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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/677/2017

ATA/463/2018 du 08.05.2018 sur JTAPI/366/2017 ( ICCIFD ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/677/2017-ICCIFD ATA/463/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 mai 2018

4ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 avril 2017 (JTAPI/366/2017)


EN FAIT

1) Par jugement du 7 avril 2017, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), a déclaré irrecevable le recours interjeté le 23 février 2017 par Monsieur A______, représenté par son frère Monsieur B______, domicilié en France, contre les décisions du 26 janvier 2017 de l’administration fiscale cantonale déclarant irrecevable sa réclamation du 15 novembre 2016 contre sa taxation d’office pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) 2015 et pour l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) 2015.

M. A______ n’avait pas versé dans le délai, fixé au 30 mars 2017, l’avance de frais qui lui avait été demandée par pli recommandé du 28 février 2017, mentionnant les conséquences d’un défaut de paiement, soit l’irrecevabilité du recours. Ce courrier avait été distribué le 3 mars 2017 à son destinataire.

2) Le 6 mai 2017, M. B______ a recouru au nom de son frère auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement susmentionné.

M. A______ était hospitalisé depuis plus neuf mois et n’était pas en mesure de s’occuper de ses affaires. C’est pourquoi lui-même avait recouru en son nom auprès du TAPI, qui lui avait adressé plusieurs demandes auxquelles il n’avait pu donner suite complètement et dans les délais. Son frère n’était pas sous curatelle, de sorte qu’il rencontrait de nombreuses difficultés pour obtenir les réponses utiles. Il souhaitait que son frère soit taxé comme étudiant et non comme salarié.

3) Le 12 mai 2017, le recours a été transmis pour information à l’AFC-GE.

4) Le 15 mai 2017, le TAPI a transmis son dossier, sans observations.

5) Le 15 mars 2018, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties à laquelle M. A______ a fait défaut.

La représentante de l’AFC-GE a indiqué que cette autorité allait examiner quelle mesure elle pouvait ou souhaitait reprendre la procédure au stade de la réception du premier courrier du frère de M. A______, au vu de l’ensemble des circonstances de ce cas particulier.

6) Le 9 avril 2018, l’AFC-GE a informé la chambre administrative qu’après réexamen du dossier, et en rappelant préalablement que sa taxation d’office initiale était fondée, elle accepterait, au vu des circonstances extraordinaires invoquées par le frère de M. A______ et à titre tout à fait exceptionnel, d’annuler et de remplacer sa décision sur réclamation en procédant à une nouvelle taxation pour l’ICC et l’IFD 2015, à la condition expresse que M. A______ lui remette finalement sa déclaration fiscale 2015 dûment remplie. La taxation ne pourrait être rectifiée qu’après réception de cette déclaration. À défaut, elle serait contrainte de rendre une nouvelle décision sur réclamation maintenant la taxation d’office.

7) Le 11 avril 2018, le courrier susmentionné a été transmis à M. A______ et les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Le recours est recevable sous ces aspects.

2) Les parties, à moins qu’elles ne doivent agir personnellement ou que l’urgence ne le permette pas, peuvent se faire représenter par un conjoint, un ascendant ou un descendant majeur, respectivement par un avocat ou par un autre mandataire professionnellement qualifié (ci-après : MPQ) pour la cause dont il s’agit (art. 9 al. 1 LPA).

a. Par cette disposition, reprise de la loi genevoise instituant un code de procédure administrative du 6 décembre 1968, le législateur cantonal a manifesté son intention de ne pas réserver le monopole de représentation aux avocats en matière administrative, dans la mesure où un nombre important de recours exige moins de connaissances juridiques que de qualifications techniques. L’art. 9 LPA n’a pas pour but de permettre la représentation et l’assistance des parties par tout juriste qui n’est pas titulaire du brevet d’avocat, mais repose sur le constat que certaines personnes, qui ont des qualifications techniques dans certains domaines, comme les architectes ou les comptables, sont à même de représenter avec compétence leur client dans le cadre de procédures administratives, tant contentieuses que non contentieuses (Mémorial des séances du Grand Conseil 1968, p. 3027 ; ATA/558/2015 du 2 juin 2015 consid. 2 et les références citées).

L’aptitude à agir comme MPQ doit être examinée de cas en cas, au regard de la cause dont il s’agit, ainsi que de la formation et de la pratique de celui qui entend représenter une partie à la procédure. Il convient de se montrer exigeant quant à la preuve de la qualification requise d’un mandataire aux fins de représenter une partie, dans l’intérêt bien compris de celle-ci et de la bonne administration de la justice, surtout en procédure contentieuse (ATF 125 I 166 consid. 2b/bb p. 169 ; ATA/558/2015 précité). Pour recevoir cette qualification, le mandataire doit disposer de connaissances suffisantes dans le domaine du droit dans lequel il prétend être à même de représenter une partie (ATA/558/2015 précité).

b. En l’espèce, par courrier du 15 novembre 2016 le frère du recourant a indiqué que ce dernier, hospitalisé à l’étranger, n’avait pas été et ne serait pas en mesure de s’occuper de sa taxation pour six semaines au moins. Il demandait, en substance, que la procédure soit suspendue.

L’AFC-GE a traité ce courrier comme une réclamation ordinaire et l’a rejetée le 26 janvier 2017, sans interpeller son auteur sur sa qualification à représenter son frère. Quand bien même, en raison des circonstances particulières évoquées dans le courrier du 15 novembre 2016, l’AFC-GE a justement sauvegardé les droits du contribuable en enregistrant la réclamation, elle aurait cependant dû attirer l’attention du contribuable sur les exigences posées par l’art. 9 al. 1 LPA en matière de représentation.

Le TAPI n’a pas davantage vérifié la qualification du frère du contribuable et l’a enregistré formellement comme représentant avec domicile en France, lorsqu’il a reçu le courrier du 23 février 2017. Pourtant, le contenu de ce courrier était de nature à susciter des doutes sérieux sur les connaissances techniques de son auteur en matière fiscale et procédurale. Cela ressort d’ailleurs de la demande de compléments que le TAPI lui a adressée le 28 février 2017, où le recourant est prié de lui faire savoir s’il entendait bien recourir vu le contenu peu clair de son acte, de transmettre une procuration écrite du contribuable, de communiquer une adresse de notification en Suisse, de compléter son recours conformément aux exigences légales en matière de recevabilité, en sus de verser l’avance de frais. En tout état, vu la réponse du frère du recourant du 5 avril 2017, expédiée au-delà des délais impartis par le TAPI, dans laquelle il exposait les difficultés auxquelles il se heurtait pour donner suite aux demandes de cette juridiction et dont il ressortait que le contribuable, désormais à l’AI, était hospitalisé dans un service de psychiatrie des hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), il n’était plus possible de considérer sans autre que l’on avait affaire avec un justiciable pleinement apte à agir et valablement représenté, n’ayant simplement pas versé en temps utile l’avance de frais nécessaire.

c. La validité de la représentation du recourant par son frère ayant été néanmoins admise par la juridiction de première instance, ce dernier a recouru auprès de la chambre de céans, alors même que sa qualité de MPQ n’a pas été vérifiée et encore moins établie.

En application du principe de la bonne foi, qui protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'autorité (ATF 137 II 182 consid. 3.6.3 ; 137 I 69 consid. 2.5.1), la chambre de céans renoncera toutefois à trancher cette question à ce stade de la procédure, dès lors qu’elle n’a jamais été évoquée auparavant et admettra la recevabilité du recours.

3) a. Selon l’art. 86 LPA, la juridiction saisie invite le recourant à payer une avance de frais destinée à couvrir les frais et émoluments de procédure présumables. À cette fin, elle lui fixe un délai suffisant (al. 1).

b. En cas de non-paiement de l’avance de frais dans le délai imparti, le recours est déclaré irrecevable (art. 86 al. 2 LPA). À rigueur de texte, cette disposition ne laisse aucune place à des circonstances extraordinaires qui justifieraient que l’avance de frais n’intervienne pas dans le délai imparti. La référence au « délai suffisant » de l’art. 86 al. 1 LPA laisse une certaine marge d’appréciation à l’autorité judiciaire saisie dans la fixation du délai (ATA/916/2015 précité consid. 2c ; ATA/881/2010 du 14 décembre 2010 consid. 4a), voire de sa prolongation mais seulement lorsqu’une telle requête intervient avant son échéance et qu’elle est justifiée (art. 16 al. 2 LPA).

c. L’inobservation d’un délai imparti par le juge peut cependant faire l’objet d’une restitution si l’administré ou son mandataire a été empêché d’agir sans sa faute (art. 16 al. 3 LPA). Selon la jurisprudence, il convient d’appliquer par analogie la notion de cas de force majeure de l’art. 16 al. 1 LPA afin d’examiner si l’intéressé a été empêché sans sa faute de verser l’avance de frais dans le délai fixé (ATA/916/2015 précité consid. 2c et la jurisprudence citée). Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de façon irrésistible (ATA/916/2015 précité consid 2c ; ATA/378/2014 du 20 mai 2014 consid. 3d  et les références citées).

Pour établir l'existence d'un cas de force majeure, le fardeau de la preuve incombe à celui qui s’en prévaut (ATA/544/2013 du 27 août 2013 et les références citées). Les conditions pour admettre un empêchement sont très strictes. Ce dernier doit être imprévisible et sa survenance ne doit pas être imputable à une faute de l'administré (arrêt du Tribunal fédéral 2P.259/2006 du 18 avril 2007 consid. 3.2 et la jurisprudence citée ; ATA/735/2015 du 14 juillet 2015 consid. 3b et la jurisprudence citée), partant de son représentant. Il doit être de nature telle que le respect des délais aurait exigé la prise de dispositions que l'on ne peut raisonnablement attendre de la part d'un homme d'affaires avisé (ATA/544/2013 précité ; ATA/397/2013 du 25 juin 2013 consid. 9 et les références citées).

4) En l’espèce, l’avance de frais n’a pas été versée à l’échéance fixée par le TAPI, alors même que le délai à disposition du recourant pour la régler, soit près de quatre semaines, était raisonnable (ATA/291/2018 du 27 mars 2018 consid.6), de sorte que le recours pouvait être déclaré irrecevable en application de l’art. 86 al. 2 LPA.

5) Il reste à examiner si le recourant peut se prévaloir d’un cas de force majeure autorisant une restitution de délai.

Au vu des circonstances ressortant du dossier, à savoir que le recourant a subi, alors qu’il était au Japon, une atteinte dans sa santé suffisamment grave pour imposer une hospitalisation de plusieurs mois au Japon d’abord puis d’une prise en charge hospitalière Genève dès son retour, avec la précision qu’au printemps 2017, il était à l’AI et encore traité au sein d’un service de psychiatrie HUG, une situation de force majeure doit être envisagée. La question de la restitution de délai souffrira toutefois de demeurer indécise.

En effet, l’AFC-GE a accepté, pour les motifs invoqués dans son courrier du 9 avril 2018, d’annuler et remplacer sa décision sur réclamation en procédant à une nouvelle taxation ICC et IFD 2015, à la condition que le contribuable remette sa déclaration 2015 dûment remplie, seule cette remise permettant une rectification de la taxation.

Il sera donné acte à l’AFC-GE de son intention de procéder à un nouvel examen de la situation du recourant, donnant à ce dernier une seconde occasion de faire valoir son argumentation. Il appartiendra à ce dernier de s’organiser pour être en mesure de donner suite en temps utile, directement ou par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un représentant disposant de connaissances établies en matière fiscale, aux sollicitations de l’AFC-GE, voire d’un curateur désigné par le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant, cette autorité pouvant être saisie par le frère du recourant.

Au vu de ce qui précède, le jugement du TAPI sera annulé et la cause renvoyée à l’AFC-GE pour nouvelles décisions relatives aux taxations ICC et IFD 2015.

6) Vu l’issue du litige et les motifs y ayant conduit, aucun émolument ne sera perçu et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 mai 2017 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 avril 2017 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 avril 2017 ;

donne acte à l’administration fiscale cantonale de ce qu’elle accepte d’annuler et remplacer les décisions sur réclamation du 26 janvier 2017 concernant la taxation d’office de Monsieur A______ pour les impôts cantonaux et communaux 2015 et pour l’impôt fédéral direct 2015 à condition que celui-ci lui remette sa déclaration 2015 dûment remplie ;

renvoie la cause à l’administration fiscale cantonale pour nouvelles décisions ;

dit qu’il ne sera pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, à l'administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance, et pour information, vu les circonstances particulières du cas d’espèce, au frère du recourant.

Siégeant : Mme Junod, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

K. De Lucia

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

 

 

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :