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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3598/2008

ATA/539/2009 du 27.10.2009 ( DCTI ) , ADMIS

Descripteurs : POUVOIR D'EXAMEN; DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS ; PERMIS DE CONSTRUIRE ; PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ
Normes : LCI.89ss ; LCI.3.al3 ; LCI.3.al4
Parties : PATRIM INVESTISSEMENTS SA / DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, VILLE DE GENEVE
Résumé : Admission d'un recours contre une décision de la commission qui confirme un refus d'autorisation de construire. Dossier renvoyé au département pour délivrance de l'autorisation. Le projet prévoit la création d'un appartement dans les surcombles et celle de jours en deuxième registre dans le toit d'un immeuble sis dans un ensemble protégé au sens de l'art. 89 LCI. Pas d'étude circonstanciée du projet par le département et la CMNS qui n'ont pas pris en compte l'existence d'ouvertures existantes dans l'analyse de la situation concrète méconnaissant ainsi des éléments de faits essentiels.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3598/2008-DCTI ATA/539/2009

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 27 octobre 2009

 

dans la cause

 

PATRIM INVESTISSEMENTS S.A.
représentée par Me Christian Buonomo, avocat

contre

DéPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

et

VILLE DE GENèVE

et

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIèRE ADMINISTRATIVE



EN FAIT

1. Patrim Investissements S.A. (ci-après : Patrim S.A.) est propriétaire de la parcelle 63, feuille 2 de la Ville de Genève, sise 64, boulevard de Saint-Georges, sur laquelle est érigé un bâtiment de cinq étages sur rez, formant un ensemble protégé du début du XXème siècle, au sens de l'art. 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) avec les deux bâtiments adjacents, nos 66 et 62. Ces immeubles forment la pointe d'un îlot situé entre le boulevard de Saint-Georges et la rue des Savoises.

2. Le 28 novembre 2007, Patrim S.A. a déposé une demande définitive d'autorisation de construire auprès du département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : DCTI) en vue d'aménager les combles du bâtiment.

Le projet portait sur la création d'un appartement de 110 m2 comportant 6,5 pièces. L'exploitation de cet espace impliquait la création de quatre coupoles de 110 sur 110 cm dans le terrasson et de dix-neuf jours rectangulaires, en deuxième registre, dans la partie supérieure de la toiture à forte pente, au dessus des lucarnes existantes au 5ème étage, ainsi que l'aménagement d'une terrasse vitrée de 331 sur 285 cm. Les jours à créer de 55 sur 78 cm étaient prévus dans le prolongement de ceux existants dans le toit du n° 66 adjacent.

En guise d'éclairage, la chambre n° 1 comporterait trois jours et une coupole de 110 sur 110 cm, la salle de bains n° 1, un jour, la chambre n° 2 quatre jours et une coupole, la salle de bains no 2, un jour, la chambre n° 3 ainsi que la cuisine disposeraient de deux jours et d'une fenêtre donnant sur une courette, la salle à manger cinq jours et une coupole, le salon deux jours. Ce dernier et le bureau donneraient également sur la terrasse vitrée.

La toiture du bâtiment présentait une pente très raide, couvrant le 5e étage, les surcombles et un terrasson.

3. Dans le cadre de l'instruction de la requête, le DCTI a soumis le projet pour préavis :

a. Le 7 décembre 2007, la direction du génie civil a rendu un préavis sans observation et le département du territoire un préavis favorable.

b. Le 17 décembre 2007, le service cantonal de protection contre le bruit et les rayonnements non ionisants a préavisé favorablement le projet, sous réserve du respect des normes d'isolation acoustique et du bruit des installations techniques.

c. Le 6 janvier 2008, la Ville de Genève (ci-après : la Ville) a rendu un préavis favorable sous réserve de l'avis de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS).

d. Le 8 janvier 2008, la CMNS, sous-commission d'architecture, a rendu un préavis défavorable.

Le bâtiment faisait partie d'un ensemble remarquable qui se distinguait notamment par le traitement singulier des toitures et des lucarnes. La création d'un appartement dans les surcombles de cette toiture ne pouvait s'envisager sans créer d'importantes ouvertures en deuxième registre. Une telle intervention ne pouvait être admise sur un bâtiment de cette qualité. En regard des particularités de la toiture, de la volumétrie des lucarnes et de la faible surface des pans de toiture restante, une telle intervention porterait inévitablement une atteinte au caractère de cette dernière, ce que confirmait l'impact de l'intervention réalisée sur le toit du n° 66. D'une manière générale, le principe de la création de prises de jour en deuxième registre était refusé par la commission depuis 1983. Il fallait considérer également le peu de qualité du logement proposé en termes de jours et vues s'ouvrant sur l'extérieur, soit environ trois ouvertures de 0,2 m2 par pièce situées très haut.

e. Le 15 janvier 2008, le domaine de l'eau a préavisé favorablement le projet.

f. Le 23 janvier 2008, le service cantonal de l'énergie a préavisé favorablement le projet sous conditions de certaines réalisations techniques.

4. Le 3 avril 2008, le DCTI a refusé l'autorisation de construire, en faisant sien le préavis de la CMNS. Le projet n'était pas conforme à l'art. 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

5. Le 29 avril 2008, Patrim S.A. a recouru contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions devenue le 1er janvier 2009 la commission de recours en matière administrative (ci-après : la commission), en concluant à son annulation et à la délivrance d'une autorisation de construire.

Le projet portait sur l'aménagement de combles et non de surcombles. Le 5ème étage de l'immeuble était englobé dans la toiture et les combles correspondaient au registre supérieur pris entre le dernier plancher et le terrasson, utilisés comme greniers.

Un mémoire rédigé par Madame Leïla El-Wakil, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Genève, portant sur l'aménagement des combles d'un immeuble situé au 15, rue de l'Athénée, mais traitant plus largement de l'aménagement des combles dans le canton de Genève et de la pratique contestée de la CMNS, était joint au recours. Le terme de surcombles était un néologisme apparu à Genève dans les années 1980. La restriction des percements en deuxième registre allait souvent de pair avec la règle des surcombles non habitables, si ce n'était en duplex avec le niveau inférieur des combles. Cette règle strictement genevoise, extrêmement restrictive, était fondée sur une méconnaissance des caractéristiques inhérentes aux toits fin de siècle et Heimatstil.

Des ouvertures en deuxième registre semblaient avoir existé lors de la construction de l'immeuble et avaient été obturées par des panneaux de bois. Les lucarnes existantes sur les trois immeubles n'avaient pas le même aspect extérieur et le n° 66 comportait déjà des ouvertures en second registre situées derrière les lucarnes. Les ouvertures prévues seraient peu visibles depuis la rue.

Il n'y avait pas d'unité architecturale, s'agissant des ouvertures en deuxième registre dans l'ensemble protégé.

Les combles disposaient d'une pleine hauteur de plafond et aucune dérogation n'était nécessaire.

Le préavis de la CMNS était dépourvu de pertinence. Il s'agissait d'une objection de principe. En outre, la pratique en la matière n'était pas aussi uniforme que le laissait croire le préavis. A titre d'exemple, l'immeuble situé à l'angle du Rond-Point de Plainpalais et de la rue de Carouge, compris dans un ensemble protégé, subissait des travaux impliquant la création de jours en deuxième registre. Des photos étaient produites.

6. Invitée à se prononcer sur le recours, la Ville a déposé des observations le 2 juin 2008 en concluant à son rejet.

L'immeuble comportait quatre étages sur rez jusqu'à la corniche. Le 5ème étage s'inscrivait dans la volumétrie de la charpente et devait être considéré comme faisant partie des combles. L'étage supérieur constituait des surcombles.

Les travaux concernant le n° 66 avaient été autorisés le 8 mars 1988. Le préavis de la Ville datait du 3 avril 1987, antérieurement à l'adoption de l'art. 89 LCI. Vu les qualités architecturales du bâtiment n° 64, l'intervention sollicitée serait de nature à porter une atteinte irrémédiable à l'aspect caractéristique d'un immeuble significatif de l'architecture de la fin du XIXème siècle et serait également préjudiciable à la conservation de sa substance bâtie du fait de la création projetée d'une terrasse intérieure, dans le volume de la toiture, qui était contraire aux principes d'intervention usuellement admis s'agissant de toitures de type traditionnel.

7. Le 20 juin 2008, la commission a constaté, lors d'un transport sur place, que les greniers se trouvaient dans la partie mansardée de la toiture. L'on apercevait l'emplacement d'anciennes tabatières qui avaient été condamnées, côté rue des Savoises. Les lucarnes du n° 66 étaient très visibles depuis l'angle du boulevard de Saint-Georges avec la rue des Rois. Les lucarnes du n° 64, projetées, auraient la même apparence. Le n° 62 avait une tourelle sans lucarne. La toiture du n° 62 était en cuivre à l'exception de la tourelle dont la toiture était recouverte de tuiles. Au niveau de la rue, de l'angle de la rue des Bains, boulevard de Saint-Georges, rue des Savoises, les lucarnes litigieuses ne seraient pas visibles car l'on voyait à peine la toiture en deuxième registre.

8. Le 4 juillet 2008, la Ville a transmis de nouvelles observations. Le transport sur place avait permis de constater le caractère inesthétique des ouvertures dans les surcombles de l'immeuble sis au n°62 (recte n°66). L''aménagement d'une terrasse risquait de détériorer ultérieurement le bâtiment par les infiltrations d'eau. Il existait dans la cour un vis-à-vis et l'usage de la terrasse ne manquerait pas de créer des nuisances sonores, constituant ainsi un inconvénient grave.

9. Le 8 juillet 2008, la propriétaire a fait parvenir à la commission le plan comportant le report de l'implantation des chevêtres existants et le détail de pose des fenêtres de toiture avec un débord de 10 cm par rapport à l'aplomb de la toiture visant à minimiser l'impact de l'intervention.

10. Le 6 août 2008, Patrim S.A. a répliqué.

La Ville ne pouvait revenir sur le préavis favorable, sous réserve de l'avis de la CMNS, rendu le 6 janvier 2008. Les arguments relatifs à l'aménagement d'une terrasse étaient irrecevables. Celle-ci ne présentait d'ailleurs aucun risque important de détérioration du bâtiment et sa partie vitrée correspondait à la fenêtre existant actuellement.

11. Le 28 août 2008, la commission a rejeté le recours.

L'intervention proposée en deuxième registre de la toiture portait une atteinte au bâtiment sans que cette dernière puisse être justifiée par un intérêt public ou privé supérieur à la protection de cet ensemble de bâtiments. Les ouvertures existantes au n°66 donnaient l'exemple de l'atteinte comme l'avait relevé la CMNS. L'avis de cette dernière était fondé. Par ailleurs, le projet portait sur un appartement dont l'habitabilité était contestable en raison du manque de lumière puisque les ouvertures litigieuses se trouvaient à 1m80 du sol.

12. Le 6 octobre 2008, la propriétaire a recouru contre la décision de la commission auprès du Tribunal administratif en concluant à son annulation et à l'octroi de l'autorisation de construire sollicitée, ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

L'essentiel de l'éclairage de l'appartement à aménager dans les combles provenait de la terrasse sur cour et de quatre puits de lumière situés sur la partie non visible du toit. A cela s'ajoutaient les dix-neuf jours dans la toiture.

L'existence d'une unité architecturale de l'ensemble composé par les trois immeubles était des plus discutables dans la mesure où l'ensemble présentait un certain nombre de disparités. Les lucarnes existantes sur les trois immeubles n'avaient pas le même aspect extérieur et l'un des toits comportait déjà des ouvertures en deuxième registre. Les toitures étaient différentes. Le refus de l'autorisation ne préservait aucune unité.

Il y avait déjà des ouvertures en second registre dans le toit qui avaient été obturées. Il existait un intérêt public évident à la construction d'un logement supplémentaire à Genève.

La décision violait le principe de l'égalité d e traitement puisque dans d'autre cas, le DCTI avait autorisé des ouvertures en second registre.

13. Le 14 novembre 2008, la Ville a déposé ses observations en concluant au rejet du recours.

A la différence de l'immeuble sis 15, rue de l'Athénée (ATA/826/2004 du 26 octobre 2004), la terrasse en toiture ne permettait pas d'éclairer suffisamment les autres pièces de l'appartement et les ouvertures, bien plus larges que les tabatières existantes, n'éclairaient pas suffisamment les pièces pour les rendre habitables.

Il était vrai que dans certains toits représentatifs du Heimatstil comme l'était celui du bâtiment concerné, il existait des percements de petites dimensions en second registre.

En l'espèce, les ouvertures projetées n'avaient pas convaincu le service juridique LDTR de la police des constructions de l'habitabilité des pièces. Une note du 4 mars 2008 était produite dans laquelle le service juridique - LDTR de la police des constructions indiquait que l'éclairage de l'appartement aménagé dans les surcombles était insuffisant. Il convenait de vérifier l'application de l'art. 130 du règlement d'application de la loi sur les constructions et les installations diverses (L 5 05.01 - RCI).

Le bâtiment situé au Rond-Point de Plainpalais avait fait l'objet d'une récente autorisation de construire délivrée le 2 mars 2008 pour la rénovation d'un immeuble de logements et notamment le réaménagement de l'appartement situé dans les combles, alors que les surcombles demeuraient des greniers éclairés par quelques tabatières, c'est à dire de petites ouvertures anciennes déjà présentes en toiture : sept éléments d'environ 40 X 50 cm répartis sur quatre pans distincts. La situation n'était pas identique. Dans la cause concernant le 15, rue de l'Athénée, les préavis de la commission d'architecture et de la CMNS divergeaient ce qui avait conduit le Tribunal administratif à examiner le recours avec un plein pouvoir d'examen. La CMNS avait opposé un refus de principe alors qu'en l'espèce, elle fondait son refus sur des considérations urbanistiques et architecturales. Les ouvertures de petites dimensions procuraient des vues plutôt que de la lumière, l'essentiel de l'éclairage naturel de l'appartement provenant du patio, alors que les ouvertures prévues devaient rendre habitables les pièces créées. Un doute subsistait quant à l'habitabilité.

14. Le 24 novembre 2008, le DCTI s'est déterminé sur le recours.

Selon l'art. 89 al. 1 LCI, une simple analogie d'architecture suffisait pour que plusieurs bâtiments aient une unité architecturale et forment un ensemble.

La toiture de l'ensemble était un élément particulièrement digne de protection. Il ne s'agissait pas d'une toiture de type Heimatstil, compatible avec les émergences de diverses natures qu'étaient les tourelles, les lucarnes, les souches de cheminées mais d'une toiture traditionnelle à un pan avec terrasson et un registre de lucarnes à laquelle il convenait d'appliquer les règles de l'architecture classique. La CMNS n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation.

Dans le cas du bâtiment n° 2, Rond-point de Plainpalais, une autorisation de construire avait été délivrée pour la création de deux appartements en surcomble, rendus habitables par des ouvertures en premier registre, au dessus des lucarnes existantes, ainsi que par de grands jours d'appoint zénithaux. La CMNS avait tenu compte du gabarit asymétrique du bâtiment et du fait que les ouvertures seraient créées en premier registre dans le prolongement immédiat des lucarnes existantes avec un impact modeste sur la structure. La situation n'était ainsi pas identique.

Au moment de l'octroi de l'autorisation pour l'aménagement des surcombles du n° 62, les art. 89 et ss LCI n'étaient pas encore en vigueur.

15. Le 4 juin 2009, la juge déléguée a procédé à un transport sur place en présence des parties, lors duquel les constatations suivantes ont été faites :

A l'intérieur des greniers, il y avait cinq ouvertures sur la toiture, côté boulevard de Saint-Georges, qui avaient été bouchées par des planches. Celles-ci étaient déjà fermées lorsque Patrim S.A. avait acquis le bâtiment en 2005.

Les avancées des bâtiments nos 62 et 64 étaient identiques alors que celles du n° 66 différaient. Il y avait des triangles sous l'avancée du n° 66 que l'on ne retrouvait pas sous les deux autres. Beaucoup plus de cheminées étaient érigées sur le toit du n° 66.

A cette occasion, il a été demandé au DCTI et à la Ville de produire des renseignements sur l'historique des ouvertures dans le grenier ainsi que celui des trois bâtiments avec les transformations des façades ainsi que le dossier d'autorisation concernant les transformations du n° 66.

16. Le 7 juillet 2009, le DCTI a transmis les renseignements demandés.

Transformations autorisées du n° 66

Le 8 mars 1988, la création de deux appartements dans les combles avait été autorisée dans le cadre de la rénovation et de la transformation de l'immeuble. Le projet prévoyait le percement de dix lucarnes de 50 sur 90 cm côté boulevard et neuf, côté rue des Savoises, ainsi que de quatre coupoles de 60 sur 60 cm.

La CMNS avait indiqué dans son préavis ne pas avoir d'observations à faire concernant l'aménagement des surcombles.

Dans le dossier d'autorisation figuraient des observations du 14 avril 1987 de la Société d'Art public, alors présidée par Monsieur Denis Blondel, selon lequel la création de surcombles dans les immeubles du XIXe siècle ne correspondait pas à l'esprit d'un toit à la Mansart.

Projet de transformation du n° 62

Selon le recensement genevois d'architecture, ce bâtiment, datant de 1903, construit par Girodroux et attribué par erreur à l'architecte Léon Bovy, faisait partie d'un ensemble de trois bâtiments modulés par des variations de décors sur la façade boulevard et probablement des fresques dont il subsistait quelques traces. Les plans de construction n'existaient plus. L'immeuble avait subi des transformations intérieures en 1939, 1942 et 1944.

Le 1er septembre 1989, l'aménagement de deux appartements dans les combles du n° 62 avait été refusé. Le projet prévoyait la création de cinq ouvertures rectangulaires de 70 sur 120 cm, de chaque côté du toit, au dessus des lucarnes existantes.

Selon la décision de refus, l'utilisation de l'espace des surcombles prévue était particulièrement exagérée. Vu la surface habitable réellement disponible, le décompte de pièces proposé par le projet (six pièces) était bien au-delà de ce qui pouvait être accepté.

Le préavis de la Ville était défavorable à une utilisation exagérée des surcombles et à la création de logements éclairés uniquement par des châssis de toiture.

Celui de la commission d'architecture l'était également. Les nouveaux percements en toiture, en deuxième registre, étant de nature à porter préjudice à cet immeuble de grande qualité, exemple de l'architecture d'époque. L'habitabilité était inacceptable, compte tenu de la surface réduite et de l'éclairage insuffisant car réalisé uniquement à travers des jours situés dans le plan de la toiture. Quant à la CMNS, elle avait préavisé défavorablement le projet, étant opposée, selon sa pratique constante, aux percements en deuxième registre.

Le dossier du DCTI contient également un courrier de la Société d'Art public du 12 juin 1989, qui observait que l'architecture du bâtiment, et en particulier sa toiture, étaient caractéristiques du style "exposition nationale" de la fin du XIXème siècle. S'agissant du projet, la création de surcombles avec percements au-dessus des lucarnes existantes n'était pas heureuse. La Société d'Art public suggérait une réduction du nombre et de la dimension des percements.

17. Le 22 juillet 2009, Patrim S.A. a produit des observations.

Le refus d'autorisation d'aménagement des combles du n° 62 était notamment dû au nombre de pièces ainsi qu'aux dimensions des ouvertures à créer. De plus, le fait que le n° 62 soit situé en extrémité des trois immeubles et comportait une tourelle n'était certainement pas étranger à ce refus. Les ouvertures du n° 66 étaient de petites dimensions, comme le seraient celles du projet litigieux.

18. Le 30 juillet 2009, la Ville a indiqué qu'elle n'avait pas retrouvé les plans originaux des immeubles concernés. Les ouvertures existantes mais bouchées du n° 64 étaient de petites dimensions alors que celles prévues dans le projet étaient plus grandes pour rendre les espaces habitables.

19. Le 13 août 2009, Patrim S.A. a remis les mesures prises par son architecte des dimensions des chevêtres existants, soit 98 sur 49 cm pour le côté boulevard et 88 sur 49 cm pour l'autre côté. Ces ouvertures plus larges mais moins hautes se trouvaient à la même hauteur que celles projetées. La dimension des jours prévus dans le projet était de 45 sur 70 cm. Pour assurer l'habitabilité, un doublement du nombre d'ouvertures était prévu, mais la grande partie de l'éclairage se faisait par la terrasse et les lucarnes situées sur la partie plate de la toiture.

20. Suite à quoi, les pièces ayant été communiquées aux parties, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties avaient déjà été informées le 5 août 2009.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La recourante met en doute l'application des art. 89 et ss LCI au bâtiment concerné, en raison des différences architecturales existant entre les trois bâtiments. Les autres parties considèrent qu'il s'agit d'un ensemble à protéger au sens de ces dispositions.

Sont considérés comme ensemble du XIXe siècle et du début du XXe siècle, les groupes de deux immeubles ou plus en ordre contigu, d'architecture identique ou analogue, ainsi que les immeubles séparés dont l'emplacement, le gabarit et le style ont été conçus dans le cadre d'une composition d'ensemble dans le quartier oud ans la rue (art. 89 al. 2 LCI). L'art. 90 LCI prévoit que le département publie une liste indicative des ensembles concernés.

Les bâtiments concernés ne figurent pas sur ladite liste mais la CMNS a déjà eu l'occasion de leur reconnaître la qualité d'ensemble à protéger en 1988 et 1989 et ils figurent comme tels dans le recensement genevois d'architecture, effectué en 1991.

Les art. 89 et ss LCI sont donc applicables en l'espèce.

3. Le recours au Tribunal administratif peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation ou pour constatation inexacte ou incomplète es faits pertinents. Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 1 et 2 LPA)

4. La recourante reproche à la commission et au département une mauvaise application des art. 89 ss LCI en fondant la décision de refus sur le préavis négatif de la CMNS qui, par principe, refusait toute ouverture en deuxième registre.

a. La protection de l'unité architecturale et urbanistique prévue aux art. 89 et ss LCI n'est pas absolue. Selon l'art. 90 al. 1 LCI, en cas de rénovation ou de transformation, les structures porteuses, de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale être sauvegardés.

Les demandes d'autorisation, ainsi que les travaux de réfection de façades et de toitures concernant des immeubles visés à l'art. 89 sont soumises, pour préavis, à la CMNS.  La commission formule son préavis après s'être renseignée sur les servitudes et les dispositions qui ont régi l'aménagement initial du quartier, de la rue et des constructions au XIXe siècle et au début du XXe siècle.

b. Les préavis ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Selon une jurisprudence bien établie, le Tribunal administratif observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci (ATA/529/2007 du 16 octobre 2007 et les références citées). De même, s'agissant des décisions rendues par la commission, il exerce son pouvoir d'examen avec retenue car celle-ci se compose pour partie de personnes possédant des compétences techniques spécifiques (ATA/190/2009 du 21 avril 2009).

c. Lorsque la consultation de la CMNS est imposée par la loi, comme en l'espèce, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours.

d. En revanche, le tribunal de céans a également relevé à plusieurs reprises qu'il apprécie librement le caractère esthétique d'une construction lorsque, d'une part, il a lui-même procédé à un transport sur place et que, d'autre part, il a affaire à des préavis divergents, ou lorsque les préavis sont empreints d'éléments subjectifs sortant du cadre de la seule appréciation de l'impact d'une construction dans le site, auquel cas ceux-ci doivent être écartés du débat (ATA/125/2008 du 18 mars 2008).

En l'espèce, le préavis négatif de la CMNS a été suivi tant par le DCTI que par la commission. Il se fonde, selon les termes utilisés, sur une pratique constante de la CMNS refusant, par principe, les ouvertures en deuxième registre, depuis 1983.

A cet égard, il faut relever que des ouvertures identiques à celle projetées ont été autorisées en 1988 dans le bâtiment adjacent faisant partie du même ensemble protégé, la CMNS n'ayant alors émis aucune objection au sujet des ouvertures dans le toit. A cela s'ajoute que les ouvertures déjà existantes, mais bouchées par des planches, n'ont pas été prises en compte dans l'analyse de la situation concrète par la CMNS. Le DCTI s'est aligné sur le préavis de la CMNS sans s'attacher à démontrer en quoi son appréciation se justifiait. La commission en a fait de même après avoir procédé à un transport sur place lors duquel elle avait constaté des ouvertures existantes en toiture.

Ni la CMNS, ni le DCTI et encore moins la commission n'ont procédé à une étude circonstanciée du projet. Aussi le tribunal de céans examinera avec un plein pouvoir d'examen l'application des art. 89 et ss LCI, s'agissant du projet de percement d'ouvertures en deuxième registre, ce d'autant plus qu'il a lui-même procédé à un transport sur place.

5. L'unité architecturale et urbanistique des ensembles des XIXe et début du XXe siècle, situés en dehors des périmètres de protection de la Vieille-Ville et du secteur sud des anciennes fortifications (art. 89 al. 1 let. a LCI), doit être préservée.

La protection des monuments et des sites naturels ou bâtis, en particulier contre des modifications ou des adjonctions inesthétiques, répond en principe à un intérêt public (ATF 116 Ia 49 ; 115 Ia 370, consid. 3a p. 373). La question de l'enlaidissement éventuel d'un site par une construction projetée ne doit pas être résolue en fonction du sentiment subjectif de l'autorité : chaque cas doit être examiné sur la base de critères objectifs et scientifiques, tenant compte de la valeur esthétique des constructions et du paysage concernés (ATF 100 Ia 82, consid 5 p. 87).

En l'espèce, le transport sur place effectué par la juge déléguée et les pièces produites ont permis de constater que s'agissant de la toiture des bâtiments formant l'ensemble protégé, il existait des différences de forme dans les lucarnes du 5e étage. Le toit du n° 66 est percé d'ouvertures identiques à celles projetées en 2e registre au n° 64. Le n° 62 qui forme la pointe entre le boulevard de St-Georges et la rue des Savoises est pourvu d'une tourelle et d'un toit en cuivre. Le nombre de cheminées varie d'un toit à l'autre. Les jours projetés ne seront que peu visibles depuis la rue.

Le principe avancé par la CMNS, pour motiver son préavis défavorable, ne révélait pas une pratique constante de cette autorité, puisque dans le même ensemble protégé, des ouvertures ont été autorisées en 2e registre en 1988 afin de créer des appartements dans les surcombles, alors que les dispositions relatives à la protection des ensembles du XIXe et début du XXe siècle étaient déjà en vigueur, contrairement aux allégués de la Ville et du DCTI. Les art. 164A et ss aLCI, identiques aux actuels art. 89 et ss LCI sont en effet entrés en vigueur le 10 décembre 1983.

Aucun autre élément n'a été apporté à l'appui du refus de la création d'ouvertures en deuxième registre.

En conséquence, la création de jours en 2e registre dans la toiture du n° 64, de même taille et selon le même rythme que dans la toiture du n° 62, n'est pas susceptible d'altérer l'ensemble, contrairement à ce qui a été retenu par la commission. Cette remarque s'impose d'autant plus, s'agissant de la protection d'une toiture qui comporte déjà des ouvertures, moins nombreuses mais plus grandes que celles projetées, même si elles ont été obturées à une certaine époque.

Partant, le refus d'autorisation du DCTI n'est pas fondé en tant qu'il se base sur le préavis de la CMNS, qui ne le liait pas car il méconnaissait des éléments de faits essentiels.

6. Tant la commission que la Ville et le DCTI relèvent que l'habitabilité du logement à créer serait douteuse en raison d'un manque de lumière et de vues vers l'extérieur situées trop haut.

a. Concernant l'éclairage des locaux d'habitation, la réglementation prévoit que toute pièce pouvant servir à l'habitation doit être pourvue de jours ouvrant directement sur l'extérieur. La surface déterminée sur le plan de la façade par la projection de ces jours ne peut être inférieure au dixième de la surface de la pièce ni, au minimum, à 1 m2 (art. 125 al. 1 RCI).

S'agissant plus spécifiquement de l'éclairage des combles : des jours ouvrants peuvent être créés dans les combles aux conditions suivantes : a) la base de l'ouverture ne doit pas être située à plus de 1,50 m du sol ; b) le sommet de l'ouverture ne doit pas être situé à moins de 1,80 m du sol ; ce type de jour ne peut être créé que sur un toit dont la pente est égale ou supérieure à 35° ; la surface de la projection verticale de l'ouverture ne peut être inférieure au dixième de la surface de la pièce ni, au minimum, à 1 m2 (art. 130 let. a à d RCI).

b. La Ville a produit une note du service juridique LDTR demandant "la vérification de l'art. 130 RCI" et la CMNS considère que les vues sur l'extérieur ne sont pas suffisantes et situées très haut.

Il convient de relever que la CMNS n'est pas compétente pour se prononcer sur l'application des articles susmentionnés et que la note produite par la Ville n'a pas été suivie d'un préavis négatif.

En outre, les griefs soulevés en cours de procédure par le DCTI le sont tardifs. Il en va de même s'agissant de ceux de la Ville qui a rendu un préavis favorable, sous réserve de celui de la CMNS.

Il découle de ce qui précède qu'aucun élément pertinent du dossier n'indique que la règlementation spécifique ne serait pas respectée par le projet.

c. Le DCTI est tenu de se prononcer sur tous les éléments qui concernent l'autorisation (art. 3 al. 4 LCI). Il apparaît aux termes de cet article que tous les motifs susceptibles de fonder la position du département doivent apparaître dans la décision de refus de délivrer une autorisation (ATA/109/2008 du 11 mars 2008). Cette disposition vise à éviter que les instances de recours ne puissent se prononcer que sur certains aspects seulement de la demande d'autorisation de construire et que la procédure ne se prolonge (MGC 1995 12/II 1246).

En l'espèce, le refus du DCTI est fondé sur le non-respect de l'art. 89 LCI uniquement.

Aucun élément du dossier ne vient conforter la position des intimés et, en conséquence, leur grief doit être écarté.

7. Il découle de ce qui précède que le recours est bien fondé et que la décision de la commission, confirmant le refus d'autorisation doit être annulée et le dossier renvoyé au DCTI pour délivrance de l'autorisation de construire sollicitée.

8. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge conjointe et solidaire du DCTI et de la Ville. Une indemnité de procédure d'un montant de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante à la charge conjointe et solidaire de l'Etat de Genève et de la Ville (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 octobre 2008 par Patrim Investissements S.A. contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 28 août 2008 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions précitée et celle du département des constructions et des technologies de l'information du 3 avril 2008 ;

renvoie le dossier au département des constructions et des technologies de l'information pour qu'il délivre l'autorisation demandée ;

met à la charge du département des constructions et des technologies de l'information et de la Ville de Genève, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à Patrim Investissements S.A. une indemnité de CHF 1'500.- à la charge de l'Etat de Genève et de la Ville de Genève, pris conjointement et solidairement ;

dit que, conformément aux art. 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian Buonomo, avocat de la recourante ainsi qu'au département des constructions et des technologies de l'information, à la commission cantonale de recours en matière administrative et à la Ville de Genève.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Thélin, Mmes Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :