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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3865/2014

ATA/364/2017 du 28.03.2017 sur JTAPI/1199/2015 ( ICCIFD ) , REJETE

Recours TF déposé le 19.05.2017, rendu le 06.03.2018, PARTIELMNT ADMIS, 2C_470/2017
Descripteurs : DROIT FISCAL ; IMPÔT ; IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL ; IMPÔT FÉDÉRAL DIRECT ; IMPÔT SUR LE REVENU ; TAXATION CONSÉCUTIVE À UNE PROCÉDURE ; SOCIÉTÉ ANONYME ; ACTIONNAIRE ; PRESTATION APPRÉCIABLE EN ARGENT; TIERS
Normes : LIPP.72.al1 ; LIFD.20.al1.letc ; LIFD.58.al1.letb ; LIPP.22.al1.letc ; LIPM.12.al1.leth
Résumé : Prêt octroyé par une société anonyme à son administrateur unique, et représentant 99 % des actifs de la société. L'administrateur unique et l'actionnaire unique de la société sont mariés, mais séparés de fait depuis 1990. Prêt qualifié de prestation appréciable en argent par l'administration fiscale cantonale (qualification non contestée) et intégré dans les revenus imposables de l'actionnaire unique en application de la théorie du triangle. Recours de l'actionnaire rejeté par la chambre administrative : c'est uniquement en raison des liens entre la recourante et son conjoint qu'a eu lieu l'opération litigieuse. Cela justifie l'application de la théorie du triangle.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3865/2014-ICCIFD ATA/364/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 mars 2017

4ème section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 octobre 2015 (JTAPI/1199/2015)


EN FAIT

1) Le présent litige porte sur l'année fiscale 2009.

2) B______ SA (ci-après : B______ SA), actuellement en liquidation, est une société anonyme de droit suisse, inscrite au registre du commerce le 17 décembre 1996, dont le but social était « achat, vente, courtage, régie d'immeubles et accessoirement gestion de fortunes, exploitation d'un portefeuille d'assurances ainsi que remise des commerces ».

3) Madame A______ en était l'actionnaire unique.

4) Son mari, Monsieur A______, en était l'unique administrateur depuis sa fondation, et en est devenu le liquidateur unique depuis le 1er juin 2010, soit le lendemain de la décision de l'assemblée générale prononçant sa dissolution. À teneur du registre du commerce, il a toujours disposé de la signature individuelle.

5) À teneur du registre cantonal de la population, Mme A______ vit séparée de son mari depuis le 15 novembre 1990.

6) Par bordereaux de taxation datés du 28 janvier 2011, l'administration fiscale cantonale (ci-après : l'AFC-GE) a taxé Mme A______ pour l'année fiscale 2009.

L'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) était fixé à CHF 116'682.40 sur la base d'un revenu imposable de CHF 102'798.-, au taux de CHF 102'782.-, et d'une fortune imposable de CHF 8'814'833.-, au taux de CHF 8'838'207.-. L'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) était fixé à CHF 7'958,30, étant calculé sur un revenu imposable de CHF 148'600.-, au taux de CHF 149'800.-.

7) Par réclamation du 10 février 2011, la contribuable a contesté la valeur des actions de B______ SA retenue par l'AFC-GE, à savoir CHF 2'988'000.-.

Ce montant ne correspondait pas à la réalité, la société étant insolvable. La valeur des actions de cette société était nulle, raison pour laquelle elle avait mentionné le montant de CHF 1.- dans sa déclaration.

8) Par courrier recommandé du 22 février 2013, le service du contrôle de l'AFC-GE a informé la contribuable de l'ouverture d'une procédure en tentative de soustraction pour l'année 2009.

Dans le cadre de la réclamation du 10 février 2011, l'AFC-GE avait procédé à un nouvel examen du dossier pour tenir compte des éléments ressortant de la taxation 2009 de B______ SA, dont elle était l'actionnaire unique. Cette société avait amorti dans ses comptes un prêt de CHF 3'948'254.- en faveur d'un proche, soit M. A______. Non admis fiscalement, ce prêt simulé constituait une prestation appréciable en argent imposable auprès de l'actionnaire. En conséquence, la taxation 2009 de la contribuable serait rectifiée en sa défaveur pour un montant de CHF 2'368'952.-, représentant 60 % de la prestation totale de CHF 3'948'254.-. Un délai lui était accordé pour formuler d'éventuelles observations.

9) La contribuable a répondu sous la plume de son mandataire le 19 avril 2013.

Elle était séparée de son époux depuis de nombreuses années. Celui-ci, en tant qu'administrateur unique, gérait la société sous sa seule responsabilité. Ce « prêt » devait en réalité être défini comme un compte courant ouvert auprès de B______ SA au nom de son administrateur unique. Au fil des ans, ce dernier avait prélevé l'intégralité des disponibilités de la société. Sa situation financière s'étant dégradée dans l'intervalle, des saisies infructueuses à son égard avaient abouti à la délivrance d'actes de défaut de biens. Conformément aux obligations légales régissant la comptabilité des sociétés anonymes, B______ SA avait donc dû procéder à l'amortissement complet de ce compte courant lors du bouclement de son bilan 2009. N'étant elle-même jamais intervenue dans la gestion de B______ SA, Mme A______ contestait toute tentative de dissimulation. Son mari avait agi seul, sans aucune intervention ni influence de l'actionnaire.

10) Par lettre recommandée du 10 mai 2013 l'AFC-GE a confirmé son intention de rectifier en défaveur de la contribuable sa taxation 2009, et d'effectuer une reprise de CHF 2'368'952.- (60 % de CHF 3'948'254.-) en tant que rendement de participation.

B______ SA appartenait à Mme A______, aussi cette dernière se devait d'avoir un regard sur les comptes de la société. Le prêt, accordé à l'époux sans contrat, ni modalités de remboursement, ni garantie, n'avait été possible que parce qu'il s'agissait d'une personne proche de l'actionnaire. Toutefois, compte tenu des circonstances, l'AFC-GE ne retenait plus le caractère intentionnel de l'infraction et mettait ainsi un terme à la procédure de tentative de soustraction. Un nouveau délai était accordé à la contribuable pour formuler d'éventuelles observations.

11) La contribuable s'est déterminée par courrier du 27 juin 2013.

Elle prenait acte que l'AFC-GE clôturerait la procédure de tentative de soustraction.

Elle contestait toutefois le principe de la taxation auprès d'elle des prélèvements opérés par l'administrateur de B______ SA. Même si elle ne contestait pas qu'un actionnaire se devait d'avoir un regard sur les comptes de la société, elle s'opposait à la reprise que l'AFC-GE s'apprêtait à effectuer sur sa taxation 2009, dès lors qu'elle n'avait pas bénéficié, ni directement, ni indirectement, de ces prélèvements. Son époux avait agi à son insu dans le cadre de sa fonction d'administrateur unique.

12) Par lettre recommandée du 15 septembre 2014, l'AFC-GE a informé la contribuable que la procédure pour tentative de soustraction était terminée, sans amende, pour l'année 2009.

13) Par décision sur réclamation du 17 novembre 2014, l'AFC-GE a admis sa réclamation du 11 février 2011, l'estimation de B______ SA étant établie à CHF 0.-. Elle lui a également remis des bordereaux rectificatifs pour l'ICC et l'IFD 2009, modifiant et complétant son imposition.

L'ICC 2009 était fixé à CHF 847'185.40 sur la base d'un revenu imposable de CHF 2'472'118.-, au taux de CHF 2'471'735.-, et d'une fortune imposable de CHF 5'837'122.-, au taux de CHF 5'850'207.-.

L'IFD 2009 était fixé à CHF 289'558,50 sur la base d'un revenu imposable de CHF 2'517'900.-, au taux de CHF 2'518'700.-.

Les avis de taxation joints à ces bordereaux précisaient : « Service du contrôle : Conformément à nos courriers des 22 février et 10 mai 2013, le rendement de participation de CHF 3'948'254.- (imposable à 60 %) est ajouté à votre état des titres ».

14) Par acte du 15 décembre 2014, Mme A______ a recouru, sous la plume de son mandataire, contre ladite décision sur réclamation auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI), concluant à son annulation et à ce que de nouveaux bordereaux de taxation ICC et IFD 2009, ne prenant pas en compte le prêt octroyé à son époux, soient établis.

Dans un grief d'ordre formel, elle reprochait à l'AFC-GE d'avoir procédé à une reformatio in pejus des bordereaux de taxation 2009 sans lui avoir donné la possibilité d'être entendue formellement à ce propos. Ce vice de forme justifiait l'annulation des bordereaux de taxation litigieux.

Sur le fond, elle maintenait que M. A______ avait agi totalement à son insu en tant qu'administrateur (elle avait appris après coup que son époux avait utilisé la somme de CHF 3'948'969.37 pour rembourser ou dédommager un certain nombre de créanciers qui lui avaient fait confiance en investissant dans ses promotions immobilières), et qu'elle ne pouvait être considérée comme responsable et fiscalement bénéficiaire d'une prestation appréciable en argent en faveur de l'actionnaire. Elle n'exerçait aucun pouvoir de gestion dans la société et n'avait perçu aucun revenu du fait de ce prêt.

Si elle n'avait pas agi judiciairement contre son mari ou ne l'avait pas démis de ses fonctions d'administrateur / liquidateur, c'était en raison de l'inanité du résultat d'une telle démarche (son époux était insolvable) et parce qu'il demeurait le père de ses enfants. Cette renonciation ne pouvait être considérée par l'AFC-GE comme une preuve de sa complicité quant aux agissements de son époux. L'absence d'amende pour soustraction ou tentative de soustraction constituait un indice important à cet égard.

15) Dans sa réponse du 17 avril 2015, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La contribuable avait été informée de la reformatio in pejus et avait pu s'exprimer sur ce point, de sorte que son droit d'être entendu avait été respecté.

Sur le fond, en vertu de la théorie du triangle, il fallait considérer que l'époux de la contribuable, bénéficiaire de la prestation appréciable en argent, était un proche de l'actionnaire, même si cette dernière alléguait n'avoir plus de lien avec lui et ignorer ses agissements. En tant qu'actionnaire unique, Mme A______ se devait d'avoir un regard sur les comptes de la société. Elle avait commis une faute par négligence pour n'avoir jamais contrôlé l'activité de son mari administrateur, ni pris de mesure à son encontre après avoir eu connaissance de ses détournements de fonds. Si l'administrateur avait été un tiers, et même si les chances de succès pouvaient sembler incertaines, elle n'aurait pas renoncé à agir contre lui face à des actes d'une telle gravité. Son absence de réaction s'expliquait ainsi par le fait que l'administrateur était une personne proche.

Enfin, si l'AFC-GE avait clôturé sans amende la procédure en tentative de soustraction, ce n'était pas parce que la contribuable n'avait commis aucune faute, mais parce que l'amende ne pouvait être infligée que si l'intention de soustraire était démontrée.

16) Par réplique du 28 mai 2015, Mme A______ a persisté dans les conclusions de son recours.

Elle avait été victime d'un double dommage, à savoir le dommage lié à l'appauvrissement de sa société, et le dommage relatif à l'imposition dont elle faisait l'objet sur un montant qu'elle n'avait jamais perçu.

En l'espèce, il convenait d'appliquer la théorie du bénéficiaire direct en lieu et place de la théorie du triangle, et d'imposer son époux pour cette prestation appréciable en argent.

17) Par courrier du 24 juin 2015, l'AFC-GE a persisté dans ses conclusions.

18) Par jugement du 12 octobre 2015, le TAPI a rejeté le recours de Mme A______.

Le droit d'être entendu de la recourante avait été respecté, l'AFC-GE l'ayant clairement avisée, par deux courriers recommandés, qu'elle procéderait à une reprise d'un montant de CHF 2'368'952.- (correspondant à 60% de CHF 3'948'254.-), et lui a accordé un délai pour formuler d'éventuelles observations.

Sur le fond, la recourante et son époux, malgré leur séparation, avaient continué à entretenir des liens plus ou moins étroits, ayant fondé B______ SA six ans après leur séparation, et étant respectivement actionnaire unique et administrateur unique de celle-ci. Le prêt litigieux était inhabituel en tant qu'il représentait 99 % des actifs de la société, ce dont la recourante pouvait aisément s'apercevoir lors de l'assemblée générale. Ce prêt n'avait pour le surplus pas été accordé sur la base d'un contrat écrit, en échange de sûretés et selon un plan de remboursement. Enfin, la recourante, actionnaire unique, avait renoncé à faire valoir des prétentions en restitution ou en dommages-intérêts contre son époux, qui était non seulement resté administrateur jusqu'à la dissolution de la société, mais qui en était même devenu le liquidateur par la suite. Il apparaissait donc manifeste que ce n'était qu'en raison des liens existant entre la recourante et son mari que celui-ci avait pu bénéficier de la somme de CHF 3'948'254.-. En vertu de la théorie du triangle, ce montant constituait un avantage appréciable en argent, imposable à 60 %. C'était dès lors à bon droit que l'AFC-GE avait procédé à la reprise de CHF 2'368'952.-, ce montant devant être réintégré dans le revenu imposable de la recourante sur l'année fiscale 2009.

19) Par acte du 23 octobre 2015, Mme A______ a formé recours, sous la plume de son mandataire, à l'encontre du jugement précité auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à ce que « la théorie du triangle soit déclarée inapplicable en l'espèce », à ce que le jugement du TAPI soit cassé, et qu'elle soit « libérée de la taxation ICC notifiée pour un montant de CHF 847'185.40, et de la taxation IFD pour un montant de CHF 289'558.50 », à ce que le dossier soit renvoyé à l'AFC-GE pour une nouvelle taxation dans le cadre de l'exercice 2009, et à ce qu'une contribution équitable lui soit allouée en tant qu'elle avait fait appel à un mandataire professionnellement qualifié.

En sa qualité d'actionnaire unique, la recourante n'avait jamais accordé, ni même cautionné, le prêt à caractère insolite effectué par B______ SA en faveur de M. A______. Ce dernier l'avait mise devant le fait accompli, alors qu'il était déjà trop tard. La recourante se trouvait ainsi dans la position de victime, dépossédée d'une partie de ses biens, et non dans celle de quelqu'un ayant participé à l'octroi d'un avantage indu en faveur d'un soi-disant proche.

Or, la théorie du triangle, appliquée par l'AFC-GE et le TAPI, supposait l'existence d'un accord tacite ou écrit de caractère insolite entre trois acteurs, à savoir une société, un organe de cette société et un bénéficiaire. Dans le cas d'espèce, la recourante contestait avoir fait partie de ce triangle, l'administrateur unique de la société ayant agi « dans son dos ».

Lorsqu'elle avait constaté l'existence de ce prêt, soit à l'assemblée générale suivante, M. A______ s'était déjà délesté de l'argent pour rembourser un certain nombre de créanciers personnels. Ainsi, toute tentative de recouvrement n'aurait eu pour conséquence que d'engendrer des frais supplémentaires, sans espoir de succès.

De surcroît, la taxation de la recourante allait à l'encontre du principe de la capacité contributive, qui devait conduire à ne pas taxer un contribuable sur un revenu qu'il n'avait perçu ni directement, ni indirectement.

Ainsi, l'AFC-GE et le TAPI auraient plutôt dû diriger leur action contre M. A______ ou contre la société.

20) Par courrier du 16 novembre 2015, la recourante a transmis à la chambre administrative un complément de recours.

S'agissant des faits, elle précisait n'avoir jamais eu de fonction dirigeante au sein de B______ SA, et n'avoir jamais pris part à aucune assemblée générale de cette société. Celle-ci était depuis sa création contrôlée par M. A______, administrateur unique puis liquidateur, seul représentant de la société à avoir de tout temps disposé de la signature individuelle. C'est en usant de sa qualité d'administrateur unique qu'il avait comptabilisé un prêt en sa propre faveur de CHF 3'948'254.- lors de l'exercice 2009. Il avait ainsi procédé à un versement indu en sa faveur de ce même montant, ce à l'insu de la recourante, et avait utilisé cette somme pour rembourser certaines de ses dettes. Ce versement avait conduit à la liquidation de B______ SA, cette société étant devenue insolvable.

La recourante ne contestait pas l'existence d'une prestation appréciable en argent, mais considérait que cette prestation n'avait pas été faite en sa faveur mais en celle de M. A______. Le traitement fiscal de cette prestation tel qu'opéré par l'AFC-GE et confirmé par le TAPI était dès lors contraire au droit fédéral et cantonal.

Pour que la théorie du triangle soit applicable, il fallait que l'actionnaire dispose d'un animus donandi : le Tribunal fédéral appliquait en effet cette théorie lorsque l'actionnaire usait de sa qualité pour faire bénéficier un proche d'une prestation de la société. En l'espèce, ni l'AFC-GE ni le TAPI n'avaient démontré le fait que Mme A______ ait fait bénéficier son époux du versement litigieux en exerçant son contrôle d'actionnaire sur la société. L'application de la théorie du triangle était dès lors contraire au raisonnement à l'origine de cette théorie.

Il convenait en l'espèce d'appliquer la théorie du bénéficiaire effectif, qui trouvait application dans deux situations, à savoir lorsqu'il existait un rapport particulier entre la bénéficiaire direct et la société, ou lorsqu'il était évident pour le bénéficiaire effectif qu'il recevait une prestation appréciable en argent. En l'espèce, la qualité d'administrateur de la société était la seule véritable cause de la prestation appréciable en argent, le fait qu'il fût effectivement un proche de l'actionnaire unique étant relégué au second plan du fait du contrôle qu'il exerçait directement sur la société. M. A______ avait par ailleurs conscience de recevoir une prestation appréciable en argent, ayant dissimulé ce versement par l'inscription d'un prêt en sa faveur, puis par l'amortissement de ce prêt.

La théorie du bénéficiaire effectif devait également s'appliquer en tant que cette méthode d'interprétation était conforme à la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), et en particulier au principe de la capacité contributive, qui exigeait, en matière fiscale, que l'impôt ne frappe que les recettes dont le contribuable pouvait librement disposer pour couvrir ses besoins privés. En l'espèce, la prestation appréciable en argent devait donc être imposée auprès de M. A______.

21) L'AFC-GE a répondu au recours le 15 décembre 2015, concluant à son rejet.

Elle reprenait pour l'essentiel les arguments développés par-devant le TAPI s'agissant de l'applicabilité de la théorie du triangle.

Quant à l'invocation par la recourante du principe de la capacité contributive, il tombait à faux dans la mesure où la libéralité consentie par l'actionnaire (soit la contribuable) à un tiers (en l'occurrence son époux) était réputée avoir été effectuée en faveur de l'actionnaire qui avait ensuite procédé à une donation en faveur du tiers. L'actionnaire était dès lors la récipiendaire de la distribution dissimulée de bénéfices.

Pour le surplus, il était évident que c'était en raison des liens existant encore entre la recourante et son mari (qui avaient fondé une société de nombreuses années après leur séparation) que ce dernier avait pu bénéficier du prêt litigieux, qui représentait plus de 99 % des actifs de la société.

Il était erroné de prétendre que M. A______ s'attendait à devoir être imposé sur cette prestation appréciable en argent. C'était au contraire l'actionnaire qui en portait la responsabilité. On pouvait à tout le moins lui reprocher une grave négligence.

Enfin, si la théorie du bénéficiaire direct soutenue par la recourante venait à trouver application en l'espèce, les fonds prélevés ne paieraient jamais l'impôt étant donné l'insolvabilité notoire de l'emprunteur. À ce propos, il convenait de relever que la recourante connaissait forcément la situation patrimoniale de son époux, à qui elle avait néanmoins confié sans aucune surveillance l'administration unique de sa société et avait renoncé à toute action contre lui, même après avoir eu connaissance des détournements par ce dernier des fonds de la société. En raison de sa grave négligence, elle portait une responsabilité indéniable dans le déroulement de toute l'opération litigieuse, ce qui justifiait également l'application de la théorie du triangle dans la présente cause.

22) Par courrier du 16 décembre 2015, le juge délégué a accordé à la recourante un ultime délai au 15 janvier 2016 pour exercer éventuellement son droit à la réplique et se déterminer sur l'éventuelle application de l'art. 88 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) concernant l'emploi abusif des procédures.

23) En l'absence de réaction dans le délai imparti, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) L'objet du litige consiste à déterminer si le prêt litigieux, qualifié de prestation appréciable en argent, doit faire l'objet d'une reprise dans la taxation de la recourante en vertu de la théorie du triangle, ou dans la taxation de son époux, en vertu de la théorie du bénéficiaire direct.

La question étant traitée de la même manière en droit fédéral et en droit cantonal harmonisé, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 1.1 et 2C_60/2013 du 14 août 2013 consid. 1 ; ATA/204/2014 du 1er avril 2014 consid. 3).

Le grief de la prétendue violation du droit d'être entendue de la recourante, rejeté en première instance, n'est pas soulevé par-devant la chambre de céans.

3) a. Les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (arrêts du Tribunal fédéral 2C_835/2012 du 1er avril 2013 consid. 8 ; 2A.568/1998 du 31 janvier 2000 ; ATA/594/2015 du 9 juin 2015 consid. 2 ; ATA/780/2013 du 26 novembre 2013 consid. 2 et les références citées).

b. Le 1er janvier 2010 est entrée en vigueur la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), dont l'art. 69 abroge les cinq anciennes lois sur l'imposition des personnes physiques (aLIPP-I à V).

L'art. 72 al. 1 LIPP prévoit que cette loi s'applique pour la première fois pour les impôts de la période fiscale 2010, et que les impôts relatifs aux périodes fiscales antérieures demeurent régis par les dispositions de l'ancien droit, même après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

Le recours portant sur la période fiscale 2009, le droit dans sa teneur à cette date est applicable (aLIPP I à V).

c. En ce qui concerne l'IFD, la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), entrée en vigueur le 1er janvier 1995, est applicable, dans sa teneur lors de la période fiscale en cause (2009).

4) Sont imposables comme rendements de la fortune mobilière notamment les dividendes, les parts en bénéfice, les excédents de liquidation et tous les autres avantages appréciables en argent provenant de participations en tout genre (art. 20 al. 1 let. c LIFD).

a. Selon le Tribunal fédéral, font partie des avantages appréciables en argent au sens de l'art. 20 al. 1 let. c LIFD, les distributions dissimulées de bénéfice (art. 58 al. 1 let. b LIFD), soit des attributions de la société aux détenteurs de parts auxquelles ne correspond aucune contre-prestation ou une contre-prestation insuffisante et qui ne seraient pas effectuées ou dans une moindre mesure en faveur d'un tiers non participant (ATF 138 II 57 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_605/2014 et 2C_ 606/2014 du 25 février 2015 consid. 6). Sont ainsi imposables, à titre de revenus, les prestations appréciables en argent, à savoir les avantages accordés par la société aux actionnaires ou à leurs proches sans
contre-prestation et qui ne s'expliquent qu'en raison du rapport de participation, dès lors que la société ne les aurait pas faites, dans les même circonstances, à des tiers non participants (ATF 119 Ib 116 consid. 2 ; ATA/513/2016 du 14 juin 2016 consid. 6b ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 138 n. 139). En raison du contenu similaire de l'art. 20 al. 1 let. c LIFD et de l'art. 22 al. 1 let. c LIPP, cette jurisprudence peut également s'appliquer à l'ICC, dans la mesure où le droit cantonal genevois comporte, à l'art. 12 de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15), dans sa teneur avant le 30 mars 2016, en particulier en sa lettre h, une disposition équivalente à l'art. 58 al. 1 let. b LIFD (ATA/594/2015 du 9 juin 2015 consid. 6b).

b. De jurisprudence constante, il y a avantage appréciable en argent si : 1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le ou la touchant de près ; 3) elle n'aurait pas été accordée à de telles conditions à un tiers ; 4) la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société savaient ou auraient pu se rendre compte de l'avantage qu'ils accordaient (ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; 138 II 57 consid. 2.2 ; 131 II 593 consid. 5.1 ; 119 Ib 116 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1082/2013 du 14 janvier 2015 consid. 4.2 ; 2C_589/2013 et 2C_590/2013 du 17 janvier 2014 consid. 7.2). L'évaluation de la prestation se mesure par comparaison avec une transaction qui aurait été effectuée entre parties non liées et en tenant compte de toutes les circonstances concrètes du cas d'espèce (principe du « Dealing at arm's length » ; ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; 138 II 545 consid. 3.2 : 138 II 57 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_927/2013 du 21 mai 2014 consid. 5.1).

5) En pratique, il arrive fréquemment que le bénéficiaire d'une prestation appréciable en argent ne soit pas directement l'actionnaire de la société, mais un proche de celui-ci. Dans un cas de ce genre, la question se pose de savoir qui est le bénéficiaire de la prestation, l'actionnaire ou le proche.

a. Selon la théorie du triangle, une prestation ne peut être accordée qu'à l'actionnaire qui en gratifie ensuite le proche. Suivant cette conception, l'avantage accordé par la société ne peut s'expliquer que par la maîtrise exercée par l'actionnaire sur sa société. La prestation appréciable en argent passe donc nécessairement dans un premier temps à l'actionnaire, qui, dans un deuxième temps, la reverse au bénéficiaire direct, que ce soit par acte de donation, par apport à une autre société (lorsque la prestation est faite à une société-soeur) ou pour tout autre motif (exécution d'une obligation ; Denis BERDOZ in Danielle YERSIN/Yves NOËL, Commentaire de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct, 2008, p. 932 n. 32). Le Tribunal fédéral a à plusieurs reprises confirmé l'applicabilité de la théorie du triangle en matière d'IFD (ATF 138 II 57 consid. 4.2 ; ATF119 Ib 116 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_610/2012 du 1er  février 2013 consid. 8.1 ; ATA/17/2016 du 12 janvier 2016 consid. 5 ; Xavier OBERSON, op. cit., pp. 239-240). La manière d'effectuer le paiement ne peut rien changer à la qualification de la prestation en tant que rendement de la fortune mobilière (arrêt 2C_16/2015 du 6 août 2015 consid. 2 in Archives 84 254 et RDAF 2016 II 110 et les références citées).

b. Selon la théorie dite du bénéficiaire direct (« Direktbegünstigtentheorie »), qui est la règle pour l'impôt anticipé, et par opposition à la théorie du triangle pure, le détenteur de parts est d'emblée ignoré - peu importe si la participation est détenue dans la fortune privée ou commerciale - et l'imposition est effectuée auprès de la personne proche de ce dernier. Dans un arrêt récent (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2016 du 30 janvier 2017 consid. 5.3), le Tribunal fédéral a indiqué n'avoir appliqué la théorie du bénéficiaire effectif que dans un cas isolé pour une prestation appréciable en argent en matière d'impôts directs (arrêt 2A.315/1991 et 2A.320/1991 du 22 octobre 1992 in : Arch. 63 145 et RDAF 1995 II 38). Dans ce même arrêt, il a relevé que la doctrine (Maja BAUER-BALMELLI, Änderungen in der Anwendung von Dreiecks- und Direktbegünstigtentheorie, in IFF Forum für Steuerrecht 2001, p. 58 ss; Peter LOCHER, Kommentar zum DBG, II partie Therwil/Bâle 2004 n° 129 ad art. 58 LIFD) mentionnait encore, à tort, un cas d'application de la théorie du bénéficiaire direct dans l'arrêt 2A.288/1998 du 31 mars 1999, alors que cet arrêt ne l'appliquait pas. Le Tribunal fédéral a ainsi conclu que seule la théorie du triangle, en lieu et place de la théorie du bénéficiaire direct, trouve application en matière d'impôt fédéral direct, et que cette conclusion est également partagée par la doctrine majoritaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2016 précité consid. 5.4).

6) En l'espèce, l'existence d'une prestation appréciable en argent n'est pas contestée par la recourante. Ce qui est litigieux est de déterminer si cette prestation doit être intégrée dans les revenus imposables de la recourante en vertu de la théorie du triangle, ou dans ceux de son conjoint en vertu de la théorie du bénéficiaire direct.

Comme l'a à juste titre retenu le TAPI dans le jugement querellé, la recourante et son époux apparaissent avoir continué à entretenir des liens plus ou moins étroits, ayant fondé en décembre 1996 la société dont ils étaient respectivement actionnaire unique et administrateur unique depuis cette date.

Malgré leur séparation, la recourante devait ainsi connaître la situation de son époux, et semble lui avoir néanmoins confié la gestion de la société. À ce propos, il sied de relever que les propos de la recourante sont contradictoires : dans son recours, elle indique n'avoir constaté l'existence du prêt que lors de l'assemblée générale suivante, et dans son complément de recours elle prétend n'avoir jamais participé à une seule assemblée générale de B______ SA. Son implication dans l'opération litigieuse n'est dès lors pas claire. En tout état de cause, si l'administrateur unique n'avait pas été son mari, elle n'aurait jamais procédé de la sorte, laissant à ce dernier la gestion de l'intégralité de la société dont elle est actionnaire unique, ce sans aucun contrôle. De surcroît, elle ne lui aurait jamais accordé de prêt sans garantie, sans intérêts et sans plan de remboursement. De même, si elle avait été mise devant le fait accompli, elle aurait fait valoir des prétentions en restitution ou en dommages intérêts à l'encontre de l'administrateur. Ainsi, même si elle n'avait pas, comme elle le soutient, d'animus donandi, elle s'est accommodée de cette situation et n'a rien fait à son encontre.

Il paraît donc évident que c'est uniquement en raison des liens entre la recourante et son conjoint qu'a eu lieu l'opération ayant permis à ce dernier de bénéficier de la somme de CHF 3'948'254.-. Cela justifie, comme l'a relevé l'AFC-GE, l'application au cas d'espèce de la théorie du triangle, ce qui est pour le surplus conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral susmentionnée.

S'agissant de l'argument de la recourante selon lequel l'application de la théorie du triangle au cas d'espèce irait à l'encontre du principe de la capacité contributive, il ne résiste pas à l'examen. En effet, selon la théorie du triangle, l'avantage est réputé avoir été attribué à l'actionnaire, qui en gratifie ensuite un proche, par un acte de donation ou pour l'exécution d'une obligation. L'application de cette théorie n'est donc pas contraire audit principe, l'actionnaire étant premier bénéficiaire de la prestation appréciable en argent.

Partant, le jugement du TAPI sera confirmé. C'est à bon droit que l'AFC-GE a procédé à la reprise litigieuse de CHF 2'368'952.-, réintégrant ce montant dans le revenu imposable de la recourante dans le cadre de l'ICC et de l'IFD 2009.

7) Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 octobre 2015 par Madame A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 octobre 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : Mme Junod, présidente, MM. Dumartheray et Verniory, juges

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :