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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/359/2006

ATA/346/2006 du 20.06.2006 ( FIN ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/359/2006-FIN ATA/346/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 20 juin 2006

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

et

Madame T______

représentée par Me Xavier Oberson, avocat


1. Madame T______ (ci-après : Mme T______ ou la contribuable), alors domiciliée au n° _______ à Genève, a exploité, avec son frère, une société en nom collectif sous la raison sociale « A______, C______ et T______ » entre février 1987 et mai 2001, dont le siège était à la même adresse.

Cette société a été radiée du registre du commerce en date du 31 octobre 2001.

2. Mme T______ a fait l'objet d'une procédure en vérification de ses déclarations fiscales par l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) au sens de l'article 333 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 alors en vigueur (aLCP - D 3 05) et des articles 151 et 175 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11).

Par pli recommandé du 15 février 1999, l'AFC a ouvert cette procédure pour les années fiscales 1994 à 1997, l'a ensuite étendue, en 1999 puis 2000, aux années fiscales 1998 et 1999. Elle a porté sur l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) relatif aux années fiscales 1994-1999 ainsi que sur les taxations de l'impôt fédéral direct relatives aux années 1995-1996, 1997-1998 et 1999-2000.

3. Les manquements de la contribuable constatés par l'AFC durant les années fiscales 1994-1999 ont fait l'objet d'une amende globale liée à l'ICC de CHF 238'238.-, notifiée le 29 novembre 2001 et équivalant à une fois et demie les droits éludés.

4. Par décision du 27 mars 2003, la commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après : CCRMI) a partiellement admis le recours déposé devant elle le 10 août 2001 par la contribuable. Un dégrèvement total de CHF 9'194,95 a été admis, intérêts de retard compris. Cette décision est entrée en force.

5. Les bordereaux rectificatifs ont été adressés par l'AFC à la contribuable le 28 juillet 2003. Les reprises ICC définitives pour les années fiscales 1994 et 1995 se sont montées respectivement à CHF 4'456,75 et CHF 67'540,65, intérêts de retard compris.

6. Le 28 juillet 2003, l'AFC a statué sur une double réclamation de la contribuable déposée le 20 décembre 2001.

a. Le premier volet de cette réclamation portait sur la procédure de reprise effectuée par l'AFC relative aux années fiscales 1996 à 1999. L'AFC a admis la réduction de divers suppléments d'ICC, pour un montant total de CHF 10'503,91, de sorte que le montant total des reprises pour ces quatre années s'est élevé à CHF 95'244,10, plus CHF 12'581,50 d'intérêts de retard.

b. Le second volet de la réclamation portait sur l'amende prononcée. Considérant les adaptations des reprises consécutives au premier volet de la réclamation, l'AFC a déduit de l'amende totale CHF 13'986.-, la ramenant ainsi à CHF 224'252.-.

7. Par acte du 29 août 2003, Mme T______ a recouru auprès de la CCRMI contre la décision du 28 juillet 2003 portant sur sa double réclamation et a conclu à son annulation.

L'amende portant sur les années fiscales 1994 et 1995 était prescrite. Trois reprises concernant les années de taxation 1996 à 1999 étaient contestées. L'amende relative aux années fiscales 1996 à 1999 devait être réduite pour sa part afférente aux reprises fondées sur des évaluations et sur l'insuffisance de pièces justificatives, et sa quotité devait être diminuée pour tenir compte du peu de gravité de la faute.

8. Dans sa séance du 12 décembre 2005, la CCRMI a admis partiellement le recours formé par la contribuable contre les décisions de l'AFC du 28 juillet 2003. Cette décision a été réceptionnée par l'AFC le 4 janvier 2006.

L'amende prononcée à l'encontre de la contribuable pour soustraction d'impôt, quant à sa part afférente aux années fiscales 1994 et 1995, devait être annulée, du fait que sa notification, intervenue postérieurement à la clôture de la procédure de rappel, était tardive. Quant à l'amende portant sur les années fiscales 1996 à 1999, elle était justifiée dans son principe comme dans son coefficient et devait par conséquent être confirmée. S'agissant enfin des trois reprises contestées par la contribuable, elles étaient également maintenues sans changement.

9. Par acte déposé au greffe du Tribunal administratif le 2 février 2006, l'AFC a recouru contre la décision de la CCRMI du 12 décembre 2005. Elle conclut à son annulation et à la confirmation de sa propre décision du 28 juillet 2003.

Le recours portait exclusivement sur l'annulation par la CCRMI de l'amende relative aux années fiscales 1994 et 1995. Les autres aspects de la décision, soit l'amende ainsi que les reprises relatives aux années fiscales 1996 à 1999, n'étaient pas contestés.

En matière de prescription, c'était l'ancien droit de fond, en vigueur au moment des faits, qui était applicable en vertu du principe de non rétroactivité et en l'absence d'un effet rétroactif expressément prévu dans la loi. La CCRMI appliquait ainsi à tort l'article 77 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17).

Selon la teneur de l'article 341A aLCP, le délai de prescription ordinaire pour soustraction d'impôt était de cinq ans non comprise l'année courante. Quant au délai de prescription absolue, il était de quinze ans.

L'amende pour soustraction d'impôt, tout comme la prescription, présentaient un caractère pénal et étaient dès lors soumises au droit pénal. Or, l'AFC avait valablement interrompu la prescription par sa lettre du 15 février 1999 ouvrant la procédure de vérification, laquelle constituait non seulement l'ouverture d'une procédure de rappel d'impôt mais également une procédure pour soustraction d'impôt. Ce faisant, elle avait clairement manifesté son intention de revenir sur les taxations 1994 et 1995 en procédant, le cas échéant, à des rappels d'impôt avec amende en cas de soustraction avérée. L'article 175 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD - RS 642.11) qui traite de la soustraction d'impôt était d'ailleurs expressément mentionné.

Pour le surplus, la computation des délais effectuée par la CCRMI était erronée, car elle avait fondé ses calculs sur un délai de prescription de cinq ans alors qu'elle se prévalait d'une règle qui désignait un délai de dix ans.

L'ancien droit prévoyait un délai de prescription de cinq ans. La CCRMI avait à tort laissé ouverte la question de l'interruption de la prescription.

L'AFC avait conclu à l'inopposabilité de l'amende pour les années fiscales 1994 et 1995 au motif que la notification était fautivement intervenue postérieurement à la clôture de la procédure de rappel pour ces années. Cette règle de notification tardive était arbitraire. Rien ne s'opposait à ce qu'une procédure de soustraction d'impôt soit clôturée postérieurement à la procédure de rappel d'impôt. Au contraire, lorsque, comme en l'espèce, plusieurs années fiscales étaient en cause dans le cadre d'une même procédure, il fallait attendre l'issue de la procédure pour connaître tous les éléments permettant de fixer la quotité de l'amende, basée sur la culpabilité du contribuable.

10. Dans sa réponse du 15 mars 2006, Mme T______ a conclu à la confirmation de la décision de la CCRMI du 12 décembre 2005 quant à l'amende relative aux années fiscales 1994 et 1995, à la réduction de la quotité de l'amende pour les années fiscales 1996 à 1999 en application de l'article 54 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17), ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

La prescription pour l'amende afférente aux années fiscales 1994 et 1995 n'avait pas été valablement interrompue par le courrier que l'AFC lui avait adressé le 15 février 1999, ni par les demandes subséquentes de renseignements, car ils ne constituaient pas des actes d'instruction dans le cadre d'une procédure pénale.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L'objet du litige porte sur l'amende infligée par l'AFC à la contribuable en raison des soustractions d'impôt retenues contre cette dernière relatives aux années fiscales 1994 à 1995.

3. En droit cantonal genevois, de nouvelles normes de droit fiscal matériel et procédural sont entrées en vigueur en 2001 et 2002.

a. Le 1er janvier 2002 est entrée en vigueur la LPFisc, qui règle à ses articles 53 et suivants la procédure par devant le Tribunal administratif. L’article 86 LPFisc stipule que les règles de procédure s’appliquent dès l’entrée en vigueur de la présente loi aux causes encore pendantes. Ces nouvelles dispositions sont applicables au cas d’espèce. L’article 2 alinéa 2 LPFisc prévoit que la LPA est applicable pour autant que la LPFisc n’y déroge pas.

b. Dès le 1er janvier 2001, de nouvelles normes de droit matériel sont entrées en vigueur en application de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID – RS 642.14). Elles ont abrogé ou modifié, à partir de cette date, la plupart des dispositions de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (aLCP – D 3 05), ces dispositions demeurant cependant applicables pour les périodes fiscales antérieures à l’année 2001. L’adaptation de la législation fiscale genevoise aux exigences de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes est en effet dépourvue d’effet rétroactif, comme l’a relevé le Tribunal administratif dans une jurisprudence constante (ATA/21/2005 du 18 janvier 2005 ; ATA/182/2004 du 2 mars 2004 ; ATA/101/2004 du 27 janvier 2004 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. I, 1994, p. 170 ; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., 1991, p. 116).

c. Toutefois, la LPFisc, en application du principe de la lex mitior, prévoit la rétroactivité en matière de sanctions pénales. Elle dispose à son article 84 que les sanctions pénales afférentes à des infractions réalisées avant son entrée en vigueur sont prononcées conformément à l'ancien droit, dans la mesure où le nouveau droit n'est pas plus favorable.

4. En l'espèce, en application de l'ancien droit, une amende a été infligée à la contribuable pour soustraction fiscale par négligence, correspondant à une fois et demie les droits.

Dans la mesure où aucune des parties ne conteste que la contribuable a agi par négligence, cette qualification est acquise et fixe le cadre dans lequel la comparaison entre l'ancien et le nouveau droit devra s'effectuer.

a. A teneur de l'article 340 alinéa 1 aLCP, le contribuable doit payer les impôts arriérés pour les années pendant lesquelles ils n’ont pas été payés, jusqu’à cinq ans en arrière non comprise l’année courante. L'amende n'est pas obligatoire dans tous les cas : une amende fiscale ne dépassant pas le double du montant de l’impôt éludé, en cas de négligence, peut frapper le contribuable (al. 3).

Selon l’article 341A aLCP, la prescription des infractions visées aux articles 340 et 341 aLCP est de cinq ans, non comprise l’année courante. Ce délai commence à courir dès la commission de l’infraction, soit dès la remise de la déclaration et est interrompu par tout acte tendant à la poursuite de l’infraction (ATA/642/2000 du 24 octobre 2000 ; ATA G. du 6 octobre 1992 résumé dans SJ 1993 p. 569). S’agissant de la prescription absolue, la loi en vigueur à l’époque des faits n’en prévoyait pas et les travaux préparatoires ne l’évoquaient pas (ATA G. précité).

L'amende réprimant la soustraction fiscale constituant une sanction de caractère pénal (ATF 121 II 257), elle doit, à ce titre, être soumise aux délais de prescription applicables en la matière. Par renvoi des articles 1 alinéa 2, 17 1ère phrase et 37 alinéa 1 chiffre 49 de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1941 (LPG - E 4 05), il sera fait application des articles 70 à 75, alors en vigueur, du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CPS - RS 311.0 ; ATA/547/2001 du 28 août 2001 et les références citées, RDAF 1999 II p. 41ss et les références citées, SJ 1993 p. 569). La soustraction fiscale est ainsi soumise à une prescription absolue de dix ans (ATA/440/2005 du 21 juin 2005 ; ATA/547/2001 précité ; ATA G. précité).

b. Quant au nouveau droit, les articles 59ss LPFisc stipulent pour la procédure dite de rappel d'impôt une prescription relative de dix ans et absolue de quinze ans. L'article 69 alinéa 1 LPFisc prévoit qu'en cas de soustraction consommée, l'amende est en général équivalente au montant des droits éludés. Elle peut être triplée en cas de faute grave ou ramenée au tiers en cas de faute légère. Elle est toutefois obligatoire dès lors que l'infraction est réalisée. Selon l'article 77 alinéa 1 lettre b LPFisc, la poursuite pénale se prescrit, en cas de soustraction d'impôt consommée, par dix ans. Ladite prescription est interrompue par tout acte de procédure tendant à la poursuite du contribuable, un nouveau délai commençant à courir à chaque interruption (al. 2). Enfin, la prescription du droit de percevoir les créances relatives aux amendes et frais prononcés dans le cadre de la poursuite pénale est de cinq ans selon l'article 78 alinéa 2 LPFisc, qui renvoie à l'application par analogie de l'article 23 LPFisc.

Dans la mesure où l'ancien droit prévoit, par rapport au nouveau et dans le cadre de la poursuite pénale pour soustraction fiscale, un délai de prescription relative de cinq ans et non de dix, ainsi qu'une quotité maximale en cas de négligence de deux et non trois fois le montant du rappel, il est manifestement plus avantageux pour le contribuable fautif et doit par conséquent être appliqué au cas d'espèce. La CCRMI a donc appliqué à tort la LPFisc.

5. En l'espèce, une amende globale a été notifiée le 29 novembre 2001 pour l'ensemble des soustractions fiscales à l'ICC opérées entre 1994 et 1999. La recourante soutient que l'amende relative aux années fiscales 1994 et 1995 n'a ni été notifiée tardivement ni n'est prescrite.

a. Selon l'article 340 alinéa 1 aLCP, lorsqu’un contribuable, par suite de déclarations inexactes ou incomplètes, n’a pas payé les impôts qu’il aurait dû verser ou les a payés d’une manière insuffisante, il est tenu de s'en acquitter.

b. En cas de négligence, le contribuable peut être frappé d’une amende fiscale ne dépassant pas le double du montant de l’impôt éludé (art. 340 al. 3 aLCP).

c. La vérification, prévue par l'article 333 aLCP se définit comme une procédure de contrôle simplifiée, dont le but est d'accroître l'efficacité du service de contrôle (RDAF 2004 II p. 567-569 ; ATA du 30 mai 1990 en la cause N. ; ATA du 17 décembre 1986 en la cause S.N. cité in RDAF 1989 « La jurisprudence du Tribunal administratif genevois (1981-1987) », R. et X. OBERSON, pp. 42 et 43).

6. De jurisprudence constante, en droit public, la prescription doit être constatée d’office lorsqu’un particulier est débiteur de l’Etat (ATF 106 Ib 364 ; ATA/21/2005 du 18 janvier 2005).

7. Comme vu ci-dessus, à teneur de l'article 341A aLCP, la prescription des infractions visées aux articles 340 et 341 est de cinq ans, non comprise l'année courante. Dès lors, la question de la prescription relative se pose pour les années fiscales 1994 et 1995, car, à défaut d'acte interruptif de prescription, cette dernière aurait été acquise respectivement les 1er janvier 2000 et 2001, soit avant la notification du 29 novembre 2001. La recourante soutient avoir valablement interrompu le cours de la prescription par sa lettre du 15 février 1999. La contribuable soutient au contraire que la prescription est acquise.

Les articles 70 à 75 CPS s'appliquant par analogie, l'article 72 chiffre 2 alinéa 1 CPS, dans sa teneur antérieure à la modification entrée en vigueur le 1er octobre 2002, disposait que la prescription était interrompue par tout acte d'instruction d'une autorité chargée de la poursuite ou par toute décision du juge dirigé contre l'auteur, en particulier par les citations et interrogatoires, les mandats d'arrêt ou de visite domiciliaire, par l'ordonnance d'expertise, ainsi que par tout recours contre une décision.

8. Il s'agit donc de déterminer en premier lieu si un tel acte a pu valablement interrompre la prescription en l'espèce.

a. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'amende infligée au contribuable pour avoir éludé l'impôt est une « accusation en matière pénale » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conclue à Rome le 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; Arrêt P. c. Suisse du 29 août 1997, SJ 1998 p. 61; voir également RDAF 1997 II 773). Cette solution est d'ailleurs définitivement admise par l'Administration fédérale des contributions qui rappelle, dans la circulaire n° 21 relative à l'impôt fédéral direct, que l'amende est une « peine » au sens de la CEDH (RDAF 1996, p. 20 et ss, spéc. 23, chiffre I). Les sanctions fiscales ne se distinguant ni par leur objet, ni par leur nature, des sanctions pénales, les garanties issues de l'article 6 CEDH leur sont applicables (RDAF 1999 II p. 41ss et les références citées).

b. A teneur de l'article 6 paragraphe 3 CEDH, tout accusé a le droit notamment d'être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui (let. a), de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (let. b) et de se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (let. c).

Les dispositions de l'article 6 paragraphe 3 lettre a CEDH n'imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Cette notification peut intervenir avant le renvoi en jugement, soit notamment au moment de l'arrestation, de l'inculpation ou de l'ouverture des enquêtes préliminaires (ATF 126 I 153 et les références citées).

c. Dans le cadre d'une procédure en vérification fiscale débouchant sur la découverte d'actes de soustraction, il existe un moment à partir duquel l'administration dispose des éléments suffisants pour déclencher une poursuite à caractère pénal, la contraignant ainsi à respecter les garanties susmentionnées. Ce moment n'influe pas sur la suite de la procédure en vérification, mais doit faire naître une procédure parallèle de poursuite pénale. Ainsi en va-t-il sur le plan fédéral. Par exemple, en matière d'IFD, la procédure en soustraction fiscale, au cours de laquelle le rappel d'impôt est fixé, a déjà un caractère pénal (ATF 121 II 257, consid. 4 c). Il en va de même dans le système mis en place par les articles 190 à 192 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD - RS 642.11), qui prévoit le déclenchement des poursuites en cas de soupçon grave ou lorsque l'autorité fiscale est convaincue de l'existence d'une infraction (RDAF 1999 II p. 41ss, spéc. pp. 45 et 46).

9. Le droit cantonal genevois n'opérant pas une telle distinction entre les procédures de vérification et de contrôle et celle de poursuite pénale, il convient d'établir si une procédure en vérification peut constituer parallèlement une procédure administrative à caractère pénal et, le cas échéant, à quelles conditions.

a. En Suisse, la soustraction fiscale au sens des articles 340 alinéa 1 aLCP, aujourd'hui des articles 7 et 69 LPFisc et 55 et 56 LHID, est une contravention. Sa répression incombe d'abord aux autorités fiscales cantonales, soit à Genève l'AFC. En revanche, la répression des délits fiscaux échoit aux autorités cantonales de poursuite et de jugement, soit au juge pénal (RDAF 1999 II, p. 43 ch. 6).

Il résulte de la jurisprudence de la CEDH (Affaire Le Comte et consorts c. Belgique du 23 juin 1981, série A, n°43, §55, citée dans RDAF 1999 II, p. 43 ch.7) que l'autorité chargée de réprimer la contravention fiscale n'a pas à remplir formellement les exigences d'un « tribunal » pénal au sens d'une loi de procédure pénale. Il est cependant essentiel que cette autorité, même administrative, ait l'indépendance suffisante et puisse juger, en fait et en droit, les agissements commis par le contribuable.

En l'espèce, et cela n'a pas été contesté, il est acquis que l'AFC était compétente, dans le cadre d'une procédure de vérification, pour prononcer l'amende administrative et qu'elle a ce faisant agi dans le cadre de la répression d'une contravention fiscale. Elle était également, a fortiori, compétente pour mener les actes d'investigation devant permettre d'établir les soustractions.

b. La possibilité d'un départ simultané de la procédure de vérification et de la procédure visant à réprimer la soustraction fiscale doit être distinguée selon les cas.

D'un côté, les contrôleurs de l'impôt peuvent théoriquement ouvrir la procédure de vérification de manière aléatoire, sans devoir justifier de soupçons sur l'exactitude de la déclaration en cause (art. 333 aLCP). Dans ces cas, il s'agit quasiment d'une procédure de contrôle interne. Si des irrégularités sont découvertes, la procédure en répression de la soustraction ne pourra être initiée qu'à partir de ce moment.

D'un autre côté, les contrôleurs peuvent également ouvrir la procédure de vérification tant sur la base d'une constatation d'irrégularité évidente que suite à des soupçons importants. Dans ces cas, l'ouverture de la procédure de vérification est manifestement un acte tendant à la poursuite de l’infraction (ATA/642/2000 précité), et initie donc parallèlement la procédure répressive de la soustraction. Par conséquent et sous ces conditions, le moment à partir duquel il existe suffisamment d'éléments pour déclencher une poursuite à caractère pénal peut se confondre avec l'ouverture d'une procédure en vérification.

En l'espèce, la lettre signature du 15 février 1999 adressée par la recourante à la contribuable n'est pas équivoque quant à l'existence de soupçons importants portant sur des actes de soustraction. En effet, non seulement elle ouvre une procédure simultanée sur quatre années fiscales successives, puis l'étend à six années, mais elle réclame également, ab initio, des explications de la contribuable sur l'évolution de sa fortune durant ces années. Manifestement, il s'agit là de l'expression de suspicions. Ces derniers se sont d'autant renforcés au sein de l'administration que les documents comptables ont été obtenus et étudiés. Ainsi, la lettre du 15 février 1999 n'est que le premier d'une série d'actes de l'administration tendant à la poursuite de l'infraction, et qui, chacun à leur tour, ont valablement interrompu le cours de cette dernière.

Quant au respect de l'article 6 paragraphe 3 CEDH, il ressort du dossier qu'une information détaillée quant à la nature et la cause de l'accusation portée contre la contribuable lui a été régulièrement donnée par l'administration fiscale au travers du bordereau d'amende émis le 29 novembre 2001. Celui-ci faisait ressortir de manière très claire qu'il s'agissait d'une amende fiscale et que cette dernière sanctionnait des actes précis de soustraction fiscale ainsi qu'un comportement peu coopératif durant la procédure. Elle mentionnait enfin que la contribuable avait « fermement démontré sa volonté de frauder le fisc ».

Au vu de ce qui précède, le droit d'exiger le paiement de l'amende notifiée le 29 novembre 2001 visant à sanctionner les soustractions d'impôt effectuées par la contribuable durant les années fiscales 1994 et 1995 n'est pas prescrit. Le grief de la recourante sera admis sur ce point.

10. Reste à examiner si le droit d'exiger le paiement de l'amende relative aux années fiscales 1994 et 1995 peut être considéré, ainsi que la CCRMI l'avait statué, comme inexistant, ayant été exercé postérieurement à la clôture de la procédure de vérification.

La recourante prétend que le raisonnement de la CCRMI exigeant la clôture simultanée des procédures en rappel et en soustraction d'impôt est arbitraire, car cette exigence n'aurait pas de fondement en droit. Au contraire, lorsque la procédure de vérification porte sur plusieurs années, ce n'est qu'au terme de l'exercice que l'administration est en mesure de fixer la quotité de l'amende, puisque cette dernière doit être fixée selon la culpabilité du contribuable fautif.

Comme vu ci-dessus, la procédure de vérification et celle visant à réprimer la soustraction fiscale sont deux procédures distinctes. Si elles peuvent être clôturées en même temps, de la même manière qu'elles peuvent selon certaines circonstances démarrer simultanément, aucune disposition légale ne mentionne qu'il doit en être ainsi. Deux conditions, directement déduites de la loi, doivent être réunies pour que l'amende puisse être prononcée. En premier lieu, l'administration doit disposer des éléments lui permettant d'évaluer la culpabilité du contribuable. En second lieu, vu que le montant de l'amende est calculé en appliquant un coefficient à la somme des droits éludés, cette dernière doit avoir préalablement été déterminée.

De plus, en droit pénal, le juge a l'obligation de prononcer une amende unique plutôt que des amendes successives contre l'auteur de plusieurs contraventions (art. 68 CP). Ce raisonnement vaut par analogie en matière d'amende administrative (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.531/2002 du 27 mars 2003, consid. 2.3). A cet égard, le fait que l'administration soit en mesure de clôturer les procédures de vérification au fur et à mesure ne peut donc la contraindre à devoir déterminer en même temps les amendes pour soustraction fiscale. L'exiger reviendrait à empêcher l'administration d'appliquer correctement la loi, puisque d'une part elle ne pourrait fixer la ou les amendes que sur la base d'une évaluation partielle de la culpabilité du contrevenant et d'autre part elle ne pourrait pas prononcer une amende unique. Le recours sera par conséquent également admis sur ce point.

11. Quant aux griefs de la contribuable relatifs à la quotité de l'amende, ils ne seront pas examinés.

En effet, à l'instar de la procédure administrative fédérale, le droit genevois ne connaît plus, depuis l'entrée en vigueur de la LPA, l'institution du recours joint ou incident (SJ 1989 p.260). Il n'est donc pas possible à une partie de déposer hors délai des conclusions séparées et autonomes relatives à l'acte mis en cause (B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., 1991).

12. Le recours sera admis et la décision attaquée annulée en tant qu'elle porte sur l'amende relative aux années fiscales 1994 et 1995. L'amende totale de CHF 224'252.- sera confirmée. Un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge de la contribuable (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 février 2006 par l'administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 12 décembre 2005 ;

 

au fond :

l'admet ;

annule la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts concernant l'amende due pour les années fiscales 1994 et 1995 ;

rétablit le montant de l'amende à CHF 224'252.-, intérêts non compris ;

condamne Madame T______ au paiement de ce montant plus les intérêts en tant que de besoin ;

confirme pour le surplus la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 12 décembre 2005 ;

met à la charge de Madame T______ un émolument de CHF 2'000.- ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale, à Madame T______, ainsi qu’à la commission cantonale de recours en matière d'impôts.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :