question, construit entre 1928 et 1929, proposait avec les bâtiments voisins une unité architecturale complète, que ce soit au niveau des gabarits, du traitement des façades ou de leurs socles, aménagés pour la plupart en magasins. Selon la fiche de recensement architectural en projet (RAIM-VdG-0118), tous ces immeubles s'inscrivaient dans l'ensemble MS-e 106, lequel comprenait également les bâtiments situés du 75 au 85 rue de Lausanne. Le conseil d'État avait adopté le 1er juin 2016 le plan de site n° 29'872 visant à protéger ces ensembles d'immeubles et de squares situés entre les rues du Valais, de Lausanne, de Dejean et l'avenue Blanc. C'était lors d'un constat effectué dans le cadre de l'adoption et de la mise en oeuvre de ce plan de site qu'il avait pu être constaté que les fenêtres d'origine, en bois, de ces bâtiments avaient été remplacées par des fenêtres en PVC, sans que l'OPS n'ait été consulté, d'où l'ordre de remise en état querellé.

C'était à bon escient que le TAPI avait fait référence au jugement rendu le 5 novembre 2020 dans la cause A/3455/2019 dont l'objet était le changement de fenêtres d'un immeuble situé dans l'ensemble n° MS-e 106, plus exactement sur la parcelle n° 142, feuille 11, de la commune de Genève-Petit-Saconnex et la mise en oeuvre des art. 89 ss LCI. La motivation développée et à laquelle le TAPI faisait référence dans le jugement querellé, notamment la protection offerte par les dispositions susmentionnées à cet ensemble, pouvait à l'évidence être appliquée à la présente cause. Ainsi, le renvoi effectué par le TAPI à cette affaire était justifié et la lecture du jugement entrepris permettait très clairement de comprendre les raisons l'ayant amené à rejeter les recours interjetés à l'encontre des décisions prises par l'autorité au sujet de la protection qu'elle désirait offrir à cet ensemble. Par ailleurs, les raisons pour lesquelles le TAPI avait considéré qu'un transport sur place n'avait pas à être mis en oeuvre apparaissaient avoir été également énoncées dans le jugement. La société avait en tout état, en toute connaissance de cause, pu recourir contre ce jugement. Enfin, le TAPI n'avait pas à se prononcer sur l'ensemble des griefs invoqués, parmi lesquels celui d'une prétendue violation du principe de l'égalité de traitement.

Le département n'avait jamais prétendu que le remplacement des fenêtres devait être soumis à autorisation de construire, mais bien que lesdites fenêtres devaient être considérées comme des éléments dignes de protection au sens des art. 89 ss LCI, ce qui justifiait d'imposer à la propriétaire l'ordre de remise en état litigieux. Comme la chambre de céans avait déjà eu l'occasion de le préciser, le choix du législateur d'une liste indicative (art. 90 al. 4 LCI) laissait une grande marge d'appréciation au département chargé de l'application de ces dispositions. À cet égard, les préavis des instances spécialisées en matière de protection du patrimoine étaient déterminants, les instances de recours devant au contraire observer une certaine retenue pour éviter de substituer leur propre appréciation à celle de spécialistes. Or, il ne faisait en l'occurrence aucun doute que l'immeuble de la société devait être mis au bénéfice de la protection conférée par les art. 89 ss LCI. Non seulement la fiche de recensement architectural indiquait que ce bâtiment, de même que les immeubles contigus, s'inscrivait dans l'ensemble MS-e 106, mais l'OPS était de plus à l'origine de l'ouverture de cette procédure d'infraction. L'arrêt de la chambre de céans à laquelle la société faisait référence dans ses écritures de recours (ATA/495/2009 du 6 octobre 2009) avait retenu qu'il n'était pas discutable que l'îlot en question constituait un ensemble au sens de ces dispositions, avec ses deux jardins suspendus et ses garages. Il n'était au demeurant nul besoin d'être un spécialiste pour constater l'ensemble formé par les six immeubles en ordre contigu d'architecture à tout le moins similaire.

Parmi les autres éléments dignes de protection (art. 90 al. 1 LCI) devant être sauvegardés et nonobstant l'absence de précisions sur ce point dans la fiche de recensement, figuraient sans aucun doute les fenêtres, dès lors que leur changement pourrait irrémédiablement porter atteinte au caractère architectural et urbanistique que visaient justement à protéger ces dispositions légales. Au niveau de l'esthétique, les fenêtres, tout comme d'ailleurs la façade et la toiture d'un immeuble ou d'un ensemble, étaient les premiers éléments permettant de le caractériser, notamment pour ce qui concernait sa date de conception. Pour s'en convaincre, il suffisait de constater que l'art. 56A du règlement d'application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01) imposait, s'agissant des ensembles protégés, la réalisation des travaux dans les matériaux d'origine et le respect de l'architecture de l'immeuble, comme le TAPI avait pu le constater dans le jugement auquel il faisait référence dans sa motivation. C'était ainsi à bon droit que le TAPI avait présentement ordonné le remplacement des fenêtres existantes par des menuiseries en bois sur le modèle de celles d'origine.

Comme cela ressortait du jugement du TAPI du 5 novembre 2021 précité, il apparaissait que l'autorité intimée n'avait effectué aucune distinction entre chacun des bâtiments situés dans l'ensemble considéré, le remplacement des fenêtres mise en oeuvre de manière indue ayant, à chaque fois, été traité de manière identique, à savoir par un ordre de remise en état. Sans pouvoir donner plus de précisions à ce sujet, vu la sensibilité des dossiers d'infraction qu'il traitait, le département en voulait pour preuve le fait que deux des immeubles situés dans la même barre que celui de la société faisaient l'objet d'une procédure de recours auprès du TAPI (A/3640/2020 et A/3656/2020). Le principe d'égalité de traitement n'avait nullement été violé.

Il était surprenant que la société se plaigne en seconde instance d'une prétendue violation du principe de proportionnalité alors même que le TAPI avait déjà considérablement réduit l'impact de l'ordre de remise en état en lui impartissant un délai de dix ans pour s'exécuter. De jurisprudence constante, celui qui plaçait l'autorité devant un fait accompli devait s'attendre à ce qu'elle se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que des inconvénients en découlant pour le constructeur, notamment par rapport aux coûts. Le TAPI avait procédé à une juste pesée des intérêts public et privé en présence, étant rappelé que la société serait de toute manière contrainte de remplacer les fenêtres installées dès lors qu'elles avaient une durée de vie limitée.

13) Dans une réplique du 23 avril 2021, la société est revenue sur les violations de son droit d'être entendue. Il était étonnant qu'un jugement renvoie l'administré à la motivation d'un autre jugement, d'autant plus si cet acte n'était pas librement accessible. La situation abordée dans le jugement auquel il était renvoyé n'était pas identique à celle de la présente procédure, dans la mesure où les travaux concernés par les deux causes avaient été effectués à près de quinze ans d'intervalle, période durant laquelle les bases légales avaient été modifiées, notamment l'art. 56A RCI. De plus, l'immeuble de la société ne faisait pas partie de l'ensemble MS-e 106, objet du jugement auquel était renvoyé, mais du MS-e 107 regroupant à ce jour les bâtiments sis du 87 au 97 rue de Lausanne.

Son immeuble ne faisant pas partie d'un ensemble protégé, elle demandait un revirement de jurisprudence de l'arrêt ATA/495/2009. Ainsi, il convenait de retenir que son immeuble ne faisait, en 2001, l'objet d'aucune mesure de protection. Si par impossible la chambre de céans devait retenir que tel fût le cas, il était rappelé qu'à aucun moment (en 2006 et 2007, dès 2008, dès 2014 [cf. supra]) la valeur patrimoniale des fenêtres n'avait été mentionnée, pas plus que la présence de fenêtres en PVC n'avait été relevée pendant des années, ce qui démontrait leur bonne intégration dans la façade de l'immeuble et que les fenêtres d'origine n'étaient pas dignes de protection.

Conformément aux principes du droit intertemporel, que le département ne discutait nullement, le droit applicable à la situation était celui en vigueur en 2001, soit l'art. a56A RCI ne prévoyant nullement une obligation de remplacement des fenêtres dans les matériaux d'origine.

Certains immeubles ne s'étaient jamais vu notifier d'ordre de remise en état et le département ne démontrait aucunement qu'il aurait traité l'ensemble des immeubles du périmètre de la même manière, étant rappelé qu'il ressortait du reportage photographique produit à l'appui du recours que quatre immeubles de la barre comportant le bâtiment de la société étaient équipés de fenêtres en PVC blanc ou brun. Tel était également le cas d'un immeuble situé dans la barre des numéros 75 à 85 de la rue de Lausanne, étant précisé que le propriétaire visé par l'arrêt du 5 novembre 2020 semblait avoir effectué les travaux de remplacement de ses fenêtres. Ainsi, cinq immeubles auraient dû être visés par un ordre de remise en état, alors que le département n'évoquait que deux procédures en cours devant le TAPI. La décision entreprise violait en conséquence le principe d'égalité de traitement.

La société est revenue sur la violation du principe de proportionnalité dans les arguments précédemment développés.

14) Les parties ont été informées, le 26 avril 2021, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante ne soutient, à juste titre pas, que son immeuble ne jouirait pas d'une protection conférée par les art. 89 et ss de la LCI, protégeant les « ensembles du XIXe siècle et du début du XXe siècle » selon le titre de la section 2 du chapitre IX intitulé « zones protégées » de la LCI, ou loi Blondel. Elle invoque en revanche sa mise sur la liste des ensembles concernés postérieurement au changement des fenêtres de son bâtiment en 2001.

Subsidiairement, elle soutient que les fenêtres en tant que telles ne jouiraient d'aucune protection particulière, l'art. 56A RCI dans sa version applicable au moment des travaux litigieux ne le prévoyant pas expressément.

Enfin, elle invoque une violation des principes de proportionnalité et de l'égalité de traitement.

3) a. Les art. 89 ss LCI prévoient la préservation de l'unité architecturale et urbanistique des ensembles du XIXe siècle et du début du XXe siècle qui sont situés en dehors des périmètres de protection (art. 89 al. 1 LCI). Sont considérés comme ensemble les groupes de deux immeubles ou plus en ordre contigu, d'architecture identique ou analogue, ainsi que les immeubles séparés dont l'emplacement, le gabarit et le style ont été conçus dans le cadre d'une composition d'ensemble dans le quartier ou dans la rue (art. 89 al. 2 LCI).

b. À l'examen des travaux préparatoires à l'adoption de ces articles en 1983, il apparaît que le projet déposé par le député Denis BLONDEL, sous le titre « quartiers du XIXe siècle », visait à protéger ces quartiers d'une architecture assez homogène et qui méritaient d'être sauvegardés. Faisant l'historique du développement de la ville, il indiquait notamment, dans l'exposé des motifs, qu'au début du XXe siècle et jusqu'à la première guerre mondiale, le centre de la ville n'avait plus vu de réalisations nouvelles significatives sur le plan de l'urbanisme et de l'architecture, car il était entièrement occupé par les constructions alors récentes du siècle précédent.

L'apparition des premières constructions en béton armé dès 1920 marquait la rupture entre deux modes de construire fondamentalement différents. Le député ajoutait que des mesures de sauvegarde des bâtiments du XIXe siècle devaient donc logiquement prendre en considération cette date comme limite d'une époque de notre architecture. Il terminait en précisant que la loi visait à moduler les dispositions de la LCI en faveur d'une sauvegarde des quartiers qui nous avaient été légués par nos prédécesseurs du XIXe siècle. Le projet de loi précisait encore que l'unité architecturale des ensembles construits avant 1920 dans les secteurs de la première et deuxième zone de construction, devait être préservée afin de sauvegarder le caractère propre aux quartiers du XIXe siècle (MGC 1980/I p. 992- 995).

c. Selon l'art. 90 al. 1 LCI, les ensembles dont l'unité architecturale et urbanistique est complète sont maintenus. En cas de rénovation ou de transformation, les structures porteuses, de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés. L'art. 12 LCI est en outre applicable.

L'al. 2 de cette disposition prévoit qu'en cas de transformation ou de rénovation, des mesures de rationalisation énergétique doivent être entreprises. Des dérogations sont accordées lorsque le maintien d'éléments patrimoniaux de valeur l'exige. Des panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques peuvent être autorisés en toiture.

Le département établit et publie sans tarder une liste indicative des ensembles visés à l'alinéa 1 (art. 90 al. 4 LCI). Sur cette base, le département a publié deux séries d'ensembles retenus, en novembre 1985, puis en octobre 1989. Cette liste indicative de quarante-six ensembles retient des immeubles construits en majorité entre la fin du XIXe siècle et les années 1920.

Le choix du législateur d'une liste indicative, laisse une grande marge d'appréciation au département chargé de l'application de ces dispositions. Au cas par cas, le département a fait bénéficier de la protection des art. 89 et ss LCI des ensembles ne figurant pas sur la liste indicative. Cette manière de faire a régulièrement été confirmée par la chambre de céans en raison du caractère indicatif de la liste (ATA/169/2016 du 23 février 2016 consid. 6d ; ATA/1366/2015 du 21 décembre 2015 ; ATA/539/2009 du 27 octobre 2009).

Par ailleurs, la qualification d'ensemble dépend d'une volonté d'unité et d'harmonie dans la conception de l'espace aménagé pour les différents éléments formant un tout projeté et cohérent. À cet égard, les préavis des instances spécialisées en matière de protection du patrimoine sont déterminants. L'art. 90 al. 4 LCI mentionne la compétence du département, notamment par le biais de ses instances spécialisées, tel que l'OPS (art. 6 al. 1 let. e du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2018 - ROAC - B 4 05.10), lequel comprend notamment le SMS (ch. 3).

4) Selon l'art. 56A al. 2 RCI en vigueur depuis le 4 novembre 2015, qui traite des constructions existantes, les embrasures en façade doivent être mises en conformité lorsque certaines conditions, décrites, sont remplies.

Ces travaux de mise en conformité doivent être réalisés dans les matériaux d'origine pour les bâtiments existants qui se situent dans les zones protégées au sens du chapitre IX du titre II de la LCI (art. 56A al. 4 let. a RCI).

Les dimensions des profils ainsi que la partition des vitrages (petits bois structurels) doivent respecter l'architecture du bâtiment. L'office chargé de la protection du patrimoine fournit sur demande des conseils (art. 56A al. 4 in fine RCI).

Des exceptions (al. 5) et des dérogations (al. 6 de l'art. 56A RCI) sont possibles. Elles ne sont pas pertinentes en l'espèce.

5) De jurisprudence constante, pour être valable, un ordre de mise en conformité doit respecter cinq conditions cumulatives :

- l'ordre doit être dirigé contre le perturbateur ;

- les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation ;

- un délai de plus de trente ans ne doit pas s'être écoulé depuis l'exécution des travaux litigieux ;

- l'autorité ne doit pas avoir créé chez l'administré concerné, que ce soit par des promesses, par des infractions, des assurances ou encore un comportement des conditions telles qu'elle serait liée par la bonne foi ;

- l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit doit l'emporter sur l'intérêt privé de l'intéressé au maintien des installations litigieuses (ATA/1030/2018 du 2 octobre 2018 consid. 6c ; ATA/1411/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4a et les références citées).

6) La recourante se plaint préalablement d'une violation de son droit d'être entendu sous deux aspects, à savoir l'absence de motivation du premier jugement en lien avec certains des griefs invoqués, respectivement le refus du TAPI de procéder aux actes d'enquête sollicités devant lui, à savoir un transport sur place et, au stade de la réplique, à ce que soit ordonné l'apport à la procédure des dossiers du département en lien avec les immeubles voisins situés aux 85 et 87, rue de Lausanne pour déterminer si une violation du principe d'égalité de traitement il y aurait eu en sa défaveur. Elle réitère devant la chambre de céans ces deux demandes d'actes d'instruction et élargit celle tendant à la production de dossiers de l'OAC aux immeubles situés 89, 93 et 95, rue de Lausanne.

a. La jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droits constitutionnels a déduit du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) le droit d'obtenir une décision motivée (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid. 3.2.1). Le droit d'être entendu n'emporte pas l'obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige ; elle peut donc se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 II 154 consid. 4.2). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_245/2020 du 12 juin 2020 consid. 3.2.1).

b. La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 126 I 68 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; ATA/1194/2019 du 30 juillet 2019 consid. 3c et les arrêts cités). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/1108/2019 du 27 juin 2019 consid. 4c et les arrêts cités).

c. Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2020 8C_257/2019 consid. 2.5 et les références citées), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5).

d. Le droit d'être entendu comprend également le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 et les arrêts cités). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_41/2020 du 24 juin 2020 consid. 5.1.1).

7) En l'espèce, le TAPI a, au considérant 2 de son jugement, renvoyé à l'une de ses décisions dans une cause tierce, à laquelle la recourante n'était pas partie, non publiée, dont il a toutefois rapporté l'essence dans la partie en droit, pour retenir que l'immeuble de la recourante méritait en soi une protection au sens des art. 89 ss LCI « en raison de ses qualités intrinsèques, sans qu'il importât qu'il ait été identifié comme immeuble protégé à une date ultérieure aux travaux », et que les fenêtres ne sauraient être considérées comme des éléments mineurs, parmi ceux donnant à des immeubles de la fin du XIXème siècle, début du XXème, une valeur patrimoniale. Il apparaît effectivement critiquable que le TAPI renvoie à l'une de ses décisions, dont il ne reprend pas l'argumentation juridique dans sa partie en fait et motive les deux griefs en question, pourtant fondamentaux à la résolution du litige, de manière fort succincte, considérant que la motivation retenue serait suffisante compte tenu de la solution adoptée de l'admission partielle du recours.

Cette manière de faire viole le droit d'être entendue de la recourante, quand bien même la solution adoptée d'une remise en l'état repoussée au 31 décembre 2031 est empreinte de bon sens. Si effectivement, élément que la recourante ne remet pas en cause, son immeuble mérite en soi une protection au sens de l'art. 89 ss LCI, la question de savoir si cette protection portait déjà effet avant son inscription sur la liste des ensembles protégés, respectivement l'adoption du plan de site n° 29'872-221 du 1er juin 2016, en particulier à l'égard de ses fenêtres, lors de leur remplacement en 2001, doit faire l'objet d'un examen approfondi des juges de première instance et d'un développement circonstancié.

Doit en outre être tranchée la question du droit applicable, l'art. 56A RCI dans sa teneur au moment des travaux litigieux ne prévoyant en effet aucune obligation en lien avec les fenêtres d'un immeuble protégé, ce qui est en revanche désormais le cas. Ainsi, s'il devait être retenu que l'ancien droit ne comportait aucune base légale pour exiger des propriétaires d'immeubles méritant certes protection au sens des art. 89 ss LCI qu'ils remplacent les fenêtres par des éléments du matériau d'origine et correspondant aux critères esthétiques d'antan, comme cela est expressément énoncé à l'art. 56A RCI en vigueur depuis le 4 novembre 2015, une condition de l'ordre de remise en état pourrait faire défaut en l'espèce, à savoir que « les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation ».

Ainsi, quand bien même la recourante a, devant la chambre de céans, pu faire valoir, de manière circonstanciée, tous les éléments pour soutenir que ce double avis du TAPI serait erroné, il n'en demeure pas moins que la motivation du premier jugement est lacunaire. Dans la mesure où cette instance ne s'est pas positionnée suffisamment sur des éléments essentiels pour l'issue du litige, la violation du droit d'être entendue doit être qualifiée de grave et ne saurait être réparée devant la chambre de céans, nonobstant l'effet dévolutif complet du recours.

Il en va également ainsi du grief d'une prétendue violation du principe de l'égalité de traitement, pourtant expressément invoqué par la recourante dans sa réplique du 5 novembre 2020, qui n'a pas été traité par le TAPI. Or, nonobstant la solution retenue par les premiers juges, d'un ordre de remise en état portant effet au 31 décembre 2031, en application du principe de proportionnalité, l'examen de ce grief s'imposait puisque dans la mesure où il apparaîtrait que le département aurait traité différemment la situation des immeubles voisins, faisant partie du même ensemble, une telle situation ne serait pas soutenable.

À cet égard, l'aspect visuel du bâtiment et de ceux environnant, notamment les fenêtres dont ils sont équipés, ressort des photos versées au dossier par la recourante devant la chambre de céans, à savoir de la façade des immeubles sis du n° 75 au 95, rue de Lausanne, étant rappelé que le sien est situé au n° 91 de ladite rue. Le dossier ne contient en revanche pas les éléments suffisants et nécessaires pour déterminer que les autres propriétaires de l'ensemble protégé en cause et dont les fenêtres pourraient également être en PVC et non en bois, comme à l'origine, se seraient également vu intimer un ordre de remise en état. Sur la base du dossier, la chambre de céans considère qu'il n'est ainsi pas possible de déterminer quel sort a été réservé aux situations des propriétaires concernés et si le principe de l'égalité de traitement a été respecté, point qui devait également être tranché par le TAPI qui ne l'a pas abordé.

Ainsi, la cause lui sera renvoyée pour complément d'enquête s'il l'estime nécessaire sur ce point et nouvelle décision dans le sens des considérants. Si le TAPI ne devait pas ou que partiellement accéder aux actes d'enquête demandés par la recourante, il lui appartiendra de motiver ce refus, le jugement attaqué ne comportant en effet aucune motivation à cet égard.

8) Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante, à la charge de l'État de Genève (département du territoire ; art. 87 al. 1 et 2 LCI).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 mars 2021 par la Société Anonyme Les Alpes Bellevue G contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 janvier 2021 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 janvier 2021 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour éventuelle suite d'instruction et décision dans le sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la Société Anonyme Les Alpes Bellevue G, à la charge de l'État de Genève (département du territoire) ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mark Muller, avocat de la recourante, au département du territoire-oac, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :