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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/425/2001

ATA/547/2001 du 28.08.2001 ( FIN ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : IMPOT; PRESCRIPTION; DELAI DE PRESCRIPTION; DELAI RELATIF; FIN
Normes : LCP.368; LCP.369; LCP.340I; LCP.341I
Résumé : La prescription relative du droit de taxer de l'article 369 LCP est de 5 ans. Ce délai est valablement et définitivement interrompu par le premier acte de l'administration invitant le contribuable à s'acquitter de l'impôt dû. La créance fiscale se prescrit par 5 ans. En l'absence de prescription absolue, la prescription relative peut être interrompue à de multiples reprises. In casu, la prescription a commencé à courir en 1994, date de la remise du bordereau rectificatif et a été valablement interrompue jusqu'en 2001.

 

 

 

 

 

 

 

 

du 28 août 2001

 

 

 

 

 

dans la cause

 

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE D'IMPOTS

 

et

 

Monsieur M__________

représenté par Me Jean-Charles Haenni, avocat



EN FAIT

 

 

1. Monsieur M__________ a été domicilié dans le canton de Genève du 23 septembre 1986 au 18 janvier 1989 au ________ à Confignon. Il habite depuis en Valais, à Bluche-Randogne.

 

2. Entre 1985 et 1989, l'intéressé a procédé à différentes opérations immobilières dans le canton de Genève, à savoir :

 

- par acte notarié des 20 et 24 septembre 1985, l'acquisition en copropriété par moitié pour le prix de CHF 3'359'702,50 d'un terrain sis sur la commune de Bellevue, parcelles ________ index 3 et________ , feuille _________;

 

- par acte notarié du 20 décembre 1985, l'acquisition pour CHF 750'000.- d'une villa sise sur la commune de Confignon, parcelle _________ index 1, feuille_________ ;

 

- par acte notarié du 7 mai 1986, l'acquisition en copropriété de 596/1193èmes d'un immeuble et de ses dépendances sis sur la commune de Veyrier, parcelles _________ et_________ , feuille ________ . Le prix de vente était de CHF 130'000.-;

 

- par acte notarié du 9 août 1988, l'acquisition pour CHF 2'000'000.- d'un immeuble sis sur la commune de Genève, section de Plainpalais, parcelle ________, feuille __________;

 

- par quatre actes notariés instrumentés le 13 janvier 1989, M. M__________ a cédé les biens immobiliers précités à M. E__________ pour le prix total de CHF 13'253'975.-, soit respectivement CHF 9'753'975.-, CHF 1'600'000.-, CHF 1'000'000.- et CHF 9'000'000.-.

 

3. Par courrier du 18 janvier 1989, le contribuable a annoncé à l'administration fiscale cantonale (ci-après : l'AFC) qu'il avait cessé son activité professionnelle à compter du 16 janvier 1989.

 

4. Dans sa déclaration fiscale cantonale 1989 datée du 3 octobre 1989, M. M__________ a déclaré un revenu imposable de CHF 98'186.-. Il n'a pas déclaré la vente immobilière survenue le 13 janvier 1989 et ne s'est pas prévalu de l'exemption pour cessation d'activité prévue par l'article 10 A de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05).

 

5. Le 14 décembre 1989, l'AFC a notifié au contribuable un bordereau mentionnant un impôt de CHF 7'683,10, dont CHF 6'761,30 au titre d'impôt immobilier complémentaire, calculé sur un revenu imposable de CHF 99'484.- et un assujettissement de seize jours.

 

A teneur d'une note interne du 27 novembre 1989 figurant dans la déclaration initiale, l'AFC a admis le départ du contribuable du canton mais pas la cessation d'activité.

 

6. A l'occasion d'un litige civil avec M. E__________ portant sur un montant impayé de CHF 4'000'000.-, M. M__________ a indiqué que le prix de vente réel de sa part de copropriété sur l'immeuble sis à Bellevue était de CHF 650.-/m2, et non de CHF 450.-/m2 comme mentionné dans l'acte notarié.

 

7. En date du 19 mars 1993, l'AFC a ouvert une procédure de vérification de la déclaration fiscale de M. M__________ pour 1989 sur la base de l'article 333 LCP. Elle lui a demandé de fournir les documents et renseignements nécessaires à la détermination des gains réalisés dans le cadre de l'opération immobilière du 13 janvier 1989.

 

8. Le contribuable a indiqué que les bénéfices bruts réalisés avaient été les suivants, sans tenir compte des montants des travaux et recherches qu'il avait effectués durant le temps de propriété :

 

- la part de copropriété portant sur la parcelle _________ sise sur la commune de Bellevue a été acquise pour CHF 3'980'080.- et vendue pour la somme de CHF 13'553'975.-, soit un bénéfice de CHF 9'573'895.-;

 

- la parcelle ________ sise sur la commune de Genève, section de Plainpalais, a été acquise CHF 2'540'000.- et vendue CHF 9'000'000.-, soit un bénéfice de CHF 6'460'000.-;

 

- la parcelle _________ sise sur la commune de Veyrier a été acquise pour le prix de CHF 130'000.- et vendue pour celui de CHF 1'000'000.-, soit un bénéfice de CHF 870'000.-;

 

- la parcelle _________ sise sur la commune de Confignon a été acquise pour CHF 750'000.- et vendue pour CHF 1'600'000.-, soit un bénéfice de CHF 850'000.-.

 

M. M__________ a fait valoir que les bénéfices ainsi réalisés n'étaient pas imposables, conformément à la teneur des articles 10 A alinéas 1 et 2 et 17 alinéa 6 LCP avant le 1er janvier 1991, étant donné qu'il était un professionnel de l'immobilier et qu'il avait cessé toute activité le 16 janvier 1989.

 

9. Par courrier du 3 janvier 1994, l'AFC a demandé à M. M__________ de justifier les montants des travaux et recherches évoqués afin de pouvoir déterminer avec exactitude son revenu imposable pour 1989.

 

10. En date du 2 février 1994, M. M__________ a contesté cette mesure d'instruction, la qualifiant d'illégale et de disproportionnée. Il a demandé que l'AFC se prononce à titre préjudiciel sur son assujettissement.

 

11. Par courrier recommandé du 2 mars 1994, l'AFC a maintenu sa demande de renseignements et l'a assortie d'une menace de taxation d'office.

 

12. M. M__________ s'est opposé à cette demande par courrier du 31 mars 1994.

 

13. Le 2 mai 1994, l'AFC a clôturé la procédure de vérification et procédé à la taxation d'office de M. M__________.

 

Après prise en compte des dessous de table, du prix de revient, du solde des frais et des intérêts indiqués par M. M__________, elle a retenu des bénéfices imposables de :

 

- CHF 9'883'210.- pour l'immeuble sis à Bellevue;

 

- CHF 6'228'180.- pour l'immeuble sis à Plainpalais;

 

- CHF 360'000.- pour l'immeuble sis à Veyrier;

 

- CHF 719'000.- pour l'immeuble sis à Confignon.

 

Ainsi, sur le base d'un revenu imposable de CHF 17'190'390.-, l'impôt supplémentaire pour 1989 s'élevait à CHF 6'733'290,15, dont CHF 500'000.- à titre d'amende (art. 341 al. 1 LCP).

 

L'AFC a également déclaré irrecevables les réclamations élevées par le contribuable et a considéré que son assujettissement était incontestable dès lors qu'il résidait à Genève au moment des transactions immobilières.

 

14. M. M__________ a formé réclamation contre cette décision par courrier du 26 mai 1994 :

 

- la taxation d'office était injustifiée dès lors qu'il n'avait fait que requérir une décision préjudicielle sur son assujettissement;

 

- la taxation avait été faite sur la base de chiffres bruts, alors que l'AFC disposait des montants à déduire;

 

- les bénéfices immobiliers concernés n'étaient pas soumis à imposition en vertu des articles 10 A et 17 alinéa 6 LCP;

 

- le principe de la bonne foi interdisait à l'AFC de revenir sur le bordereau du 14 décembre 1989;

 

- il n'avait jamais eu l'intention de frauder le fisc, de sorte que l'amende infligée en vertu de l'article 341 LCP était injustifiée;

 

Il demandait enfin que la procédure soit suspendue jusqu'à droit jugé dans la procédure civile l'opposant à M. E__________.

 

15. Par décision du 19 janvier 1995, l'AFC a rejeté la réclamation de M. M__________ :

 

- en tant que revenu accessoire, les bénéfices immobiliers ne pouvaient être exonérés sur la base de l'article 10 A LCP;

 

- le risque de contrariété entre la taxation fiscale et la procédure civile ne constituait pas un motif suffisant pour suspendre la procédure de taxation;

 

- le litige concernant l'assiette fiscale et non l'assujettissement, l'AFC n'avait pas à rendre de décision préjudicielle sur ce dernier point;

 

- l'amende avait été infligée conformément à l'article 341 LCP.

 

16. Par acte du 17 février 1995, M. M__________ a interjeté recours contre cette décision devant la commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après : la commission), persistant dans les conclusions et l'argumentation développée précédemment.

 

L'AFC a conclu au rejet du recours.

 

17. Par décision du 12 décembre 1996, la commission a rejeté le recours de M. M__________.

 

18. Par acte du 12 février 1997, le contribuable a formé recours auprès du Tribunal administratif contre la décision de la commission.

 

19. Par arrêt du 10 février 1998, le tribunal a partiellement admis le recours et renvoyé la cause à l'administration pour qu'elle statue au sens des considérants, à savoir :

 

- l'AFC avait eu tort de refuser de rendre une décision préjudicielle d'assujettissement; elle ne devait toutefois pas rendre une nouvelle décision sur ce point, s'étant implicitement prononcée par l'envoi d'un bordereau de taxation;

 

- la décision de taxation d'office, le bordereau et l'amende infligée en vertu de l'article 341 LCP devaient être annulés;

 

- les bénéfices immobiliers réalisés le 13 janvier 1989 ne pouvaient être soumis à l'article 10 A LCP;

 

- l'AFC devait procéder à une nouvelle taxation, après avoir déterminé le bénéfice net réalisé à l'occasion de cette opération immobilière.

 

20. En date du 23 décembre 1998, après que M. M__________ a produit les pièces justificatives nécessaires, l'AFC lui a notifié un bordereau rectificatif mentionnant un revenu imposable de CHF 16'665'085,55 et un impôt de CHF 6'045'085,55 auquel s'ajoutaient CHF 1'973'800,30 à titre d'intérêts de retard et CHF 1'000.- d'amende en vertu de l'article 331 A LCP.

 

21. Le 22 janvier 1999, M. M__________ a formé réclamation contre la taxation, les intérêts de retard et l'amende :

 

- le droit de taxer était prescrit, selon l'article 368 LCP, le délai de prescription de cinq ans n'ayant pas été interrompu par la première taxation déclarée nulle;

 

- les bénéfices réalisés devaient être exonérés en vertu de l'article 10 A LCP;

 

- l'AFC avait refusé de déduire certaines charges pour déterminer le bénéfice net;

 

- aucun intérêt n'était dû, l'administration étant entièrement responsable du retard dans la taxation.

 

22. Par décision du 26 février 1999, l'AFC a partiellement donné raison au contribuable en ramenant le montant des intérêts échus à CHF 1'317'954,60, soit seulement ceux de la période allant du 3 mai 1994 au 25 février 1999; les intérêts de retard pour la période antérieure n'avaient en effet pas été réclamés lors de la taxation d'office du 2 mai 1994.

 

23. Par acte du 24 mars 1999, M. M__________ a interjeté recours devant la commission cantonale de recours en matière d'impôts contre la décision de l'AFC, reprenant l'argumentation développée dans le cadre de la procédure de réclamation.

 

L'AFC a conclu au rejet du recours.

 

24. Par décision du 29 mars 2001, la commission a admis le recours et annulé la décision de l'AFC du 26 février 1999 :

 

- M. M__________ avait sciemment omis de déclarer les gains immobiliers réalisés le 13 janvier 1989, ne l'ayant fait ni par déclaration expresse dans les trente jours comme le lui imposait l'article 86 B LCP dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 1994, ni dans sa déclaration fiscale 1989 remise à l'AFC le 3 octobre 1989;

 

- ces infractions étaient soumises à un délai de prescription absolue de dix ans en vertu des articles 70 à 75 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CPS - RS 310.0), applicables par renvoi des articles 1 alinéa 2, 17 1ère phrase et 37 alinéa 1 chiffre 49 de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1941 (LPG - E 4 05) (ATA G. du 6 octobre 1992);

 

- le dies a quo du délai de la prescription étant fixé au 3 octobre 1989, soit le jour où l'infraction avait été commise, cette prescription avait été atteinte le 3 octobre 1999 et, en conséquence, le recours devait être admis.

 

25. a. Par acte du 30 avril 2001, l'AFC a interjeté recours auprès du tribunal de céans contre la décision de la commission de recours en faisant valoir que :

 

- les articles 368 et 369 LCP relatifs à la prescription du droit de taxer et à celle des créances fiscales avaient été modifiés au 1er janvier 1995 afin de procéder à leur harmonisation avec l'article 47 alinéa 1 et 2 de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et les articles 120 alinéa 4 et 121 alinéa 3 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), dont les délais de prescription absolue, de quinze ans en matière de droit de taxer et de dix ans en matière de créance fiscale, étaient dés lors applicables en droit cantonal genevois;

 

- entrées en vigueur le 1er janvier 1995, ces deux dispositions étaient applicables à toutes les taxations non prescrites à cette date;

 

- il avait été procédé à la taxation le 2 mai 1994, soit avant la fin du délai de prescription du droit de taxer de cinq ans fixé par l'article 368 aLCP. Ce raisonnement valait également mutatis mutandis dans le cadre de l'application de l'article 341 A LCP qui régissait la prescription du droit de taxer en cas de soustraction fiscale, comme en l'espèce. La taxation litigieuse n'était ainsi pas prescrite;

 

- la créance fiscale étant soumise à un délai de prescription de cinq ans à compter de la remise du bordereau envoyé le 2 mai 1994 en vertu de l'article 369 alinéa 1 aLCP, elle n'était pas prescrite le 1er janvier 1995;

 

- les articles 368 et 369 LCP étaient donc applicables en l'espèce;

 

- l'article 369 LCP dans sa nouvelle teneur prévoyait un délai de prescription de cinq ans à partir de l'entrée en force de la taxation, solution conforme à l'article 120 alinéa 2 lettre a LIFD qui prévoyait que la prescription ne courait pas pendant les procédures de réclamation, de recours et de révision; la taxation contestée par le présent recours n'étant par définition toujours pas entrée en force, le délai de prescription de la créance fiscale n'avait pas commencé à courir.

 

- le délai de prescription absolue de dix ans des articles 70 à 75 CPS ne concernait que l'amende réprimant la soustraction fiscale. Le rappel d'impôt ne constituait pas une sanction de caractère pénal mais une prétention fiscale de même nature que la créance originelle, à laquelle les articles 70 à 75 CPS étaient en conséquence inapplicables (ATF 121 II 257);

 

- la créance fiscale était ainsi soumise au délai de prescription absolue de quinze ans instauré par les articles 47 alinéa 1 LHID et 120 alinéa 4 LIFD; la créance litigieuse n'était donc pas prescrite.

 

26. M. M__________ a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée.

 

27. La cause a été gardée à juger.

 

 

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOF - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Le contribuable est une personne physique qui était domiciliée dans le canton de Genève au moment de l'opération immobilère imposable. La loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05) est donc applicable au litige qui l'oppose à l'AFC (art. 1 let. a et 2 let. a LCP). Celui-ci a trait au rappel d'impôt cantonal pour la période fiscale 1989, assorti d'une amende, auquel a procédé l'AFC à l'encontre de l'intimé, suite à une procédure de contrôle ouverte conformément aux articles 333 alinéa 1 et 340 LCP.

 

M. M__________ invoque la prescription, tant du droit de taxer que de la créance fiscale, ainsi que l'a reconnu la commission de recours dans la décision attaquée du 29 mars 2001. Pour sa part, dans son recours, l'AFC fait application de l'article 47 LHID pour considérer un délai de prescription de quinze ans du droit de taxer et de dix ans de la créance fiscale à partir de l'entrée en force de la décison de taxation.

 

3. a. Il convient de déterminer en premier lieu le droit applicable dans le cadre de ce litige, sachant que l'opération litigieuse a été réalisée le 13 janvier 1989, que la LHID est entrée en vigueur le 1er janvier 1993 avec une application directe dès le 1er janvier 2001 (art. 72 al.1 et 2 LHID) et que les articles 368 et 369 LCP ont été modifiés au 1er janvier 1995 dans le cadre du processus d'harmonisation des lois fiscales genevoises avec les exigences découlant de la LHID.

 

a. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (ATF du 31 janvier 2000 causes n° 2P.411/1998 et 2A.568/1998; ATF AFC du 24 novembre 1998, consid. 3-7; ATF H. du 27 février 1998, consid. 3; ATF B. du 26 septembre 1997, consid. 3; ATA S. S.A. du 29 mai 2001). Ainsi, le Tribunal fédéral a-t-il jugé que les règles contenues dans l'ancien arrêté fédéral sur l'impôt fédéral direct étaient seules applicables aux litiges nés avant l'entrée en vigueur de la LIFD (ATF 126 II 1 consid. 2a p.3).

 

b. Le litige portant sur les bénéfices réalisés dans le cadre d'une opération immobilière effectuée en 1989, il convient d'appliquer les dispositions de la LCP dans leur teneur d'alors (ci-après : aLCP).

 

Le raisonnement vaut également pour la LHID, entrée en vigueur le 1er janvier 1993 et d'application directe dès le 1er janvier 2001 en vertu de son article 72 alinéas 1 et 2, mais qui ne saurait s'appliquer à titre rétroactif en l'absence de disposition le prévoyant expressément (P. MOOR, Droit administratif, Vol. I, 1988, p. 144; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd., Bâle, 1991, pp. 116 et 118). Cette loi n'est dès lors pas pertinente dans le cas d'espèce, le litige étant né antérieurement à son entrée en vigueur (ATA B. du 24 juin 1987 et les références citées; RDAF 1983, p. 163).

 

c. Les questions de péremption du droit de taxer et de prescription de la créance fiscale doivent en conséquence être réglées en vertu des seuls articles 368 et 369 aLCP qui stipulent :

 

 

art. 368 aLCP : Délai de remise du bordereau

 

"Lorsqu'un contribuable n'a pas payé l'impôt pour une année déterminée ou pour une opération visée au titre II de la première partie, soit qu'il n'ait pas fait de déclaration ou qu'elle ait été incomplète, soit qu'il n'ait pas été taxé d'office, l'impôt non payé peut lui être réclamé dans un délai de cinq ans non compris l'année courante."

 

 

art. 369 aLCP : Prescription de la créance fiscale

 

1. "Les créances de l'Etat et des communes pour la perception des impôts se prescrivent par un délai de cinq ans dès le jour où le bordereau de perception est adressé au contribuable."

 

2. Les articles 129 et suivants du code des obligations sont applicables par analogie."

 

 

4. En matière de prescription, voire de péremption du droit de taxer, il convient de distinguer trois notions: la limitation dans le temps du droit de taxer, la prescription de la créance fiscale et la prescription de la perception (W. RYSER : Dix leçons introductives du droit fiscale, 2ème éd., 1980, p. 282). Toutefois, en droit genevois, cette dernière notion ne faisant l'objet d'aucune réglementation spécifique, elle se confond avec la prescription de la créance fiscale et se voit appliquer également l'article 369 LCP.

 

5. La taxation effectuée le 2 mai 1994 est intervenue dans les cinq ans suivant la fin de la période fiscale concernée par le rappel d'impôt, soit 1989. La taxation n'est cependant pas définitive. de sorte qu'il faut examiner la question de la prescription du droit de taxer d'une part, et de la créance fiscale d'autre part.

 

6. a. La limitation dans le temps du droit de taxer est régie par l'article 368 aLCP.

 

b. Dans un arrêt FI 99/0008 du 16 août 1999 (résumé in RDAF 2000, p. 283), le Tribunal adminisitratif du canton de Vaud s'est prononcé sur la question de la prescription du droit de taxer dans le cadre de la loi vaudoise sur les droits de mutation sur les transferts immobiliers et les droits de successions et donations du 27 février 1963 (LMSD), dont l'article 77 alinéa 1 stipule :

 

"Les procédures de taxation, de rappel du droit de mutation ou de l'impôt sur les successions et sur les donations doivent être introduites dans les dix ans dès la fin de l'année au cours de laquelle a eu lieu le transfert immobilier ou l'acte qui lui est assimilé, l'ouverture de la succession ou l'exécution de la donation."

 

Le régime instauré par cette disposition étant semblable à celui de l'article 368 aLCP, les principes dégagés par le Tribunal administratif vaudois peuvent être repris mutatis mutandis à la situation du cas d'espèce.

 

Ainsi, l'article 368 aLCP définit la période durant laquelle l'autorité fiscale doit envoyer le bordereau de taxation. Il s'agit en réalité d'un délai de péremption dont le dies a quo est fixé au 1er janvier de l'année suivant l'objet de la taxation. La procédure de taxation est dès lors valablement introduite par le premier acte de l'AFC déployant ses effets sur le plan externe et portant sur la taxation du contribuable (v. RDAF 1989, p. 352), tel un bordereau rectificatif comme en l'espèce. Si ce dernier acte est intervenu avant l'échéance du délai de cinq ans imparti par la loi, le droit de procéder à la taxation n'est plus limité, le LCP n'instituant pas de prescription absolue du droit de taxer.

 

c. En l'espèce, le dies a quo du délai de prescription du droit de taxer est fixé au 1er janvier 1990 et ledit délai échoit le 31 décembre 1994. L'AFC a envoyé un bordereau d'impôt le 2 mai 1994 et a ainsi agi dans le délai de cinq ans précité.

 

7. a. La prescription des créances fiscales (art. 369 LCP) court à partir de la naissance de la créance fiscale (J.-M. RIVIER, Droit fiscal suisse, l'imposition du revenu et de la fortune, 1998, p. 223), c'est-à-dire à partir de son exigibilité. Il peut être interrompu par toute mesure de l'autorité tendant à la taxation, cette dernière faisant repartir un nouveau délai de prescription de même durée.

 

b. La remise du borderau ne constitue pas un acte interruptif de la prescription, mais le point de départ du délai de prescription quinquennale (ATA R. du 25 août 1992; Sem. jud. 1933 p. 397). En l'espèce, ce dernier a donc commencé à courir à la remise du bordereau rectificatif du 2 mai 1994.

 

Depuis lors, la prescription a été interrompue à plusieurs reprises, chaque fois avant la fin du délai de prescription découlant de la précédente interruption : par le rejet le 19 janvier 1995 par l'AFC de la première réclamation de M. M__________, par la décision de la commission de recours du 12 décembre 1996, par l'arrêt du Tribunal administratif du 10 février 1998, par le nouveau bordereau du 23 décembre 1998, par le rejet de la deuxième réclamation du contribuable le 26 février 1999, et enfin par la deuxième décision de la commission de recours du 29 mars 2001.

 

En droit genevois, de telles décisions sont considérées par la jurisprudence comme des actes tendant au recouvrement de la créance fiscale en raison du renvoi aux articles 135 alinéa 2 et 137 alinéa 1 CO par l'article 369 alinéa 2 LCP (ATA R. du 25 août 1992).

 

c. Ni le droit fiscal genevois ni les articles 129 et suivants CO n'instaurant de prescription absolue, l'AFC dispose contre M. M__________ d'une créance fiscale qui n'est, à ce jour, pas prescrite. A ce titre, l'entrée en vigueur du nouveau droit harmonisé le 1er janvier 2001 ne change rien à cette solution, les créances non prescrites à ce moment-là étant soumises aux nouvelles règles et un nouveau délai de prescription commençant à courir à partir de cette date (ATF 126 II 1 consid. 3 p.6). Cette solution est par ailleurs conforme à la LIFD et pourrait s'appliquer par analogie au droit cantonal harmonisé, suite à l'entrée en vigueur de la LHID.

 

La décision de la commission de recours doit donc être annulée sur ce point. M. M__________ sera condamné à verser CHF 6'045'085,55 au titre de l'impôt et les intérêts au taux légal de 5% s'y rapportant (art. 364 al. 1 aLCP) à compter du 3 mai 1994.

 

8. a. Le recourant conteste également le principe de l'amende qui lui a été infligée par l'AFC sur la base des articles 340 alinéa 1 et 341 alinéa 1 LCP, dont la teneur n'a pas été modifiée depuis 1989.

 

b. "Lorsqu'un contribuable, par suite de déclarations inexactes ou incomplètes, n'a pas payé les impôts qu'il aurait dû payer ou les a payés d'une manière insuffisante, il est tenu, ou ses héritiers, à son défaut, sont tenus de payer les impôts arriérés pour les années pendant lesquelles ils n'ont pas été payés, jusqu'à cinq ans en arrière non compris l'année courante" (art. 340 al. 1 LCP).

 

"Tout contribuable qui, dans l'intention de frauder le fisc, le trompe ou cherche à le tromper relativement à ses éléments d'imposition, soit en faisant des déclarations volontairement inexactes, soit en produisant des pièces non conformes à la réalité, soit en dissimulant des pièces qui déterminent pour lui l'obligation de payer l'impôt, est frappé d'une amende fiscale pouvant s'élever jusqu'à 10 fois le montant de l'impôt éludé" (art. 341 al. 1 LCP).

 

A teneur de l'article 341A LCP, la prescription des infractions visées aux articles 340 et 341 est de cinq ans, non compris l'année courante.

 

c. L'amende réprimant la soustraction fiscale constitue une sanction de caractère pénal (ATF 121 II 257) et, à ce titre, doit être soumise aux délais de prescriptions applicables en la matière. C'est ainsi à juste titre que la commission de recours s'est référée à la jurisprudence du tribunal de céans (ATA D. du 24 octobre 2000 et G. du 6 octobre 1992) pour déterminer le délai de prescription absolue. Dans ces arrêts, le tribunal a considéré qu'il fallait faire application des articles 70 à 75 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CPS - RS 311.0) par renvoi des articles 1 alinéa 2, 17 1ère phrase et 37 alinéa 1 chiffre 49 de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1941 (LPG - E 4 05), et soumettre la soustraction fiscale à une prescription absolue de dix ans.

 

d. En conséquence, l'infraction à l'article 86 B LCP commise par M. M__________ le 3 octobre 1989 étant prescrite, l'amende sera annulée et la décision de la commission sera donc confirmée sur ce point.

 

9. Le recours sera partiellement admis.

 

10. Un émolument de CHF 2000.- sera mis à la charge de M. M__________ qui n'obtient gain de cause que très partiellement.

 

Il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure, faute de conclusion expresse en ce sens (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 30 avril 2001 par l'administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 29 mars 20012;

 

au fond :

 

l'admet partiellement ;

 

réforme la décision attaquée;

 

dit que le droit de taxer et la créance fiscale de l'administration fiscale cantonale contre le recourant ne sont pas prescrits;

 

condamne M. M__________ à verser à l'AFC la somme de CHF 6'045'085,55 au titre de l'impôt, ainsi que les intérêts à 5% s'y rapportant à compter du 3 mai 1994;

 

met à la charge de M. M__________ un émolument de CHF 2'000.-;

 

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure;

 

confirme pour le surplus la décision de la commission de recours du 29 mars 2001 en tant qu'elle annule l'amende;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à la commission cantonale de recours en matière d'impôts, ainsi qu'à Me Jean-Charles Haenni, avocat de M. M__________.

 


Siégeants : M. Thélin, président, M. Paychère, M. Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

M. Oranci