Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/87/2011

ATA/383/2011 du 21.06.2011 ( PROF ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 25.08.2011, rendu le 20.02.2012, ADMIS, 2C_642/2011, T 55/10
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/87/2011-PROF ATA/383/2011

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 juin 2011

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur L______
représenté par Me Dominique Warluzel, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU

et

Monsieur P______
et
Monsieur E______

représentés par Me Jean-Marie Crettaz, avocat

 



EN FAIT

1. Le 13 décembre 2010, la commission du barreau (ci-après : la commission) a adressé à Monsieur L______ la décision qu’elle avait rendue le 6 décembre précédent, suite à la dénonciation dont celui-ci l’avait saisie le 7 septembre 2010.

La commission concluait à l’absence de conflit d’intérêts de la part de Messieurs P______ et E______, avocats, dans le cadre de la procédure pénale n° ______ concernant X______, procédure dans laquelle M. L______ était accusé. La commission a constaté l’absence de tout manquement disciplinaire de la part des deux avocats mis en cause. Elle a notifié sa décision aux intéressés, par pli recommandé, ainsi qu’au dénonciateur, par pli simple, conformément à l’art. 48 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10).

2. Le 12 janvier 2011, M. L______ a recouru auprès du Tribunal administratif (recte : chambre administrative de la section administrative de la Cour de justice ; ci-après : la chambre). Il a conclu à l’annulation de la décision précitée et à ce qu’il soit ordonné à MM. P______ et E______ de cesser de représenter, avec effet immédiat, X______ dans la procédure n° ______.

3. La commission a déposé son dossier le 3 février 2011 et conclu à l’irrecevabilité du recours. Le recourant n’était intervenu que comme auxiliaire de l’autorité en déclenchant la procédure devant la commission. Il ne disposait pas de la qualité de partie. La décision du 6 décembre 2010 ne lui avait été communiquée qu’à titre informatif, en sa qualité de dénonciateur. La mention de la voie de recours qu’elle contenait ne s’adressait qu’aux avocats visés par la dénonciation, seuls destinataires de la décision.

4. Le 10 février 2011, le recourant a requis de pouvoir répliquer sur la question de la recevabilité du recours. Par télécopie du même jour, il a présenté au greffe de la chambre une demande d’accès à divers arrêts du Tribunal administratif et de la chambre mentionnés dans l’écriture de la commission.

5. Les intimés ont conclu le 11 février 2011 principalement à l’irrecevabilité du recours et très subsidiairement à son rejet, sous suite de frais et dépens.

6. Le 15 février 2011, le greffe de la chambre a informé le recourant que les arrêts dont il souhaitait prendre connaissance étaient disponibles sur le site internet du pouvoir judiciaire genevois.

7. Le recourant a répliqué et maintenu ses conclusions le 15 mars 2011. La commission et les intimés confondaient qualité de partie et qualité pour recourir. Si, à teneur des arrêts cités par la commission, le droit de recourir avait été systématiquement nié s’agissant du dénonciateur, ce n’était qu’au motif que ce dernier n’avait aucun intérêt personnel digne de protection à ce qu’une sanction fût prononcée ou non. Cette jurisprudence ne lui était pas applicable. En effet celui-ci, en tant que partie à une procédure pénale, disposait bien d’un intérêt digne de protection à ce que les deux avocats visés par sa dénonciation fussent invités à se déporter.

8. Le 6 avril 2011, la commission a persisté dans les termes de sa décision et de sa détermination du 3 février 2011.

9. Les intimés ont dupliqué le 15 avril 2011 et maintenu leurs conclusions. A cette occasion, M. P______ a précisé avoir, en raison d’une retraite partielle, renoncé à défendre X______ dans le cadre de la procédure litigieuse.

10. Le 19 avril 2011, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Formé le 12 janvier 2011 contre la décision de la commission du barreau communiquée au dénonciateur le 13 décembre 2010, le recours a été interjeté auprès de la juridiction compétente dans le délai légal (art. 132 al. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. A teneur de l’art. 48 LPAv, si la procédure devant la commission a été ouverte sur une dénonciation, l’auteur de cette dernière est avisé de la suite qui y a été donnée. Il n’a pas accès au dossier. La commission lui communique la sanction infligée et décide dans chaque cas de la mesure dans laquelle il se justifie de lui donner connaissance des considérants.

Quand bien même la décision attaquée, telle qu’elle a été transmise à M. L______, indique la voie de recours au Tribunal administratif - soit la chambre depuis le 1er janvier 2011 -, il convient d’examiner si l’intéressé, qui a agi comme dénonciateur, possède la qualité pour recourir.

3. a. Chacun peut attirer l’attention d’une autorité de surveillance sur un état de fait et lui demander de prendre une mesure (P. MOOR/E. POLTIER, Droit administratif, vol. II : Les actes administratifs et leur contrôle, 3ème éd., Berne 2011, p. 616). Le dénonciateur ne saurait toutefois exiger que l’autorité entre en matière, respecte à son égard le droit d’être entendu ou lui notifie la décision qu’elle prendra. En principe, il n’a pas le droit de recourir contre une décision prise en vertu du pouvoir de surveillance de l’Etat (ATF 102 Ib 81 consid. 3 p. 84-85 ; 100 Ib 445 consid. 4 p. 452 ; 98 Ib 53 consid. 3 p. 60 ; 84 I 83 consid. 2 p. 86 ; ATA/219/2001 du 27 mars 2001 consid. 4 ; ATA/165/1998 du 24 mars 1998 consid. 4a et les autres références citées ; A. GRISEL, Pouvoir de surveillance et recours de droit administratif, ZBl. 1973, pp. 54 et 57).

b. Même si le dénonciateur dispose d’un certain droit à l’information, il n’a en revanche jamais la qualité de partie à la procédure et le refus de donner suite à une dénonciation ne peut faire l’objet d’un recours (ATF 120 Ib 351 consid. 5 p. 358-359 ; ATA/104/1998 du 4 mars 1998 consid. 3b ; MOOR/POLTIER, op. cit., p. 282, 616 et 730 ; B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 129 ; G. BOINAY, Le droit disciplinaire dans la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse romande, RJJ 1998, p. 79 ; F. GYGI, Bundesverwaltungsrechtspflege, Berne 1983, p. 221 n° 3).

c. Selon la jurisprudence genevoise, notamment en matière de surveillance des avocats, des notaires et des personnes exerçant des professions de la santé, le dénonciateur ne dispose pas de la qualité de partie contre la décision d’une commission de surveillance (ATA/219/2001 précité, ATA/43/2000 du 25 janvier 2000 consid. 3b). Celui qui introduit une telle procédure ne possède aucun droit à une décision de sorte que, s’il n’y est pas donné suite, il n’est pas atteint dans ses intérêts personnels. Le fait que la décision de la commission soit susceptible d’avoir une incidence sur une procédure à laquelle le dénonciateur est partie ne permet pas non plus de considérer que celui-ci est directement touché dans ses droits et obligations (ATA H. du 2 mars 1988, publié in SJ 1989, p. 412). Certes, le Tribunal administratif avait reconnu précédemment la qualité pour agir au dénonciateur qui avait subi un préjudice dans ses intérêts patrimoniaux (ATA M. du 14 mars 1979, publié in RDAF 1981, p. 345 consid. 4 in fine, p. 349). La jurisprudence ultérieure s’est toutefois expressément distancée de cette décision et n’entend pas y revenir, comme cela a été affirmé à plusieurs reprises au cours de ces dernières années (ATA/15/2011 du 11 janvier 2011 consid. 3 ; ATA/49/2002 du 22 janvier 2002 consid. 4 et les autres références citées).

Par conséquent, le refus de donner suite à une dénonciation ne peut faire l’objet d’aucun recours, puisque le dénonciateur n’agit dans ce cadre que comme auxiliaire de l’autorité en déclenchant la procédure (ATF 135 II 145 consid. 6.1 p. 151 ; 133 II 468 consid. 2 p. 471 ; 132 II 250 consid. 4.2 p. 254 ; ATA/15/2011 du 11 janvier 2011 consid. 3 ; ATA/12/2007 du 16 janvier 2007 consid. 4).

d. Le recourant fait valoir l’existence d’un intérêt digne de protection à recourir contre la décision de la commission en raison de son implication dans la procédure pénale concernant X______. Les éléments sur lesquels il s’appuie sont toutefois insuffisants pour fonder sa qualité pour agir.

D’une part, la jurisprudence développée en la matière s’appuie sur une casuistique fédérale et cantonale soutenue et confirmée récemment encore, ainsi qu’en témoignent les références indiquées ci-dessus. D’autre part, la doctrine souligne elle aussi l’absence de qualité de partie du dénonciateur dans le cadre d’une procédure disciplinaire (MOOR/POLTIER, op. cit., p. 617 ; F. BOHNET/V. MARTENET, Droit de la profession d’avocat, Berne 2009, p. 867 et 873s. ; C. REISER, La Commission du barreau et la surveillance des avocats sous l’angle de la LLCA et de la LPAv/GE, SJ 2007 II, p. 251). En particulier, le caractère direct de l’atteinte requis par l’exigence de l’intérêt personnel digne de protection fait précisément défaut lorsque le dénonciateur est lui-même partie à une procédure de nature civile ou pénale (T. TANQUEREL, Les tiers dans les procédures disciplinaires, in Les tiers dans la procédure administrative, Zurich 2004, p. 108 ; BOHNET/MARTENET, op. cit., p. 871).

4. a. En conséquence, le recours sera déclaré irrecevable.

b. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée aux intimés, à la charge du recourant (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 12 janvier 2011 par Monsieur L______ contre la décision de la commission du barreau du 6 décembre 2010 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Monsieur L______ ;

alloue une indemnité de CHF 1'500.- en faveur de Monsieur P______ et de Monsieur E______ à la charge de Monsieur L______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dominique Warluzel, avocat du recourant, à Me Jean-Marie Crettaz, avocat des intimés, ainsi qu’à la commission du barreau.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Hurni, juge, M. Hottelier, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :