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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1530/2003

ATA/101/2004 du 27.01.2004 ( FIN ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : IMPOT; DOMICILE FISCAL; FIN
Normes : CC.23; CC.24
Résumé : Rappel de la notion de domicile en matière fiscale, critères d'analyse. Litige jugé sous l'égide de l'ancien droit cantonal (article 3 aLCP).
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 27 janvier 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame N. D., née M.

représentée par Me Robert Simon, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

 

et

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 



EN FAIT

 

 

1. Au moyen d'un formulaire ad hoc, Madame N. D., née M., a indiqué à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) quitter définitivement le canton, à compter du 31 juillet 1999, pour s'établir à Dar es Salaam (Tanzanie).

 

2. Le 26 octobre 1999, l'AFC lui a notifié un bordereau de taxation d'impôt cantonal et communal 1999 (ci-après : ICC 1999) pour un montant de CHF 12'700.45, établi sur la base d'un revenu imposable, calculé sur une période de 210 jours, de CHF 86'420.-.

 

3. Mme D. est revenue s'installer à Genève au mois de juillet 2000.

 

4. Par lettre du 12 octobre 2000, l'AFC lui a demandé de lui fournir, en vue de procéder à la taxation ICC 2000, une attestation des autorités tanzaniennes indiquant qu'elle avait été assujettie dans ce pays.

 

5. Mme D. a répondu par courrier du 25 novembre 2000.

 

Titulaire d'un visa de touriste, elle n'avait pas exercé d'activité lucrative durant l'année passée chez des amis en Tanzanie.

 

6. Le 14 décembre 2000, l'AFC lui a notifié un bordereau de taxation ICC 2000 provisoire d'un montant de CHF 8'478,30, établi sur la base d'un revenu imposable de CHF 86'420.- calculé sur une période de 158 jours.

 

7. Le 20 avril 2001, deux bordereaux de taxation rectificatifs lui ont été notifiés concernant les ICC 1999 et 2000.

 

Le bordereau ICC 1999 était fondé sur le même revenu imposable, mais calculé sur une période de 360 jours. La taxation s'est alors élevée à CHF 21'686,25.

 

Le bordereau ICC 2000, quant à lui, a pris en compte un revenu imposable de CHF 46'749.-, calculé sur une période de 360 jours également, pour aboutir à une taxation de CHF 9'785,05.

 

8. Par réclamation du 3 mai 2001, Mme D. a contesté ces bordereaux rectificatifs.

 

9. Par décision sur réclamation du 28 août 2001, l'AFC a déclaré maintenir les taxations susmentionnées.

 

L'absence temporaire de Suisse de Mme D. n'interrompait pas son assujettissement illimité dans le canton puisqu'elle y avait conservé son domicile au sens des articles 23 et 24 du code civil suisse du 10 décembre 1907 (CCS - RS 210). Les bordereaux rectificatifs 1999 et 2000 avait en conséquence été établis conformément à l'article 17 alinéa 1 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05).

 

10. Mme D. a recouru contre cette décision, par acte du 24 septembre 2001, auprès de la commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après : commission), reprenant pour l'essentiel le contenu de ses précédents courriers. Elle a conclu à l'annulation de la décision de l'AFC.

 

Contrairement à ce qui avait été retenu par l'AFC, elle n'avait conservé aucun domicile à Genève suite à son départ définitif au mois de juillet 1999. Pour le surplus, son visa lui interdisait de travailler en Tanzanie.

 

11. Dans sa réponse du 17 décembre 2001, l'AFC a conclu au rejet du recours.

 

L'ensemble des éléments invoqués par Mme D. ne permettait pas d'établir qu'elle envisageait de donner un caractère définitif à son départ de Suisse. Elle n'avait jamais exercé d'activité lucrative en Tanzanie et rien n'indiquait qu'elle avait entrepris des démarches auprès des autorités en vue d'obtenir une autorisation qui lui aurait permis de s'établir dans ce pays à plus long terme, voire d'y exercer une activité lucrative. De plus, elle avait résidé chez des amis, et non dans son propre logement. Rien ne permettait donc de conclure à la création d'un nouveau domicile en Tanzanie.

 

L'AFC était ainsi fondée à considérer qu'il n'y avait eu ni fin d'assujettissement en 1999, ni nouvel assujettissement en 2000.

 

12. Dans un courrier du 21 décembre 2001, la commission a fixé à Mme D. un délai au 30 janvier 2002 pour l'informer du maintien de son recours.

 

13. Suite à un report dudit délai, Mme D. a persisté dans ses conclusions par acte du 28 février 2002.

 

Depuis le mois de janvier 1999, elle partageait la vie de Monsieur S. D., employé depuis 1997 par La société R., devenue par la suite la société J., en tant que directeur des ressources humaines auprès de la société affiliée T..

 

Elle avait quitté la Suisse pour vivre avec son ami en Tanzanie. Elle avait alors rompu toutes ses attaches avec Genève (appartement, emploi, assurance maladie, voiture) et avait fait le nécessaire auprès des différentes autorités, dont l'AFC, avant d'aller s'installer en Tanzanie.

 

Lors de son départ de Genève, elle ignorait totalement si elle allait un jour revenir en Suisse. Les activités de M. D. le conduisait en effet à se plier aux besoins du groupe au sein duquel il travaillait, il pouvait dès lors devoir rester encore plusieurs années en Tanzanie, comme être réaffecté dans un autre pays. Elle n'avait pas eu la possibilité d'obtenir de permis de travail en Tanzanie car elle n'était pas mariée et n'avait pas d'emploi auprès de La société T.. En l'absence de tout revenu, elle n'avait ainsi pas été assujettie à l'impôt.

 

Au mois de juillet 2000, M. D. avait été déplacé à Genève afin d'occuper, pour une durée indéterminée, un poste de directeur des ressources humaines au sein du siège du groupe la société J.. Trois mois plus tard, il avait accepté un poste à Moscou, toujours au sein du même groupe.

 

Elle ne l'avait pas suivi immédiatement à Moscou, car d'une part elle exerçait une activité lucrative à Genève et, d'autre part, M. D. devait beaucoup voyager dans le cadre de son nouveau poste. Elle s'était trouvée enceinte au mois de juin 2001 et elle avait alors décidé, pour des raisons médicales, de rester à Genève jusqu'à l'accouchement. M. D. avait été ensuite nommé à Hong Kong, pour une durée indéterminée, à compter du mois de janvier 2002.

 

Sa fille était née en 2002 et elle comptait rejoindre M. D. à Hong Kong une fois remise de l'accouchement.

 

14. Dans sa duplique du 18 mars 2002, l'AFC a campé sur sa position.

 

Sans autorisation de travail, et donc sans ressources financières, non mariée avec l'homme chez qui elle vivait, "dans un pays d'Afrique", on ne pouvait véritablement discerner les indices de la création d'un centre de ses relations personnelles et économiques auquel Mme D. aurait conféré une certaine stabilité. Elle n'avait par ailleurs fourni aucun élément démontrant une certaine intégration à la vie locale, comme membre d'associations culturelle, artistique ou sportive. Suite à son retour en Suisse, il ressortait des faits de ce qu'elle entendait conserver une certaine autonomie. C'est ainsi qu'elle avait commencé une activité lucrative moins de deux mois après son arrivée et était demeurée en Suisse malgré le départ de son compagnon. De même, elle était restée à Genève après s'être trouvée enceinte et jusqu'à son accouchement, alors que M. D. n'y résidait plus. On devait inférer de ces divers éléments qu'alors même qu'elle avait quitté Genève pour la Tanzanie en juillet 1999, elle avait conservé d'importantes attaches à Genève, tandis que simultanément rien ne permettait de constater qu'elle s'était créé en Tanzanie des liens du même ordre.

 

15. Mme D. et M. D. se sont mariés à Hong Kong en 2002.

 

16. Par décision du 26 juin 2003, notifiée à Mme D. par voie édictale (FAO du 21 juillet 2003), la commission a retourné le dossier à l'AFC afin qu'elle recalcule le revenu imposable pour la taxation ICC 2000, elle n'avait en effet pas expliqué comment elle avait retenu un revenu imposable de CHF 46'749.-. La commission a rejeté le recours pour le surplus.

 

Les conditions requises pour la constitution d'un nouveau domicile en Tanzanie n'étaient pas réalisées.

 

17. Par acte du 20 août 2003, Mme D. a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif. Elle a demandé préalablement l'annulation de la notification effectuée par la commission et une nouvelle notification à son domicile, à Hong Kong. A défaut, elle a sollicité l'octroi d'un premier délai de trois mois pour produire les pièces utiles. Au fond, elle a conclu à l'annulation de la décision de la commission, à la constatation de ce qu'elle n'était plus domiciliée à Genève et en Suisse à partir du 31 juillet 1999 jusqu'au 1er septembre 2000, à la constatation de ce qu'elle n'était en conséquence pas assujettie aux impôts à Genève et en Suisse du 31 juillet 1999 au 1er septembre 2000, à inviter l'AFC et l'IFD à modifier leurs décisions de taxation 1999 et 2000 et à lui notifier de nouvelles taxations.

 

18. La commission a persisté dans le dispositif de sa décision par lettre du 19 septembre 2003.

 

Dans sa réponse du 30 septembre 2003, l'AFC a conclu au rejet du recours.

 

19. Par courrier du 7 octobre 2003, le juge délégué a requis de Mme D. la production des pièces que cette dernière affirmait n'avoir pas eu le temps de réunir en raison de son domicile lointain.

 

20. Mme D. a fait parvenir lesdits documents au tribunal de céans par courrier du 30 octobre 2003.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Au vu des pièces produites par la recourante, la question de la validité de la notification de la décision querellée peut demeurer ouverte.

 

3. L'objet du litige porte sur les bordereaux rectificatifs des taxations ICC 1999 et 2000.

 

4. Le 1er janvier 2001 est entrée en vigueur la nouvelle loi genevoise sur l'imposition des personnes physiques - LIPP, divisée désormais en quatre parties (LIPP-I, LITPP-II, LIPP-III et LIPP-IV) - qui a modifié ou abrogé la plupart des dispositions de la LCP.

 

En vertu du principe de la non-rétroactivité, le nouveau droit ne s'applique pas aux faits antérieurs à sa mise en vigueur (P. MOOR, Droit administratif, vol. I, 1994, p. 170; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., Bâle 1991, p. 116). Le droit nouveau ne peut avoir un effet rétroactif que si la rétroactivité est prévue par la loi, est limitée dans le temps, ne conduit pas à des inégalités choquantes, est motivée par des intérêts publics pertinents et ne porte pas atteinte à des droits acquis (B. KNAPP, op. cit., p. 118).

 

En l'espèce, les nouvelles dispositions du droit fiscal genevois ne prévoient pas un effet rétroactif. Au contraire, l'article 6 de la nouvelle loi sur l'imposition dans le temps des personnes physiques du 31 août 2000 (LITPP-II - D 3 12) prévoit même expressément que la détermination de la période de taxation (article 2 al. 1 LITPP-II remplaçant l'article 17 LCP) n'est régie par le nouveau droit qu'à partir de l'exercice 2001.

 

Le recours sera dès lors jugé selon le droit applicable à l'époque des faits allégués.

 

5. Selon l'article 3 aLCP, le domicile est déterminé par les articles 23 à 26 CCS.

 

En vertu de l'article 23 alinéa 1 CCS, le domicile de toute personne est au lieu où elle réside avec l'intention de s'y établir. Il n'est pas nécessaire qu'elle ait l'intention d'y demeurer pour toujours ou pour une durée indéterminée, il suffit qu'elle veuille faire d'un endroit déterminé le centre de ses relations personnelles et économiques et qu'elle lui confère une certaine stabilité, quand bien même elle aurait l'intention de transporter plus tard son domicile ailleurs au cas où les circonstances viendraient à se modifier (cf. ATA S. du 27 août 2002; ATA C. du 4 mai 1999; Archives 64, p. 405, consid. 3a; ATF 69 I 9 = JT 1943 I 409, 411).

 

Nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles (art. 23 al. 2 CCS). A ce propos, l'article 24 alinéa 1 CCS instaure la fiction selon laquelle toute personne est réputée conserver son domicile aussi longtemps qu'elle ne s'en ait pas créé un nouveau. Le fardeau de la preuve incombe à cette dernière (notamment ATF 2P.180/1997 du 20 janvier 1999, consid. 2c).

 

6. En l'espèce, il ressort du dossier que la recourante, au moment de son départ en juillet 1999, avait non seulement l'intention de quitter définitivement son domicile genevois, comme l'attestent les différentes démarches entreprises, mais également qu'elle avait l'intention, objectivement reconnaissable par les tiers, de s'établir au côté de son ami à Dar es Salaam. La question de savoir si elle voulait, et/ou pouvait, y exercer une activité lucrative n'est pas déterminante. En effet, il est tout à fait envisageable de vouloir s'établir à un endroit, et d'y créer le centre de son existence, sans pour autant y exercer une telle activité, surtout lorsque l'on décide de vivre avec la personne avec laquelle des liens sentimentaux se sont instaurés. Certes, l'exercice d'une activité lucrative constitue un indice sérieux de la création d'un domicile, il n'en demeure pas moins qu'il ne forme pas une condition indispensable en ce domaine. Ce qui est important dans le cas présent, c'est que la recourante avait décidé de suivre son compagnon en Tanzanie tant et aussi longtemps qu'il y demeurerait. Il ressort à ce propos du dossier que le retour du couple à Genève n'était pas prévu, mais résultait de circonstances tout à fait fortuites.

 

Il importe peu, par ailleurs, d'analyser les événements qui ont suivi la réaffectation du compagnon de la recourante à Genève. Ces derniers sont sans pertinence sur l'objet du litige.

 

7. Au vu de ce qui précède, l'AFC a procédé à tort à la taxation de la recourante pour la période durant laquelle elle résidait en Tanzanie, le recours sera dès lors admis en ce qu'il conclut à l'annulation de la décision de la commission.

 

Les conclusions de la recourante portant sur l'IFD, exorbitantes de l'objet du litige, ne sont quant à elles pas recevables.

 

8. Le recours étant admis pour l'essentiel, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité ne sera par ailleurs allouée, faute de conclusions en ce sens (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 20 août 2003 par Madame N. D., née M., contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 26 juin 2003;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

annule la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 26 juin 2003;

 

renvoie le dossier à l'administration fiscale cantonale pour nouvelles taxations ICC 1999 et 2000, au sens des considérants;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à Me Robert Simon, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale et à la commission cantonale de recours en matière d'impôts.

 


Siégeants : M. Thélin, président, M. Paychère, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges, M. Grant, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci